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Martyre d'Al-Hashimi de Bagdad
Brutalités, vision, conversion et martyre
du prince Al-Hashimi de Bagdad
Récit tiré de
l'Histoire des patriarches de l'Eglise copte d'Alexandrie[1]
où il est attribuée à Al-Wadih ibn Raja, un musulman converti au Christ et devenu moine sous le nom de Bulus ibn Raja[2] qui affirme la tenir de son ami, l'évêque Severos ibn al-Mukaffa[3].
Le fait que la famille royale se trouve à Bagdad fait placer cet épisode durant le Califat abbasside d'Irak (750 - 1258). Sévère d'Achmounein, mort après 987, en parle comme d'un événement ancien (puisque, selon ce récit, les chrétiens de Bagdad ont eu le temps de construire une église sur la tombe du martyr), l'histoire à la base du récit doit donc être située au plus tard vers 950, ce qui donne une période de deux siècles : 750-950.
La liturgie, telle qu'elle est décrite dans ce récit est celle de l'Eglise d'Alexandrie.
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"Il y avait à Bagdad un prince de famille royale nommé Al-Hashimi, qui ne songeait en aucune manière aux affaires de l'État, ni aux beaux habits, ni aux chameaux ; mais tout son plaisir était de monter tous les jours à cheval, et de s'en aller, accompagné des soldats de sa suite, dans les églises des chrétiens au moment précis de la liturgie. Il y entrait à cheval, et commandait qu'on prenne l'hostie dans la place même du sanctuaire. Il la faisait rompre et fouler au pieds, et répandre le calice. Quand il avait fait cela dans une église, il allait ensuite dans une autre, où il en faisait autant, à tel point que les églises de Bagdad étaient sur le point de ne plus avoir de Liturgie et que la plupart des prêtres s'abstenaient de célébrer, dans la crainte où ils étaient que cela ne leur arrive.
Mais le secours de Dieu l'attirait, quoi qu'il ne sût pas.
Un jour que cet homme était entré, selon sa coutume, dans une église, Dieu lui ouvrit les yeux, et il aperçut sur la patène le korban[4] comme un enfant beau et très-bien fait. Et, au moment de la Fraction, il vit que le prêtre l'immolait, et versait son sang dans le calice, et divisait sa chair par morceaux sur la patène. Al-Hashimi en était stupéfait, incapable de bouger. Après cela, le prêtre sortit pour la communion, et donna au peuple de la chair, et le diacre, du sang dans le calice[5], alors qu'il les regardait faire.
Tout à son étonnement, et il dit à ses soldats : "Ne voyez-vous pas ce type, ce prêtre, manigance ?" Ils lui dirent : "Oui, nous le voyons". Il leur dit : "Le laisserons-nous faire qu'il prenne un enfant, l'immole et partage sa chair à cette assemblée, et qu'il les fasse boire de son sang ?" Ils lui dirent : "Dieu te maintienne, Seigneur, mais nous ne voyons que du pain et du vin" ; ce qui augmenta sa crainte et sa stupéfaction. Le peuple, de son côté, n'était pas moins surpris de le voir ainsi immobile, ne faisant pas au korban ce qu'il avait coutume de faire.
Le prêtre ayant achevé l'office, et le peuple étant sorti, il appela ce prêtre, et lui dit ce qu'il avait vu. Le prêtre répondit "Seigneurie, je t'assure devant Dieu que ce n'était que du pain et du vin." Ayant donc ainsi reconnu que ce mystère n'avait paru qu'à lui seul, il dit au prêtre : "Je veux que tu me fasses connaître le mystère de cette Eucharistie et son institution". Le prêtre lui apprit comment Jésus-Christ prit du pain et du vin, le partagea entre ses disciples, et leur dit : Prenez, mangez; ceci est mon corps, et ensuite : Buvez; ceci est mon sang, buvez-en tous pour la rémission de vos péchés. "Et ses disciples, dit-il, nous ont appris une prière que nous disons sur le pain et sur le vin, quand nous les mettons sur l'autel, et le pain est changé et est fait chair, et le vin est fait sang d'une manière secrète, comme Dieu te l'a fait voir aujourd'hui. Cependant en apparence c'est du pain et du vin, parce qu'il n'y a personne au monde qui puisse prendre un morceau de viande crue, ni boire du sang qui vient d'être répandu. C'est Dieu lui-même qui a manifesté pour toi ce mystère saint, véridique et caché pour le salut de ton âme."
Puis le prêtre lui lut les livres de l'Eglise et lui expliqua les Mystères de la foi chrétienne, de sorte que son coeur fut rassuré pour entrer [en christianisme][6], reconnaissant sa grandeur et sa vérité, ayant vérifié ses enseignements et sa solidité.
Alors, il ordonna à ceux qui l'accompagnaient de partir, et il resta avec le prêtre pour la nuit, et celui-ci le baptisa de nuit, de sorte qu'il devint chrétien. Au matin, ses compagnons lui ramenèrent son cheval, mais il les renvoya sans leur adresser la parole. Lorsque ceux-ci surent ce qui s'était passé, ils s'en allèrent voir son père pour l'en informer. Ce dernier, cruellement blessé, ordonna qu'on lui amène son fils de force. Il lui parla avec tendresse et sévérité, s'épuisant à tenter de le convaincre de toutes les manières possibles, alternant humiliations et menaces, mais fut incapable d'en obtenir quoi que ce soit : Al-Hashimi ne renonça pas à son opinion. Alors, il le fit livrer à la torture, et il fut torturé outre-mesure mais ne renonça pas à sa croyance.
Aussi il fut décapité au sabre, pour le nom du Seigneur Christ, accomplissant son martyre – que sa bénédiction descende sur nous et son intercession soit avec nous.
Quant à son saint corps, les chrétiens de Bagdad l'honorèrent et le vénérèrent, et ils bâtirent au dessus un église qui est connue sous le nom d'Eglise d'Al-Hashimi.
Notes :
[1] ATYIA et alii : "History of the Patriarchs of the Egyptian Church, known as the "History of the Holy Church" by, Sawirus Ibn Al-Mukaffa, bishop of Al-Asmunin", Vol II, part 2, 1948. P 165-167". Cet ouvrage copte a longtemps été attribué à Sévère évêque d'Achmounein.
[2] Paul, fils de Raja. Voir "Christian-Muslim Relations, A Bibliographical History", Volume 2, 2010 p 541.
[3] Sévère évêque d'Achmounein. Une traduction française de la plus grande partie de ce récit avait été réalisée à partir "d'un manuscrit arabe de la Bibliothèque du Roi" et publiée par Antoine ARNAULD : dans "La perpétuité de la foi de l'église catholique touchant l'eucharistie", Volume 3, 1674, p 797.
[4] Le "korban" est, dans l'église copte, le pain spécifique préparé pour être consacré, un peu comme la "prosphore" de la liturgie byzantine. On en prépare plusieurs, mais un seul servira à l'eucharistie, les autres étant distribués comme "pain béni" à la fin de la liturgie.
[5] Dans l’Eglise copte, on communie au Saint Corps, puis après avoir fait le tour de l’autel, on communie au Précieux Sang, à l’aide d’une cuillère. Quand il y a deux prêtres qui concélèbrent, le principal (l’Officiant) distribue le Saint Corps et l’autre (le concélébrant) le Précieux Sang. Mais quand il n’y a qu’un seul prêtre, il distribue lui- même les deux Espèces, et cela prend le double du temps. Si un diacre est présent, il peut distribuer le Précieux Sang.
[6] c'est à dire : "pour entrer dans la foi", "pour devenir chrétien"
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