• La Lettre aux Arméniens (Migne 4)

     

    Depuis que je côtoie les textes d'Abu Qurrah, un truc me tracasse : que lui doivent les écrits conservés en grec ? Car si l'arabe et le syriaque étaient pour lui des langues usuelles, en était-il de même pour le grec ? De fait, certains indices laissent à penser que le grec ne devait pas lui être d'un usage courant, et peut-être même qu'il n'en possédait que des rudiments.

    Oh, bien sûr, nous avons quelques poignées de textes grecs qui lui sont attribués, mais outre que ce sont souvent des fragments assez brefs, nous savons – du moins pour certains – qu'ils ont été traduits de l'arabe en grec par une main autre que la sienne.

    Ainsi en est-il du "recueil du diacre Jean"*, ainsi en est-il surtout de la lettre aux Arméniens**.

    Il faut dire qu'elle est imparable, cette "lettre aux Arméniens", du moins en ce qui concerne la question de la langue employée. En effet, en préface à cette "lettre" (en fait, un traité théologique), le syncelle Michel, secrétaire du patriarche Thomas de Jérusalem, explique qu'il a lui-même traduit en grec cette lettre rédigée en arabe par Théodore, lettre qu'il a ensuite porté à son destinataire.

    Or, si Théodore avait su le grec correctement, n'aurait-il pas pu lui-même rédiger cette lettre en grec ? S'il a eu besoin d'un traducteur, n'était-ce pas qu'il était loin de maîtriser cette langue ? CQFD, donc.

    Oui, mais d'un autre côté, dans ses traités arabes, il fait montre d'une redoutable pertinence par rapport à des phrases grecques. Et même si les sources auxquelles il puise sont loin d'être toutes identifiées, il est clair qu'il a lu des auteurs grecs qui – à son époque – n'avaient encore été traduits ni en syriaque, ni en arabe.

    Alors ?

    Alors j'avais juste négligé un paramètre important dans cette histoire de "lettre aux Arméniens" : c'est que si les Arméniens employaient couramment le grec dans leurs correspondances avec Constantinople et l'empire byzantin, ils employaient tout autant l'arabe dans leurs échanges avec le califat abasside.

    De sorte que Théodore Abu Qurrah a écrit sa "lettre" dans une langue parfaitement compréhensible pour ses destinataires.

    Et la traduction en grec, alors ?

    Michel le Syncelle devait se rendre à Constantinople à la période où eut lieu cet épisode : sans doute a-t-il jugé utile d'en faire un copie dans la langue de l'empire byzantin. Il aura remis la "lettre" arabe à son destinataire, et aura gardé la traduction grecque qui, de copies en copies, nous est parvenue...

    Et le grabar ?

    C'est le nom que l'on donne à l'arménien ancien, celui qui était employé à cette époque. Mais là, ni Théodore ni le syncelle Michel ne le parlaient.

     

    Notes

    * Le "recueil du diacre Jean" est une compilation d'anecdotes relatives à l'islam qu'un certain diacre Jean a rassemblées en grec. Plus de précisions ici, en attendant que je me décide à mettre mon brouillon en ligne.

    * La "lettre aux arméniens" est le traité n° 4 dans l'édition de Migne. La seule traduction que je lui connaisse est celle de Lamoreaux, 2005, en américain.

     

    Et, en illustration de ce billet, la Cathédrale et l'église du Christ Sauveur, deux des églises d'Ani, l'ancienne capitale du royaume arménien Bagratide.

     

    Reprise de l'article Arabe, syriaque, grec et grabar

     


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