•  

    Depuis que je côtoie les textes d'Abu Qurrah, un truc me tracasse : que lui doivent les écrits conservés en grec ? Car si l'arabe et le syriaque étaient pour lui des langues usuelles, en était-il de même pour le grec ? De fait, certains indices laissent à penser que le grec ne devait pas lui être d'un usage courant, et peut-être même qu'il n'en possédait que des rudiments.

    Oh, bien sûr, nous avons quelques poignées de textes grecs qui lui sont attribués, mais outre que ce sont souvent des fragments assez brefs, nous savons – du moins pour certains – qu'ils ont été traduits de l'arabe en grec par une main autre que la sienne.

    Ainsi en est-il du "recueil du diacre Jean"*, ainsi en est-il surtout de la lettre aux Arméniens**.

    Il faut dire qu'elle est imparable, cette "lettre aux Arméniens", du moins en ce qui concerne la question de la langue employée. En effet, en préface à cette "lettre" (en fait, un traité théologique), le syncelle Michel, secrétaire du patriarche Thomas de Jérusalem, explique qu'il a lui-même traduit en grec cette lettre rédigée en arabe par Théodore, lettre qu'il a ensuite porté à son destinataire.

    Or, si Théodore avait su le grec correctement, n'aurait-il pas pu lui-même rédiger cette lettre en grec ? S'il a eu besoin d'un traducteur, n'était-ce pas qu'il était loin de maîtriser cette langue ? CQFD, donc.

    Oui, mais d'un autre côté, dans ses traités arabes, il fait montre d'une redoutable pertinence par rapport à des phrases grecques. Et même si les sources auxquelles il puise sont loin d'être toutes identifiées, il est clair qu'il a lu des auteurs grecs qui – à son époque – n'avaient encore été traduits ni en syriaque, ni en arabe.

    Alors ?

    Alors j'avais juste négligé un paramètre important dans cette histoire de "lettre aux Arméniens" : c'est que si les Arméniens employaient couramment le grec dans leurs correspondances avec Constantinople et l'empire byzantin, ils employaient tout autant l'arabe dans leurs échanges avec le califat abasside.

    De sorte que Théodore Abu Qurrah a écrit sa "lettre" dans une langue parfaitement compréhensible pour ses destinataires.

    Et la traduction en grec, alors ?

    Michel le Syncelle devait se rendre à Constantinople à la période où eut lieu cet épisode : sans doute a-t-il jugé utile d'en faire un copie dans la langue de l'empire byzantin. Il aura remis la "lettre" arabe à son destinataire, et aura gardé la traduction grecque qui, de copies en copies, nous est parvenue...

    Et le grabar ?

    C'est le nom que l'on donne à l'arménien ancien, celui qui était employé à cette époque. Mais là, ni Théodore ni le syncelle Michel ne le parlaient.

     

    Notes

    * Le "recueil du diacre Jean" est une compilation d'anecdotes relatives à l'islam qu'un certain diacre Jean a rassemblées en grec. Plus de précisions ici, en attendant que je me décide à mettre mon brouillon en ligne.

    * La "lettre aux arméniens" est le traité n° 4 dans l'édition de Migne. La seule traduction que je lui connaisse est celle de Lamoreaux, 2005, en américain.

     

    Et, en illustration de ce billet, la Cathédrale et l'église du Christ Sauveur, deux des églises d'Ani, l'ancienne capitale du royaume arménien Bagratide.

     

    Reprise de l'article Arabe, syriaque, grec et grabar

     


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  • Livre "Chrétiens en débat avec l'islam"

     

     

     

     

    Chrétiens en débat avec l'islam
    VII°-XXI° siècle

     Paul d'Antioche,
    Anba Jirji al-Semani
    Théodore Abu Qurrah
    Timothée I de Bagdad

     

     

     

     

    A commander chez votre libraire, ou sur la page de l'éditeur.

    Existe aussi en version numérique

    Sur la page de l'éditeur : https://www.editions-harmattan.fr/livre-chretiens_en_debat_avec_l_islam_viie_xxie_siecle_albocicade-9782140267994-74060.html

    • Date de publication : 23 août 2022
    • Broché - format : 13,5 x 21,5 cm • 232 pages
    • ISBN : 978-2-14-026799-4
    • EAN13 : 9782140267994
    • EAN PDF : 9782140268007
    • (Imprimé en France)

     

    Recension (en anglais) par Lukáš Eduard Nosek de mon livre "Chrétiens en débat avec l'islam" dans la revue tchèque "PARRÉSIA : Revue pro východní křesťanství /A Journal of Eastern Christian Studies", vol 16, 2022 ; p 269-272.

    Recension (en français) par Jean-Claude Larchet de mon livre "Chrétiens en débat avec l'islam" sur le site Orthodoxie.com le 6 août 2023 (ou version pdf de cette recension)

    Table des matières :

    Préambule : Deux regards ...........................................................5
    Introduction ................................................................................7

    I. La lettre de Paul d'Antioche à un ami musulman........................13
    § 100 Introduction à la lettre de Paul d'Antioche ...........................15
    § 101 Préambule .......................................................................17
    § 102 Un chrétien doit-il devenir musulman ? ...............................17
    § 103 Dieu en tant que Trinité .....................................................25
    § 104 Le Verbe de Dieu incarné...................................................29
    § 105 Le Coran, référence pour les chrétiens ? ............................31
    § 106 Compréhension charnelle ou langage spirituel.....................32
    § 107 Vocabulaire : "substance" et "accident" .............................34
    § 108 Après la Justice, la Grâce ................................................35
    § 109 Conclusion.......................................................................36

     

    II. Au fil des thèmes et des auteurs.............................................39
    § 200 Présentation ....................................................................41
    § 201 Islam et christianisme, si proches que cela ? .....................43
    § 202 Foi et raison ....................................................................44
    § 203 La paix soit sur toi ! ..........................................................45
    § 204 Au nom de Dieu................................................................46
    § 205 Martyrs, qu'est-ce à dire ? ................................................48
    § 206 Djihad .............................................................................50
    § 207 L'Evangile a-t-il pu être modifié ? .......................................51
    § 208 Un chrétien pourrait-il modifier l'Évangile ? ..........................53
    § 209 L'authentique Injil ? ..........................................................54
    § 210 Les "Évangiles de l'enfance du Christ"................................55
    § 211 L'Évangile de Barnabé.......................................................57
    § 212 Le Coran a-t-il pu être modifié ? ........................................60
    § 213 Mais, au fond, le Tahrif est-il possible ? .............................63
    § 214 Mahomet, un prophète annoncé dans la Bible ? .................65
    § 215 Mahomet dans le Cantique des cantiques ? ......................67
    § 216 Mahomet annoncé par Isaïe ? ..........................................69
    § 217 Mahomet, annoncé par Jésus ? .......................................73
    § 218 Paraklétos ou Périklutos ? ..............................................76
    § 219 Que dire de Jésus-Christ ? ..............................................79
    § 220 Que dire de Mahomet ? ..................................................80
    § 221 Lequel est le plus grand ? ...............................................83
    § 222 Et la Trinité ? .................................................................84
    § 223 Les vainqueurs du monde ? ............................................86
    § 224 L'âne ou la Croix ? .........................................................87
    § 225 A quoi servent les icônes des églises ? ...........................90
    § 226 Que manger ? ...............................................................91
    § 227 Vivre en chrétien ...........................................................95
    § 228 Conclusion....................................................................98

     

    III. Le dialogue du moine Jirji ..................................................99
    § 300 Présentation ..............................................................101
    § 301 Préambule .................................................................104
    § 302 Le mode de vie des moines et ses raisons.....................105
    § 303 Arrivée des lettrés musulmans......................................107
    § 304 Les caractéristiques d'un envoyé de Dieu.......................109
    § 305 L'accusation d'avoir falsifié l'Evangile .............................114
    § 306 Histoire de Mahomet ...................................................116
    § 307 La croyance des chrétiens...........................................122
    § 308 Intervention d'Abou al-Fadl............................................124
    § 309 L'incarnation du Christ .................................................124
    § 310 Fin de la première journée ............................................126
    § 311 Deuxième jour .............................................................127
    § 312 Le Christ, Dieu et homme.............................................128
    § 313 Mathal du prisonnier gracié...........................................133
    § 314 Actions humaines et divines du Christ ...........................137
    § 315 Mathal du serviteur rebelle et du roi incognito..................140
    § 316 La vénération de la Croix ..............................................146
    § 317 Mathal du maître se substituant à son serviteur...............148
    § 318 Les quatre religions ......................................................151
    § 319 La religion des sabéens.................................................153
    § 320 La religion des juifs ......................................................154
    § 321 La religion des chrétiens................................................158
    § 322 La religion des musulmans ...........................................162
    § 323 Mathal du roi, du prince et du médecin ..........................166
    § 324 Ordalies et tour de passe-passe....................................170
    § 325 Ablutions rituelles, circoncision et baptême....................172
    § 326 Humilité ou splendeur ?................................................175
    § 327 Les merveilles du Hadj .................................................177
    § 328 Séparation et départ ....................................................180

     

    IV. Annexes.........................................................................183
    § 401 Petit glossaire de l'islam .............................................185
    § 402 Petit glossaire du christianisme ...................................191
    § 403 Index des auteurs chrétiens cités dans cet ouvrage........197
    § 404 Deux formules théologiques chrétiennes........................209
    § 405 Accord entre "monophysites" et "chalcédoniens" ...........211
    § 406 Accord entre "nestoriens" et "chalcédoniens" ................215
    Bibliographie .......................................................................219
    Table des matières ..............................................................226

     

    Quatrième de couverture :

    Dès ses origines au VII° siècle, l'islam s'est répandu dans tout le Moyen-Orient. Ainsi, dès cette période, des chrétiens arabes et syriaques furent en contacts d'abord sporadiques, puis fréquents avec des tenants de la nouvelle religion, avant de se trouver dans la situation de citoyens minoritaires dans un pays où les vainqueurs du jour s'imposaient tant au niveau culturel, social et politique que religieux.

    Que fallait-il faire ? Résister ou s'adapter ? Et s'il fallait s'adapter, jusqu'à quel point ? Ce fut le rôle des évêques, des prêtres et des moines que d'écrire pour réconforter leurs frères chrétiens et les encourager à persévérer dans la foi des Apôtres au Christ ressuscité. Il fallait par ailleurs apprendre à connaître cette nouvelle religion – et en particulier son Livre – pour montrer ce qui en elle était compatible avec l'Evangile, et ce qui en elle y était opposé.

    Ce sont plus de vingt-cinq de ces auteurs chrétiens qui sont convoqués ici, soit pour un éclairage ponctuel, soit pour un texte plus long.

     
     Liste des auteurs cités :

    [NB : dans le livre, chaque nom de cette liste est accompagné d'une notice le concernant]

    Nota : la première ligne de chaque notice, placée entre crochets, regroupe les informations essentielles suivantes :

    - Siècle durant lequel vécut l'auteur ;

    - Régions où il vécut ;

    - Langues qu'il employait dans ses écrits ;

    - Église à laquelle il appartenait ;

    - Notice de présentation dans le "CMR" ;

    - Sections du présent ouvrage où l'auteur est cité.

     

    Abd al-Masih al-Kindi.

    [IX° siècle ; Syrie ; Langue : arabe ; Église nestorienne (?) ; CMR 1 p 585 ; § 205]

    Abraham de Beth-Halé

    [VIII° siècle ; Iraq ; Langue : syriaque ; Église nestorienne ; CMR 1 p 269 ; § 223]

    Abraham de Tibériade

    [IX° siècle ; Iraq, Syrie, Jérusalem ; Langues : syriaque, arabe ; Église melkite (?) ; CMR 1 p. 876 ; § 207, § 209, § 221]

    Abu l-Hayr ibn al-Tayyib

    [XIII° siècle ; Egypte ; Langue : arabe ; Église copte ; CMR 4 p. 431 ; § 225] 

    Abu Raïtah al-Takriti 

    [VIII°-IX° siècle ; Irak ; Langue : arabe ; Eglise jacobite ; CMR 1 p. 567 ; § 222]

    Afif ibn Muammal

    [XI°-XII° siècle ; Syrie ou Egypte ; Langue : arabe ; Église melkite ; CMR 2 p. 714 et CMR 5 p. 745 ; § 202]

    Ali ibn Daoud al-Arfadi

    [IX°-XI° siècle (?) ; Syrie ; Langue : arabe ; Église jacobite (?) ; CMR - ; § 200]

    Al-Mutaman ibn al-Assal

    [XIII° siècle ; Egypte, Damas ; Langues : copte, arabe ; Église copte ; CMR 4 p 530 ; (§ 204)]

    Amr ibn Matta de Tirhan

    [XI° siècle ; Irak ; Langue arabe ; Eglise nestorienne ; CMR 2 p. 627 ; § 226]

    Aréthas (pseudo)

    [X° siècle ; Byzance ; Langue : grec ; Eglise orthodoxe ; CMR- ; § 220 § 224]

    Bahira.

    [VII° siècle ; Syrie (?) ; Langue : syriaque ; Église nestorienne (?) ; CMR 1 p. 600 ; § 204]

    Bar Hebraeus (Grégoire)

    [XIII° siècle ; Turquie, Irak, Iran ; Langue syriaque ; Eglise jacobite ; CMR 4 p. 588 ; § 200, § 213]

    Bartholomé Georgievitz (Djurdjevic).

    [XVI° siècle ; Croatie, Moyen Orient, Italie ; Langues : croate, turc, latin ; Église catholique ; CMR 7 p. 321 ; (§ 204)]

    Enbaqom.

    [XVI° siècle ; Moyen Orient, Ethiopie ; Langues : arabe et guèze ; Église d'Ethiopie ; CMR 7 p. 794 ; (§ 204), § 212]

    Ilminskii (Nikolaï)

    [XIX° siècle ; Empire russe ; Langues : russe, tatar, arabe ; Église orthodoxe ; CMR - ; § Introduction]

    Jean I d'Antioche.

    [VII° siècle ; Syrie ; Langues : syriaque, arabe ; Église jacobite ; CMR 1 p 782 ; § 208, § 222 ]

    Jean Damascène.

    [VIII° siècle ; Syrie, Jérusalem ; Langues : grec, arabe ; Église melkite ; CMR 1 p 295 ; (§ 221), (§ 306)]

    Jirji al-Semani

    [XII°-XIII° siècle ; Syrie ; Langue : arabe ; Eglise melkite ; CMR 4 p.166 ; § 207, § 223 ; Texte complet : § 301-328]

    Macaire III ibn al-Zaïm

    [XVII° siècle, Syrie ; Langue : grec, arabe ; Église melkite ; CMR 10, p 343 ; § 204]

    Michel le Sabaïte

    [VIII°-IX° siècle ; Jérusalem ; Langue : arabe ; Eglise melkite ; CMR 1 p. 911 ; § 220]

    Nau (Michel)

    [XVII° siècle ; France, puis Moyen Orient ; Langues : français, arabe ; Église catholique ; CMR 9 p. 601 ; § Introduction]

    Paul d'Antioche.

    [XII° siècle ; Syrie, Liban ; Langue : arabe ; Église melkite ; CMR 4 p 78 ; § 204, Texte complet : § 101-109]

    Pfander (Karl).

    [XIX° siècle ; Allemagne, Inde, Turquie, Perse ; Langues : allemand, persan, turc, arabe ; Eglise protestante ; CMR - ; § 215]

    Sophrone de Jérusalem

    [VI°-VII° siècle ; Syrie, Jérusalem ; Langue : grec ; Église orthodoxe ; CMR 1 p. 120 ; § 206]

    Spiridon (Archimandrite)

    [XIX° siècle ; Russie ; Langue : russe ; Eglise orthodoxe ; CMR - ; § 227]

    Théodore Abu Qurrah.

    [VIII°-IX° siècle ; Syrie, Moyen Orient ; Langues : syriaque, arabe, grec ; Église melkite ; CMR 1 p. 439 ; § 202, § 203, § 214, § 219, [§ 221], § 224, § 225]

    Timothée I de Bagdad.

    [VIII-IX° siècle ; Irak, Langues : syriaque, arabe ; Église nestorienne ; CMR 1 p. 515 ; § Introduction, § 214, § 216, § 217, § 220, § 224]

       

    Texte de la vidéo de présentation

    Pouvez-vous nous parler de votre livre ?
    S'il est un domaine méconnu, c'est bien celui que l'on appelle – dans un fourre-tout facile – les "Chrétiens d'Orient".
    Parmi leurs caractéristiques historiques, il convient de noter que ces chrétiens furent les premiers à être confrontés à l'islam. Un islam émergeant, puis conquérant puis dominant.
    Depuis quelques décennies, les écrits de ces auteurs syriaques, coptes, arabes et autres commencent à être édités et traduits, et on découvre ainsi, au milieu de traités de médecine, de théologie, d'histoire, d'exégèse ou de philosophie une littérature de résistance, modérée dans ses propos, ferme dans son fond, face à la nouvelle religion.
    En effet, dès le début, les musulmans convaincus que l'islam était la continuité de la révélation divine transmise par Abraham, Moïse, Jésus et bien d'autres, ne manquèrent pas de s'interroger sur le refus des juifs et des chrétiens à adopter la révélation que Mahomet affirmait transmettre. Et leurs interrogations se transformèrent vite en questions, critiques et reproches auxquels il fallut bien répondre et faire face.
    Dans cet ouvrage, c'est à ces chrétiens – quelle que soit leur appartenance confessionnelle, car qu'ils soient nestoriens, jacobites ou melkites, face à l'islam, ils étaient simplement chrétiens – c'est donc à ces chrétiens que je donne principalement la parole, dans ce qui pourrait s'apparenter à une sorte d'anthologie.
     
    S'agit-il simplement d'un livre d'érudition ?
    Pas seulement. Car nombre des questions et reproches formulés à l'époque le sont encore aujourd'hui, et souvent dans les mêmes termes, et les réponses que ces chrétiens orientaux ont apporté dans leurs contextes historiques conservent toute leur pertinence dans les débats actuels de sorte que je me suis efforcé de mettre ces textes anciens en lien avec notre contexte moderne.
     
    Est-ce un livre militant ?
    D'une certaine manière, sans doute, car c'est aussi en tant que chrétien orthodoxe que j'aborde ces questions. Pour autant, il ne s'agit pas d'un brûlot polémique, et je ne pense pas que ceux de mes amis musulmans qui le liraient se sentiraient agressés. D'une certaine manière, il a pour but de ne pas laisser un chrétien actuel déconcerté, voire déstabilisé par le genre de questions, syllogismes et reproches que l'on peut entendre formulés par des musulmans trop zélés, et sans doute mal informés. Et ça, c'était déjà le but des auteurs que je cite.
     
    Bien sûr, on ne couvre pas 14 siècles de débats dans un petit livre – une simple énumération bibliographique prendrait déjà des milliers de pages – et même si je donne in extenso deux documents – la lettre de l'évêque Paul d'Antioche à un ami musulman d'une part, et le débat entre un moine syrien et plusieurs lettrés musulmans d'autre part, je ne fais qu'effleurer le sujet. C'est pourquoi, j'ai placé en annexe – à l'intention de ceux qui voudraient aller plus loin dans cette démarche – pour chaque auteur que je cite une notice de présentation, ainsi que les références bibliographiques indispensables : si l'on sait quoi chercher, on trouve beaucoup plus aisément.

     

     


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  • Conversion et apostasie au regard du droit malikite médiéval

    Cyrille Aillet

    RÉSUMÉ

    L’apostasie, plus que la conversion elle-même, est ce qui préoccupe au premier chef les sources narratives et les juristes de l’Islam médiéval. Le corpus juridique permet de préciser selon quelles formules légales et quels rites s’effectuent ces changements de statut. L’examen du fiqh permet de souligner les liens entre conversion et abjuration et d’analyser la doctrine de la « sincérité ». Il révèle une image de la conversion islamique plus complexe que celle que l’on retient habituellement.

    TEXTE INTÉGRAL

     
    • 1 Que nous distinguerons ici du processus de conversion, qui se déploie sur une plus longue temporal (...)
    • 2 Houellebecq 2015, p. 297.
    • 3 Voir à ce sujet les remarques de Van Nieuwkerk 2006, p. 96.

    1L’acte légal de conversion1 à l’islam est généralement perçu, tant par les spécialistes que par la vox populi, comme une formalité simple et peu contraignante qui consisterait principalement à manifester sa volonté de passer à l’acte et à réciter devant témoins la šahāda, ou profession de foi islamique. L’absence de cérémonial, ou plutôt le choix d’adopter un rituel simplifié et dépouillé, donne l’image d’une religion à laquelle on peut aisément, rapidement et spontanément adhérer, sans devoir affronter de trop lourdes contraintes formelles comme dans le judaïsme ou, dans une moindre mesure, le christianisme. C’est ainsi que le héros du roman de Michel Houellebecq, Soumission, juge cette cérémonie bien moins contraignante que les pesantes manifestations de la Sorbonne2 ! Si l’on analyse les récits de conversion qui prolifèrent aujourd’hui dans les médias grâce au formidable outil de diffusion offert par Internet3, ils mettent l’accent sur une mutation préliminaire à l’acte de conversion, ou consécutive à celui-ci, mais se montrent généralement laconiques sur l’opération qui scelle le changement de statut religieux, comme si celle-ci ne constituait pas le temps fort de ce processus. Cette apparente facilité, qui semble contraster avec les autres religions, est soigneusement mise en avant par les sites apologétiques : pas d’obligation de formation préalable, pas d’intermédiaires ni d’étapes nécessaires, des règles simples et en nombre limité à respecter ensuite... Pour être musulman, il suffit de le vouloir : tel est l’axiome de cette théorie de la conversion comme simple volition. La minoration des barrières à franchir peut naturellement contribuer à la promotion du passage à l’islam.

    2Si l’on remonte vers des périodes plus reculées, celles qui virent se former les rites et les dogmes de l’islam, celles encore où les pouvoirs islamiques furent massivement confrontés à la question du changement de religion de leurs sujets, on constate que l’acte de conversion n’occupe pas non plus une place centrale dans l’économie du récit. Bien plus, les sources juridiques, qui constituent a priori le gisement de données le plus important en ce qui concerne les conditions et les normes de la conversion, répondent surtout au défi de l’apostasie. Le corpus malikite andalou et maghrébin, dont les grandes références datent principalement des IXe-XIIe siècles, n’en est pas moins riche d’enseignements sur la façon dont les juristes abordent ce problème, et l’on y trouve matière à débuter une enquête sur l’histoire sociale de la conversion et de ses rites, enquête que le cloisonnement régional des études islamiques n’a pas encore permis de réaliser.

    La conversion dans l’économie du récit islamique

    • 4 Voir ainsi Calasso 2001 pour Baṣra, l’analyse détaillée, pour la Syrie, de Jalabert 2004, p. 187-2 (...)
    • 5 Pasquier 2011, p. 2 souligne par exemple la fortune littéraire des récits basés sur le paradigme d (...)
    • 6 Voir notamment Turan 1959.
    • 7 Voir par exemple Deweese 1994.

    3Quelle est la place réservée par les sources à ce fait majeur de sociologie religieuse ? Toutes les études le notent : la tradition narrative islamique semble éluder la question des conversions4, centrale au contraire dans la littérature chrétienne de la fin de l’Antiquité et du haut Moyen Âge5. Ce n’est que si l’on déplace son regard vers les terres de frontière ou les peuples nouveaux de l’Islam – de l’Afrique subsaharienne aux confins turcs, centrasiatiques et indiens – que le thème du prosélytisme religieux et de la conversion des élites « païennes » prend réellement du relief. L’essor de l’hagiographie soufie, aux XIIe-XIIIe siècles, favorise d’ailleurs le développement d’une apologétique de la conversion, elle-même intégrée à une culture du miracle : conversion intérieure de celui qui s’engage sur la voie de Dieu, mais aussi propagation de la foi aux marges de l’Islam. De grands mystiques, bientôt relayés par les confréries, font basculer vers l’islam leurs auditoires. Emblématique de cette nouvelle spiritualité de l’illumination par la parole et les actes, Ğalāl al-Dīn Rūmī (m. 1273) aurait ainsi converti 18.000 chrétiens en Anatolie6. À partir de la fin du Moyen Âge, l’Asie centrale et les terres d’implantation de la Horde d’Or semblent aussi livrer une moisson de récits édifiants7.

    4Toutefois, pour en revenir au bassin méditerranéen et à l’Occident islamique, force est de constater que les récits de conversion à proprement parler sont rares, allusifs, laconiques, et par ailleurs bien connus. Bien souvent le changement de religion n’est marqué que par l’emploi du verbe aslama – se « livrer », se « soumettre », donc se convertir –, que viennent enrichir quelques rares compléments sémantiques stéréotypés, comme daḫala fī dīn al-islām (« entrer dans la religion de l’islam »).

    • 8 Ibn Ḥazm 1948, p. 502-503.
    • 9 Ibn al-Qūṭiyya 1982, p. 3-6.
    • 10 Ibn ʻIḏārī 1998, I, p. 37.

    5Sporadiquement, la geste des conquêtes comporte cependant des anecdotes sur le passage à l’islam des groupes et des individus. À l’arrivée des musulmans, l’ancêtre du lignage des Banū Qasī, ancré dans la vallée de l’Èbre, se serait ainsi rendu à Damas pour s’y convertir en devenant le client (mawlà) du calife omeyyade al-Walīd b. ‘Abd al-Malik (r. 705-715) – la conversion étant alors indissociable d’une soumission politique marquée par l’établissement d’un lien de clientèle8. L’adhésion des populations à la nouvelle Loi peut d’ailleurs être suggérée autrement que par la mention explicite des conversions, par exemple grâce à des légendes relatives à la fusion ou alliance des peuples. C’est ainsi que Sarah la « Gothe » fait le voyage jusqu’à Damas pour y rencontrer le calife, épouse l’un des membres de son entourage, et donne ainsi naissance à un lignage musulman qui concilie le peuple des vaincus (les « Goths ») et celui des vainqueurs (les « Arabes »)9. L’absorption du Maghreb par l’islam est figurée par l’épisode où la Kāhina, figure de proue de la résistance « berbère », confie ses trois fils, dont l’un est « grec » – donc chrétien de rite byzantin – à Khālid b. Yazīd, le chef des troupes arabes10.

    • 11 Euloge 1973, II, p. 440-441.
    • 12 Al-Ḫušanī 1914, p. 130-133.
    • 13 Aillet 2008 et 2010 (b).
    • 14 Ibn Ḥayyān 1937, p. 128 ; Ibn Ḥayyān 1979, p. 138-140 et 215-217 ; Aillet 2010 (a), p. 99-103.
    • 15 Ibn Ḫaldūn 2012, p. 152.

    6L’accent est mis sur la soumission politique, elle-même rattachée à la problématique plus large de l’instauration du nouvel ordre. Dans le prolongement de la Révélation, la conquête constitue en effet une « ouverture » (fatḥ) du monde à l’islam. Une fois que les terres et les peuples ont été rattachés politiquement, le regard des mémorialistes se détourne de l’évolution religieuse des sujets pour se fixer sur la construction de l’autorité légitime qui garantit l’imposition de la nouvelle Loi. La conversion n’est alors mentionnée, le plus souvent, que si elle suscite le doute. L’abandon du christianisme par Qūmis b. Antunyān, l’un des secrétaires de l’émir omeyyade Muḥammad I (r. 852-886), est vivement stigmatisé par les sources chrétiennes des années 86011, tandis que le Livre des cadis de Cordoue d’al-Ḫušanī (Xe siècle) le mentionne principalement à propos de l’accusation d’apostasie portée contre cet individu par l’un des grands généraux de l’émirat12. De même, c’est à l’occasion des révoltes qui soulèvent al-Andalus au IXe siècle, et auxquelles participent des populations musulmanes d’origine autochtone, les muwalladūn, que ces dernières sont assimilées à des apostats ou à des convertis vacillants13. Leur principal meneur, ‘Umar ibn Ḥafṣūn, aurait ainsi renié secrètement l’islam pour revenir à la foi de ses aïeux14. Quant aux Berbères, lorsqu’Ibn Ḫaldūn les accuse d’avoir rejeté l’islam douze fois15, il ne fait que grossir, non sans quelque humour, le préjugé tenace des sources arabes orientales, pour qui les Berbères, très tôt ralliés au kharijisme, étaient d’éternels rebelles, rétifs à l’autorité des califes. Le changement de religion n’est dévoilé que pour assimiler la révolte contre le souverain légitime à une forme d’apostasie.

    7La conversion fait donc l’objet, dans la littérature arabe classique, d’une ellipse narrative qui contraste avec la manière dont la littérature chrétienne s’en empare à des fins apologétiques. Dans les sources arabes, tout se passe comme si elle ne constituait que l’une des modalités de la « soumission » des sociétés à l’islam, la dimension apologétique reposant justement sur cette élision des conditions d’adhésion à la nouvelle foi. La progression des conversions est ainsi présentée comme naturelle, inéluctable, indépendante de toute contrainte extérieure, comme le veut le fameux verset lā ikrāha fī d-dīni (« pas de contrainte en religion », Coran II, 256). La formule fréquemment employée, aslama ṭāy‘an (« se convertir de bon gré »), reprend d’ailleurs cette idée. Ce qui retient les chroniqueurs n’est donc pas tant le cheminement vers l’islam que les résistances à ce processus inexorable.

    • 16 Pour une première approche de l’apostasie dans le droit islamique : Fattal 1958, p. 163-168.
    • 17 Nous employons cette expression par analogie avec les « vieux chrétiens » du XVIe siècle, et pour (...)

    8Or parmi les phénomènes qui viennent enrayer ce déroulement harmonieux, l’apostasie domine16. Sur quelque terrain que l’on se situe, il est évident que la conversion fait surtout parler d’elle lorsqu’elle est jugée suspecte ou qu’elle est remise en question. L’apostasie éclaire soudainement, et avec vivacité, les mutations religieuses des sociétés. Elle met également en lumière les espaces d’indécision entre l’appartenance à la ḏimma – « protection » légale accordée aux « gens du Livre » en Islam – et la fusion complète dans le groupe des « vieux musulmans17 ». Si la conversion ne constitue pas une préoccupation centrale du droit, l’apostasie y occupe en revanche une place importante, suscitant des fatwas spécifiques. Tandis que le vocabulaire de la conversion est relativement pauvre, celui de l’apostasie est prolixe et édifiant, il frappe les esprits.

    Quelles sources pour l’enquête ?

    9L’étude des normes de la conversion peut toutefois s’appuyer, en Islam, sur la manne des sources juridiques, florissantes à partir du IXe siècle. Pour construire une histoire comparée de la conversion, il serait même profitable de pouvoir croiser les différentes traditions juridiques qui ont coexisté dans l’Islam médiéval, y compris dans les domaines chiite et ibadite. Il s’agit cependant d’ensembles massifs, dans lesquels le thème de la conversion est en réalité noyé dans une masse d’autres questions. Cette question n’est en effet jamais abordée dans une section (kitāb) spécifique, elle apparaît dans d’autres rubriques. L’effort de régulation des juristes porte d’ailleurs sur d’autres enjeux, comme le statut de l’individu – est-il un homme libre ou un esclave ? a-t-il le statut de ḏimmī ou est-il étranger au dār al-Islām ? – et son affiliation religieuse – fait-il partie des « gens du Livre » ou est-il païen ? Par ailleurs, c’est la question de l’indécision religieuse et de l’apostasie qui occupe en priorité les juristes, soucieux de contrôler les frontières de la communauté des fidèles autant que d’en ouvrir les portes. Dans ces vastes compilations, des chapitres sont d’ailleurs spécialement consacrés à l’apostasie et aux apostats.

    • 18 Simonsohn 2013 (a) et (b).
    • 19 Abū Bakr al-Ḫallāl 1996.
    • 20 Saḥnūn s.d. ; Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991 ; Fernández Félix 2003.

    10Pour cette enquête, la présente contribution s’appuie principalement sur le corpus des juristes malikites andalous et maghrébins, dans lequel on a sélectionné une cinquantaine de questions (masā’il) qui portaient spécifiquement sur la conversion. Ce corpus pourrait naturellement être élargi par l’exploitation d’autres sources ou le dépouillement exhaustif des grandes compilations. Les travaux récents d’Uriel Simonsohn, qui confronte aux sources islamiques des témoignages issus du judaïsme et du christianisme en terre d’Islam18, ont attiré notre attention sur le recueil d’Abū Bakr al-Ḫallāl (m. 923-924), un juriste bagdadien qui a rassemblé les avis d’Aḥmad ibn Ḥanbal (m. 855)19. En 1994, il en a été tiré un recueil comprenant 260 questions consacrées aux ḏimmī-s, aux apostats et aux hérétiques. Il semblait donc intéressant de mettre en regard cet ensemble cohérent avec les avis juridiques des auteurs malikites contemporains comme Saḥnūn (m. 854) à Kairouan ou al-‘Utbī (m. 869) à Cordoue20, les divergences entre ces écoles n’étant d’ailleurs pas considérables dans ce domaine.

    • 21 Chalmeta 1986 et, avant lui, Abumalham 1985.

    11Le corpus malikite offre cependant une ressource inestimable, puisqu’il conserve des formulaires de conversion dans des manuels destinés aux notaires et aux juristes : le Livre des formulaires juridiques (Kitāb al-waṯā’iq) du Cordouan Ibn al-‘Aṭṭār (m. 1009), la Source de satisfaction en matière de science des actes juridiques (Al-Muqniʿ fī ʿilm al-šurūṭ) du Tolédan Aḥmad b. Muġīṯ al-Ṭūlayṭulī (m. 1067), et le Projet réalisable de résumé des documents juridiques (Al-Maqṣad al-maḥmūd fī talh̲īṣ al-ʿuqūd) du Maghrébin ‘Alī b. Yaḥya al-Ğazīrī (m. 1189). Ces trois sources reposent sur un protocole juridique commun tout en répondant à des situations différentes. Pour leur analyse, nous sommes grandement redevables aux travaux de l’historien espagnol Pedro Chalmeta, éditeur et traducteur avec Federico Corriente du traité d’Ibn al-‘Aṭṭār, et auteur d’un article sur « le passage à l’islam dans al-Andalus au Xe siècle21 ». Nous essayerons donc de compléter et d’élargir son enquête à la lumière des éditions d’Ibn Muġīṯ et d’al-Ğazīrī – postérieures à ses écrits même s’il en connaissait les apports – et au prisme d’autres sources.

    Entrer dans l'islam ou y revenir : entre conversion et abjuration

    12Les différences introduites dans les formulaires de ces trois auteurs traduisent tout d’abord la prise en considération du passé doctrinal et de l’origine religieuse du converti. Ibn al-‘Aṭṭār propose en effet cinq formulaires : pour un chrétien, pour un juif, pour un « mağūs », pour une femme mariée chrétienne et pour une « mağūsiyya ». L’ouvrage d’Ibn Muġīṯ en comporte le même nombre, pour le chrétien ou le juif indifféremment, pour le juif exclusivement, pour l’apostat qui revient à l’islam (ruğūʿ al-murtadd ilà l-islām), pour l’hérétique (rağul tazandaqa), et pour l’apostat qui se repent (tāba). Quant à al-Ğazīrī, il propose un formulaire standard pour le chrétien, le juif et les infidèles (ahl al-kufr).

    • 22 Voir Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 405-406, trad. p. 632-633.

    13Pour décrypter le protocole légal de la conversion, on peut partir d’un document concret qui nous servira de base pour l’analyse. Prenons donc l’acte de conversion d’un chrétien chez Ibn al-‘Aṭṭār22, que nous retraduisons ici le plus littéralement possible :

    • 23 Coran, IV-171.

    Fulān ibn Fulān, converti à l’islam (islāmī), a pris à témoin les témoins de cet acte écrit (kitāb), qu’étant en bonne santé, libre de ses actes et possesseur de toute son intelligence et de toute sa raison, il a rejeté derrière lui la religion chrétienne, de façon volontaire, et est entré dans la religion de l’islam, de manière volontaire. Il a témoigné qu’il n’y avait de Dieu que le Dieu unique et qu’Il n’avait pas d’associé, et que Muḥammad était Son serviteur, Son messager et le sceau de Ses prophètes. Que le messie Jésus fils de Marie – la bénédiction et le salut de Dieu soient sur lui – est Son serviteur et Son messager, « Son verbe et Son esprit, insufflés en Marie23 » – la bénédiction et le salut de Dieu soient sur elle. Qu’il s’est lavé entièrement (iġtasala) pour sa conversion à l’islam et a fait sa prière. Qu’il connaît les préceptes obligatoires (šarā’i‘) de l’islam : les ablutions, la prière, la zakāt, le jeûne au mois de Ramadan, le pèlerinage à la Maison [du Prophète] pour celui qui en a les moyens. Qu’il connaît les crimes légaux (ḥudūd) et les temps sacrés (mawāqīt). Il s’est imposé tout cela comme un devoir en s’agrippant à l’islam (tamassakan bi-l-islām) et en désirant y entrer. Qu’il a loué Dieu pour ce qu’Il lui a révélé [de l’islam] et de ce qu’il lui incombait de faire en son sein. Qu’il sait que l’islam est la seule religion de Dieu, abrogateur (nāsiḫ) de toutes les autres religions, que c’est la religion qui domine toutes les autres et n’est dominée par aucune autre, que Dieu n’accepte que celle-ci et qu’Il ne se satisfait d’aucune autre.
    Sa soumission (islām) s’est faite de bon gré, en étant libre de ses mouvements, sans fuir quoi que ce soit, sans subir de contrainte, sans attendre [d’avantage quelconque], en présence de Fulān al-Fulānī. Si ce dernier est un juge, tu diras : « En présence de Fulān b. Fulān, grand qāḍī (qāḍī l-ğamā‘a) de Cordoue, ou bien qāḍī de telle localité, ou bien ṣāḥib al-šurṭa, [ṣāḥibal-madīna, [ṣāḥibal-sūq, [ṣāḥibal-radd à Cordoue ». Sont témoins du témoignage de Fulān b. Fulān – converti à l’islam de son propre fait, connu et entendu par eux, se trouvant dans les conditions déjà décrites –, consigné dans cet acte écrit, après que celui-ci eut été établi au su et au vu de tous, constituant ainsi pour lui une obligation de s’y astreindre [emplacement des signatures]. Fait à telle date [emplacement de la date].
    Si, au lieu de mettre « connu par eux », tu mets « qui s’est informé de lui-même », cela suffit. Ensuite, tu diras : « à tel mois, l’année tant, l’acte ayant été rédigé en double », ou bien « en plusieurs exemplaires ». S’il n’y a qu’un seul document, entre les mains d’une personne digne de confiance (ṯiqqa), cela convient aussi, mais c’est préférable et plus solide quand il y a plusieurs copies, si Dieu le veut.

    • 24 Abū Bakr al-Ḫallāl, p. 372-373.
    • 25 Ibid., p. 376.
    • 26 Ibid., p. 381.
    • 27 Ibid., p. 376.
    • 28 Ibid., p. 377-378.
    • 29 Ibn Muġīṯ al-Ṭulayṭūlī 1994, p. 346.
    • 30 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 409, trad. p. 636.

    14On peut constater qu’il s’agissait d’un formulaire-type, à trous, que le représentant légal chargé d’enregistrer et de valider la conversion n’avait plus qu’à remplir avec le nom du candidat, ceux du magistrat et des témoins nécessaires à la validité de l’acte juridique, et la date. Remarquons aussi que, contrairement à ce que l’on retient de nos jours de l’acte de conversion chez les malikites, le modèle transmis par Ibn al-‘Aṭṭār comporte non seulement l’énonciation de la šahāda, mais aussi une brève réfutation des principaux articles de la foi antérieure, ici la croyance en la divinité de Jésus. En réalité, il y avait de légères variations dans les formules que les juristes admettaient pour la conversion. Certes, la šahāda était le sésame par excellence pour entrer dans l’islam, mais il fallait la prononcer correctement, car toute variation entraînait l’invalidation de l’acte légal24. Certains hommes de loi estimaient qu’il suffisait de déclarer : « Je suis musulman et Muḥammad est prophète25 ». D’autres disaient que si l’on faisait sa prière en prononçant : « Je suis musulman », on le devenait26. Abū Ḥanīfa trouvait cela insuffisant et rajoutait que l’on ne pouvait se dire converti que si l’on précisait : « Je me dissocie de l’infidélité où je demeurais » (anā barī’ min al-kufr al-laḏī kuntu fīhi)27. Selon une autre tradition, attribuée à Abū Bakr al-Mazūdī, cette « dissociation d’avec l’infidélité » (barā’a min al-širk) devait s’exprimer sous la forme : « Je suis sorti du judaïsme (ou du christianisme) pour entrer dans l’islam ». Le même tenait pour nécessaire la croyance dans la Résurrection, le paradis et l’enfer28. Étrangement, Ibn Muġīt impose quant à lui au converti juif de stipuler, dans sa profession de foi, que Dieu ne peut prendre épouse ni avoir de fils, une croyance qui semble pourtant caractériser davantage le christianisme29. En revanche, dans le cas d’un converti juif, Ibn al-‘Aṭṭār subordonne implicitement Moïse, Esdras et les autres prophètes de l’Ancien Testament à Muḥammad, le « sceau des prophètes30 ». Les formulaires destinés aux chrétiens et aux juifs mettent de toute manière en évidence le dogme de l’abrogation (nasḫ) par l’islam des Lois antérieures.

    • 31 Morony 2015.
    • 32 Ibn Ḥayyān 1983, p. 23, 27-28, 58, 61, 67, 78, 93.
    • 33 Voir Ibn al-ʻAṭṭār 1983, p. 626 ; Epalza 2008 et Fierro et Molina (inédit). Je remercie Maribel Fi (...)
    • 34 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 413, trad. p. 641 ; al-Ğazīrī 1998, p. 425.

    15Plus étonnante, dans le contexte andalou, est la présence de formulaires de conversion destinés aux mağūs, les « fidèles des mages », hommes ou femmes. Le terme mağūsī renvoie en effet à l’élite sacerdotale de l’ancien empire perse, c’est-à-dire normalement aux Zoroastriens en Orient31. En contexte andalou, les chances étaient cependant minces de rencontrer de tels cas de figure, aussi le vocable se réfère-t-il de toute évidence à un autre groupe. On désignait ainsi, dans les sources andalouses, des populations païennes comme les Vikings, qui harcelèrent les côtes au ixe ou encore au Xe siècle, ou les Hongrois qui pénétrèrent en al-Andalus au temps du califat. Sous le règne d’al-Ḥakam II, donc du vivant d’Ibn al-ʻAṭṭār, le Muqtabis VII d’Ibn Ḥayyān signale d’ailleurs plusieurs raids des « Mağūs32 ». Les populations basques du nord-ouest de la péninsule étaient parfois appelées ainsi, mais seulement pour évoquer les événements du VIIIe siècle, apparemment33. On peut aussi penser aux esclaves « slaves » (Saqāliba) que les Omeyyades importaient encore à cette époque des marges païennes de l’Europe orientale, via les plaques tournantes de Verdun ou de Prague, ou aux esclaves arrachés à l’Afrique subsaharienne : ces individus étaient en effet susceptibles de passer du paganisme à l’islam. Mais cette opération nécessitait-elle l’accomplissement d’un acte légal de conversion et, s’agissant de populations de statut servile, ne se réalisait-elle pas de manière informelle, dans le cercle de la cour ? Le formulaire s’adresse en tout cas très clairement à des populations non-monothéistes, puisqu’il insiste longuement sur l’unicité divine et condamne toute forme d’« association » et d’« idolâtrie » (lā ma‘būd dūna llāh), en particulier le culte des « idoles » (al-aṣnām) et du feu – al-abdād désignant les pyrées mazdéens chez Ibn al-‘Aṭṭār, et ‘ibādat al-nīrān le « culte des feux » chez al-Ğazīrī34.

    • 35 Blois 2015.
    • 36 Ibn Muġīṯ, p. 346-347.

    16Ibn al-ʻAṭṭār appartient à un monde andalou encore multiconfessionnel, où le processus des conversions à l’islam est toujours vivant. Chez Ibn Muġīṯ, qui écrit à l’époque des royaumes de Taifas, l’attention se resserre au contraire sur la question de la déviance religieuse. C’est ainsi que le juriste tolédan insère à la suite des formulaires inspirés par son prédécesseur un acte légal qui leur est apparenté sur le plan formel, mais qui est destiné au retour vers l'islam des hérétiques, appelés zindīq-s en arabe. En Orient, ce terme était originellement employé à propos des manichéens, avant de s'appliquer à des doctrines philosophiques ou spirituelles jugées hérétiques, comme en al-Andalus le mouvement d’Ibn Masarra (m. 931)35. Voici la traduction du début de ce document, dont la suite est malheureusement trop lacunaire pour tenter autre chose que d’en comprendre le sens général36 :

    Les témoins nommés dans cet acte attestent qu’ils connaissent Fulān b. Fulān en personne et de visu, qu’ils le savent faire partie du groupe des négateurs des attributs de Dieu (ahl al-taʻṭīl), membres de la secte des hérétiques (al-zanādiqa), qu’ils l’ont entendu formuler des énoncés qui démontraient son hérésie et témoignaient de sa légèreté (istiḫfāfihi) […].

    17Tout commence par un acte d'accusation, signé par témoins. Les crimes imputés à l'accusé sont mentionnés dans la partie manquante du texte, mais on devine qu'on lui reproche en particulier de nier la souveraineté du Seigneur (ibṭāl al-rubūbiyya). La suite est un acte de rétractation que doit signer l’individu, qui déclare se « libérer » de ses propos antérieurs (al-munazzah ‘ammā yatakallam bihi). Le formulaire insiste sur le caractère notoire, public et explicite que doit revêtir cette déclaration.

    • 37 Al-Ğazīrī 1998, p. 425.

    18Ibn Muġīṯ consacre deux autres formulaires à l’apostat repentant, qui « retourne à l’islam ». Cette fois-ci le lien formel avec l'acte de conversion est encore plus étroit : il s'agit en quelque sorte d'une nouvelle conversion. Le premier formulaire, lui aussi très lacunaire, porte sur le musulman accusé d’avoir abandonné l’islam au profit du christianisme ou du judaïsme. L’acte commence par déclarer que l’individu est « sorti de l’islam » (ḫarağa ‘an al-islām), un chef d’accusation qui aurait pu lui valoir la peine capitale. La suite n’est pas complète, mais il est notamment écrit qu’en apostasiant, ce « maître de l’erreur » (ṣāḥib al-ḫaṭṭa) « a menti », qu'il « s’est enfui de lui-même » et a « tourné le dos à l’islam ». Il a « proclamé l’infidélité et l’a propagée » jusqu’à ce qu’il se rende compte de son « horrible action », retrouve sa « droiture » (rušd) et reconnaisse de nouveau l’excellence de l’islam, « religion de ses parents ». L'acte d'accusation est donc suivi du procès-verbal de son abjuration. La fin du formulaire se présente comme les actes de conversion habituels, sauf qu’il s’y ajoute des formules de repentance et de dénonciation de l’apostasie : l’homme doit non seulement proclamer son adhésion à l’islam, mais aussi remercier Dieu de l’avoir inspiré pour le faire sortir de l’infidélité au profit de la vraie foi. La purification par une ablution complète et une prière, avant la prononciation de la šahāda, marque son « retour » vers l’islam. Le protocole se termine par une sorte de formule d’exorcisme qui l’oblige à se dissocier (tabarra’a min) de la religion juive (ou chrétienne) où il était rentré et à maudire « Iblīs le réprouvé qui l’a poussé et appelé à [commettre] cet acte ». On trouve une formule semblable dans le recueil d’al-Ğazīrī, mais placée cette fois-ci au début de la déclaration destinée à l’apostat37 :

    Un tel a déclaré de lui-même que Satan l’a séduit et l’a égaré jusqu’à ce qu’il renie l’islam, puis Dieu le Très Haut l’a guidé et il s’est repenti de son acte.

    • 38 Aillet 2010 (a), p. 96-106. Voir aussi, récemment, Simonsohn 2013 (a) et (b).
    • 39 Aillet 2010 (a), p. 98.
    • 40 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 407, trad. p. 634 ; Abū Bakr al-Ḫallāl, p. 487-488.
    • 41 Ibid., p. 488.

    19Le deuxième modèle fourni par le Tolédan est lui aussi consacré au cas de figure de l’apostat. En revanche, ce qui fait son intérêt est qu’il brille par l’absence de condamnation morale et de formules de repentance. L’individu atteste simplement qu’il est « revenu à l’islam et qu’il s’est repenti de l’infidélité et de l’apostasie », et le commentaire précise seulement que la repentance doit être exprimée trois fois. C’est donc comme si l’on laissait aux magistrats la possibilité de proposer à l’individu un retour en douceur, sans procès, vers l’islam, l’apostasie n’étant alors peut-être considérée que comme un égarement temporaire. La perméabilité de la frontière religieuse est désormais un phénomène social bien connu dans l’Islam des premiers siècles, et le corpus des martyrs de Cordoue comme la littérature juridique du IXe siècle regorgent de cas de musulmans relaps, jugés pour apostasie38. Devant ces cas, le magistrat usait d’intimidation mais aussi de persuasion (une procédure qualifiée de « mise à l'épreuve », imtiḥān) afin de tenter de convaincre l’accusé de revenir à l'islam39. Dans le droit malikite et hanbalite, un délai de trois jours d’emprisonnement était fixé avant que l’apostat ne fût exécuté, délai pendant lequel il pouvait se rétracter40. D’autres traditions de l’école hanbalite évoquaient même un délai d’un mois de repentance (istitāb) pour le prisonnier, pendant lequel on lui exposait l’islam41.

    Une doctrine de la sincérité et du libre consentement

    • 42 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 410, trad. p. 637.
    • 43 Wensinck et Crone 2015.
    • 44 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 406, trad. p. 632.
    • 45 Ibid., éd. p. 409, trad. p. 636.
    • 46 Aillet 2010 (a), p. 97-98.
    • 47 Ibn al-Muġīṯ, p. 345.

    20La validité de l’acte de conversion constitue l’autre obsession des juristes. Le changement de religion doit avoir lieu devant des témoins reconnus pour leur honorabilité, mais dont le nombre n’est pas précisé. Il en faut impérativement une copie écrite. Par ailleurs, l’un des témoins doit servir de garant. Comme le stipule l’un des commentaires juridiques42, le garant ne peut être comparé au patron de l’esclave affranchi car le converti agit théoriquement de son propre chef. Il s’agit là d’une allusion au procédé de la walà, conversion-patronage caractéristique des premiers temps de l’islam et de la formation des clientèles omeyyades, mais progressivement réduite à partir de la fin du VIIIe siècle au seul cas des esclaves43. Dans le cas de la conversion d’un homme libre, l’acte doit être validé par la présence d’un magistrat, garant de la šarī‘a. À Cordoue, le choix est large44 : la conversion peut être validée par le grand cadi ou par l’un de ses délégués, comme le muḥtasib. Responsable de la police des marchés (ṣāḥib al-sūq), ce personnage veillait sur la bonne gestion de la ville, ce qui incluait la surveillance des populations. L’un des hommes de loi nommés par le souverain pouvait aussi faire l’affaire, comme le ṣāḥib al-madīna (« préfet de la ville »), le ṣāḥib al-šurṭa (« préfet de police ») ou le ṣāḥib al-radd, jurisconsulte chargé d’examiner les requêtes que le souverain ou son délégué jugeait lors du tribunal d’appel des maẓālim. Dans une localité possédant le statut de ville (madīna), le cadi local pouvait valider l’acte de conversion. Le formulaire concernant le cas d’un converti juif donne à penser que c’est ce cadi qui centralise les actes de conversion de la province (kūra) dont il est responsable45, et dans les Vies des martyrs de Cordoue c’est également lui qui intervient lors des dénonciations pour apostasie46. Ibn Muġīṯ donne à n’importe quel « juge » (ḥākim) ce pouvoir47.

    • 48 Sur ce thème voir Fernández Félix 2001.
    • 49 Ibn Sahl 1980, p. 46-47.

    21L’une des conditions requises du candidat à la conversion est qu’il soit sain d’esprit et, normalement, qu’il ait atteint l’âge légal du discernement, soit une dizaine d’années, parfois douze ans chez les malikites. Les conversions d’enfants mineurs48 semblent cependant avoir été acceptées, comme en témoigne le cas exposé par Ibn Sahl, qui remonte à la fin du IXe ou au début du Xe siècle49 :

    Un garçon (ṣabī) se convertit, puis veut revenir à sa religion première.
    Que Dieu t’accorde sa miséricorde ! Un garçon mineur est venu me voir pour se convertir à l’islam. Ensuite, il est allé chez un homme qui l’a recueilli, désireux d’obtenir une récompense de Dieu – Qu’Il soit glorifié – pour sa bonne action. Ses parents vinrent lui rendre visite, voulant qu’il retourne à sa religion première. Mais le jeune (al-ġulām) refuse. Hier, son père vient me trouver et il m’apprend que son fils veut revenir chez ses parents et vers leur religion à tous les deux. Écrivez-moi pour me dire ce qui convient en pareil cas.
    Ibn Lubāba a dit : « Nous avons examiné ce que raconte le cadi. Si ce garçon est en mesure de raisonner comme un enfant de dix ans ou plus, il faut le rabrouer, le menacer et l’admonester pour qu’il ne fasse pas cela. S’il s’entête à revenir vers sa religion première, qu’il soit rendu à ses deux parents, sans être condamné à mort. Cela ne presse pas jusqu’à ce qu’il ait atteint la majorité. À ce moment, le jeune homme (al-fatà) sera traité de la manière indiquée dans les réponses et j’implore le secours de Dieu ».

    • 50 Fattal 1958, p. 168-169.
    • 51 Coope 1995, p. 75-79 ; Aillet 2010 (a), p. 105-106.
    • 52 Ce long débat, qui mobilise plusieurs avis puisés parmi les grands maîtres du malikisme, est trans (...)
    • 53 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 411, trad. p. 638.

    22La conversion de cet enfant est acceptée car il fait acte de volonté et on lui reconnaît l’usage de la raison. Cependant, son retour vers la foi de ses parents suscite le questionnement des jurisconsultes, car il n’est pas encore majeur. La pression à exercer sur les mineurs qui refusent leur statut légal de musulmans a nourri moult débats chez les juristes50, et le corpus des martyrs de Cordoue témoigne de l’importance sociale du phénomène des enfants de père musulman qui sont néanmoins éduqués par leur mère dans la religion chrétienne51. Dans le recueil du grand-père d’Averroès, Ibn Rušd al-Ğadd, une question examinée par des juristes du IXe siècle, Ibn al-Qāsim et Saḥnūn, concerne des enfants âgés de cinq ou six ans dont le père, converti, décède. « Ils sont musulmans par l’islam de leur père », précise Saḥnūn, et peuvent donc normalement hériter en toute légalité. Cependant, il n’en est pas de même s’ils n’acceptent pas leur affiliation religieuse. Ibn Ḥabīb déclare alors qu’il faut user de violence, en l’occurrence des coups et de la prison, pour les contraindre à reconnaître l’islam. Cependant, une fois arrivés à l’âge adulte, ils sont libres de choisir, et Ibn Ḥabīb estime que même s’ils s’obstinent encore à rejeter l’islam, il n’est pas souhaitable de les exécuter. Même chose concernant un jeune garçon qui apostasie : la prison et les coups sont généralement recommandés afin de faire pression sur lui, bien que le juriste al-Muġīra précise qu’il faut aussi s’efforcer de l’éduquer correctement à l’islam. Mais quel doit être son sort lorsqu’il devient majeur ? Mālik b. Anās préconise de laisser choisir l’individu, mais d’autres juristes affirment qu’il faut alors appliquer au récalcitrant le droit commun, qui prévoit l’exécution de l’apostat52. Ibn al-ʻAṭṭār se range à ce dernier avis, et estime que les enfants impubères de moins de sept ans, dépourvus de discernement, doivent adopter la religion de leur père53.

    • 54 Abū Bakr al-Ḫallāl, p. 375.
    • 55 Ibid., p. 106.
    • 56 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 408 , trad. p. 635.
    • 57 Abumalham 1985.
    • 58 Entre autres références, voir Fattal 1958, p. 172.
    • 59 Abū Bakr al-Ḫallāl, p. 381.

    23Théoriquement, pourtant, la conversion doit être un acte librement consenti et s’effectuer en dehors de toute contrainte, violence ou intimidation. Abū Ḥanīfa dit que la šahāda doit impérativement être accompagnée d’une manifestation de volonté de la part de l’individu54. Avant toute conversion, Ibn Ḥanbal insiste sur la nécessité de l’intériorisation rationnelle de la décision prise, le ‘aql : à cette condition, on peut accepter la conversion d’un enfant âgé de dix ans. Cette intériorisation n’est cependant pas très poussée, puisqu’à la question « Qu’est-ce que le ‘aql ? », le juriste répond : « La connaissance de la prière et le désir de l’islam55 ». Ibn al-‘Aṭṭār précise que s’il est reconnu que la conversion a été obtenue par la coercition, l’individu peut retourner à sa religion antérieure56. C’est ainsi, par exemple, que la conversion forcée du philosophe juif Maïmonide sous les Almohades aurait été annulée pour cette raison par le grand-cadi du Caire57. De même, pour prendre un exemple en milieu chiite ismaʻīlien, les conversions forcées de juifs et de chrétiens décrétées par le calife al-Ḥākim auraient été finalement annulées à la fin de son règne et sous celui de son successeur58. Ibn Ḥanbal considère cependant qu’un individu qui a prononcé la šahāda et accompli sa prière librement n’a pas le droit de se rétracter, même s’il prétend avoir été contraint à la conversion59.

    • 60 Ibn Muġīṯ, p. 346.
    • 61 Abū Bakr al-Ḫallāl, p. 64.
    • 62 Voir par exemple Saḥnūn s.d., II, p. 315 ; Ibn Ḥazm 1928-1934, VIII, n° 1672, p. 208 et Fattal 195 (...)

    24Les formulaires stipulent que le candidat à la conversion ne doit pas non plus être motivé par la recherche du profit, ou contraint à cette décision par un quelconque « besoin » matériel (al-ḥāğa)60. Ce type de motivations était pourtant envisagé : ainsi, le recueil des avis d’Ibn Ḥanbal présente le cas d’un juif qui accepte de se convertir après s’être vu promettre 1000 dirahms61. La conversion est aussi l’une des voies possibles pour l’affranchissement, par exemple. Les esclaves dont le maître est un ḏimmī peuvent être libérés s’ils passent à l’islam, car un hadith affirme qu’un musulman ne peut être l’esclave des infidèles62.

    • 63 Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991, II, p. 573.
    • 64 Ibn Ḥayyān 1937, p. 96.
    • 65 Ibn Ḥayyān 1973, p. 362-363.

    25Les juristes admettent aussi, dans certains cas, la validité de la conversion des individus qui changent de religion pour échapper à une exécution. L’« associationniste » qui, sur le champ de bataille, se convertit avant d’être décapité, doit être épargné63. Les chroniques andalouses mettent ainsi en scène quelques conversions durant la guerre civile de la seconde moitié du IXe siècle. Lors de la prise de la forteresse de Poley par les troupes califales, la garnison, en grande partie chrétienne, est passée au fil de l’épée, sauf un homme, converti « sincère64 ». Attention, cependant, aux conversions douteuses ! Parmi les populations capturées par Hāšim b. ‘Abd al-‘Azīz lors de ses expéditions dans les zones frontalières (ṯuġūr) en 876, beaucoup d’individus se déclarent « musulmans » pour avoir la vie sauve. Toutefois, ces usurpateurs, qui ont appris quelques sourates du Coran pour dissimuler leur véritable identité, sont incapables de réciter un seul hadith selon Ibn Ḥayyān. Bien que cette connaissance ne soit théoriquement pas requise de la part des convertis, le général décide de décapiter tous ces imposteurs65 !

    • 66 Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991, XV, p. 477-478, XVI, p. 427-429 ; Fernández Félix, Fierro 2000, p. 36.
    • 67 Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991, XVI, p. 396.
    • 68 Al-Wanšarīšī 1981-1983, II, p. 526-528.

    26La conversion permet parfois d’échapper à la justice, ou de s’en tirer à meilleur compte66. L’homme accusé d’avoir violé une musulmane peut garder la vie sauve s’il se convertit de bonne foi : dans ce cas-là, il devra simplement verser à sa victime une compensation financière. Autre cas de figure évoqué par les juristes : les ḏimmī-s accusés du meurtre d’un coreligionnaire qui se convertissent pour tenter d’amoindrir leur peine ou de payer un prix du sang (diya) inférieur. Selon al-‘Utbī, même la personne qui est accusée d’insultes contre le Prophète peut échapper à la mort si elle se convertit et exprime son repentir par écrit67. Al-Wanšarīšī (m. 1508) relate cependant le cas de l’un de ces convertis de dernière minute qui, selon des témoins, n’aurait commis cet acte que par peur de la justice, tout en continuant à blasphémer contre l’islam : en cas d’établissement d’une preuve par des témoignages fiables, il devait être puni de mort68.

    • 69 Al-Ḫušanī 1914, éd. p. 130-133, trad. p. 159-164.
    • 70 Ibn Ḥayyān 1979, p. 215-217 ; Aillet 2010 (a), p. 100-101.

    27Plus généralement, la question de la sincérité des conversions apparaît aussi bien dans les textes juridiques que dans les chroniques qui dénoncent les convertis comme de mauvais musulmans. Ainsi, lors du procès posthume intenté par Hāšim b. ‘Abd al-‘Azīz au secrétaire Qūmis b. Anṭunyān, les témoins convoqués refusèrent de ratifier la version du puissant général, et l’un d’eux insista même sur la présence assidue de Qūmis à la mosquée69. La fama publica et la visibilité de la pratique religieuse cautionnaient donc la socialisation du converti et contribuaient à établir sa réputation. À l’inverse, l’exhumation spectaculaire du cadavre de ‘Umar b. Ḥafṣūn, après la prise de Bobastro en 928, aurait apporté la preuve de son apostasie en révélant qu’il avait été enterré à la manière des chrétiens70.

    Rituels et cérémonies de passage

    • 71 Bousquet 2015.
    • 72 Houellebecq 2015, p. 297-298.
    • 73 Saḥnūn s.d., I, p. 35-36.
    • 74 D’où le questionnement des juristes sur la peine à appliquer au criminel qui se convertit avant d’ (...)
    • 75 Abū Bakr al-Ḫallāl, p. 111-114.
    • 76 Ibid., p. 113-114.

    28Deux actes rituels précédaient l’acte de conversion. Le premier était le ġusl, c’est-à-dire la pratique d’ablutions complètes71, figurées dans le roman de M. Houellebecq par un bain dans le hammam de la Grande mosquée de Paris72. Dès le IXe siècle, la Mudawwana du juriste kairouanais Saḥnūn souligne l’obligation du ġusl, ajoutant que, faute d’eau, le converti doit le pratiquer avec du sable (tayammum)73. Il s’agit d’un rite de purification, destiné à effacer les traces de l’ancienne religion et à atteindre l’état de pureté rituelle (ṭahāra) requis pour l’accomplissement des dévotions. Ce rite de passage était également appliqué au défunt avant son ensevelissement. Symboliquement, la conversion lave l’individu de tous ses péchés, ce qui ne veut pas dire qu’il soit forcément quitte, au regard de la justice, de tous les crimes qu’il pouvait avoir commis74. La seconde étape rituelle est la prière aux heures canoniques (mawāqīt), qui doit obligatoirement précéder la conversion. Elle est elle-même précédée d’ablutions, comme de coutume. Chez les Ḥanbalites, l’acte de conversion précède le ġusl75 et l’une des traditions recensées par Abū Bakr al-Ḫallāl montre un jeune homme juif qui se purifie la tête avec de l’extrait de guimauve (ḫaṭmī), une plante médicinale qui servait notamment pour le lavage des morts. Une autre tradition attribuée à Ibn Ḥanbal recommande le lavage des vêtements et la purification du converti à l’aide d’eau et de feuilles de lotus (sidr)76. Il ne s’agissait pas de lotus aquatique, mais d’un arbre (ziziphus spina Christi), mentionné dans le Coran à quatre reprises, dont les feuilles servaient aussi à la toilette des morts et à conjurer les sortilèges. Ces deux plantes étaient également utilisées par les hanafites.

    • 77 Aillet 2010 (a), p. 116.

    29La circoncision (al-ḫitān), évoquée dans la polémique chrétienne à Cordoue au milieu du IXe siècle comme l’un des stigmates honteux de la conversion77, est recommandée par le droit malikite sans pour autant constituer un devoir légal, contrairement à ce que prône le droit šafī‘ite. Aucun texte malikite ne stipule donc qu’elle doit précéder ou suivre la conversion.

    • 78 Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991, XIV, p. 239-240 ; Fernández Félix, Fierro 2000, p. 36. Voir aussi Saḥn (...)
    • 79 Fierro 2011, p. 241-247.
    • 80 Little 1976, p. 553-554.

    30La conversion se déroule donc discrètement, sans susciter de manifestation ostentatoire. Rares sont les cérémonies comparables au baptême des rois païens dans les sources de l’Occident latin ou de l’empire byzantin. Sur le modèle tardo-antique, l’Islam a cependant connu des conversions groupées de populations ou de tribus. Les questions d’al-‘Utbī prévoient notamment le cas des chrétiens du nord de la péninsule (des ahl al-ḥarb) qui, après s’être converti en bloc, feraient venir leurs enfants sur le territoire andalou78. Pour autant, ces ralliements collectifs ne semblent pas faire l’objet de cérémonies spécifiques. Une mise en scène, ou tout du moins une mise en récit, intervient cependant lors des rares épisodes où le pouvoir exerce sur les ḏimmī-s une pression en faveur de la conversion. Le plus souvent, cet événement spectaculaire intervient dans un contexte chargé d’attentes messianiques, comme ce fut le cas sous le règne du calife fatimide al-Ḥākim ou lors de la prise de Marrakesh en 1147, que les Almohades comparèrent à l’entrée du Prophète à La Mecque79. L’invasion du pays par des troupes chrétiennes ou le mécontentement populaire contre les fonctionnaires non-musulmans chargés du fisc pouvaient aussi susciter des mesures de rétorsion contre les ḏimmī-s, parmi lesquelles figurait la conversion forcée. Tel fut le cas dans l’Égypte de 1293, où une poignée de chrétiens de la cour fut contrainte de se convertir par le sultan mamlouk, cérémonie à laquelle ils n’attachèrent apparemment pas plus d’importance que les autres dignitaires de l’État80.

    Éducation religieuse et socialisation du converti

    • 81 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 407, trad. p. 634-635.
    • 82 Madelung 1985, p. 12-13.
    • 83 Ibn Sallām 1986, p. 125-126.

    31Contrairement à ce qui est parfois affiché, la possession d’un bagage religieux semble constituer pour Ibn al-‘Aṭṭār une condition pour accepter la conversion d’un adepte du monothéisme. Non seulement l’impétrant doit connaître les cinq piliers de l’islam, mais il doit avoir des notions sur les châtiments légaux et sur les heures, et sans doute les rites, de prière. S’il refuse de s’acquitter de ses devoirs élémentaires de croyant, sa conversion doit être annulée81. Cela montre l’importance que certains juristes accordaient à la formation minimale du futur converti, même si ce bagage préliminaire semble très léger. Certains juristes admettaient même que des individus totalement ignorants en matière de religion se convertissent : ainsi, Abū Ḥanīfa tenait pour « croyant », dans les terres païennes des Turcs, toute personne qui confessait l’islam, même si elle ne connaissait ni le Coran, ni les devoirs obligatoires du musulman82. Les textes juridiques ne se préoccupent d'ailleurs pas de la formation du nouveau musulman : fréquenter la mosquée semble avoir été jugé suffisant. C’est en contexte ibadite, dans le Djebel Nafūsa des années 750, que l’on rencontre enfin un récit, il est vrai destiné à l’édification du lecteur, sur la formation du nouveau croyant. On nous y montre un futur savant berbère se rendre chaque jour sur la grand-route pour aller recueillir un à un, auprès des voyageurs arabes, les versets du Coran, qu’il recopie sur une tablette et mémorise une fois revenu chez lui, comme le faisaient les élèves des écoles rurales83.

    • 84 Fernández Félix, Fierro 2000, p. 33.
    • 85 Aillet 2010 (a), p. 263-279.

    32Contrairement aux récits qui concernent les cas de conversion dans le monde contemporain, les sources médiévales de l’Islam méditerranéen ne se fixent guère sur la mutation culturelle de l’individu, avant ou après l’acte de conversion. Parmi les éléments qui changent dans l’identité individuelle, les juristes abordent cependant la question du nom. Quel nom doit prendre le converti ? Selon al-‘Utbī, Mālik b. Anās réprouvait l’usage par le chrétien converti à l’islam d’un nom arabe du type Fulān ibn Fulān, préconisant plutôt l’adoption de noms bibliques comme Yūsuf, ou théophores comme ʻAbd al-Malik, « esclave du Seigneur »84. On sait pourtant que cette pratique était le fait de populations arabisées, mais non nécessairement musulmanes, comme les chrétiens en al-Andalus ou en Orient85. L’onomastique des convertis obéissait à des usages assez diversifiés. Les esclaves convertis ou les clients des grandes familles pouvaient adopter tel quel le nom de leur maître. Les eunuques et les esclaves de cour prenaient quelquefois un surnom fleuri qui faisait allusion à leur valeur, tel que « perle » ou « joyau ». Les esclaves-soldats turcs conservaient les traces de leur origine ethnique. Quant aux hommes libres, ils pouvaient effacer leur origine ethnique en masquant leur généalogie, ou au contraire l’afficher en gardant en mémoire leur ascendance. C’est ainsi qu’en al-Andalus les convertis portèrent quelquefois des noms à consonance arabo-romane et qu’au Maghreb une onomastique berbéro-arabe se développa dès le VIIIe siècle.

    • 86 Pour ne citer que quelques exemples : Saḥnūn s.d., II, p. 299-300 et 302-303 ; Ibn Rušd al-Ğadd 19 (...)
    • 87 Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991, V, p. 465-466.
    • 88 Ibid., V, p. 351-352.
    • 89 C'est tout l'objet de l'étude de Coope 1995.

    33Quels liens le converti conservait-il avec sa famille et son milieu d’origine ? On dispose à ce sujet d’une abondante documentation, qui démontre la complexité des situations dans les familles et dans la société. Les juristes abordent surtout cette question à travers le cas de la conversion de l’un des époux : l’homme, qui peut continuer à vivre avec son épouse si celle-ci est chrétienne ou juive, mais aussi la femme, qui ne peut vivre avec un conjoint non-musulman. De très nombreuses questions concernent la conversion des femmes86, sans que la littérature historique ne s’y soit particulièrement intéressée. Lorsqu’une femme se convertissait, le mariage était rompu, sauf en cas de conversion du mari. Lorsque la relation avait été consommée, la femme convertie pouvait bénéficier de son douaire. On imagine que la conversion à l’islam pouvait constituer un instrument puissant pour l’épouse, car le mari ne pouvait légalement s’opposer à la rupture du contrat. Une affaire examinée par al-‘Utbī expose cependant un litige entre une femme qui s’était convertie à l’islam et son mari qui, après l’avoir chassée du domicile conjugal, voulut la contraindre à y revenir en se convertissant lui aussi à l’islam87. Dans le débat, les deux parties en conflit s’opposent alors pour savoir si la conversion de la femme a eu lieu après 40 jours de relations conjugales et trois cycles de menstruation, ou bien si elle est intervenue avant. Dans le premier cas, en effet, le mariage déjà consommé ne pouvait être rompu. Mālik b. Anās précisait cependant que la chrétienne ou la juive qui se convertissait à l’islam était considérée comme « consommée », ce qui réduisait sa valeur sur le marché du mariage, ainsi que le prix de son douaire. Les femmes de convertis qui décidaient de conserver leur foi possédaient également un droit de garde des enfants, quand bien même ces derniers étaient considérés comme musulmans par le droit. Seule exception : si elles quittaient le dār al-Islām, le père musulman récupérait le droit de garde88. Bien souvent, comme en témoigne aussi le dossier des martyrs de Cordoue89, l'appartenance ou le statut religieux ne constituait pas une frontière infranchissable au sein des familles.

    Conclusion

    34Cette ébauche d’enquête démontre l’intérêt de penser la conversion dans une perspective d’histoire comparée des sociétés. Visiblement, l’Islam des premiers siècles dissimule toute dimension missionnaire ou prosélyte et se garde de mettre en avant le caractère miraculeux de la conversion. La conversion est donc vue comme une libre adhésion, même si certains récits démontrent le poids des pressions et des contraintes exercées épisodiquement. Toute l’attention se tourne en revanche vers l’apostasie, sévèrement sanctionnée par la loi, qui sait pourtant prévoir des accommodements.

    • 90 Voir la bibliographie citée dans Aillet 2010 (b).

    35L’examen du processus juridique de conversion témoigne de l’adoption d’un rituel volontairement minimaliste, qui met délibérément l’accent sur la simplicité formelle de l’acte de conversion et sur la modicité des règles et connaissances à respecter et à acquérir. Le changement de religion, enregistré par un formulaire écrit, est validé par la pratique des cinq piliers de l’islam et par la fréquentation de la mosquée. Celle-ci est à la fois un lieu d’apprentissage pour le converti et un espace où il est soumis au regard et à l’approbation de la collectivité. Or, s’il n’y a pas de statut particulier pour le converti, en revanche il existe une hiérarchie tacite entre les vieux musulmans et les convertis récents, qu’on appelle en al-Andalus muwalladūn ou musālima, et dont les origines autochtones sont à l’occasion mises en exergue par l’élite « arabe90 ». Il en est de même au Maghreb, sur la base de l’opposition entre « Arabes » et « Berbères ».

    36Ces observations, recueillies à partir d’exemples et de textes principalement andalous et maghrébins des VIIIe-Xe siècles, gagneraient à être confrontées à d’autres terrains. La conversion des populations des marges africaines, indiennes ou asiatiques de l’Islam a produit d’autres types de récits, et le foisonnement de l’hagiographie soufie à partir du XIIIe siècle réintroduit la dimension miraculeuse de la conversion. Le développement considérable de l’esclavage militaire des Turcs, à partir du IXe siècle chez les Abbassides puis au cours du Moyen Âge en Orient, introduit probablement des dispositifs spécifiques de prise en charge et d’éducation du converti, tout en mettant en évidence des stratégies de conservation de l’identité antérieure (turque ou circassienne). Ces terrains sont donc susceptibles d’enrichir notre perception de l’histoire sociale et culturelle de la conversion en Islam.

    BIBLIOGRAPHIE

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    Fernández Félix 2003 = A. Fernández Félix, Cuestiones legales del Islam temprano : la ʿUtbiyya y el proceso de formación de la sociedad islámica andalusí, Madrid, 2003.

    Fernández Félix, Fierro 2000 = A. Fernández Félix et M. Fierro, Cristianos y conversos al Islam en al-Andalus. Una aproximación al proceso de islamización a través de una fuente legal andalusí del s. III/IX, dans Visigodos yOmeyas. Un debate entre la antiguedad tardía yla Alta Edad MediaAnejos de Arqueología deEspaña, 23, Madrid, 2000, p. 415-427.

    Fierro 2011= M. Fierro, A Muslim land without Jews or Christians. Almohad policies regarding the ‘Protected People’, dans M. Tischler et A. Fidora (dir.), Christlicher Norden - Muslimischer Süden : Ansprüche und Wirklichkeiten von Christen, Juden und Muslimen auf der Iberischen Halbinsel im Hoch- und Spätmittelalter, Münster, 2011, p. 231-247.

    Fierro et Molina (inédit) = M. Fierro et L. Molina, Some notes on dār al-ḥarb in Early al-Andalus, dans G. Calasso et G. Lancioni (dir.), Dār al-islām/dār al-ḥarb : Territories, People, Identities, Rome, en cours de publication.

    Houellebecq 2015 = M. Houellebecq, Soumission, Paris, 2015.

    Ibn al-ʻAṭṭār 1983 = Ibn al-ʻAṭṭār, Kitāb al-waṯā’iq, éd. P. Chalmeta et F. Corriente, Formulario notarial hispano-árabe, Madrid, 1983.

    Ibn al-Qūṭiyya 1982 = Ibn al-Qūṭiyya, Ta’rīḫ iftitāḥ al-Andalus, éd. I. al-Abyārī, Le Caire, 1982.

    Ibn Ḫaldūn 2012 = Ibn Ḫaldūn, Le Livre des exemples, II. Histoire des Arabes et des Berbères du Maghreb, trad. A. Cheddadi, Paris, 2012.

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    Ibn Ḥayyān 1973 = Ibn Ḥayyān, Kitāb al-muqtabis II, éd. M. ʻA. al-Ḥāğğī, Beyrouth, 1973.

    Ibn Ḥayyān 1979= Ibn Ḥayyān, Kitāb al-muqtabis V, éd. P. Chalmeta, F. Corriente et M. Subh, Madrid, 1979.

    Ibn Ḥayyān 1983 = Ibn Ḥayyān, Kitāb al-muqtabis VII, éd. ʻA. ʻA. al-Ḥāğğī, Beyrouth, 1983.

    Ibn Ḥazm 1928-1934 = Ibn Ḥazm, Kitāb al-muḥallā bi-l-aṯār, Le Caire, 1928-1934, 11 vol. 

    Ibn Ḥazm 1948 = Ibn Ḥazm, Kitāb ğamharat ansāb al-ʻarab, éd. É. Levi-Provençal, Le Caire, 1948.

    Ibn ʻIḏārī 1998 = Ibn ʻIḏārī, al-Bayān al-Muġrib fī aḫbār al-Andalus wa l-Maġrib, éd. G. S. Colin et É. Levi-Provençal, rééd. Beyrouth, 1998, 4 vol. 

    Ibn Muġīṯ al-Ṭulayṭūlī 1994 = Ibn Muġīṯ al-Ṭulayṭūlī, al-Muqnīʻ fī ʻilm al-šurūṭ, éd. F. J. Aguirre Sádaba, Madrid, 1994.

    Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991 = Ibn Rušd al-Ğadd, al-Bayān wa l-taḥṣīl wa l-šarḥ wa l-tawğīh wa l-taʻlīl fī masā’il al-mustaḫrağa, éd. M. Ḫāğğī, Beyrouth, 1988-1991, 20 vol. 

    Ibn Sahl 1980 = Ibn Sahl, Al-Aḥkām al-kubrà, éd. M. ʻA. al-Ḫallāf, Waṯā’iq fī aḥkām qaḍā’ ahl al-ḏimma fī l-Andalus, Le Caire, 1980.

    Ibn Sallām 1986 = Ibn Sallām, Kitāb Ibn Sallām : Eine Ibaditisch-Maghribinische Geschichte des Islams aus dem 3./9. Jahrhundert, éd. W. Schwartz et S. ibn Ya‘qūb, Wiesbaden, 1986.

    Jalabert 2004 = C. Jalabert, Hommes et lieux dans l’islamisation de l’espace syrien (Ier/VIIe-VIIe/XIIIe siècle), thèse inédite de doctorat en Histoire, sous la direction de F. Micheau, Université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne, 2004.

    Little 1976 = D. P. Little, Coptic conversion to Islam under the Baḥrī mamlūks, 692-755/1293-1354, dans Bulletin of the School of Oriental and African Studies, 39, 3, 1976, p. 552-569.

    Madelung 1985 = W. Madelung, The spread of Māturīdism and the Turks, dans Actas do IV Congresso de Estudos Árabes e Islâmicos, Coimbra-Lisboa, 1 a 8 de setembro de 1968, Leyde, 1971, p. 109-168; réimpr. dans Id.Religious schools and sects in medieval Islam, Leyde, 1985, ch. II.

    Morony 2015 = M. Morony, Madjūs, dans Encyclopaedia of Islam, Second Edition, Brill Online, 2015.

     

    Pasquier 2011 = A. Pasquier, Itinéraires de conversion dans le christianisme ancien, dans La conversion : Antiquité et Moyen ÂgeCahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires (en ligne), 9, 2011, p. 1-18, http://cerri.revues.org/869
    DOI : 10.4000/cerri.869

    Saḥnūn s.d. = Saḥnūn, al-Mudawwana al-kubrà, éd. s.n., Beyrouth, s.d., 6 vol. 

    Savigni 2011 = R. Savigni, La conversion à l’époque carolingienne, dans La conversion : Antiquité et Moyen ÂgeCahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires (en ligne), 9, 2011, p. 1-31, http://cerri.revues.org/879.

     

    Simonsohn 2013a = U. Simonsohn, Conversion to Islam: a case study for the use of legal sources, dans History Compass, 11/8, 2013, p. 647-662.
    DOI : 10.1111/hic3.12075

     

    Simonsohn 2013b = U. Simonsohn, « Halting between two opinions ». Conversion and apostasy in Early Islam, dans Medieval Encounters, 19, 2013, p. 342-370.
    DOI : 10.1163/15700674-12342141

     

    Turan 1959 = O. Turan, L’islamisation dans la Turquie du Moyen Âge, dans Studia islamica, 10, 1959, p. 137-152.
    DOI : 10.2307/1595129

    Van Nieuwkerk 2006 = K. van Nieuwkerk (dir.), Women embracing Islam. Gender and conversion in the West, Austin, 2006.

     

    Wasserstein 2012 = D. Wasserstein, Where have all the converts gone ? Difficulties in the study of conversion to Islam in al-Andalus, dans Al-Qanṭara, XXXIII, 2, 2012, p. 325-342.
    DOI : 10.3989/alqantara.2011.005

    Wensinck et Crone 2015= A. J. Wensinck, P. Crone, Mawlā, dans Encyclopaedia of Islam, Second Edition, Brill Online, 2015.

    NOTES

    1 Que nous distinguerons ici du processus de conversion, qui se déploie sur une plus longue temporalité. Bien qu’il y ait quelque artifice à isoler cet épisode, nous resserrons notre enquête sur cette manifestation rituelle et légale du changement de religion.

    2 Houellebecq 2015, p. 297.

    3 Voir à ce sujet les remarques de Van Nieuwkerk 2006, p. 96.

    4 Voir ainsi Calasso 2001 pour Baṣra, l’analyse détaillée, pour la Syrie, de Jalabert 2004, p. 187-212, et pour al-Andalus, Wasserstein 2012.

    5 Pasquier 2011, p. 2 souligne par exemple la fortune littéraire des récits basés sur le paradigme de la conversion de Paul ou d’Augustin. Voir aussi Savigni 2011 pour l’ère carolingienne.

    6 Voir notamment Turan 1959.

    7 Voir par exemple Deweese 1994.

    8 Ibn Ḥazm 1948, p. 502-503.

    9 Ibn al-Qūṭiyya 1982, p. 3-6.

    10 Ibn ʻIḏārī 1998, I, p. 37.

    11 Euloge 1973, II, p. 440-441.

    12 Al-Ḫušanī 1914, p. 130-133.

    13 Aillet 2008 et 2010 (b).

    14 Ibn Ḥayyān 1937, p. 128 ; Ibn Ḥayyān 1979, p. 138-140 et 215-217 ; Aillet 2010 (a), p. 99-103.

    15 Ibn Ḫaldūn 2012, p. 152.

    16 Pour une première approche de l’apostasie dans le droit islamique : Fattal 1958, p. 163-168.

    17 Nous employons cette expression par analogie avec les « vieux chrétiens » du XVIe siècle, et pour faire référence à une hiérarchie fondée sur l’ancienneté de la conversion.

    18 Simonsohn 2013 (a) et (b).

    19 Abū Bakr al-Ḫallāl 1996.

    20 Saḥnūn s.d. ; Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991 ; Fernández Félix 2003.

    21 Chalmeta 1986 et, avant lui, Abumalham 1985.

    22 Voir Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 405-406, trad. p. 632-633.

    23 Coran, IV-171.

    24 Abū Bakr al-Ḫallāl, p. 372-373.

    25 Ibid., p. 376.

    26 Ibid., p. 381.

    27 Ibid., p. 376.

    28 Ibid., p. 377-378.

    29 Ibn Muġīṯ al-Ṭulayṭūlī 1994, p. 346.

    30 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 409, trad. p. 636.

    31 Morony 2015.

    32 Ibn Ḥayyān 1983, p. 23, 27-28, 58, 61, 67, 78, 93.

    33 Voir Ibn al-ʻAṭṭār 1983, p. 626 ; Epalza 2008 et Fierro et Molina (inédit). Je remercie Maribel Fierro de m’avoir communiqué cette référence.

    34 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 413, trad. p. 641 ; al-Ğazīrī 1998, p. 425.

    35 Blois 2015.

    36 Ibn Muġīṯ, p. 346-347.

    37 Al-Ğazīrī 1998, p. 425.

    38 Aillet 2010 (a), p. 96-106. Voir aussi, récemment, Simonsohn 2013 (a) et (b).

    39 Aillet 2010 (a), p. 98.

    40 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 407, trad. p. 634 ; Abū Bakr al-Ḫallāl, p. 487-488.

    41 Ibid., p. 488.

    42 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 410, trad. p. 637.

    43 Wensinck et Crone 2015.

    44 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 406, trad. p. 632.

    45 Ibid., éd. p. 409, trad. p. 636.

    46 Aillet 2010 (a), p. 97-98.

    47 Ibn al-Muġīṯ, p. 345.

    48 Sur ce thème voir Fernández Félix 2001.

    49 Ibn Sahl 1980, p. 46-47.

    50 Fattal 1958, p. 168-169.

    51 Coope 1995, p. 75-79 ; Aillet 2010 (a), p. 105-106.

    52 Ce long débat, qui mobilise plusieurs avis puisés parmi les grands maîtres du malikisme, est transcrit par Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991, XV, p. 96-99.

    53 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 411, trad. p. 638.

    54 Abū Bakr al-Ḫallāl, p. 375.

    55 Ibid., p. 106.

    56 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 408 , trad. p. 635.

    57 Abumalham 1985.

    58 Entre autres références, voir Fattal 1958, p. 172.

    59 Abū Bakr al-Ḫallāl, p. 381.

    60 Ibn Muġīṯ, p. 346.

    61 Abū Bakr al-Ḫallāl, p. 64.

    62 Voir par exemple Saḥnūn s.d., II, p. 315 ; Ibn Ḥazm 1928-1934, VIII, n° 1672, p. 208 et Fattal 1958, p. 149-150.

    63 Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991, II, p. 573.

    64 Ibn Ḥayyān 1937, p. 96.

    65 Ibn Ḥayyān 1973, p. 362-363.

    66 Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991, XV, p. 477-478, XVI, p. 427-429 ; Fernández Félix, Fierro 2000, p. 36.

    67 Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991, XVI, p. 396.

    68 Al-Wanšarīšī 1981-1983, II, p. 526-528.

    69 Al-Ḫušanī 1914, éd. p. 130-133, trad. p. 159-164.

    70 Ibn Ḥayyān 1979, p. 215-217 ; Aillet 2010 (a), p. 100-101.

    71 Bousquet 2015.

    72 Houellebecq 2015, p. 297-298.

    73 Saḥnūn s.d., I, p. 35-36.

    74 D’où le questionnement des juristes sur la peine à appliquer au criminel qui se convertit avant d’être jugé : voir par exemple Abū Bakr al-Ḫallāl, p. 350-352.

    75 Abū Bakr al-Ḫallāl, p. 111-114.

    76 Ibid., p. 113-114.

    77 Aillet 2010 (a), p. 116.

    78 Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991, XIV, p. 239-240 ; Fernández Félix, Fierro 2000, p. 36. Voir aussi Saḥnūn s.d., II, p. 300-301.

    79 Fierro 2011, p. 241-247.

    80 Little 1976, p. 553-554.

    81 Ibn al-ʻAṭṭār 1983, éd. p. 407, trad. p. 634-635.

    82 Madelung 1985, p. 12-13.

    83 Ibn Sallām 1986, p. 125-126.

    84 Fernández Félix, Fierro 2000, p. 33.

    85 Aillet 2010 (a), p. 263-279.

    86 Pour ne citer que quelques exemples : Saḥnūn s.d., II, p. 299-300 et 302-303 ; Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991, IV, p. 451-452 ; Ibn Ḥazm 1928-1934, p. 312-316.

    87 Ibn Rušd al-Ğadd 1988-1991, V, p. 465-466.

    88 Ibid., V, p. 351-352.

    89 C'est tout l'objet de l'étude de Coope 1995.

    90 Voir la bibliographie citée dans Aillet 2010 (b).

    © Publications de l’École française de Rome, 2017

    Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540


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  • Un récit datant de la prise de Jérusalem en 638, et conservé dans sa version géorgienne, rapporte que :

    « Les Sarrasins athées entrèrent dans la Ville Sainte du Christ, notre Dieu, Jérusalem, avec la permission de Dieu, en punition de notre négligence, qui est innombrable, et aussitôt, en courant, ils arrivèrent au lieu qu’on appelle Capitole. Ils prirent avec eux des hommes, certains de force, d’autres de leur plein gré, afin de nettoyer ce lieu et d’édifier cette maudite chose, destinée à leur prière, qu’ils appellent une mosquée (midzghita). Parmi ces hommes se trouvait Jean, archidiacre de Saint-Théodore le Martyr, parce qu’il était, de son métier, poseur de marbre. Il se laissa séduire par eux pour un gain malhonnête et il alla de son plein gré travailler là-bas. Il était très habile de ses mains. »

    In B. Flusin : "L'esplanade du Temple à l'arrivée des arabes, d'après deux récits byzantins", dans Bayt Al-Maqdis : Abd al malik's Jerusalem", J. Raby et J. Johns(ed), 1992 p 21

     cité dans 

    George Alain. Le palimpseste Lewis-Mingana de Cambridge, témoin ancien de l’histoire du Coran. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 155e année, N. 1, 2011. pp. 377-429.

    www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_2011_num_155_1_93156


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  • Lettre de Makkiha

    métropolite nestorien de Mossoul et d'Erbil

    sur la vérité de la religion chrétienne

     

    traduction par

    Gianmaria GIANAZZA.

     

    Publiée dans "Parole de l'Orient : revue semestrielle des études syriaques et arabes chrétiennes : recherches orientales : revue d'études et de recherches sur les églises de langue syriaque. — vol. 25 (2000), pp. 493-555.

     

    http://documents.irevues.inist.fr/handle/2042/35326 

    Présentation

    De Makkihā, originaire de Bagdad, médecin, moine et prêtre, nommé évêque de Tirhān, et ensuite métropolite de Mossoul et Hazza (1085/6-1092) et enfin patriarche (1092-1109), nous est parvenu un traité sur la paternité et la filiation, et une lettre envoyée à un diacre d'Isphahan, lorsqu'il était métropolite de Mossoul et Erbil.

    Cette lettre, que Saliba ibn Yuhanna reproduit en la qualifiant d'excellente son "Asfār al-Asrār" (Livres des mystères), a été envoyée pour encourager les chrétiens dans une situation difficile. En effet, la campagne puritaine du calife al Muqtadi (1075-1094) avait remis en vigueur les signes vestimentaires distinctifs pour les juifs et les chrétiens, ce qui avait entraîné l'apostasie de plusieurs chrétiens détenteurs de postes importants.

    L'auteur même de la lettre nous dit qu'il a puisé dans les livres ecclésiastiques et que sa réponse n'est qu'un résumé limité au cadre d'une correspondance.

     

    PLAN DU TRAITÉ

    Introduction du compilateur

    § 1

    Introduction de l'auteur  : § 2-18

     

     

    a) Adresse et salutation

    § 2-6

     

    b) Motif et but de la lettre

    § 7-12

     

    c) Cadre de la lettre .

    § 13-18

    1. S'attacher à la vie éternelle  : § 19-87

     

     

    1.1 Exhortation de l'Évangile à la persévérance dans les épreuves

    § 19-33

     

    1.2 Garder la vraie vie

    § 34-40

     

    1.3 L'exemple des saints et des martyrs

    § 41-42

     

    1.4 Les miracles témoignent la vraie religion

     

     

    1.4.1 Descente de la lumière au Saint Sépulcre

    § 44-48

     

    1.4.2 Bénédiction des saints

    § 49-61

     

    1.5 Exhortation de Saint Paul au combat spirituel

    § 62-66

     

    1.6 La foi exemplaire des ancêtres

    § 67-87

    2. Exemple des martyrs à l'époque des rois romains et perses : § 88-137

     

     

    2.1 Le sang des martyrs est semence de chrétiens

    § 88-92

     

    2.2 Constance des martyrs

    § 88-92

     

    2.3 Martyrs d'Orient

    § 93-94

     

    2.3.1 Dubnānšāh

    § 95-105

     

    2.3.2 Les Pères du concile de Nicée

    § 106-114

     

    2.3.3 Simon bar Şabbāʻi

    § 115-137

    3. Épreuves récentes

    § 138-145

    Souhaits finals

    § 146-150

     

     Traduction de la lettre

     

    Introduction de Saliba ibn Yuhanna

     

    [1] 59° section, 3° fondement, 12° chapitre. Nous y mentionnons la copie de la lettre du saint père Mār Makkihā, catholicos et patriarche de l'Orient (que Dieu donne à son âme le repos éternel !), écrite lorsqu'il était métropolite de Mossoul et d'Erbil, et envoyée à un responsable des croyants d'Isphahan, en réponse à sa lettre.

     

    Introduction de l'auteur

     

    [2] L'humble Makkihā, métropolite de Mossoul et d'Erbil, prie pour la continuation de votre vie à tous, ô peuple choisi et assemblée rachetée, afin que vous soyez fidèles.

    Que le Christ vous préserve de tout malheur, visible et caché. Amen.

    [3] Tu m'as écrit, vénérable personne, seigneur bien-avancé dans la foi orthodoxe, diacre pur, pieux et vertueux. [4] (que Dieu prolonge tes jours et ne cesse de te donner soutien et félicité, qu'il illumine ton âme par la pureté de la foi et donne joie à ton corps et à tes sentiments par de bonnes actions, [5] et qu'il te préserve des calamités, avec les respectables fidèles, fils du pur baptême ; qu'il te garde, avec tous les chrétiens qui implorent sa protection, des ruses de Satan et des malheurs et d'un état de tranquillité mélangé à une grande peine).

    [6] À Dieu la louange et le remerciement pour les faveurs et les épreuves ; c'est lui qui accorde les bienfaits, c'est lui qu'on doit remercier.

     

    [7] Ta lettre m'est arrivée (que Dieu te donne son soutien !) : je l'ai lue, me réjouissant de la santé de ta vie (spirituelle), la vraie et éternelle, et de l'autre (matérielle), prêtée et temporelle. [8] Que Dieu te garde en paix, sous la protection de la providence céleste, toi et tout le peuple choisi et béni, muni des sacrements divins, uni dans l'amour chrétien.

    [9] J'ai compris l'objet de ta demande (que Dieu garde ton âme !) : [c'est-à-dire] que je t'envoie un résumé des paroles et des idées contenues dans les saints livres ecclésiastiques, [10] qui renforcent la vraie foi et consolident la religion orthodoxe et soulagent les coeurs accablés, [11] à cause des malheurs inattendus, sans pareil depuis bien des siècles, survenus à la sainte Église orientale et aux disciples de Notre Seigneur Jésus Christ, sauveur du monde (qu'à son souvenir on se prosterne !).

     

    [12] Que Dieu (qu'il soit béni et exalté !) soutienne tous les fidèles par sa miséricorde et nous aide ; qu'il renforce notre faiblesse par sa puissance invincible, et qu'il accomplisse sa promesse, vraie et noble : "Je suis avec vous pour toujours, jusqu'à la fin du monde"  ; "Je ne vous laisserai pas orphelins"1

    [13] Quant à ce que tu m'as proposé (que Dieu garde ta vie !), tu sais que le temps n'est pas suffisant pour t'expliquer ce que tu m'as demandé, et tu peux t'en passer en ayant recours à ce qui est mentionné dans les livres théologiques et l'histoire ecclésiastique. [14] Cependant, selon les limites de la correspondance, je veux t'envoyer en réponse un peu de ce qui est contenu dans les livres religieux, avec la tristesse et les larmes amères et les supplications que j'élève vers Dieu, par les prières dans tous nos lieux saints, afin qu'il ait pitié de nous. Qu'il nous écoute, dans sa miséricorde, et qu'il nous exauce !

    [15] Que ma réponse soit un chemin pour toi et pour ceux qui veulent la lire, et qu'elle soit une invitation à rechercher l'explication de ces vérités dans les livres ecclésiastiques. [16] Ces livres en vérité sont pleins des trésors de la vie, ainsi que le dit le père saint, auteur de la Messe précieuse : "Des champs ensemencés on obtient une récolte délicieuse ; des vignobles une vendange agréable, et des livres de Dieu un enseignement vital"2.

    [17] La récolte et la vendange sont liées à une certaine période ; dès qu'elles sont achevées, les champs et les vignobles restent vides ; mais les livres de Dieu (qu'il soit vénéré et exalté !) augmentent en abondance et en quantité chaque fois qu'on moissonne les épis de leur bienfaits et de leur vertus. [18] Nous visons donc maintenant, nous aussi, ces champs spirituels pour moissonner parmi les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ ce qui nous détourne de l'erreur et nous guide dans le vrai chemin.

     

    S'attacher à la vie éternelle

     

    [19] Il dit (que son souvenir soit exalté et vénéré !) : "Priez pour ne pas entrer en tentation"3. [20] Il fit cette recommandation : "Entrez par la porte étroite. Qu'elle est large la porte, et qu'il est spacieux le chemin qui mène à la perdition, et il en est beaucoup qui s'y engagent ; mais qu'il est étroit et resserré le chemin qui mène à la vie, et il en est peu qui le trouvent"4. [21] Il dit aussi : "Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; montrez vous donc sages comme les serpents, et dociles et humbles comme les colombes"5.

    [22] La porte étroite signifie la difficulté [d'observer] la loi, qui interdit de s'adonner aux passions et empêche la licence des moeurs. La porte large c'est la concession dans [l'observance] des lois et la facilité des prescriptions et des devoirs ; c'est la mitigation des obligations religieuses.

     

    [23] Un trait évident de la sagesse des serpents c'est de s'empresser de cacher et de protéger leur tête, lorsqu'ils sentent un malheur, sachant qu'elle est le centre des sens et du mouvement, et ils présentent le reste de leur corps aux coups. [24] De la même façon, vous devez garder la perle de votre foi (qui est la tête de votre vraie vie, éternelle, impérissable) et offrir votre corps et vos biens, si vos persécuteurs vous l'imposent et vous y obligent, et si vous n'avez pas trouvé un asile pour échapper à la mort : offrez alors vos corps, et gardez la perle de votre foi : car rien au monde ne peut la remplacer.

     

    [25] Voici un autre trait de la sagesse des serpents : lorsqu'ils vieillissent et que leur peau devient pâle, ils se dirigent vers un trou étroit, y entrent avec effort, changent leur ancienne peau, redeviennent jeunes et sont rajeunis par une peau fraîche et nouvelle. [26] Ainsi vous devez ressembler à leur sagesse et entrer par la porte étroite, vous dépouiller des désirs de l'homme ancien, gâté par les passions mauvaises, et revêtir les propos de l'homme nouveau, affranchi du péché, créé par Dieu dans la justice et la piété. [27] Et lorsque vous avez commis un péché, renouvelez-vous par la contrition : car les larmes de la contrition lavent les fautes, ainsi que l'eau efface l'écriture.

     

    [28] Un trait particulier de l'humilité et de la paix des colombes consiste dans le fait qu'elles ne se fâchent pas et ne se mettent pas en colère, lorsque quelqu'un leur enlève les petits de dessous les ailes, et elles ne quittent pas leur nid. [29] Ainsi le vrai fidèle ne doit pas affaiblir ses sentiments religieux, à cause d'un malheur qui lui survient de la part des méchants.

     

    [30] Il dit : "Méfiez-vous des hommes. Ils vous livreront aux juges, et vous flagelleront dans leurs synagogues ; vous serez traînés devant rois et gouverneurs. [31] Mais quand on vous livrera, ne cherchez pas avec inquiétude comment parler ou que dire : ce que vous aurez à dire vous sera donné sur le moment. Ce n'est pas vous qui parlerez, c'est l'Esprit du Seigneur qui parlera en vous". [32] Il dit : "Vous serez haïs de tous à cause de mon nom. Mais celui qui aura tenu bon jusqu'au bout, celui-là vivra". [33] Il dit : "À quoi sert à l'homme de gagner le monde entier, s'il perd son âme ?"6.

     

    [34] Celui qui craint Dieu et connaît la vérité et préfère la vie promise doit acheter ce qui est noble et grand et ce qui n'a pas d'égal, par ce qui est méprisable et périssable ; [35] il doit garder la vraie vie éternelle, impérissable [36] (qui consiste dans l'union avec l'amour de Dieu - que son nom soit béni ! - vivant et éternel, Créateur de tout être vivant, qui a fait descendre son Verbe éternel dans l'humanité du Christ, Notre Seigneur, a voilé en lui la Sagesse et l'a manifestée en lui), [37] au lieu de cette vie, prêtée, temporelle et périssable. [38] Ainsi l'a dit l'apôtre inspiré Paul : "Qui pourra nous éloigner ou séparer et écarter de l'amour de Dieu en notre Seigneur Jésus Christ ? [39] Grand malheur ou longue captivité, dure persécution, faim pénible, nudité honteuse, ou glaive tranchant ? [40] Je sais bien que ni la mort, ni la vie, ni les archanges, ni les principautés, ni les puissances, ni le monde et tout ce qu'il contient, ni les hauteurs ni les profondeurs, ni aucune autre créature possible ne pourra nous séparer et écarter de l'amour de Dieu en Notre Seigneur Jésus Christ"7.

     

    [41] C'est cet amour qui a rempli les coeurs des anciens prophètes, des saints apôtres et des martyrs. Par cet amour ils ont préféré la mort de leur corps, pour conserver la vie éternelle ; [42] et ils ont eu confiance dans les promesses, grâce aux prodiges éclatants et aux miracles évidents, qu'ils accomplissaient eux-mêmes et qui dépassaient les forces humaines. Et ils furent certains que ces miracles provenaient d'une puissance divine, et non d'une force terrestre. [43] Les vestiges de ces signes anciens se sont conservés jusqu'à nos jours et resteront jusqu'à la fin du monde, afin que celui qui recherche la vérité et aime le bon chemin conclue, à partir du peu qui reste, combien abondant était ce qui a disparu.

     

    [44] Parmi ces prodiges, chaque année, sans faire exception à la règle continuelle, il y a la descente de la lumière dans l'église de la Résurrection à Jérusalem, vers la fin du jour du samedi saint qui précède le dimanche de la résurrection. [45] Cette lumière allume les lampes qui se trouvent au-dessus du saint sépulcre, dans lequel fut déposé pendant trois jours le corps illustre de Notre Seigneur Jésus-Christ. [46] La coupole qui surmonte le tombeau est fermée et scellée avec le sceau du gouverneur de la ville, et le lieu est entouré et surveillé par les gardiens, de peur que les chrétiens n'aient recours à quelque ruse. [47] Ce sont eux qui gardent le tombeau et qui témoignent de la vérité de la descente de la lumière du ciel, afin qu'aucun doute ne puisse atteindre la réalité du récit de la mort de Notre Seigneur, de son ensevelissement, de sa résurrection à la vie, et de son ascension glorieuse au ciel. [48] Que tout le monde sache que Dieu (qu'il soit béni et exalté !) montre son contentement du christianisme par la descente du ciel de ce miracle. S'il n'y avait, dans la religion chrétienne, d'autre prodige évident que celui-ci, il serait suffisant et convaincant pour celui qui recherche la vérité.

     

    [49] Pourquoi [ce signe ne suffirait-il pas ?] alors que dans les couvents bâtis sous les noms des saints apparaissent toujours des prodiges et des miracles à quiconque s'y rend avec foi, tels les guérisons des malades et l'expulsion des démons et l'antidote aux poisons mortels ?

     

    [50] Ainsi en est il de la bénédiction de saint Már Šallita8 : celui qui la reçoit et la garde pendant neuf jours, prend avec la main des serpents et des vipères : ceux ci restent dociles, ne le mordent pas, et, s'ils le mordent, ne lui font aucun mal. [51] Ainsi de la bénédiction de saint Rabbān Hormizd9 : utile contre les serpents et les scorpions, contre les chiens enragés et la stérilité des femmes et des animaux. [52] De même la bénédiction de saint Mār Bābowayh10 à Bawāziğ, qui préserve, par la puissance de Dieu, du venin des chiens enragés, des loups et de chaque bête féroce enragée. [53] Tout le monde sait que ce n'est pas dans la nature de l'huile de préserver des venins mortels, de guérir les différentes maladies et de chasser les démons : mais c'est par la puissance de Dieu, qui habite dans l'huile et qui est mélangée à elle, que s'opèrent ces prodiges. [54] De même la bénédiction de l'apôtre Mār Mārī11 (que son nom soit mentionné en paix !), qui est donnée à sa tombe, deux fois chaque année. [55] De même le prodige de saint Mār Qawmā12 ; qui reste debout depuis environ 900 ans, sans que la corruption ait eu aucun pouvoir sur son corps et que sa chair se soit détachée et que ses membres se soient contractés ou que ses os aient été pulvérisés, comme c'est le cas pour les autres morts. Mais il est comme en sommeil, attendant la voix vivifiante qui le réveillera à la résurrection et le ressuscitera à la vie future. [56] De même l'exaucement des prières au saint martyr Mār Georges13 et les merveilles qu'il opère en faveur de quiconque l'implore avec foi, sur terre, sur mer, en plaine et en montagne. [57] Et, dans différents pays, d'autres prodiges, qu'on ne peut ni énumérer ni mentionner.

     

    [58] Un docteur a dit : "Si tu puises, ô fidèle, avec la main un peu d'eau de la mer et que tu la goûtes, tu sais que toute la mer est amère et salée ; [59] et si tu bois une gorgée d'eau douce d'un fleuve, tu sais, par le peu que ton palais a goûté, que toute l'eau du fleuve est douce et bonne". [60] De même, selon cette comparaison, si tu as constaté dans ta religion l'existence d'un seul prodige évident, dont aucun autre semblable ne peut être accompli par personne, tu dois en déduire l'authenticité de tous les prodiges mentionnés dans les livres saints, même si tu n'en as pas été le témoin oculaire. [61] Un seul de ces prodiges que l'on a rapportés dirige vers le bon chemin celui qui recherche la vérité et préfère la vie et le salut.

     

    [62] L'apôtre inspiré Paul dit : "Endossez toute l'armure de Dieu, afin que vous puissiez résister au malin et le vaincre ; restez donc fermes, prêts et bien armés. [63] Tenez-vous debout maintenant, avec la justice et la vérité pour ceinture, la piété pour cuirasse, l'évangile de la paix pour chaussures. [64] Couvrez-vous avec le bouclier de la foi, grâce auquel vous pouvez éteindre toutes les flèches enflammées du Mauvais ; mettez sur la tête le casque du salut et dégainez le glaive de l'utilité, c'est-à-dire la Parole de Dieu. [65] Vivez dans la prière et les supplications en tout temps, dans l’Esprit, sans cesse"14.

     

    [66] L'apôtre inspiré Paul dit : "Par la foi, nous comprenons et nous savons que le monde et toutes les créatures ont été formés par la parole de Dieu et ce que l'on voit provient de ce qui n'existait pas et qu'on n'a pas vu"15.

    [67] Explication des vertus de la foi mentionnées dans la Bible.

    [68] La foi a fait supporter aux martyrs et aux saints l'amertume des souffrances, pour être couronnés du diadème de la beauté et de la gloire, et pour atteindre les plus hauts rangs de la vénération et de l'honneur.

    [69] La foi préserva les saints pères des passions mauvaises, pour gagner les beautés et les bonnes oeuvres, et pour chercher les biens profitables.

    [70] La foi donna à Job, fils de Zerah, la force de supporter les grandes adversités, les épreuves difficiles et dures et les souffrances intenses par lesquelles il a été éprouvé. Grâce à ces épreuves il a avancé en vénération, et son souvenir s'est accru : Dieu, le saint, a loué sa foi et sa vertu, en disant : "Un homme tel que Job n'a pas d'égal sur terre"16.

    [71] La foi préserva du péché Joseph, fils de Jacob, et le sauva de l'angoisse de la prison et de l'avilissement de l'esclavage.

    [72] Par la foi, les Israélites ont marché sur le fond de la mer avec les femmes, les enfants et les fardeaux, l'eau s'étant arrêtée à droite et à gauche, empêchée de couler et de passer.

    [73] Par la foi, les saints, de retour de Babylone, apportèrent de la boue du puits dans lequel on avait jeté le feu de l'autel du Seigneur, au temps de la captivité ; et, après 70 ans, cet extrait de boue se remit à brûler et ils eurent le feu sacré, comme auparavant.

    [74] La foi sauva le prophète Daniel de la violence des infidèles, à Babylone, et, dans la fosse, lui rendit dociles et soumis les lions féroces.

    [75] Au temps de Nabuchodonosor, lors de l'influence des envieux et de la délation des méchants, la foi préserva Ananias, Azarias et Misaël de la violence du feu, qui se changea tout autour d'eux et au-dessous d'eux en fraîcheur et en protection : ils restèrent ainsi debout, marchant et louant Dieu.

     

    [76] Dans le désir de terminer le récit, le peu de ce qui est mentionné et beaucoup de ce qui est connu suffit et dispense de détails ultérieurs.

    [77] Celui qui croit et suit le bon chemin gagnera ; et celui qui ne croit pas et est hostile se repentira.

     

    [78] Heureux celui qui aura bâti sur la vraie foi le fondement de son oeuvre et de sa croyance, et aura élevé sur la justice et les bonnes oeuvres les colonnes de sa résolution et de ses efforts ; [79] et aura suivi la grand-route excellente du salut, et se sera attaché au lien solide de l'aumône ; [80] et aura cherché Dieu par le don de la béatitude, et aura cru dans celui qui est le médiateur de tout bien et qui fait ressusciter les morts, [81] Jésus Christ, Verbe éternel de Dieu, qui sauve du malheur de la mort du péché, et qui guérit de la corruption humaine ; [82] et aura été docile à l'Esprit Saint, secours de celui qui pratique l'obéissance, qui parle par la bouche des prophètes de ce qui est agréable à écouter et qui est conseiller dans le chemin [de la bonne voie] ; [83] et aura aimé la justice et la voie éclairée, et aura revêtu la beauté du saint baptême ; [84] et aura été marqué du chrême de l'onction et de la médiation sacerdotale, et aura communié à l'hostie du salut et du pardon dans les mystères divins, et aura baisé la croix et aura cru à la crucifixion ; [85] et se sera dirigé vers l'orient dans sa prière, et aura cru à la résurrection et au jugement, et aura craint la terreur du feu et du châtiment ; [86] et aura manifesté sa foi avec un langage clair, et sa soumission avec une certitude vraie ; [87] et se trouvera, le jour du jugement, parmi les compagnons de la droite, et remportera la victoire suprême avec les fidèles, et sera trouvé digne de la miséricorde de Dieu, Seigneur du monde.

     

    Exemple des martyrs à l'époque des rois romains et perses

     

    [88] Une aide pour raffermir la foi et consolider la croyance c'est ce qu'on trouve dans les récits des amis de Notre Seigneur le Christ et de leur martyre, à l'époque des rois grecs et perses, de leur patience, de leur empressement à répandre leur sang et [à donner] leur vie, ainsi que le sang de leurs enfants, à quitter la douceur et les plaisirs de ce monde. [89] Ils se hâtaient pour présenter à Dieu leur corps en sacrifice ; et chaque fois qu'on en tuait un, une centaine environ se faisait chrétiens.

     

    [90] On raconte qu’un roi Romain infidèle, avant de devenir chrétien, s'était obstiné à massacrer des martyrs, et en avait tué un grand nombre. On dit donc au roi : "Voilà que tu augmentes leur nombre, alors que tu crois le réduire". Il répondit : "Comment cela se fait-il ?". [91] On lui dit : "Tu en as tué hier un certain nombre, et voici qu'un même nombre s'est fait chrétien". Il demanda : "Quelle en est la raison ?". On lui répondit : "Les gens disent qu'ils voient un homme descendre du ciel pour les encourager". Alors il ordonna de cesser le massacre. [92] Ces paroles ont été la cause de sa conversion au christianisme et de son abandon de l'impiété et de la fin de la persécution des saints.

     

    [93] Regardez donc ceux-là, eux qui avaient le discernement religieux et la certitude solide et la fidélité et l'excellence de la foi ; comment ils restaient vaillants dans leurs propos, contents, joyeux, heureux, même atteints par l'épée et par toutes sortes de supplices. [94] Les uns étaient écorchés vifs, d'autres on leur coupait les membres, tandis qu'ils regardaient ; les uns étaient brûlés par le feu, d'autres étaient jetés aux bêtes féroces. Dans ces tourments indescriptibles ils restaient complètement attachés à la religion chrétienne.

     

    [95] Parmi ce qui affermit la foi, il y a aussi le récit de la sainte martyre connue sous le nom de Duhnašah, fille du roi d'Ahwāz.

    [96] Son père, un jour, avait fait tuer avec obstination des martyrs, disciples du Christ, et elle était assise dans le palais devant sa coiffeuse en train de lui tresser les cheveux. [97] Elle leva les yeux vers les âmes des martyrs, tués par ordre de son père : elles volaient au ciel, sous forme de lampes brillantes. [98] Touchée par ce spectacle, elle trouva un prétexte pour s'excuser auprès de sa coiffeuse, qui n'avait pas terminé son travail. [99] Tout à coup elle descendit du palais, et se mêla, déguisée, à la foule des martyrs, et elle fut martyrisée, elle aussi, avec eux, sans avoir été reconnue. [100] Les serviteurs, partis à sa recherche et ne l'ayant pas trouvée, en informèrent ses parents, et ils se mirent à sa recherche, jusqu'à ce qu'ils trouvèrent sa tête coupée, jetée parmi les autres, qu'ils reconnurent à cause de ses cheveux. [101] Ils avaient demandé à la coiffeuse de ses nouvelles, et celle-ci leur raconta qu'elle lui avait dit : "Vois-tu ces lampes qui s'élèvent au ciel ?" Je ne vois rien du tout - lui répondis-je. À ce moment-là elle se leva promptement, et descendit du palais. [102] Ce fait aussi fut la cause de la conversion de beaucoup de gens au christianisme. [103] Ensuite Dieu (qu'il soit béni et exalté !) envoya un vent impétueux qui rassembla, sur les martyrs, de la terre en forme de colline (vestige qui reste jusqu'à ce jour). Sur cette colline poussèrent beaucoup de plantes et d'herbes aromatiques. [104] Et jusqu'à ce jour les chrétiens de cette région implorent la bénédiction de Dieu dans cet endroit. [105] Cette vertu n'existe que dans la religion chrétienne : c'est un héritage qu'on constate chez les chrétiens, jusqu'à la fin du monde.

     

    [106] Nous devons imiter la foi des ces 318 saints Pères17, choisis parmi 2048 patriarches, métropolites et évêques : ils étaient semblables aux anges par la piété, aux étoiles du ciel par la splendeur et la lumière. [107] Le roi victorieux Constantin n'en choisit pas d'autres, dans la controverse contre les partisans des hérésies et des schismes, et dans la recherche de la vérité. [108] Il avait constaté, ainsi que ses hauts dignitaires, leur intégrité doctrinale et leur énergie dans la défense de la vérité, et il avait remarqué les cicatrices qu'ils portaient, car ils avaient tous subi des tourments de la part des ennemis de la vérité. Ces cicatrices témoignaient de leur bonheur et de leur conduite irréprochable : [109] les uns avaient eu les pieds coupés, d'autres les yeux crevés, d'autres les mains coupées, d'autres les dents arrachées ou les ongles enlevés ou les côtes brisées. [110] Thomas, évêque de Maraš18, avait passé 22 ans en prison, à cause des Ariens, qui, vu l'ardeur avec laquelle il s'opposait, l'avaient accablé de tortures, sans aucune pitié. [111] Dès qu'ils s'aperçurent qu'ils étaient protégés par les rois, ils se mirent à lui couper chaque année un membre : il était donc privé d'oreilles, de nez, de lèvres, de mains, de pieds et de dents, tel un bois noirci brûlé par le feu, à cause de sa vie austère et mortifiée. Et l'on avait fait pour lui beaucoup de commémorations, car les fidèles le croyaient déjà mort".

     

    [112] Dans ce saint concile étaient présents ceux qui avaient ressuscité des morts et accompli des signes prodigieux : tel Saint Jacques, métropolite de Nisibe, qui avait ressuscité un mort, pendant le concile en la présence du roi victorieux Constantin. [113] Quand ils étaient assis, on en comptait 319 ; mais les chaises vides étaient au nombre de 318. Personne ne doutait que le Christ, Notre Seigneur, (qu'à son souvenir on se prosterne !) était présent parmi eux, selon sa promesse (sa parole est authentique !). [114] Tous avaient supporté, par amour du Christ, toutes sortes de tortures ; et personne parmi les 318 n'était sans cicatrice, à l'exception de onze pères. Que les prières de tous ceux-là gardent tous les croyants. Amen !

     

    [115] Parmi les récits les plus éclatants, qui fortifient notre certitude et raffermissent notre espérance et encouragent notre patience dans l'amour du Christ, Notre Seigneur, on lit l'histoire de Mār Simon, fils de Şabbā'i, catholicos et patriarche de l'Orient (que ses prières nous accompagnent !), qui fut martyrisé, avec 103 personnes, dont des métropolites et des évêques, et avec un grand nombre de fidèles, de moines, de prêtres, de diacres et de laïques. [116] Ils furent les premiers martyrs d'Orient, au temps de Sapor, roi de Perse, l'an 655 d'Alexandre, dans la région d'Ahwāz, à Karh Lidān. [117] Après bien des vicissitudes, lui et ses compagnons furent arrêtés par le roi, qui ordonna de démolir les églises de Madā'in et Asfanir, car ils avaient refusé d'embrasser sa religion.

    [118] Ce père rassembla ses fidèles et les encouragea, en disant : [119] "Considérez, mes enfants, les prophètes tués et les apôtres lapidés. Vous devez savoir que Dieu (qu'il soit vénéré et exalté !) n'est pas faible et que le Christ n'est pas méprisable ; au contraire il veut montrer sa puissance dans les faibles qui supportent les tortures pour son amour. Il est votre secours, si vous levez vers lui vos coeurs, et il renforce notre faiblesse et nous rend courageux dans le combat. [120] Vous devez être certains, dans vos âmes, que cette épreuve finira, et elle sera suivie de joie et de paix ; [121] et que les églises qu'on a détruites seront rebâties avec gloire et seront décorées de bonnes actions. Même si on a démoli nos églises, nous ne devons pas nous attrister : car nous avons un édifice au ciel, non fait avec des mains des hommes. Il ne se trouve pas à Madā'in, à Asfanir et à Kūhio mais dans la Jérusalem d'en-haut, qui est au ciel. [122] Voilà que je vais au palais du roi, et je ne sais pas ce qui va arriver ensuite. [123] Tenez-vous prêts, revêtus de la cuirasse de la foi et du martyre, afin que vous ne soyez pas transpercés par les flèches de l'ennemi, lorsqu'il se range en ba taille devant vous. [124] Je vous dis ceci, en vous mettant en garde, tel un père qui met en garde ses fils : gardez les commandements de Notre Seigneur, afin qu'il vous garde. Aimez celui qui vous a honorés et a donné sa vie pour nous faire vivre par sa mort. Conservez la vraie foi, dans la proclamation de l'unicité de la substance éternelle du Créateur et la trinité des hypostases des attributs éternels, le Père, le Fils et l'Esprit Saint. [125] Supportez pour cette foi les souffrances nombreuses et tout genre de mort pénible et violente. [126] Souvenez-vous de la parole de l'apôtre inspiré Paul : "La parole est véridique et digne de foi : Si nous mourons dans l'obéissance à Christ, nous avons confiance que nous vivrons avec lui ; et si nous souffrons pour lui, avec lui nous régnerons19. [127] Je vous ai confié mes volontés, car je sais que vous ne verrez plus mon visage une autre fois, car je veux me sacrifier pour la foi, et pour le peuple de Dieu. [128] À cela me pousse la miséricorde de Notre Seigneur, le Christ : qu'il soit avec moi, et avec tous, pour les siècles des siècles. Amen".

    [129] À ces paroles, ils se mirent à pleurer abondamment, à cause de la séparation du pasteur vigilant, et du départ de l'administrateur attentif, du départ du chef distingué et parfait, et de l'éloignement du maître sage et du Père clément et compatissant [130] Ce qui les avait le plus poussé aux larmes, c'était lorsqu'il avait dit : "Vous ne me verrez plus une autre fois".

    [131] Ensuite Mar Simon se mit à les consoler et à les soulager et à les embrasser. Il pria pour eux et les bénit. [132] Après sa prière, il partit pour Ahwāz, où il fut couronné du diadème du vrai martyre, avec ses compagnons, le vendredi de la passion du Christ, Notre Seigneur, le Messie (que son souvenir soit exalté !). [133] Il avait été précédé dans le martyre par Kuštāzād, chambellan du roi, qui avait été tué le jour précédent. [134] Saint Simon les encourageait, en disant : "Foulez, mes bien-aimés, l'aiguillon de la mort, qui a été brisé par le Christ, Notre Seigneur", 135 Ensuite il dit : "Où est, ô mort, ton aiguillon, et où est, ô shéol, ta victoire ?"20. [136] Saint Simon fils de Şabbāʻi fut le dernier à subir le martyre.

    [137] Que ses prières, et les prières de tous les martyrs gardent tous ceux qui croient au Christ, Amen !

     

    Épreuves récentes

     

    [138] Considérons la récompense de ceux qui ont travaillé une seule heure dans la vigne spirituelle, et ont obtenu le même salaire et la même récompense que les premiers [ouvriers] qui ont supporté le poids du jour et sa chaleur, à l'époque actuelle dans la ville de Mossoul, proche et non lointaine. [139] L'or de leur foi fut vérifié et fut extrait pur de la gangue de la fraude. Ce sont les trois fils d'Israël21, le chef vertueux et le chrétien parfait, et c'étaient eux mêmes des chefs croyants, des secrétaires renommés et des ministres bien connus auprès des rois et des gouverneurs (que Dieu donne repos à leurs âmes avec les martyrs et les saints !). [140] Ils ont imité les martyrs dans leur attachement à la religion ; ils ont supporté toutes sortes de tourments avec docilité, et ils sont restés attachés à l'amour du Christ, Notre Seigneur, sauveur du monde. [141] On leur arracha les ongles et les dents, on déchira leur chair, et on la leur donna en nourriture, on noircit leur yeux avec un fer brûlant, après leur avoir proposé de nombreuses fois de renoncer à la religion chrétienne, pour échapper à la mort. Mais ils n'ont pas fléchi, et n'ont pas obéi, et leur intention n'a pas cédé. [142] Ils ont livré leurs corps à la mort, ils ont été étranglés et crucifiés, tandis qu'ils étaient à jeûn et que chacun d'eux conservait dans la bouche un morceau de Hanan22 [143] Ils ont gagné la couronne du martyre et l'héritage du royaume des cieux, avec l'ensemble des martyrs. [144] Leurs corps furent enterrés avec honneur dans la sainte église, ainsi qu'il convient pour ceux qui ont préféré l'amour du Christ à leur propre vie.

    [145] Qu'à eux soit la béatitude et à leurs âmes le bonheur avec les martyrs et les saints.

    Que Dieu nous fasse profiter de leurs prières, Amen !

     

    [146] Que le Christ, Notre Seigneur et notre Dieu, qui a dit dans son Évangile vivant : "Je suis la voie, la vérité et la vie"23, vous donne une vie longue et respectée, excellents frères et honorables chefs et vénérables anciens, vrais fidèles orthodoxes victorieux, membres respectables du corps ecclésial ; [147] qu'il renforce la pureté de vos intelligences par sa puissance invincible ; qu'il vous unisse par son amour limpide et vrai, afin qu'aucun obstacle ne vous inquiète, ni qu'aucune tristesse ne vous affaiblisse, ni qu'aucune richesse ou qu'aucun pouvoir ne vous trompent.

    [148] Qu'il vous sauve, vous tous, de toutes les difficultés temporelles et de tous les obstacles, et vous donne force et puissance, lui qui est le chef de votre vie impérissable, afin que vous puissiez vaincre le malin et toutes ses ruses. [149] Qu'il vous prépare un temps porteur de joie en sa présence glorieuse ; que sa droite puissante vous dirige et que sa providence garde vos maisons, et que sa bénédiction descende abondante sur vous, et vous donne grâce aux yeux des rois et des humbles, et qu'il augmente votre nombre, et qu'il vous donne mille fois plus. [150] Et que la grâce de Dieu soit avec vous et vous garde, vous, vos fils et vos filles, de tout mal, caché et visible, par les prières de la Sainte Vierge, mère de la lumière et de la vie, et de tous les saints. Amen.

     

     Notes

    1Mt 28.20 et Jn 14.18

    2Citation non identifiée, supposée être tirée d'un écrit soit de Théodore de Mopsueste, soit de Nestorius, auteurs l'un et l'autre, selon les syriens orientaux, d'une anaphore liturgique, auxquelles il faut ajouter celle d'Addaï et Mari.

    3Mt 26.41

    4Mt 7.13-14

    5Mt 10.16

    6Pour les § 30-33 : Mt 10.17-21 ; Mt 10.22 et Lc 9.25

    7§ 38-40 : Rom 8,35 et Rom 8.38-39

    8Már Šallita est un moine, originaire d'Alexandrie, qui après avoir lutté contre les Ariens, alla à Nisibe et à Beit Zabdaï et y fonda un couvent (IVe siècle).

    9Moine persan du VIIe siècle, fameux pour le couvent bâti dans la montagne au nord-est de Alqoš, à environ 2 km du village

    10Catholicos de l'Orient (457-484)

    11Selon la tradition syriaque orientale, Māri, l'un des deux messagers envoyés à Jésus par Abgar, roi d'Édesse, avec Addaï, un des 70 disciples, ont prêché l'Évangile dans leur pays

    12Un dentride du VIIe siècle

    13Moine syriaque oriental, crucifié par Chosroès II, l'an 615

    14§ 62-65 : Ephesien 6.13-18

    15Heb 11.3

    16Job 2.3

    17Le concile de Nicée (325) est nommé, chez les syriens, le concile de 318 Pères.

    18Il y a semble-t-il une confusion de nom entre Salomon de Maras, qui fut présent au Concile de Nicée, et Thomas de Maras, favorable aux monophysites et exilé pour cette raison par Justinien en 518.

    192 Tim 2.11-12

    201 Cor 15.55

    21Ces "néo-martyrs" ne sont pas identifiés.

    22Boisson ou nourriture faite avec la poussière des tombeaux des saints et des martyrs.

    23Jn 16.6


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  • Il existait, Sur la wikipedia anglaise, une "List of translations of the Paschal greeting" qui a récemment été détruite par un administrateur.Il m'a semblé opportun de récupérer, sur un autre site, cette même liste complète (avec quelques problèmes de positionnement des points d'exclamations  pour certaines langues), et ce d'autant plus que l'excellent site du P. Stéphane Bigham "Pascha Polyglotta" a lui aussi disparu de la toile.

    This article lists translations of the Christian Paschal greeting in various languages.

    Indo-European languages

    • Greek: Χριστὸς ἀνέστη! Ἀληθῶς ἀνέστη! (Khristós anésti! Alithós anésti!)
    • Slavic languages
      • Church Slavonic: Хрїсто́съ воскре́се! Вои́стинꙋ воскре́се! (Xristósŭ voskrése! Voístinu voskrése!)
      • Belarusian: Хрыстос уваскрос! Сапраўды ўваскрос! (Chrystos uvaskros! Sapraŭdy ŭvaskros!)
      • Bulgarian: Христос воскресе! Воистину воскресе! (Khristos voskrese! Voistinu voskrese!), as if in Church Slavonic; Христос възкресе! Наистина възкресе! (Khristos vâzkrese! Naistina vâzkrese!) in Modern Bulgarian
      • CroatianKrist uskrsnu! Uistinu uskrsnu!
      • CzechKristus vstal z mrtvých! Vpravdě vstal z mrtvých!
      • Macedonian: Христос воскресе! Навистина воскресе! (Hristos voskrese! Navistina voskrese!), traditional; or Христос воскресна! Навистина воскресна! (Hristos voskresna! Navistina voskresna!)
      • PolishChrystus zmartwychwstał! Prawdziwie zmartwychwstał!
      • Russian: Христос воскрес(-е)! Воистину воскрес(-е)! (Khristos voskres(-е)! Voistinu voskres(-е)!) (the version with -e is in Church Slavonic, one without it is in modern Russian; both are widely used)
      • Rusyn: Хрістос воскрес! Воістину воскрес! (Hristos voskres! Voistynu voskres!)
      • Serbian: Христос васкрсе! Ваистину васкрсе! (Hristos vaskrse! Vaistinu vaskrse!) or Христос воскресе! Ваистину воскресе! (Hristos voskrese! Vaistinu voskrese!)
      • SlovakKristus vstal z mŕtvych! Skutočne vstal (z mŕtvych)! (though the Church Slavonic version is more often used)
      • SloveneKristus je vstal! Zares je vstal!
      • Ukrainian: Христос воскрес! Воістину воскрес! (Khrystos voskres! Voistynu voskres!)
    • Tosk AlbanianKrishti u ngjall! Vërtet u ngjall!
    • Armenian
      • Western Armenian: Քրիստոս յարեա՜ւ ի մեռելոց: Օրհնեա՜լ է Յարութիւնն Քրիստոսի: (Krisdos haryav i merelotz! Orhnyal e Haroutyunen Krisdosi!)
      • eastern dialect, Քրիստոս հարյա՜վ ի մեռելոց: Օրհնյա՜լ է Հարությունը Քրիստոսի: (Khristos haryav i merelotz! Orhnyal e Harouthyoune Khristosi!); literally "Christ is risen! Blessed is the resurrection of Christ!")
    • Germanic languages
      • Anglic languages
        • English: Christ is risen! He is risen indeed! or Christ is risen! Truly, he is risen!
        • ScotsChrist has ryssyn! Hech aye, he his ain sel!
      • DanishKristus er opstanden! Sandelig Han er Opstanden!
      • West FrisianKristus is opstien! Wis is er opstien!
      • GermanChristus ist auferstanden! Er ist wahrhaft auferstanden! or Der Herr ist auferstanden! Er ist wahrhaftig auferstanden!
      • IcelandicKristur er upprisinn! Hann er sannarlega upprisinn!
      • FaroeseKristus er upprisin! Hann er sanniliga upprisin!
      • Low Franconian languages
        • DutchChristus is opgestaan! Hij is waarlijk opgestaan! (Netherlands) or Christus is verrezen! Hij is waarlijk verrezen! (Belgium)
        • AfrikaansChristus het opgestaan! Hy het waarlik opgestaan!
      • Norwegian
        • BokmålKristus er oppstanden! Han er sannelig oppstanden!
        • NynorskKristus er oppstaden! Han er sanneleg oppstaden!
      • SwedishKristus är uppstånden! Han är sannerligen uppstånden!
    • Italic languages
      • LatinChristus resurrexit! Resurrexit vere!
      • Romance languages
        • AromanianHristolu anyie! Di alihea anyie!
        • CatalanCrist ha ressuscitat! Veritablement ha ressuscitat!
        • FrenchLe Christ est ressuscité ! En vérité il est ressuscité ! or Le Christ est ressuscité ! Vraiment il est ressuscité !
        • GalicianCristo resucitou! De verdade resucitou!
        • ItalianCristo è risorto! È veramente risorto!
        • PortugueseCristo ressuscitou! Em verdade ressuscitou! or Cristo ressuscitou! Ressuscitou verdadeiramente!
        • ArpitanLo Crist es ressuscitat! En veritat es ressuscitat!
        • RomanianHristos a înviat! Adevărat a înviat!
        • RomanshCristo es rinaschieu! In varded, el es rinaschieu!
        • SardinianCristu est resuscitadu! Aberu est resuscitadu!
        • SicilianCristu arrivisciutu esti! Pibbiru arrivisciutu esti!
        • Spanish¡Cristo resucitó! ¡En verdad resucitó!
        • WalloonLi Crist a raviké! Il a raviké podbon!
    • Baltic languages
      • LatvianKristus (ir) augšāmcēlies! Patiesi (viņš ir) augšāmcēlies!
      • LithuanianKristus prisikėlė! Tikrai prisikėlė!
    • Celtic languages
    • Indo-Iranian languages
      • Ossetian: Чырысти райгас! Æцæгæй райгас! or бæлвырд райгас! (Ḱyrysti rajgas! Æcægæj rajgas or bælvyrd rajgas!)
      • Persian: مسیح برخاسته است! به راستی برخاسته است!‎ (Masih barkhaste ast! Be rasti barkhaste ast!)
      • Hindi: येसु मसीह ज़िन्दा हो गया है! हाँ यक़ीनन, वोह ज़िन्दा हो गया है! یسوع مسیح زندہ ہو گیا ہے! ہاں یقیناً، وہ زندہ ہو گیا ہے!‎ (Yesu Masīh zindā ho gayā hai! Hā̃ yaqīnan, voh zindā ho gayā hai!)
      • Marathi: Yeshu Khrist uthla ahe! Kharokhar uthla ahe!

    Afro-Asiatic languages

    • Semitic languages
      • Standard Arabic: المسيح قام! حقا قام!‎ (al-Masīḥ qām! Ḥaqqan qām!) or المسيح قام! بالحقيقة قام! (al-Masīḥ qām! Bi-l-ḥaqīqati qām!)
      • Aramaic languages
        • Classical Syriac: ܡܫܝܚܐ ܩܡ! ܫܪܝܪܐܝܬ ܩܡ!‎ (Mshiḥa qām! sharīrāīth qām! or Mshiḥo Qom! Shariroith Qom!)
        • Assyrian Neo-Aramaic: ܡܫܝܚܐ ܩܡܠܗ! ܒܗܩܘܬܐ ܩܡܠܗ!‎ (Mshikha qimlih! bhāqota qimlih!)
        • Turoyo: ܡܫܝܚܐ ܩܝܡ! ܫܪܥܪܐܝܬ ܩܝܡ!‎ (Mshiḥo qāyem! Shariroith qāyem!)
      • East African languages
        • Tigrinya: Christos tensiou! Bahake tensiou!
        • Amharic: Kristos Tenestwal! Bergit Tenestwal!
      • Hebrew: המשיח קם! באמת קם!‎ (Hameshiach qam! Be'emet qam!)
      • MalteseKristu qam! Huwa qam tassew! or Kristu qam mill-mewt! Huwa qam tassew!
    • Egyptian
      • Coptic: ⲠⲓⲬⲣⲓⲥⲧⲟⲥ ⲁϥⲧⲱⲛϥ! Ϧⲉⲛ ⲟⲩⲙⲉⲑⲙⲏⲓ ⲁϥⲧⲱⲛϥ! (Pi'Christos aftonf! Khen oumetmi aftonf!)
    • Judeo-BerberLmasih yahye-d ger lmeytin! Stidet yahye-d ger lmeytin!

    Kartvelian languages

    • Georgian: ქრისტე აღსდგა! ჭეშმარიტად აღსდგა! (Kriste aghsdga! Cheshmaritad aghsdga!)
    • Mingrelian: ქირსექ გეთანდჷ! ღორონთუმე (ემეთო ეთანდჷ)! (Kirsek genthand'! Ghoronthume (emetho gethand')!)

    Northwest Caucasian languages

    • Abkhazian: Kyrsa Dybzaheit! Itzzabyrgny Dybzaheit!

    Dravidian languages

    • Tamil: கிறிஸ்து உயிர்த்தெழுந்தார், மெய்யாகவே அவர் உயிர்த்தெழுந்தார்.
    • Malayalam: ക്രിസ്തു ഉയിര്ത്തെഴുന്നേറ്റു! തീര്ച്ചയായും ഉയിര്ത്തെഴുന്നേറ്റു! (Christu uyirthezhunnettu! Theerchayayum uyirthezhunnettu!)

    Eskimo–Aleut languages

    Mayan languages

    • TzotzilIcha'kuxi Kajvaltik Kristo! Ta melel icha'kuxi!
    • TzeltalCha'kuxaj Kajwaltik Kristo! Ta melel cha'kuxaj!

    Austronesian languages: Malayo-Polynesian

    • BatakTuhan nunga hehe! Tutu do ibana hehe!
    • CarolinianLios a melau sefal! Meipung, a mahan sefal!
    • CebuanoNabanhaw Si Kristo! Nabanhaw gayud!
    • WarayHi Kristo nabanwaw! Matuod nga Hiya nabanhaw!
    • ChamorroLa'la'i i Kristo! Magahet na luma'la' i Kristo!
    • FijianNa Karisito tucake tale! Io sa tucake tale!
    • FilipinoNabuhay muli Si Kristo! Nabuhay talaga!
    • HawaiianUa ala hou ʻo Kristo! Ua ala ʻiʻo nō ʻo Ia!
    • IndonesianKristus telah bangkit! Dia benar-benar telah bangkit!
    • KapampanganY Kristû sinûbli yáng mèbié! Sinûbli ya pin mèbié!
    • MalagasyNitsangana tamin'ny maty i Kristy! Nitsangana marina tokoa izy!
    • Cook Islands MāoriKuo toetu’u ‘ae Eiki! ‘Io kuo toetu’u mo’oni!

    Austroasiatic languages: Mon-Khmer

    • Khmer: Preah Christ mean preah choan rous leong vinh! trung mean preah choan rous leong vinh men!

    Vietnamese

    • VietnameseChúa Ki-tô đã sống lại! Ngài đã sống lại thật!

    Thai

    • Thai: พระคริสต์เป็นขึ้นจากความตาย! or พระคริสต์ทรงกลับคืนพระชนม์ชีพ!

    Basque

    • BasqueCristo Berbiztua! Benetan Berbiztua!

    Japanese

    • Japanese: ハリストス復活!実に復活! (Harisutosu fukkatsu! Jitsu ni fukkatsu!)

    Korean

    • Korean: 그리스도 부활하셨네! 참으로 부활하셨네! (Geuriseudo buhwalhasyeonne! Chameuro buhwalhasyeonne!)

    Na-Dené languages

    • Athabaskan languages
      • NavajoChrist daaztsą́ą́dę́ę́ʼ náádiidzáá! Tʼáá aaníí daaztsą́ą́dę́ę́ʼ náádiidzáá!
    • TlingitXristos Kuxwoo-digoot! Xegaa-kux Kuxwoo-digoot!

    Niger–Congo languages

    • LugandaKristo Ajukkide! Kweli Ajukkide!
    • SwahiliKristo Amefufuka! Amefufuka kweli kweli!
    • GikuyuKristo ni muriuku! Ni muriuku nema!

    Quechuan languages

    • QuechuaCristo causarimpunña! Ciertopuni causarimpunña!

    Mongolic languages

    • Classical MongolianЕсүс дахин амилсан, Тэр үнэхээр амилсан! (Yesus dahin amilsan, ter uneheer amilsan)

    Turkic languages

    • TurkishMesih dirildi! Hakikaten dirildi!
    • Uyghur‫ئەيسا تىرىلدى! ھەقىقەتىنلا تىرىلدى!‬‎ (Əysa tirildi! Ⱨəⱪiⱪətinla tirildi!)
    • AzerbaijaniMəsih dirildi! Həqiqətən dirildi!
    • Chuvash: Христос чĕрĕлнĕ! Чăн чĕрĕлнĕ! (Hristos čĕrĕlnĕ! Čyn čĕrĕlnĕ!)
    • KhakasХристос тірілді! Сыннаң тірілді! (Hristos tíríldí! Sınnañ tíríldí!)
    • Uzbek: Масих тирилди! Хақиқатдан тирилди! (Masih tirildi! Haqiqatdan tirildi!)

    Sino-Tibetan languages

    • Chinese: 基督復活了!他確實復活了! (Jīdū fùhuó-le! Tā quèshí fùhuó-le!) or 耶穌復活了,真的他復活了! (Yēsū fùhuó-le, Zhēnde tā fùhuó-le!)

    Uralic languages

    • EstonianKristus on üles tõusnud! Tõesti on üles tõusnud!
    • FinnishKristus nousi kuolleista! Totisesti nousi!
    • HungarianKrisztus feltámadt! Valóban feltámadt!
    • KarelianHristos nouzi kuollielois! Tovessah nouzi!

    Constructed languages


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  • Saint Euloge, prêtre et martyr à Cordoue, le 11 mars 859.

    Extrait du "Mémorial des saints" de Saint Euloge

    Traduction française dans

    "LES MARTYRS"

    Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu'au XXe siècle ; traduites et publiées par le R. P. Dom H. LECLERCQ, Moine bénédictin de Saint Michel de Farnborough

    "Tome V, le Moyen-Age", 1906

     SURIUS, Vitae sanct., 11 mars (1618), t. II, p. 100; — TAMAJO DE SALAZAR, Martyrol. hisp., t. II, 11 mars ; — BOLL., Acta sanct., mars, t. I, p. 90-97 ; — EULOGE OPERA, fol., Compluti, 1574;—A. SCHOTT, Hisp. illustr., t. IV, p. 223; — LORENZANA, Patres toletani (1785), t. II, p. 394-408 ; — FLOREZ, España sagr., t. X; Patr. lat., t. CXV, p.705-720; —AGUIBRE, Conc.Hispan. (1754), t. IV, p.141-144 ; — ANTONIO, Bibl. hisp. vet. (1788), t. I, p. 463-467;— BAHR. Gesch. rom. litt. (1840), t. III. 231-233 ;— W. W. v. BAUDISSIN,Eulogius und Alvar, in 8, Leipzig, 1872: — BOLL. , Bibl. hag. lat. (1899), p. 406;— BOURRET, Schola Cordubae christiana (1855), p. 35-58; — R. DOZY, Hist. des musulm. d'Espagne (1811), t. II, p. 1-162 ; — EBERT, Gesch. Liter. Mitelalt. (1880), t. II, p.300-305; — FABRICIUS, Bibl. med. et infim. (1734), t. II, p. 382-385 ; — GAMS, Kirchenges. Spaniens. (1874), t. II, p. 299-338 ; — SANCHEZ DE FERIA, Santos Cordoba (1772), t. I, p. 80-158.

     

    ( Euloge, le principal ornement de l'Eglise d'Espagne au IXe siècle, appartenait à une des premières familles de Cordoue, alors capitale du royaume des Maures. Euloge entra, dès sa jeunesse, dans la communauté des prêtres de saint Zoïle, où il apprit les sciences avec la piété, et devint très habile, surtout dans la connaissance de l'Ecriture sainte. Il alla ensuite se mettre sous la direction d'un pieux et savant abbé nommé Espère-en-Dieu, qui gouvernait le monastère de Cute-Clar. Puis il enseigna les lettres dans Cordoue et fut élevé au sacerdoce. Il menait une vie sainte et mortifiée, tout en demeurant dans le monde. En 850, les Maures ayant persécuté les chrétiens, notre saint fut jeté en prison. Il fut bientôt remis en liberté, et, l'archevêque de Tolède étant mort, le peuple et le clergé de cette ville choisirent Euloge pour lui succéder. Mais il plut à Notre-Seigneur de le couronner avant qu'il fût sacré. Il y avait à Cordoue une vierge chrétienne nommé Léocritie, convertie fort jeune de l'infidélité de Mahomet à la foi de Jésus-Christ, par le moyen d'une de ses parentes. Elle se voyait extrêmement maltraitée par ses parents, qui voulaient la contraindre à apostasier. Elle se réfugia chez saint Euloge, qui la donna à garder à sa soeur Annulon, puis la fit mettre en sûreté chez un ami. Les parents de Léocritie obtinrent du magistrat le pouvoir d'informer sur cet enlèvement et de saisir tous ceux qui leur seraient suspects. Beaucoup de personnes furent ainsi arrêtées. )

    Cependant la vierge Léocritie désirait vivement revoir la soeur d'Euloge qu'elle aimait beaucoup. Elle se rendit pendant la nuit à sa demeure, espérant satisfaire le besoin de consolation qu'elle éprouvait. Elle se proposait de passer la journée auprès de sa compagne et puis de regagner sa retraite la nuit suivante. Elle raconta à Euloge et à sa soeur Annulon que deux fois, pendant qu'elle priait, elle avait senti sa bouche remplie d'une liqueur ressemblant à du miel, que, n'osant pas la cracher, elle l'avait avalée, et avait été ravie de la délicieuse saveur qu'elle y avait trouvée. Le saint lui dit que c'était là un présage e la douceur du royaume céleste, dont elle jouirait bientôt.

    La vierge se disposait à retourner, le lendemain, en sa cachette, mais il arriva que celui qui devait la conduire ne vint point à l'heure fixée pendant la nuit, mais seulement au point du jour. Il n'y avait plus alors moyen de sortir, car Léocritie ne voyageait que dans les ténèbres pour éviter les embûches des persécuteurs. Elle résolut donc de passer tout le jour en la demeure d'Euloge et de se mettre en route quand le soleil aurait disparu à l'horizon, lorsque la nuit aurait rétabli le calme et la solitude dans les rues de la ville. Cette décision, qui paraissait prise par la prudence humaine, était en même temps effet de la volonté divine : afin que la vierge et Euloge reçussent ensemble la couronne du martyre.

    Ce jour-là même, en effet, par suite de trahison, d'embûches ou peut-être simplement par instinct, je ne sais, on vint révéler au juge le lieu où se trouvait cachée Léocritie, et soudain la maison fut envahie par les soldats envoyés à la hâte pour y perquisitionner. Le bienheureux se trouvait heureusement chez lui en ce moment. Les satellites s'emparèrent de la vierge ; puis, saisissant Euloge, ils l'accablèrent de coups et d'outrages, et enfin traînèrent leurs deux captifs devant le tribunal. Le juge, bien résolu de profiter de cette occasion pour faire mourir dans les supplices le saint prêtre, lui lança des regards furibonds et lui demanda avec colère et menaces pourquoi il avait ainsi recélé chez lui la vierge Léocritie. Euloge, conservant le calme et la patience, se mit en devoir d'exposer la vérité avec l'élocution brillante qui le distinguait : « Président, dit-il, c'est un devoir de notre charge, et il est dans la nature même de notre religion,] d'offrir à ceux qui nous la demandent la lumière de la foi, et de ne pas refuser lès sacrements à ceux qui veulent marcher dans les sentiers qui mènent à la vie. C'est là le devoir des prêtres, c'est là une obligation que nous impose notre religion : l'ordre de Notre-Seigneur Jésus-Christ est formel sur ce point : qui-conque, dans sa soif, désire puiser aux fleuves de la foi, doit trouver deux fois plus de boisson qu'il n'en cherche. Or, cette vierge étant venue nous demander la règle de notre sainte foi, il était nécessaire que nous nous occupassions d'elle en proportion de sa ferveur. Il ne convenait pas de repousser celle qui formulait de si saints désirs ; surtout un tel refus venant de celui qui a été choisi par le Christ pour accomplir ces fonctions auprès des fidèles. J'ai donc, selon mon pouvoir, instruit et éclairé cette vierge ; je lui ai exposé notre foi qui ouvre le chemin du royaume céleste. J'aurais rempli avec grand plaisir le même devoir envers toi, si tu m'en avais prié. »

    Le président, les traits bouleversés par la fureur, ordonna d'apporter les verges et menaça le saint de le faire périr sous les coups. Euloge dit alors : « Que désires-tu faire avec ces verges ? » Le juge : « T'arracher la vie. » Le saint : « Apprête plutôt et aiguise ton glaive, tu délivreras plus facilement par ce moyen mon âme des liens du corps, et tu la rendras à son Créateur ; car avec tes verges tu ne peux pas espérer de couper nies membres. » Puis, d'une voix claire et assurée, le saint se mit à flageller la fausseté du prophète et de sa loi, et à proclamer la vérité de notre religion. Aussitôt on l'entraîna au palais et on le fit comparaître devant les conseillers du roi. En l'apercevant, un des conseillers, qui connaissait intimement le saint, fut touché de compassion et lui cria : « Que des fous et des idiots se soient précipités d'une façon lamentable dans ce gouffre de la mort, passe encore. Mais toi qui brilles par la sagesse, qui es renommé pour ta vie exemplaire, quelle démence a pu éteindre en toi l'amour naturel de la vie et t'entraîner dans cette chute mortelle ? Ecoute-moi, je t'en prie ; ne te précipite pas, tête baissée, dans cet abîme, je t'en supplie ; dis seulement une parole dans ce moment, et ensuite, dès que tu le, pourras, tu retourneras à ta foi. Nous promettons de ne pas t'inquiéter dans la suite. » Le martyr sourit en entendant cette exhortation : « O mon ami, lui répondit-il, si tu pouvais savoir !quels biens sont réservés à ceux qui professent notre religion ! si je pouvais faire passer en ton coeur la foi dont est rempli le mien ! Tu cesserais alors d'essayer de me détourner de mon dessein, et tu ne songerais qu'à te débarrasser de ces honneurs mondains ! » Euloge se mit alors à lui exposer le texte de l'Evangile éternel, et à lui prêcher le royaume du ciel avec liberté Les conseillers, ne voulant pas l'entendre, ordonnèrent de le décapiter séance tenante.

    Pendant qu'on emmenait le saint, un des eunuques du roi lui donna un soufflet. Euloge présenta l'autre joue, en disant : « Je t'en prie, frappe maintenant cette joue, afin qu'elle ne soit pas jalouse de l'honneur de sa compagne. » L'eunuque frappa une seconde fois, et le saint, sans rien perdre de sa patience et de sa douceur, présenta de nouveau la première. Mais les soldats l'arrachèrent et l'entraînèrent vers le lieu du supplice. Arrivé là, Euloge se mit à genoux pour prier, tendit les mains vers le ciel, fit le signe de la croix, et après une courte prière intérieure il tendit le cou au bourreau. Aussitôt un coup rapide lui donna la vie. Euloge consomma son martyre le 5 des ides de mars, un samedi, à l'heure de none. Aussitôt que son cadavre eut été précipité du haut d'un rocher dans le fleuve, une colombe éclatante de blancheur fendit les airs à la vue de tous les spectateurs, et vint en voletant se poser sur la dépouille du martyr. On se mit alors à lui jeter des pierres pour la chasser, mais ce fut en vain. On essaya de l'écarter avec les mains, mais elle alla en sautillant, sans se servir de ses ailes, se percher sur une tour qui dominait le fleuve, et se tint là les yeux tournés vers le corps du bienheureux.

    Il ne faut pas omettre ici de rapporter le miracle que le Christ opéra sur ce corps pour la gloire de son nom. Un habitant d'Artyge, qui accomplissait son service mensuel dans le palais et était chargé de veiller pendant la nuit, voulut se désaltérer et se rendit à l'aqueduc qui amène en ce lieu les eaux du fleuve. En arrivant, il aperçut autour du cadavre du bienheureux Euloge, qui était là gisant, des prêtres dont les vêtements étaient plus blancs que la neige : ils tenaient à la main des lampes brillantes et récitaient gravement des psaumes comme on fait à l'office divin. Effrayé par cette vision, le garde regagna son gîte à toutes jambes. Il raconta ce qu'il venait de voir à son compagnon et retourna avec lui en ce même endroit ; mais tout avait disparu. Le lendemain de l'exécution, les chrétiens purent racheter la tête du martyr ; son corps fut recueilli trois jours après, et on l'ensevelit dans l'église du bienheureux Zoïle, martyr lui aussi.

    Les juges essayèrent de gagner la bienheureuse Léocritie par toutes sortes de caresses et de promesses ; mais elle se maintint fermement dans la foi et fut décapitée quatre jours après le bienheureux Euloge. On jeta sa dépouille dans le fleuve, mais les eaux ne purent ni la submerger ni la dérober ; et, au grand étonnement de tout le monde, son corps suivit lentement le courant du fleuve. Les chrétiens purent ainsi l'attirer sur la rive et l'ensevelirent dans la basilique du martyr saint Genès, élevée au lieu dit Tercios.

    Telle fut la fin du bienheureux docteur Euloge ; telle fut sa mort admirable ; ainsi passa-t-il de ce monde en l'autre, chargé de bonnes oeuvres et de mérites.


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  • Sainte Pomposa, religieuse, martyre à Cordoue, le 19 septembre 853.

     Extrait du "Mémorial des saints" de Saint Euloge

    Traduction française dans

    "LES MARTYRS"

    Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu'au XXe siècle ; traduites et publiées par le R. P. Dom H. LECLERCQ, Moine bénédictin de Saint Michel de Farnborough

    "Tome V, le Moyen-Age", 1906

     BOLL., Acta sanct.,19 sept., t. VI, p. 92-95.

     

    Tandis que la nouvelle du martyre de sainte Colombe parvenait aux oreilles de tous les fidèles et se répandait non seulement dans toute la ville, mais encore dans ses environs, une vierge vénérable, nommée Pomposa, sortit du monastère de Saint-Sauveur, bâti au pied du mont Pinno Mellario, dans lequel elle s'était enfermée avec ses parents, ses frères et ses amis pour servir le Christ, et vint s'offrir elle aussi au martyre. — C'est de ce monastère qu'était également sorti le bienheureux prêtre Fandilla, martyrisé un peu auparavant. Cette vierge bienheureuse, qui habitait Cordoue, était parvenue à décider toute sa famille à abandonner les biens périssables de ce monde pour faire voeu de chasteté et travailler à l'acquisition des biens éternels.

    Les parents vendirent donc leur patrimoine et firent bâtir ce monastère, qu'on appela Pinno Mellario à cause des nombreux gâteaux de miel qu'y fabriquent les abeilles, cela de toute antiquité et aujourd'hui encore. Ils se livrèrent en ce lieu aux exercices de la vie monastique, et la vierge Pomposa surpassa tous ses compagnons par l'éclat de sa sainteté. Ainsi, celle qui par l'âge tenait le dernier rang s'éleva jusqu'au premier par son innocente simplicité. Elle était tellement absorbée dans la méditation des saintes Ecritures, qu'elle n'en était distraite ni le jour ni la nuit ; et il fallut les tempêtes menaçantes de la persécution pour la détourner de cette occupation. Quand quelque mal la menaçait, on la voyait s'y résigner docilement avec la prodigieuse humilité qui la distinguait. Elle s'adonnait aux veilles, se soumettait à des peines rigoureuses, faisait de longues prières, pour obtenir de Dieu la grâce de garder inviolablement les voeux qu'elle avait faits.

    Nous avons appris de son abbé, le moine et serviteur du Christ, Félix, quantité de traits relatifs à sa vie sainte, mais nous n'en rapporterons rien, de crainte de fatiguer le lecteur. Nous nous empressons d'arriver immédiatement à l'action héroïque qui sans aucun doute lui ouvrit les portes du ciel. Comme elle aspirait à la plus haute sainteté et servait Dieu avec la plus rigoureuse fidélité, dès qu'elle apprit le martyre de la bienheureuse Colombe, elle fut prise aussitôt d'un ardent désir de conquérir une semblable couronne ; cette nouvelle la ravit de joie, et elle se mit à chercher secrètement le moyen d'aller se présenter au tribunal du juge. Admirons ici la puissance de la vocation du Seigneur, dont la providence sait disposer les événements de façon qu'aucun de ceux qui sont prédestinés à la gloire du martyre ne soit privé de sa couronne; de façon qu'aucun de ceux dont la place est marquée dans l'assemblée des saints ne puisse être retenu dans les filets des hommes. On rapporte, en effet, que longtemps auparavant cette même vierge avait eu le désir de voler au martyre, mais qu'elle en fut empêchée par les dispositions habiles des siens, qui la soumirent à une rigoureuse surveillance tant que dura la violence de la persécution.

    Mais à quoi peut servir la surveillance des hommes, puisque, selon l'Ecriture, « si le Seigneur ne fait lui-même la garde, c'est en vain que surveillent ceux qui pensent pouvoir, par eux-mêmes, garder quelque chose » ? En effet, une nuit que les frères allaient se coucher, après les vigiles de la nuit, l'un d'eux, par un dessein de la Providence, eut l'inspiration de prendre la clef et d'ouvrir la porte du monastère, ce qui ne se faisait jamais, et se contenta de la tenir attachée par un petit clou. La bienheureuse Pomposa se rendit la nuit même à cette porte, l'ouvrit et chemina dans les ténèbres, guidée par une lumière céleste ; elle parcourut pendant la nuit l'espace désert qui séparait le monastère de la ville de Cordoue, et y entra au point du jour.

    Son premier soin fut d'aller se présenter devant le tribunal du juge; elle fit devant lui une profession explicite de foi chrétienne et insulta l'impudique prophète. Le juge la condamna sur-le-champ à périr par le glaive, et elle fut exécutée devant les portes du palais le 13 des calendes d'octobre, l'ère 891. On précipita son cadavre dans le fleuve; mais des bateliers, payés par les fidèles, parvinrent à le repêcher et le déposèrent au fond d'une fosse qu'ils remplirent de sable.

    Environ une vingtaine de jours après, quelques moines, avec l'aide du Christ, réussirent à le tirer de là, et le transportèrent dans le monastère de la vierge Eulalie, où il fut solennellement enseveli, par les soins des prêtres et des religieux, aux pieds de sainte Colombe. En cela encore nous voyons un effet de la Providence divine : car celles qui, durant leur vie, s'aimèrent d'une si ardente charité, eurent le bonheur de reposer après leur mort dans un même sépulcre. Gloire soit donc au Christ qui règne dans les siècles des siècles ! Amen.

     

     

     


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  • Les saintes Nunilo et Alodie, vierges, martyres à Huesca en Arragon. Le 22 octobre 851.

     Extrait du "Mémorial des saints" de Saint Euloge

     Traduction française dans

    "LES MARTYRS"

    Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu'au XXe siècle ; traduites et publiées par le R. P. Dom H. LECLERCQ, Moine bénédictin de Saint Michel de Farnborough

    "Tome V, le Moyen-Age", 1906

    BOLL. Acta sanctor., 22 octob. t. IX, p. 642-647 ; Patr. lat., t. CXV, col. 774.

      

    Nous avons appris d'un homme saint et vénérable, Vénérius, évêque d'Alcala, que dans la ville d'Osca, dans le château de Barbitan, vivaient deux soeurs, Nunilo et Alodie, nées d'un père païen et dune mère chrétienne. Après la mort de leur père, leur mère s'étant remariée à un païen, les jeunes filles eurent la douleur de se voir dans l'impossibilité d'embrasser la foi chrétienne, à cause de la défense expresse de leur beau-père. Elles quittèrent alors leur mère et allèrent demeurer chez leur grand'mère.

    Aussitôt, malgré leur jeune âge, elles s'adonnèrent avec la plus rigoureuse fidélité au service du Christ; elles répudièrent la religion de leur père, purifièrent leurs âmes et les maintinrent inviolablement dans la sainteté que possède seule la religion chrétienne. Comme elles étaient distinguées autant par leur noblesse que par leurs dignités, la ville entière ne tarda pas à être informée de leur résolution, que trahissait visiblement, du reste, le genre de vie tout nouveau qu'elles menaient. Elles n'avaient encore atteint que la fleur de leur âge, et déjà la province entière était remplie de la renommée de leur sainte vie. Tout le monde s'étonnait de voir deux roses si charmantes issues d'un buisson d'épines. L'antique et jaloux ennemi, déplorant la perte de ces deux membres qui lui appartenaient autrefois, crut pouvoir détourner de leurs saintes résolutions, par les menaces des juges, ces deux épouses qu'il voyait prédestinées à entrer dans la chambre nuptiale du Christ; mais il ne réussit qu'à hâter pour les saintes vierges, par une mort dolente, les récompenses qui leur étaient réservées.

    Satan poussa donc ses satellites à porter une accusation contre ces deux jeunes filles qui furent conduites au tribunal du préfet de la ville. Celui-ci les fit comparaître aussitôt en sa présence, et commença par leur promettre de vaines récompenses, des richesses abondantes, des mariages avantageux, si elles consentaient à répudier la religion chrétienne pour retourner au culte de leurs ères ; puis il ajouta que si elles méprisaient avec entêtement son conseil, elles seraient soumises à toutes sortes de tortures et enfin périraient par le glaive.

    Les bienheureuses vierges, soutenues par le Saint-Esprit, demeurèrent fermes et intrépides dans la confession de leur foi et répondirent : « Comment, juge, peux-tu nous ordonner de délaisser la religion du vrai Dieu, quand cette religion, illuminant nos esprits, nous a fait voir qu'aucune richesse ne vaut le Christ, qu'aucun bonheur n'est comparable à celui que procure la foi chrétienne, qui fait vivre saintement les justes et donne aux saints le moyen de triompher des puissances de ce monde ? ce Christ sans lequel il n'y a point de vie véritable, en dehors duquel règne une mort éternelle ! Demeurer en ce Christ, vivre en ce Christ, c'est la véritable consolation; s'éloigner de lui, c'est la perdition. Non, jamais nous ne nous séparerons ici-bas de sa compagnie ; car nous lui avons confié notre chasteté, et nous espérons être admises un jour dans sa couche nuptiale. L'oeil fixé sur ce bien-aimé, nous méprisons tous les biens périssables par lesquels tu penses nous allécher ; car nous savons que tout ce qu'éclaire ce soleil est vain et éphémère. Pour ce qui est des châtiments dont tu nous menaces, ils ne nous causent aucun trouble, car nous savons qu'ils ne durent pas. Rien plus, cette mort que tu dresses devant nous comme un épouvantail suprême, nous la souhaitons d'autant plus amoureusement que nous croyons fermement devoir, grâce à elle, monter immédiatement au ciel, nous envoler vers le Christ, nous délecter enfin dans ses chastes embrassements. » — Voyant leur attachement à la foi et leur courage à la professer, le juge les confia à des femmes habiles dans l'exercice du culte païen, et leur ordonna de les instruire séparément, de chercher les moyens de leur imprimer de la crainte, recommandant par-dessus tout de ne leur point permettre de s'entretenir soit entre elles, soit avec d'autres chrétiens. Ces femmes emmenèrent les vierges du Christ et se mirent à leur exposer chaque jour le dogme vénéneux de leur culte sacrilège ; mais c'est en vain qu'elles tentèrent par tous les moyens imaginables de faire boire à leur coupe infecte celles que le Christ avait rassasiées de sa manne céleste.

     

    Les femmes païennes ayant rapporté au juge qu'elles ne pouvaient triompher de l'entêtement des deux jeunes filles, celui-ci attendit encore plusieurs jours, puis, les ayant fait amener sur le forum, il les livra en spectacle à la dérision de la plèbe ; enfin, comme elles persistaient à confesser le Christ et à détester l'ennemi de sa foi, il les fit décapiter le 11 des calendes de novembre (21 oct.) de l'ère susmentionnée. Les corps des deux martyres furent laissés sur le lieu de l'exécution, et des soldats firent bonne garde pour empêcher que les chrétiens ne vinssent les enlever pour les ensevelir. On rapporte que ces reliques virginales, précipitées dans des trous par les païens, opèrent de nombreux miracles et montrent tant aux fidèles qu'aux païens quelle insigne consolation leur a procurée au sein de la gloire leur vie vertueuse sur la terre, par les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vit avec le Père et le Saint-Esprit, Dieu unique, dans les siècles des siècles. Amen


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  • S. Parfait, prêtre et martyr, à Cordoue. Le 18 avril 850.

     

    BOLL., Acta sanct., 18 avril, t. II, p. 585-586. SURIUS, Vitae sanctor., 18 avril; Histoire de s. Parfait et des autres martyrs de Cordoue, in-12, Paris, 1862.

     

    Traduction française dans

    "LES MARTYRS"

    Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu'au XXe siècle ; traduites et publiées par le R. P. Dom H. LECLERCQ, Moine bénédictin de Saint Michel de Farnborough

    "Tome V, le Moyen-Age", 1906

     

     

    Au nom de Notre-Seigneur.

    L'an de l'Incarnation 850, l'ère 888, la 29e année du consulat d'Abdarrahaman, se consomma le martyre que nous allons rapporter. Sous le gouvernement de ce kalife, la puissance arabe s'accrut considérablement en Espagne et s'étendit à la presqu'île ibérique quasi tout entière. La ville de Cordoue, appelée autrefois Patritia, choisie par Abdarrahaman comme résidence, devint capitale ; le kalife la porta au faîte de sa prospérité ; il la combla d'honneurs et de privilèges, l'entoura d'une auréole de gloire et de célébrité, amoncela les richesses dans son sein, enfin y multiplia au delà de ce qu'on peut imaginer les délices matérielles de tous genres ; aussi dépassa-t-il en pompe et en magnificence tous les rois de sa race qui l'avaient précédé.

     

    Tandis que l'Eglise des orthodoxes, gémissant sous le joug écrasant de ce kalife, était battue, torturée et réduite à l'extrémité, vivait un prêtre de vénérable mémoire, nommé Parfait. Il était né à Cordoue, avait étudié sous les maîtres de la basilique de Saint-Aciscle ; il possédait à fond toutes les lois ecclésiastiques, brillait même dans la littérature, et connaissait quelque peu la langue arabe. Presque toute sa jeunesse s'était écoulée dans ce monastère de Saint-Aciscle.

     

    Un jour qu'il s'était mis en route pour une affaire de famille, et que ses intérêts domestiques l'appelaient à Cordoue, il fut interrogé sur la foi catholique par quelques païens qui le mirent en demeure de se prononcer publiquement sur le Christ et sur le prophète Mahomet. Parfait professa la puissance et la divinité du Christ, qu'il proclamait Dieu béni par-dessus tout clans les siècles des siècles. « Je ne crains pas, ajouta-t-il, de vous déclarer ce qu'on pense de votre prophète parmi les chrétiens, car il m'importe peu de vous blesser grièvement par mes paroles. Mais si vous voulez me promettre amicalement de ne point vous irriter contre moi, je vous révélerai quel jugement notre Evangile porte sur votre prophète, et de quelle façon il est honoré des chrétiens. » Les musulmans s'empressèrent de le lui promettre et l'engagèrent à exposer sans aucune crainte tout ce que ses coreligionnaires pensaient de Mahomet. Le savant prêtre leur démontra alors en arabe que d'après l'Evangile Mahomet était un faux prophète, un menteur qui avait séduit un grand nombre d'hommes.

     

    On y lit, en effet : « Beaucoup de faux prophètes viendront en mon nom ; ils séduiront une foule d'hommes ; ils feront en même temps de tels miracles et de tels prodiges, qu'ils parviendraient à entraîner dans l'erreur les élus eux-mêmes, si cela était possible. » Il faut mettre au nombre de ces hommes votre prophète, séduit par les prestiges de l'antique ennemi, adonné aux maléfices ; il a corrompu par un venin mortel les coeurs d'une multitude innombrable et les a précipités dans les filets de l'éternelle perdition. C'est ainsi que, n'ayant par lui-même aucune science spirituelle, il ne fait que livrer la foi de ses croyants à son prince Satan, en compagnie duquel il aura à endurer les plus horribles tourments dans l'enfer, et vous tous à sa suite tomberez, pour n'en plus sortir, dans les flammes éternelles. Comment donc pourrait-on mettre au nombre des prophètes, comment même pourrait échapper à la malédiction divine celui qui, cédant à une aveugle passion, ravit à son maître Zaïd son épouse Zeinab et se l'unit par un mariage adultère, allant même jusqu'à affirmer qu'il a agi ainsi par l'ordre d'un ange?» Parfait parla longuement des impuretés, des actions honteuses que prescrit la loi de Mahomet, puis il dit en terminant: « Ainsi donc votre prophète, adonné lui-même à l'impureté et esclave de ses mauvaises passions, vous a tous plongés à jamais dans la fange de la luxure. » Il ajouta encore beaucoup d'autres remarques sur l'infâme doctrine de Mahomet qu'il connaissait à fond, toutes plus ou moins désagréables pour ses sectateurs. Toutefois les musulmans n'osèrent point alors sévir contre lui, mais jurèrent de faire mourir le saint.

     

    Parfait termina les affaires qui l'avaient amené à Cordoue, puis il regagna sa cellule, où il vécut en paix durant quelque temps. Peu après, ayant dû se rendre une seconde fois à Cordoue, il se rencontra avec les païens qui l'avaient interpellé la première fois. Dès que ces furieux l'aperçurent, leur rage longtemps comprimée éclata, et ils s'excitèrent mutuellement à la vengeance par ces paroles: « Voilà cet homme qui naguère, poussé par une audacieuse folie, a proféré contre notre prophète (que Dieu l'appelle et le sauve !) tant d'injures et de malédictions, que vos oreilles en étaient assourdies. » (Toutes les fois que les musulmans prononcent le nom de leur prophète, ils s'empressent d'ajouter : « Zala, Allah, Halla, Anabi, V. A. Zallen », ce qui signifie en latin : Psallat Deus super prophetam, et salvet eum.) Aussitôt toute la cohorte d'hommes perdus, semblables à des guêpes en furie, se jeta sur Parfait, le garrotta en un tour de main, et l'entraîna vers le juge avec tant de rapidité que ses pieds effleuraient à peine la terre. Voici l'accusation qu'ils déposèrent contre lui : « Juge, nous avons entraîné cet homme vers ton tribunal parce que nous l'avons entendu maudire notre Prophète et insulter notre religion. Ta prudence sait mieux que nous quelle sentence il est à propos de porter contre lui pour réprimer son audace et calmer sa furie. »

     

    Le juge mit immédiatement aux ceps le futur martyr ; il le fit charger d'un poids écrasant de fers, . se réservant de l'immoler le jour où ses coreligionnaires célébreraient par des rites profanes les réjouissances de la pâque. Le soldat du Christ demeura vainqueur en cette première rencontre : il se rendit tout débordant de joie au fond de son cachot, entra avec allégresse dans ce réceptacle de voleurs, comme s'il entrait dans une salle de festin. Là, tout rempli de la crainte révérentielle de Dieu, il s'adonna aux veilles, aux oraisons, aux jeûnes, et s'affermit, par la grâce du Saint-Esprit, dans la résolution de confesser courageusement sa foi. Longtemps avant qu'on le tirât de prison pour l'exécuter sur la place publique, il fit, dit-on, cette prophétie au sujet d'un eunuque nommé Nazar, qui remplissait les fonctions de proconsul claviculaire et dont le pouvoir s'étendait à l'Espagne tout entière : « Cet homme dont la puissance s'étend fastueusement au-dessus de tous les princes d'Ibérie, et que le pouvoir élève jusqu'aux nues, cet homme ne verra pas la joie pascale de l'année qui suivra mon martyre. »

     

    Après quelques mois d'emprisonnement, quand furent terminés les trente jours de jeûne durant lesquels les musulmans se plongent plus que de coutume dans la crapule et la luxure, Parfait vit enfin luire le jour le plus glorieux pour lui, celui que les musulmans vénèrent entre tous et consacrent tout entier à la joie. Pensant faire grand honneur à leur dieu, ils tirèrent de prison et immolèrent le bienheureux, qui voulut une dernière fois confesser la divinité du Christ et dire anathème à l'ennemi de l'Église catholique : « J'ai maudit votre prophète, s'écria-t-il, et je le maudis encore ; je l'ai dit, et je le répète, c'est un démoniaque, un magicien, un adultère et un menteur. Tous les rites profanes de votre culte ne sont que des inventions du diable. Je le déclare hautement, vous irez tous endurer des tourments éternels avec votre chef. » La foule des gentils qui s'était répandue dans la plaine de l'autre côté du fleuve pour prier en cette grande solennité s'empressa de revenir pour jouir de la mort du martyr. Apercevant le prêtre gisant déjà devant les portes du prétoire et baigné dans son sang, les païens se firent un bonheur de se tremper les pieds dans ce sang, et retournèrent terminer leurs cérémonies sacrilèges, assurés d'obtenir plus facilement les biens qu'ils sollicitaient dans leurs prières, ayant ainsi les pieds teints du sang d'un ennemi si redoutable.

     

    Mais ne nous écartons pas de notre sujet, et voyons ce que la divine bonté, au témoignage d'un grand nombre de témoins fidèles, opéra ce jour-là même pour la louange du martyr. Tirant une prompte vengeance du meurtre de son vaillant soldat, le Christ précipita dans le fleuve quelques-uns de la foule des musulmans. En retournant au lieu où ils avaient commencé leurs prières, les païens montèrent sur des barques et traversèrent rapidement le fleuve ; mais durant le trajet un coup de vent fit chavirer une barque qui contenait huit hommes, qui furent précipités dans le fleuve. Six d'entre eux purent avec peine se sauver à la nage, mais les deux autres furent noyés. Ainsi fut accomplie cette parole de la sainte Écriture : « Moi, le Seigneur, je punirai des impies à cause de ta mort, et des riches à cause de ta sépulture. » La cruauté du persécuteur fit monter une âme au ciel, tandis que la violente tempête du fleuve en précipita deux en enfer. Le corps du saint martyr fut enseveli, par les soins de pieux religieux et sous la présidence d'un digne prélat et de plusieurs prêtres, dans la basilique du B. Aciscle, dans le tombeau où reposent encore ses membres bienheureux.

     

    La prophétie que Parfait avait faite dans sa prison concernant l'eunuque claviculaire Nazar s'accomplit à la lettre par la volonté de Dieu; car longtemps avant le retour des joies pascales de l'année suivante il mourut. Ses entrailles, brûlées par une fièvre ardente, ou même empoisonnées selon quelques-uns, lui sortirent du corps, et il expira...


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  • S. Isaac, moine et martyr à Cordoue le 3 juin 851.

     

    Extrait du "Mémorial des saints" de Saint Euloge

    Traduction française dans

    "LES MARTYRS"

    Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu'au XXe siècle ; traduites et publiées par le R. P. Dom H. LECLERCQ, Moine bénédictin de Saint Michel de Farnborough

    "Tome V, le Moyen-Age", 1906

    [BOLL., 3 juin.]

     

      

    Je n'avais d'abord écrit ce volume, intitulé Mémorial des Saints, que pour les monastères d'où sortit la première phalange des moines qui déclarèrent courageusement la guerre au Prophète menteur. Mais lorsque j'appris que, des villes, des bourgs et des villages étaient sortis à l'envi des hommes et des femmes pour prendre part à cette lutte, et que, sans redouter le tribunal du juge, ils avaient choisi sans hésitation d'endurer la mort plutôt que de trahir le Testament et la Loi de notre Dieu, je le dédiai alors à toutes les Eglises fondées sur la pierre inébranlable du Christ, afin que tous ceux qui, de divers lieux, étaient venus, pour l'édification de toute l'Église, endurer l'épreuve des tortures, trouvassent dans le récit du triomphe des martyrs, leurs concitoyens, des motifs de se consoler, de se réjouir et de se glorifier.

     

    Je pense que le premier martyr qui s'offre à nous c'est le moine Isaac, qui, venant de son monastère de Tabenne sur le forum, alla droit au juge et l'interpella en ces termes : « Je voudrais, juge, devenir un ferme croyant de ta foi, si tu avais l'obligeance de m'en exposer dès maintenant la matière et les raisons. »

    Le musulman, croyant avoir conquis un adhérent nouveau à sa religion, acquiesça volontiers à cette demande. Aussitôt gonflant ses joues, resserrant sa glotte, et faisant résonner les mots sous les voûtes élargies de son palais, il se mit, avec une langue mensongère, à exposer ses doctrines à son prosélyte. « Mahomet, dit-il, est le fondateur de cette religion ; instruit par l'enseignement de l'archange Gabriel, il reçut du Très-Haut lui-même communication des prophéties qu'il devait prêcher aux nations. Il écrivit donc la loi et promit un paradis dans lequel, attablés avec les rois des cieux, on jouira de copieux festins et de la luxure des femmes. » Le juge continua sur ce ton, et débita toute une série de sornettes plus vaines les unes que les autres.

    Tout à coup le jeune moine, qui connaissait à fond les lettres arabes, interrompit son verbeux interlocuteur et prit la parole en ces termes : « Il vous a menti — que la malédiction divine s'appesantisse sur lui — celui qui, ne reculant pas devant un si horrible forfait, a précipité dans la perdition des multitudes et les a entraînées avec lui dans les abîmes de l'enfer. Oui, cet homme que vous honorez comme prophète n'a été qu'un suppôt du diable, pratiquant tous les sortilèges diaboliques, s'enivrant à la coupe envenimée du mal ; aussi expie-t-il en ce moment ses crimes par une mort qui n'aura point de fin. Comment donc des savants comme vous ne se mettent-ils pas en garde contre de tels dangers ? Pourquoi ne préférez-vous pas à l'ulcère purulent d'une croyance pestilentielle la santé inaltérable de la foi chrétienne enseignée dans l'Evangile ? »

     

    Tandis que le bienheureux Isaac exposait courageusement ces saines pensées, le juge, stupéfait à l'excès, et perdant l'esprit, ne put faire autre chose, dit-on, que de répandre un torrent de larmes. Puis, son hébétement ne lui suggérant rien à dire, il se mit à frapper lui-même le moine à la figure. « Comment! dit alors Isaac, tu oses frapper un visage qui porte l'empreinte de l'image de Dieu ? Songe au compte que tu auras à rendre pour cette inqualifiable action. » Les assesseurs du juge réprimandèrent ce dernier de ce que, oubliant la gravité de sa charge, il s'était permis de frapper lui-même le martyr, alors surtout que la loi du prophète défend d'infliger aucune autre peine à quiconque est condamné à mort.

     

    Le juge, s'adressant alors à Isaac, lui dit : « Sans doute, tu es pris de vin, ou bien tu as perdu l'esprit ; et pour cette raison tu ne peux pas mesurer toute la portée de tes paroles. Car la sentence de notre prophète, que tu injuries si indignement, est irréfragable, savoir qu'il faut sans pitié sévir coutre ceux qui ont l'audace d'avoir de tels sentiments de lui. » Le vénérable Isaac répondit intrépidement : « Juge, je ne suis pas enivré par le vin, ni sous l'influence d'une maladie quelconque ; mais je suis animé du zèle de la justice, et j'ai tenu à dire ce que je pense de vous et de votre prophète. Si une mort cruelle vient maintenant s'abattre sur moi, je la recevrai avec plaisir, je la subirai avec calme, sans chercher en aucune façon à m'y soustraire : car je sais que Notre-Seigneur a dit : Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux leur appartient. »

     

    Le juge ordonna de jeter Isaac en prison et déféra immédiatement sa cause au roi. Celui-ci, furieux et presque effrayé à la vue de ces audacieuses accusations, rendit un édit cruel qui condamnait à mort quiconque insulterait le prophète, auteur de la foi musulmane. Le serviteur de Dieu fut donc condamné à mort et décapité ; puis on le suspendit les pieds en haut à un poteau planté sur l'autre rive du fleuve, afin que cette exécution servît d'exemple à tous les chrétiens de Cordoue. Ceci se passait en la 889e année de l'ère espagnole, le troisième des nones de juin, et la 4e férie. Quelques jours après on brûla son corps avec ceux des moines qui suivirent son exemple et furent exécutés ; puis on jeta leurs cendres dans le fleuve.

     

    Cinq jours après le martyre du bienheureux Isaac, le 7 des ides de juin qui tombait un dimanche, un prêtre du monastère de Tabenne, s'étant étendu sur le lit après avoir célébré le saint sacrifice de la messe, s'endormit un moment et eut un songe dans lequel il vit un jeune homme d'une beauté remarquable qui venait de l'Orient et portait à la main un parchemin de toute beauté. Le prêtre prit la feuille des mains de l'enfant, et y lut les paroles suivantes: « De même que notre père Abraham a offert à Dieu son fils Isaac en sacrifice ; de même saint Isaac vient d'offrir pour ses frères un sacrifice en la présence de Dieu. » Aussitôt arriva un habitant de Cordoue annonçant que le bienheureux Isaac venait de subir le martyre par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ et que beaucoup de chrétiens, entraînés par son exemple, avaient semblablement enduré la mort.

     

    Le bienheureux Isaac était originaire d'une famille noble et riche de Cordoue. Étant jeune encore et vivant dans l'opulence grâce à la fortune considérable de ses parents, on lui confia la charge de secrétaire public, parce qu'il possédait à fond la langue arabe. Tout à coup se sentant saisi par une ardeur spirituelle, et désirant embrasser la profession monastique, il vint au bourg de Tabenne, dont le monastère double, situé à sept milles de la ville du côté du nord, entouré de rochers escarpés et de bois impénétrables, était alors renommé parles serviteurs et les servantes de Dieu qui l'ornaient des plus éclatantes vertus. Isaac avait déjà à Tabenne un oncle paternel, nommé Jérémie, homme tout possédé par la crainte et la révérence de Dieu. — Lui aussi était riche dans le monde, et c'était en ces monastères bâtis avec ses biens considérables que lui, sa vénérable épouse Elisabeth, ses enfants et presque toute sa famille s'étaient retirés pour vivre sous la loi de l'obéissance . Le bienheureux Isaac y vécut trois ans, sous la discipline régulière de l'abbé Martin, frère de la vénérable Elisabeth. Une illumination soudaine d'en haut l'avait poussé à aller se présenter devant le juge musulman, qui lui fit endurer le martyre, comme nous venons de le raconter.


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  • On trouve, dans un sermon copte-arabe, attribué à St Jean Chrysostome (on ne prête qu'aux riches!) et tout nouvellement édité et traduit et de date inconnue (le manuscrit est du XVIII° siècle, ce qui ne préjuge pas de la date du texte lui-même) cette annonce de l'arrivée de l'islam :

     

     

    2.2 En outre, une autre nation s'élèvera sur la terre et opprimera les chrétiens.

    Ils voudront les induire en erreur car ils diront que Dieu n'a pas engendré de fils.

    Ce sont les enfants d'Esaü et d'Ismaël, fils d'Agar, et ils s'appellent Sarrasins. Ils régneront sur la terre à ce moment-là, et leur joug deviendra dur pour les chrétiens, les épuisant, eux et leurs églises. Ils déporteront les bergers de l'église et leur feront perdre beaucoup d'argent.

    2.3 Ils prendront les filles des chrétiens et les épouseront. Ils désireront la beauté qu'elles ont parce qu'elles participent de ma chair et de mon sang honorés de sorte que leurs visages brillent, étant beaux et délicats. De plus, je te le dis à toi, ô Pierre, mon élu, ainsi qu'à tes frères les apôtres, malheur à toute femme qui épousera ces hérétiques, et à celles qui forniqueront avec ceux qui sont appelés Sarrasins."

     

    "Revelation of Jesus Christ to Peter"

    Arabic text of St. Macarius, Hag. 14, ff. 302r-319v and english translation by Alin SUCIU, Göttingen Academy, April 2020


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  • Anastase le Sinaïte

    sur l'invasion arabe musulmane

    tirée des "Questions et réponses"

    d'après l'édition de Munitiz

    Question 101

     

    QUESTION Est-il vrai- à propos de toutes les mauvaises choses faites par les Arabes contre les pays et les nations des chrétiens - qu'ils les ont faites contre nous complètement sur l'ordre de Dieu et avec son approbation?

     

    RÉPONSE

    1. Certainement pas! Dieu nous préserve de dire que Dieu les a poussé à jeter et piétiner son corps et son sang saints, ou les reliques de ses saints Apôtres et martyrs. Il y a des milliers d'autres choses qu'ils nous font qui ne plaisent pas à Dieu: injustement ils maltraitent beaucoup de personnes, ils en persécutent d'autres pour leur foi, ils répandent le sang juste et innocent d'autres encore, ils souillent les autels de Dieu et les lieux vénérés, ils obligent des femmes religieuses [ascètes] avec une longue pratique de la virginité à contracter mariage contre leur volonté. Pour ces actes, ils paieront certainement avec un enfer éternel.

     

    2. Cependant, puisque ce qui s'est passé doit sembler étrange à beaucoup et peut-être même difficile à accepter avec foi, écoutez un exemple tiré de l'Écriture elle-même, en lien avec ce sujet.

     

    3. À une occasion, Israël a été remis aux Assyriens afin qu'ils puissent être châtiés par eux, mais avec douceur et mesure. Cependant, les Assyriens ont pris cela comme une carte blanche et ont jugé que Dieu leur avait donné les Juifs pour qu'ils soient détruits, alors ils les ont traités sauvagement et impitoyablement. Écoutez maintenant ce que Dieu a dit des Assyriens par l'intermédiaire de son prophète Zacharie: "J'ai été jaloux avec une grande jalousie pour Jérusalem, ainsi que pour Sion, et je suis fâché d'une grande colère contre ceux qui se sont unis contre vous. Parce que pour ma part je n’étais que légèrement en colère contre vous, mais ils se sont unis contre vous pour le mal" (Zacharie 1.14-15 ; cf 8.2).

     

    4. Vous avez entendu dire que Dieu les a livrés avec douceur, mais ces hommes sans loi les ont traités sans pitié. C'est pourquoi il a exterminé les Assyriens, parce qu'ils avaient mal traité Israël, tout comme dans le cas de Pharaon, parce qu'il avait également traité les Juifs de façon cruelle et dure, Dieu le noya dans la mer C’est ce que nous espérons qu’il arrivera à ceux-ci dans un court laps de temps.

     

    5. Il est nécessaire que nous soyons conscients de ces choses, afin que lorsque vous voyez ces hommes sans loi fermer les églises, verser le sang, persécuter certaines personnes injustement et sans pitié et commettre d'autres crimes, vous ne serez pas fâché contre Dieu, mais réalisez clairement qu'ils agissent ainsi à cause de leur impiété et qu'ils sont réservés pour le pire enfer possible.

     

    Références :

    "Anastasios of Sinai, Questions and Answers"

    Introduction, translation and notes by Joseph A. Munitiz

    Corpvs Christianorvm In Translation, 7 ; Corpvs Christianorvm Series Graeca, 59

    Anastasii Sinaitae : Qvaestiones et Responsiones ;

    Ediderunt Marcel Richard et Joseph A. Munitiz, S. J.

    Brepols

    2011


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  • Réfutation du Mahométisme

    par

    Hugo Grotius

     

    Extraite du

    Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne

    De veritate religionis Christianae, 1627

    Par Hugo de Groot dit "Hugo Grotius"

    Traduction française par P. Le Jeune

    1728

    Texte récupéré

    du site  Projet Gutemberg

    http://www.gutenberg.org/files/15739/15739-h/15739-h.htm

     

    Table de la Réfutation :

    I. Origine du Mahometisme.

    II. Contre la soumission aveugle, qui est le fondement du Mahometisme.

    III. 1. Preuve contre les Mohometans, tirée de l'Écriture Sainte dont ils avouent en partie la divinité.

    IV. Que l'Écriture n'a pas été corrompue.

    V. 2. Preuve tirée de la comparaison de la Religion Chrétienne & de la Mahometane, & 1. de la comparaison de Jesus-Christ avec Mahomet.

    VI. 2. De la comparaison des actions de l'un & de l'autre.

    VII. 3. De la comparaison de ceux qui ont les premiers embrassé le Christianisme & le Mahometisme.

    VIII. 4. De la comparaison des moyens par lesquels ces deux Religions se sont établies.

    IX. 5. De la comparaison de la Morale Chrétienne avec celle de Mahomet.

    X. Reponse à l'Objection que les Mahometans tirent de la qualité de Fils de Dieu, que nous donnons à Jesus-Christ.

    XI. Que les Livres des Mahometans sont pleins d'absurditez.

    XII. Application de tout l'Ouvrage, adressée aux Chrétiens.

    XIII. Usage du I. Livre, pour la Pratique.

    Usage du II. Livre.

    Usage du III. Livre.

    Usage du IV. Livre.

    Usage du V. Livre.

    Usage du VI. Livre.

     

     

     

    LIVRE SIXIÈME

    Réfutation du Mahométisme

    I.

    Origine du Mahométisme.

    Je destine ce sixième Livre à réfuter le Mahométisme. Avant la naissance de cette fausse Religion, Dieu avoit déployé sur l'Eglise Chrétienne de très-sévéres jugemens, qu'elle n'avoit que trop méritez. Cette piété solide et pure, qui avoit fleuri parmi les Chrétiens dans les cruelles persécutions, dont ils avoient été l'objet, s'étoit peu à peu altérée, depuis que la conversion de Constantin, et la profession que les Empereurs suivans firent du Christianisme, eurent fait succéder le calme au trouble, ataché de l'honneur et de la gloire à nôtre Religion, et confondu le Monde avec l'Eglise, en y introduisant la pompe et les maximes mondaines. On vit alors les Princes Chrétiens se consumer les uns les autres par des Guerres continuelles, qu'ils auroient souvent pu terminer par une heureuse Paix. Alors les Évêques commencérent à se disputer le rang avec une chaleur indigne de leur caractére. Alors il arriva ce qui étoit arrivé au premier homme. Il avoit préféré l'arbre de Science à l'arbre de Vie, et atiré par là sur lui et sur ses Descendans une infinité de maux. De même l'Eglise, dans ce période dont nous parlons, prit plus de goût à une Science curieuse et téméraire, qu'à la véritable piété, et fit de la Religion un Art méthodique et une matiére à raisonnement. Cette dépravation de goût eut bien tôt de fâcheuses suites. Dieu avoit autrefois confondu l'orgueil de ceux qui bâtissoient la Tour de Babel en confondant leur Langage. On vit alors quelque chose de semblable dans l'Eglise. Cette afectation hardie de connoître à fond les plus sublimes Mystéres de la Religion, mit de la diversité dans les expressions des Docteurs, et par cela même, des sentimens de désunion dans leur coeur. La vue de ces malheurs naissans jetta le Peuple dans le doute et dans l'incertitude sur les objets de sa Foi ; et une fausse préocupation pour ses Maîtres le retenant dans le respect, il aima mieux chercher la cause de ces nouveaux troubles dans l'Ecriture même, que dans la témérité de ces Esprits inquiets et curieux.

     

    Il s'acoutuma donc à regarder la Parole de Dieu comme une chose qui cachoit un poison dangereux, et contre laquelle il faloit se tenir sur ses gardes. Ce mal fut suivi d'un autre. Comme si l'on eût voulu rapeller le Judaïsme, on commença à faire consister la Religion, non dans la pureté de l'ame, mais dans des Cérémonies. On l'apliqua à certaines choses plus propres à exercer le corps, qu'à corriger le coeur. On vint à élever le zéle de Parti, et l'atachement à certaines opinions, au dessus de toutes les autres vertus : ainsi le Christianisme intérieur et véritable devint aussi rare, que l'extérieur et l'aparent étoit ordinaire.

    Dieu ne put voir cette corruption sans témoigner par ses châtimens combien elle lui étoit odieuse. Du fond de la Scythie et de l'Allemagne il tira des Armées innombrables, dont il couvrit le Monde Chrétien. Mais voyant que les ravages éfroyables que firent ces Armées, et les sanglantes victoires qu'elles remportérent sur les Chrétiens, n'étoient d'aucune éficace pour l'amendement de ceux qui échapérent à ces terribles Ennemis : il permit dans sa juste colére, qu'il s'élevât dans l'Arabie un faux Prophéte, le fameux Mahomet, et qu'il formât une nouvelle Religion, directement contraire à la Religion Chrétienne, mais assez conforme à la vie de la plûpart des Chrétiens de ce tems là. Les premiers qui embrassérent cette nouvelle Doctrine, furent les Sarrazins, qui s'étoient revoltez contre l'Empereur Héraclius. Ces Peuples subjuguérent en fort peu de tems l'Arabie, la Syrie, la Palestine, l'Égypte, et la Perse. L'Afrique et l'Espagne eurent aussi le même sort. Quelques siécles s'étant écoulez, les Turcs, Peuples très-belliqueux, vinrent enlever aux Sarrazins une bonne partie de ce qu'ils avoient conquis ; et après plusieurs combats, ils acceptérent l'ofre que ceux-ci leur firent d'entrer par une Alliance dans les mêmes intérêts.

     

    Ils se laissérent ensuite aisément persuader de recevoir la Religion de leurs nouveaux Alliez : Religion commode, et qui flatoit par ses maximes la licence de leurs moeurs. Peu à peu ils devinrent les maîtres, et jettérent les fondemens d'un puissant Empire, qui ayant commencé par la prise des Villes de l'Asie, et continué par la conquête de la Grèce, s'est étendu par ses victoires jusqu'à la Hongrie, et jusqu'aux frontiéres de l'Allemagne.

     

    II.

    Contre la soumission aveugle, qui est le fondement du Mahométisme.

    Cette Religion a en général 2 caractéres, l'un d'inspirer la cruauté, et de porter ses Sectateurs à répandre du sang ; l'autre, d'exiger une soumission aveugle, de défendre l'examen de ses Dogmes, et d'interdire au Peuple, par une suite naturelle de ce principe, la lecture des Livres qu'elle leur fait recevoir comme sacrez. Dès là, il est aisé de voir l'injustice et le peu de droiture de son Auteur, et l'on ne peut qu'on ne le tienne pour suspect. Cette conduite, en éfet, ressemble assez à celle d'un Marchand qui ne voudroit vendre ce dont il trafique, qu'à condition qu'on l'achetât sans le voir et sans l'examiner. Il est vrai qu'en matiére de Religion, tout le monde n'a pas les yeux également propres à discerner le vrai d'avec le faux ; et que la présomption, les passions, et le préjugé de la coutume obscurcissent l'Esprit de la plûpart des hommes ; et l'engagent dans l'erreur. Mais d'ailleurs, on ne sauroit, sans faire injure à la bonté de Dieu, s'imaginer qu'il ait rendu le chemin du salut inaccessible à ceux qui le cherchent préférablement aux avantages et à la gloire du Monde ; qui pour y parvenir soumettent à Dieu, et leurs personnes, et tout ce qu'ils possédent, et lui demandent on secours. Et puis qu'il a donné à tous les hommes le pouvoir de juger des choses, pourquoi n'exerceroient-ils pas leur jugement sur les objets les plus dignes d'être connus, et que l'on ne peut ignorer sans courir le risque de perdre la félicité éternelle ?

     

    III.

    1. Preuve contre les Mahométans, tirée de l'Écriture Sainte dont ils avouent en partie la divinité.

    Mahomet et ses Sectateurs avouent que Moyse et Jésus-Christ ont été envoyez de Dieu, et que ceux qui ont travaillé à répandre et à établir la Religion Chrétienne ont été des personnes saintes et pieuses. Cependant l'Alcoran, qui est la Loi de Mahomet, oblige à croire quantité de choses contraires à celles que Moyse et Jésus-Christ nous aprennent. Je n'en raporterai qu'un exemple. Tous les Apôtres et tous les Disciples de Jésus-Christ disent d'un commun consentement, qu'après que nôtre Seigneur fut mort sur la croix, il ressuscita le troisiéme jour, et fut vu par un grand nombre de personnes. Mahomet, au contraire, enseigne que Jésus-Christ fut enlevé secrettement dans le Ciel, et que ce ne fut qu'un Fantôme qui fut ataché à la croix ; qu'ainsi il ne mourut pas, et qu'il trompa les Juifs par cette illusion.

     

    IV.

    Que l'Écriture n'a pas été corrompue.

    Les Mahométans ne peuvent répondre à cette objection, qu'en disant que les Livres de Moyse et des Disciples de Jésus-Christ ne sont pas demeurez tels qu'ils étoient du commencement, et qu'ils ont été corrompus. C'est précisement ce que répond Mahomet. Mais nous avons déjà fait voir la vanité de cette chicane dans nôtre troisiéme Livre. Si quelqu'un disoit aux Mahométans que leur Alcoran est corrompu, ils le nieroient, et prétendroient que cette réponse sufit ; tant qu'on ne leur prouve pas cette corruption. D'ailleurs ils ne peuvent pas aporter en faveur de leurs Livres, les argumens que nous alléguons pour les nôtres. Nous disons, par exemple, qu'aussi tôt que nos Livres sacrez eurent été composez, il s'en répandit par tout le Monde une infinité de Copies ; qu'ils furent traduits en plusieurs Langues, et fidélement conservez par toutes les Sectes du Christianisme fort éloignées les unes des autres par la diversité de leurs sentimens : et c'est, encore une fois, ce qu'ils ne peuvent prouver de leurs Livres.

     

    Ils se persuadent que dans le Chapitre XIV. de l'Évangile de S. Jean où Jésus-Christ promet qu'il envoyera un Consolateur, il y avoit quelque chose touchant Mahomet, et que les Chrétiens l'ont fait éclipser. Là-dessus je leur demande, s'ils croyent que les Chrétiens ont commis cette fraude avant ou après le tems auquel Mahomet vint au Monde ? S'ils disent que cela arriva après que Mahomet eut paru, je soutiens que c'étoit une chose absolument impossible ; puisque, dès ce tems-là, il y avoit par tout le Monde un nombre presque infini d'Exemplaires du Nouveau Testament, en Grec, en Syriaque, en Arabe, en Éthiopique, en Latin même de plus d'une sorte de Version, et que tous ces Exemplaires s'acordent sur ce passage du Chap. XIV. sans qu'il y ait la moindre diversité de leçon.

     

    S'ils disent que cette corruption se fit avant que Mahomet vînt au Monde, je répons que cela ne se peut dire, puis qu'alors aucune raison n'obligeoit les Chrétiens à en user ainsi. Car comment auroient-ils pu prendre les devans, à moins que de savoir ce que Mahomet enseigneroit un jour ? Et c'est ce qu'ils ignoroient tout à fait. De plus, si les Chrétiens eussent trouvé de la conformité entre la Doctrine de Mahomet et celle de Jésus-Christ, pourquoi auroient-ils fait plus de difficulté de recevoir les Livres de ce nouveau Docteur, qu'ils n'en avoient fait d'admettre ceux de Moyse et des autres Prophétes du Peuple Juif ? Enfin suposons que ni les Mahométans ni nous, n'ayons aucuns Livres qui nous instruisent, eux, de la Doctrine de Mahomet, et nous, de celle de Jésus-Christ ; l'équité voudroit sans doute, en ce cas, que l'on regardât comme Doctrine de Jésus-Christ, celle que tous les Chrétiens reconnoissent pour telle, et comme Doctrine de Mahomet, celle que les Mahométans disent qu'il a enseignée.

     

    V.

    2. Preuve tirée de la comparaison de la Religion Chrétienne et de la Mahométane et 1. de la comparaison de Jésus-Christ.

    Comparons à présent ces deux Religions dans ce qu'elles ont et d'essentiel et d'accessoire, et voyons laquelle est la meilleure. Je commence par les Auteurs de l'une et de l'autre. Mahomet même avoue que Jésus-Christ [avec Mahomet.] est le Messie qui avoit été promis dans la Loi et dans les Prophétes. Il l'apelle la Parole, l'Intelligence et la Sagesse de Dieu, et il dit qu'il n'a point eu proprement de Pére selon la chair : au lieu que pour lui, ses Sectateurs croyent qu'il est né selon les voyes ordinaires. Jésus-Christ a mené une vie pure et irrépréhensible : Mahomet a exercé long tems l'infame métier de Voleur, et pendant toute sa vie il s'est plongé dans les voluptez criminelles. Jésus-Christ a été élevé dans le Ciel, de l'aveu même de Mahomet : et pour ce qui est de lui, il est encore aujourd'hui renfermé dans un sépulcre, Qu'on juge après celà, lequel des deux mérite le plus d'être suivi.

     

    VI.

    2. De la comparaison des actions de l'un et de l'autre.

    Examinons ensuite les actions de l'un et de l'autre. Jésus-Christ a rendu la vue aux aveugles, et la santé aux malades ; il a fait marcher les boiteux ; il a fait revivre des personnes mortes, et Mahomet en tombe t'accord ; Mahomet donne pour preuves de sa Mission, non le pouvoir de faire des miracles, mais l'heureux succès de ses Armes. Quelques-uns néanmoins de ses Disciples ont prétendu qu'il en avoit fait. Mais c'étoient, ou des choses que l'Art seul pouvoit produire, comme ce qu'ils disent d'un pigeon qui voloit à son oreille ; ou des choses dont ils ne citent aucuns témoins, par exemple, qu'un chameau lui parloit de nuit ; ou qui, enfin, sont si absurdes qu'il ne faut que les proposer pour en faire voir l'extravagance, comme ce que les mêmes Auteurs raportent, qu'une grande partie de la Lune étant tombée dans sa manche, il la renvoya au Ciel pour rendre à cet Astre la rondeur qu'il avoit perdue. Là dessus, qui ne prononcera que l'on doit s'en tenir à celle de ces deux Loix qui a de son côté les témoignages les plus certains de l'aprobation divine ?

     

    VII.

    3. De la comparaison de ceux qui ont les premiers embrassé le Christianisme et le Mahométisme.

    Jettons aussi les yeux sur ceux qui ont les premiers embrassé ces deux Loix. Ceux qui se soumirent d'abord à l'Évangile étoient des personnes qui craignoient Dieu, et dont la vie étoit simple et sans faste. Or il est de la bonté de Dieu de ne pas soufrir que des personnes, qui ne tâchent qu'à lui plaire, soient trompées par des aparences de miracles. Les premiers Sectateurs de Mahomet étoient des Voleurs de grand chemin, et qui, bien loin d'avoir quelques sentimens de piété, n'avoient pas même ceux de l'humanité.

     

    VIII.

    4. De la comparaison des moyens par lesquels ces 2. Religions se sont établies.

    La Religion Chrétienne n'a pas moins d'avantage sur celle de Mahomet, à l'égard de la maniére dont l'une et l'autre se sont répandues dans le Monde. La premiére doit ses progrès tant aux Miracles de Jésus-Christ, et à ceux de ses Disciples et de leurs Successeurs, qu'à la confiance qu'ils témoignérent dans les suplices. Les Docteurs du Mahométisme n'ont fait aucuns miracles, et n'ont soufert ni miséres ni mort violente pour la défense de leurs sentimens. Cette Religion ne s'est étendue qu'à la faveur des Armes, et ses progrès se sont réglez sur le succès des guerres de ses Sectateurs ; de sorte qu'elle servoit en quelque maniére d'accessoire aux victoires qu'ils remportoient. Cela est si vrai, que les Docteurs Mahométans ont fait de ces succès et de la grande étendue de Païs que leurs Princes ont subjuguée, l'unique preuve de la vérité de leur Religion. Mais qu'y a-t-il de plus équivoque et de moins sûr que cette espéce de preuve ? Ils rejettent avec nous la Religion Payenne. Cependant personne n'ignore, ni les victoires signalées qu'ont remportées les Perses, les Macédoniens, et les Romains ; ni la vaste étendue de leurs Empires. Ces grans succès mêmes, dont nos Adversaires se vantent, n'ont pas été constans et perpétuels. Sans parler des désavantages qu'ils ont eus dans leurs guerres tant par terre que par mer, on les a contraints d'abandonner l'Espagne dont ils s'étoient rendus maîtres. Or ce qui doit servir de caractére à la véritable Religion, ne doit être ni commun aux méchans et aux personnes vertueuses, ni sujet au changement. J'ajoûte que ce caractére ne doit avoir en lui-même rien d'injuste : c'est ce que les Mahométans ne peuvent pas dire de leurs guerres. Ils les ont entreprises pour la plûpart contre des Peuples qui ne les avoient pas inquiétez, et dont ils n'avoient aucun lieu de se plaindre ; de sorte qu'ils en étoient réduits à colorer ces guerres du prétexte de la Religion : ce qui choque directement les fondements de la Religion même.

     

    Dieu ne peut agréer le service que les hommes lui rendent, à moins qu'il ne parte d'une volonté pleine et entiére. Or la volonté ne se peut fléchir, ni par les menaces, ni par la violence, mais par l'instruction et par la persuasion. Lors qu'on ne croit que parce qu'on y est contraint, on ne croit pas proprement, mais on fait semblant de croire pour se soustraire à la persécution. On peut dire aussi que ceux qui par la violence des maux ou par la terreur des menaces, veulent tirer des autres un consentement forcé, se font beaucoup plus de tort qu'ils ne pensent, puis qu'ils découvrent par là qu'ils se défient de la force de leurs raisons. Outre ce défaut que les Mahométans ont de commun avec tous les Persécuteurs, ils en ont un autre qui leur est particulier. C'est qu'après avoir pris pour prétexte de leurs guerres le désir d'étendre les bornes de leur Religion, ils détruisent ensuite ce prétexte par la permission qu'ils donnent aux Peuples qu'ils ont vaincus, de suivre telle Religion qu'il leur plait ; et par l'aveu public que quelques-uns d'entr'eux font, que ceux qui vivent dans la profession du Christianisme peuvent être sauvez.

     

    IX.

    5. De la comparaison de la Morale Chrétienne avec celle de Mahomet.

    Comparons enfin la Morale de Jésus-Christ, avec celle de Mahomet. L'une nous ordonne de soufrir patiemment les maux, et d'aimer même ceux qui nous les causent : l'autre autorise la vangeance. L'une afermit l'union du Mari et de la Femme, en les obligeant à se suporter mutuellement : l'autre permet le divorce pour quelque raison que ce soit. L'une oblige le Mari à faire pour la Femme ce que la Femme fait pour le Mari, et veut qu'il lui montre par son exemple à ne partager pas son afection : l'autre veut bien qu'il prenne plusieurs Femmes, et qu'il ranime par là sa passion refroidie. La Loi de Jésus-Christ raméne la Religion de l'extérieur à l'intérieur, et la cultive dans le coeur pour lui faire produire des fruits propres à édifier le Prochain : la Loi de Mahomet borne presque tous ses Préceptes et toute son éficace à la Circoncision, et à d'autres choses indiférentes par elles-mêmes. Celle là permet l'usage du vin et de toutes sortes de viandes, pourvu que cet usage soit modéré : celle-ci défend de manger de la chair de porc, et de boire du vin : quoi que dans le fond le vin soit un don de Dieu, utile au corps et à l'esprit, lors qu'on en use avec sobriété. Il est vrai que la Loi de Jésus-Christ a été précédée de certains rudimens grossiers, et dont l'extérieur sembloit avoir quelque chose de puéril : ce qui ne doit pas plus nous surprendre que de voir une ébauche grossiére et imparfaite précéder un ouvrage très-parfait. Mais qu'après la publication de cette Loi excellente, on retourne encore aux ombres et aux figures, c'est en vérité un renversement bien étrange : à moins que l'on n'allégue de bonnes raisons qui prouvent, qu'après une Religion aussi parfaite que la Religion Chrétienne, il étoit de la sagesse de Dieu d'en donner une autre aux hommes.

     

    X.

    Réponse à l'objection que les Mahométans tirent de la qualité de Fils de Dieu que nous donnons à Jésus-Christ.

    Les Mahométans paroissent scandalisez, de ce que nous disons que Dieu a un Fils, puis que Dieu, disent-ils, n'a point de Femme. Mais ils ne prennent pas garde que nous donnons à Jésus-Christ le nom de Fils dans un sens digne de Dieu, et qui n'a rien de charnel. De plus, il ne leur sied guéres de nous faire de pareils reproches, après les choses basses et indignes que leur Prophéte atribue à Dieu. Il dit que les mains de Dieu sont froides, et qu'il le sait parce qu'il les a touchées ; que Dieu se fait porter en chaise, et telles autres puérilitez. Lors que nous disons que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, nous n'entendons autre chose que ce que Mahomet dit lui-même, que Jésus-Christ est la Parole de Dieu. Car la Parole est en quelque façon engendrée par l'entendement. Deux autres raisons de ce tître de Fils de Dieu, sont que Nôtre Seigneur est né d'une Vierge par la seule puissance divine, qui lui a servi de Pére, et que par la même puissance, il a été élevé dans le Ciel. Mahomet ne le nie pas. Il doit donc reconnoître que ces glorieux priviléges fondent avec raison le nom de Fils de Dieu. que nous donnons à Jésus-Christ.

     

    XI.

    Que les Livres des Mahométans sont pleins d'absurditez.

    Si nous voulions user de récrimination, raporter ici tout ce qu'il y a de faux, de ridicule, et de contraire à la foi des Histoires dans les Écrits des Mahométans, nous aurions une ample matiére de leur insulter et de les couvrir de confusion. Tel est le Conte qu'ils font d'une certaine femme très-belle, à qui quelques Anges, après s'être enivrez, enseignérent une Chanson, par le moyen de laquelle on monte au Ciel, et l'on en descend : à quoi ils ajoûtent que cette femme s'étant déjà élevée extrémement haut par la vertu de cette Chanson, Dieu, qui s'en aperçut, l'arrêta tout court, et en fit l'Étoile de Venus. Tel est cet autre Conte, que dans l'Arche de Noé le rat naquit de la fiente de l'éléphant, et le chat de l'haleine du Lion. En voici encore quelques autres qui ne valent pas mieux. Ils disent que la mort sera métamorphosée en un bélier, qui aura son siége au milieu de l'espace qui séparera l'Enfer d'avec le Ciel : que dans la vie à venir, ce que l'on mangera se dissipera par les sueurs : qu'à chaque homme seront assignées des troupes de femmes pour assouvir sa passion. En vérité, il faut avoir irrité Dieu, et reçu une grande mesure de l'Esprit d'étourdissement, pour admettre des rêveries aussi grossiéres et aussi sales ; sur tout, lors qu'on est environné de toutes parts, de la lumiére de l'Évangile.

     

    XII.

    Aplication de tout l'Ouvrage, adressée aux Chrétiens.

    Cette dispute achevée, il ne me reste plus rien à faire que de m'adresser aux Chrétiens de toutes les Nations et de toutes les Sectes, et de leur montrer en peu de mots quel usage ils doivent faire des choses que nous avons dites jusqu'ici ; qui est en général d'embrasser ce qui est bon, et de se détourner de ce qui est mauvais et criminel.

     

    XIII.

    Usage du I. Livre, pour la pratique.

    Que premiérement donc, ils élévent leur mains pures à ce grand Dieu qui a fait de rien toutes les choses visibles et invisibles. Qu'ils croyent avec une parfaite certitude qu'il a soin de nous, puis qu'un passereau même ne tombe pas sans sa permission. Qu'ils craignent moins ceux qui ne peuvent nuire qu'au corps, que celui qui par le droit qu'il a sur le corps et sur l'ame, peut traiter l'un et l'autre avec la derniére sévérité.

     

    Usage du II. Livre.

    Qu'ils mettent leur confiance, non seulement en Dieu le Pére, mais aussi en Jésus-Christ, puis qu'il n'y a sur la Terre aucun autre nom qui nous puisse sauver. Qu'ils songent que pour être agréable et au Pére et au Fils, et pour aquerir la Vie éternelle, il ne sufit pas d'apeller l'un son Pére, et l'autre son Seigneur, mais qu'il faut régler sa vie sur leur volonté. Qu'ils conservent avec foin la sainte Doctrine de l'Évangile, comme un trésor d'un prix infini.

     

    Usage du III. Livre.

    Que pour y réüssir, ils lisent assidûment l'Écriture S. qui ne peut tromper, que ceux qui veulent se tromper eux-mêmes. Qu'ils considérent que ceux par les mains de qui Dieu nous l'a donnée, étoient trop fidéles et trop sûrement guidez par le saint Esprit, pour avoir eu dessein de nous cacher aucune vérité nécessaire au salut, ou de l'enveloper d'obscuritez impénétrables. Que pourvu qu'ils aportent à cette lecture un Esprit soumis et obéïssant, ils découvriront sans peine tout ce qu'ils doivent croire, espérer, et pratiquer : et que c'est là le moyen infaillible d'entretenir et de de réveiller en eux cet Esprit que Dieu donne à ses Enfans pour arrhe de la félicité éternelle.

     

    Usage du IV. Livre.

    Qu'ils se donnent de garde d'imiter les Payens, soit dans le Culte des faux Dieux, qui, à parler proprement, ne sont que de vains noms, dont les Démons se servent pour nous détourner du service du vrai Dieu : et qu'ils sachent qu'ils ne peuvent participer à ce faux Culte, sans perdre tout le fruit du Sacrifice de Jésus-Christ. Qu'ils s'éloignent aussi autant qu'ils le peuvent, de la vie impure et libertine des Idolâtres, qui ne suivent point d'autres Loix que celles de la cupidité.

     

    Usage du V. Livre.

    Rom. II. 28. 29

    Qu'ils réfléchissent encore sur l'obligation où ils sont de vivre plus saintement, non seulement que les Payens, mais aussi que les Pharisiens et les Scribes, dont la justice ne consistant qu'en de certaines pratiques extérieures et visibles, n'est pas capable de conduire à la Vie. Qu'ils aprennent que ce n'est pas la Circoncision faite de main qui peut plaire à Dieu, mais la Circoncision du coeur, qui n'est autre chose que l'observation des Commandemens de Dieu, la nouvelle Créature, et une confiance qui produit l'amour ; que c'est là la marque et le symbole du véritable Israélite, et du Juif mystique, c'est-à-dire, du Juif qui loue véritablement Dieu. Qu'ils recueillent enfin de ce que nous avons dit contre les Juifs, que la diférence des viandes, les sabbats, et les fêtes n'étoient que des ombres dont le corps se trouve dans Jésus-Christ, et dans les Fidéles.

     

    Usage du VI. Livre.

    Heb, I. v. 1, 2. etc.

    Voici les réflexions que peut fournir nôtre dispute contre les Mahométans. C'est que Jésus-Christ notre Seigneur a prédit, qu'après son ascension, il s'éléveroit des personnes qui se vanteroient faussement d'être envoyez de Dieu.

     

    Mais que selon l'avis de saint Paul, quand un Ange même viendroit du Ciel pour annoncer une autre Doctrine que celle de Jésus-Christ, il le faudroit rejetter avec exécration, parce que cette Doctrine a été vérifiée et confirmée par des témoignages incontestables, et qu'elle est si parfaite, qu'on ne peut y rien ajoûter. En éfet, quel autre Législateur pourroit-on atendre après celui dont l'Ecriture nous fait cette magnifique description : Dieu, dit-elle, ayant autrefois parlé à son Peuple en beaucoup de maniéres fort diférentes, a bien voulu dans l'acomplissement des tems s'adresser à nous par son Fils, qui est Maître de toutes choses, la splendeur de sa gloire, l'image vive et expresse de sa personne ; qui après avoir créé toutes choses, les soutient et les gouverne par sa parole puissante ; qui enfin, après avoir fait l'expiation de nos péchez, s'est assis à la main droite de Dieu et est parvenu à une dignité infiniment plus excellente que celle des Anges.

    Une autre réflexion que les Chrétiens doivent faire sur ce que nous avons dit contre les Mahométans, c'est que les armes que Dieu a données aux Soldats de Jésus-Christ, ne sont pas de la nature de celles sur lesquelles Mahomet a apuyé sa Religion : qu'elles sont uniquement spirituelles, et propres à détruire les forteresses qui s'élévent contre la connoissance de Dieu : que le bouclier des Chrétiens est la foi, qui est propre à repousser les dards enflammez du Démon : que leur cuirasse est la justice, la droiture, et l'intégrité de la vie : que leur casque est l'espérance du salut, laquelle couvre en éfet, aussi bien que cette sorte d'armes défensives, les endroits les plus foibles et les plus exposez : qu'enfin ils ont pour épée la Parole de Dieu, qui est assez éficace pour pénétrer jusqu'au fond de l'ame.

     

    Après ces usages qui se retirent de ce Traité, j'exhorte sérieusement tous les Chrétiens à cette concorde mutuelle que Jésus-Christ recommanda si fortement aux siens un peu avant que de les quiter.

     Qu'ils considérent donc qu'il ne doit pas y avoir parmi eux plusieurs Docteurs, et qu'ils n'en ont qu'un, qui est Jésus-Christ, au seul nom de qui ils ont tous été batisez ; qu'ainsi l'on ne devroit pas voir parmi eux cette diversité de Sectes, et cette désunion, qui sont si contraires à l'Evangile ; et qu'il est tems de travailler à y aporter du reméde. Pour le faire avec succès, ils doivent toûjours avoir devant les yeux ces belles paroles des Apôtres : qu'il faut être sage avec sobriété, et selon la mesure de la connoissance que Dieu a distribuée à chacun de nous : que s'il y en a de moins éclairez, on doit suporter leur foiblesse et les engager par cette modération à se réünir avec nous, à entretenir la paix, et à bannir toutes disputes : qu'il est juste, d'ailleurs, que ceux qui excellent en lumiéres et en connoissance, excellent aussi en charité : qu'à l'égard de ceux qui sont dans quelque erreur, il faut atendre que Dieu leur découvre les véritez qu'ils ignorent : que jusqu'à ce que cela arrive, on doit retenir les Articles dont on convient, et y conformer sa vie : que maintenant nous ne connoissons qu'en partie, et qu'un tems viendra que nous connoîtrons toutes choses avec évidence et avec certitude.

    Je prie aussi chaque Chrétien en particulier, qu'il ne garde pas inutilement le talent qui lui a été confié : qu'il travaille de toutes ses forces à gagner des ames à Jésus-Christ : qu'il employe à ce dessein, non seulement des discours salutaires et pieux, mais la pureté et la sainteté d'une vie exemplaire, afin de donner lieu aux Etrangers de juger de la bonté du Maître par celle des serviteurs, et de la pureté de ses Loix par celle de leurs actions.

     

    Je finis en priant ceux pour qui j'ai dit dès l'entrée que j'ai composé cet Ouvrage, que s'ils y trouvent quelque chose de bon, ils en rendent graces à Dieu, et que s'il y a des choses qui ne soient pas de leur goût, ils veuillent bien avoir quelque égard, tant à la condition ordinaire des hommes, qui naturellement sont fort sujets à se tromper, qu'au lieu et au tems auquel ce Livre a été écrit, et qui ne m'a pas permis d'y aporter toute l'exactitude dont j'aurois été capable dans une plus heureuse conjoncture.

     


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  • Le "Pacte d'Omar" et le statut des Dhimmis

    Le Pacte d'Umar est supposé avoir été édicté en 717 par le calife omeyyade Umar ben Abd al-Aziz (682-720), communément appelé Umar II. Il s'agirait, en partie, d'un traité entre ce calife et les monothéistes non-musulmans, les « gens du Livre », placés sous le régime de la dhimma (et appelés pour cela dhimmis). Les versions les plus anciennes de ce pacte qui nous sont parvenus datent du xiie siècle, mais sûrement pas des premiers temps de l'islam. Il n'est donc pas possible d'attribuer la paternité de ce pacte au deuxième calife Omar ibn al-Khattâb, certains spécialistes remettant en cause son authenticité même. Ce document semblerait être en fait « une compilation de dispositions élaborées progressivement, dont certaines pourraient dater du règne du calife Umar II », c'est-à-dire Umar ben Abd al-Aziz. De là, il semble qu'une confusion volontaire a été faite pour l'attribuer à Omar ibn al-Khattâb.

    Le document se présente comme une lettre que les chrétiens de Syrie auraient adressée à ʿUmar b. al-Khaṭṭāb, le deuxième calife (634-644), et dans laquelle ils lui faisaient connaître les conditions de leur soumission. ʿUmar Ier aurait approuvé les termes de la lettre tout en y ajoutant deux clauses supplémentaires.

     

    Le texte du Pacte d'Umar d'après Turtushi (m. 1126), le plus ancien auteur ayant rapporté cette convention:

     

    « Au Nom d'Allāh, le Bienfaiteur miséricordieux!

     

    Ceci est une lettre adressée par les Chrétiens de telle ville, au serviteur d'Allāh, 'Umar b. Khattāb, commandeur des Croyants.

    Quand vous êtes venus dans ce pays, nous vous avons demandé la sauvegarde pour nous, notre progéniture, nos biens et nos coréligionnaires.

    Et nous avons pris par devers vous l'engagement suivant:

    Nous ne construirons plus dans nos villes et dans leurs environs, ni couvents, ni églises, ni cellules de moines, ni ermitages. Nous ne réparerons point, ni de jour ni de nuit, ceux de ces édifices qui tomberaient en ruine, ou qui seraient situés dans les quartiers musulmans.

    Nous tiendrons nos portes grandes ouvertes aux passants et aux voyageurs. Nous donnerons l'hospitalité à tous les Musulmans qui passeront chez nous et les hébergerons durant trois jours.

    Nous ne donnerons asile, ni dans nos églises ni dans nos demeures, à aucun espion.

    Nous ne cacherons rien aux Musulmans qui soit de nature à leur nuire.

    Nous n'enseignerons pas le Coran à nos enfants.

    Nous ne manifesterons pas publiquement notre culte et ne le prêcherons pas. Nous n'empêcherons aucun de nos parents d'embrasser l'Islam, si telle est sa volonté.

    Nous serons pleins de respect envers les Musulmans. Nous nous lèverons de nos sièges lorsqu'ils voudront s'asseoir.

    Nous ne chercherons point à leur ressembler, sous le rapport des vêtements, par la calotte, le turban ou les chaussures, ou par la manière de peigner nos cheveux.

    Nous ne ferons point usage de leur parler; nous ne prendrons pas leurs noms.

    Nous ne monterons point sur des selles.

    Nous ne ceindrons pas l'épée. Nous ne détiendrons aucune espèce d'arme et n'en porterons point sur nous.

    Nous ne ferons point graver nos cachets en caractères arabes.

    Nous ne vendrons point de boissons fermentées.

    Nous nous tondrons le devant de la tête.

    Nous nous habillerons toujours de la même manière, en quelque endroit que nous soyons; nous nous serrerons la taille avec une ceinture spéciale.

    Nous ne ferons point paraître nos croix et nos livres sur les chemins fréquentés par les Musulmans et dans leurs marchés. Nous ne sonnerons la cloche dans nos églises que très doucement. Nous n'y élèverons pas la voix en présence des Musulmans. Nous ne ferons pas les processions publiques du dimanche des Rameaux et de Pâques. Nous n'élèverons pas la voix en accompagnant nos morts. Nous ne prierons pas à voix haute sur les chemins fréquentés par les Musulmans et dans leurs marchés. Nous n'enterrerons point nos morts dans le voisinage des Musulmans.

    Nous n'emploierons pas les esclaves qui sont échus en partage aux Musulmans.

    Nous n'aurons point de vue sur les maisons des Musulmans.

    Telles sont les conditions auxquelles nous avons souscrit, nous et nos coreligionnaires, et en échange desquelles nous recevons la sauvegarde.

    S'il nous arrivait de contrevenir à quelques-uns de ces engagements dont nos personnes demeurent garantes, nous n'aurions plus droit à la dhimma et nous serions passibles des peines réservées aux rebelles et aux séditieux. »

     

    Le texte du Pacte d'Umar tel qu'il apparaît dans l'œuvre d'Ibn Qayyim Al-Jawziyya:

     

    « Quand les musulmans ont occupé la Grande Syrie, Omar ibn Al-Khattab a reçu une lettre de la part des chrétiens :

     

    Nous ne construirons pas de nouveaux monastères, églises ou cellules de moines dans les villes musulmanes ni ne nous réparerons d'anciens ;

    Nous conserverons nos portes ouvertes aux voyageurs. Nous fournirons gîte et couvert pendant trois jours au voyageur musulman ;

    Nous n'hébergerons pas d'espions dans nos églises ou nos habitations et ne dissimulerons pas leur présence aux musulmans.

    [...]

    Nous acceptons ces conditions pour nous mêmes et notre communauté, et nous recevrons en retour une protection (dhimma).

    Si nous violions ces termes, nous nous exposerions aux pénalités de sédition.

     

    Umar répondit : "Signez ce qu'ils proposent, mais ajoutez deux clauses à celles qu'ils proposent. Ils ne pourront acheter quiconque fait prisonnier par les musulmans, et quiconque attaquera délibérément un musulman abandonne la protection accordée par ce pacte." »


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  • Contenu de l"Anqasa Amin (La Porte de la foi)

    du moine éthiopien (converti de l'islam) Enbaqom (= Habaquq)

    Introduction
    Invocation de la Trinité
    Invocation du Christ
    Titre de l'oeuvre
    Adresse aux lecteurs chrétiens
    Témoignage d'humilité, Occasion de l'oeuvre
    Correspondance avec Gran
    Témoignage d'humilité envers l'imam

    1. Témoignages du Coran
    a) Celui qui ne croit pas à la Torah et à l'Évangile, qui annoncent Jésus-Christ, renie Dieu
    b) Les fawatih, ALM signifient: ,Je louerai". Par conséquent le verset coranique 2/1-2 veut dire: "Je louerai ce livre-là", c'est-à-dire l'Évangile, où il n'y a pas de souillure"
    c) "Le Livre" au singulier (Coran 2/177) indique l'Évangile
    d) Les fawatih K H Y 'S (Coran 19/I) signifient: ,Le Christ mon Dieu"
    e) Les fawatih, H M’S Q (Coran 42/1) signifient: "Voyez, Emmanuel, le Dieu vivant"

    2. L'Évangile n'a pas été changé et a été préservé de toute influence nuisible parce qu'il a été écrit dans toutes les écritures existantes, contrairement aux Livres des Juifs et des Musulmans.

    3. L'Évangile est vrai à cause de sa morale élevée, contrairement aux lois des Juifs et des Musulmans qui ne portent que sur des choses terrestres. Les Apôtres qui ont prêché l'Évangile, les Chrétiens, les prêtres et les moines qui le pratiquent sont loués par le Coran lui-même.

    4. Conversion d'Enbaqom : La réflexion sur le verset 3/55 du Coran a fait voir à Enbaqom, d'abord musulman, que les Chrétiens sont les vrais imitateurs du Christ qui est né de Marie par l'opération de l'Esprit Divin. Les Musulmans aussi croient que Jésus est l'Esprit de Dieu. Le Coran prêche sa mission divine en parlant de sa naissance miraculeuse.

    5. Mais les Musulmans (le Coran) ont changé intentionnellement le nom de Jésus pour en ôter la signification de "rédempteur". Toutefois le Coran, par les fawatih Y S et les versets 1-9 de la sourate 36, renvoie clairement à Jésus et à sa récusation par les Juifs, prédite par les prophètes.

    6. La sourate 97 décrit la nuit de la naissance du Christ.

    7. De manière voilée, le Coran dit que Jésus est le Fils de Dieu, qu'il possédait le pouvoir créateur et qu'il a délivré Adam et ses descendants de la main de Satan. Ceci est confirmé par le livre du Elm.

    8. Le Coran se contredit au sujet de la mort de Jésus sur la croix.

    9. Pour les Chrétiens, les Musulmans sont à préférer aux Juifs. Car eux aussi professent la naissance du Christ, la virginité de Marie et la parousie de Jésus. Les raisons pourquoi ils ne se font pas chrétiens sont d'ordre matériel et moral. De plus, le Coran lui-même les égare et les mène au blasphème et à l'idolâtrie.

    10. Il n'y a pas de témoignage en faveur de l'Islam. Au contraire, l'Évangile- dont le Coran lui-même témoigne et qui a été écrit dans toutes les écritures sans changement- met en garde contre les Musulmans, comme d'ailleurs les livres des philosophes et des prophètes.

    11. L'Évangile prêche une noble morale, pratiquée par des philosophes et des rois pour qu'ils règnent avec le Christ le Jour du Jugement. Celui-ci est mentionné dans la Fatiha du Coran, qui parle des Musulmans comme d'égarés.

    12. Réfutation de la conception musulmane selon laquelle les Chrétiens attribuent à Dieu une femme et un fils et disent qu'il faut adorer des arbres et des pierres. Défense de la doctrine chrétienne sur le culte des images et de l'autel. Le dernier est même mentionné dans le Coran. L'imam est invité à se convertir et à recevoir le baptême.

    13. Réprobation des Chrétiens apostats.

    14. Comme témoin les Musulmans ne possèdent que la Pierre Noire.

    15. La comparaison entre les pratiques de jeûne chrétiennes et musulmanes et entre la manière de vivre des prêtres et des cadis montre clairement dans quelle mesure le Christianisme est supérieur à l'Islam. La loi des Musulmans ne vient pas de Dieu mais du moine nestorien Bahira.

    16. Les origines de l'Islam:
    a) Influence de Bahira sur le Coran et sur Mohammad.
    b) Meurtre de Bahira ; l'origine de l'interdiction de boire le vin et de l'emploi du henné dans l'Islam.

    17. L'Islam et les Chrétiens:
    a) l'erreur d'Héraclius; la persécution des Juifs; l'origine du jeûne d'Héraclius
    b) prophéties sur la venue des Musulmans
    c) attitude bienveillante de Mohammad envers les Chrétiens
    d) fin imminente de la domination musulmane.

    18. Prophéties de philosophes et témoignage du Coran sur la venue du Christ

    19. La Trinité est mentionnée dans le Coran et peut en être prouvée à l'aide
    a) de la basmala
    b) du verset de la Lumière, Coran 24/35

    20. La doctrine chrétienne sur la Trinité s'explique au moyen de comparaisons :
    a) le soleil, son éclat, sa chaleur
    b) l'homme, sa parole, son esprit

    21. La doctrine chrétienne sur la passion et la mort du Dieu-Homme est prêchée par le Coran et s'explique au moyen de la comparaison du bois qui est exposé au soleil et puis battu

    22. La doctrine chrétienne sur la Trinité:
    a) s'explique au moyen de comparaisons:
    1) la pierre précieuse, sa blancheur, sa lumière
    2) le feu, sa lumière, son ardeur
    b) est prouvée par la Bible

    23. Les Musulmans s'opposent à toute explication de la manière dont le Christ s'est fait homme, qu'elle soit nestorienne ou monophysite.
    Dispute entre Nestoriens et monophysites devant le calife Abrahim et son jugement en faveur des derniers

    24. Citations du livre du Élm.

    25. Extraits des paroles de sages philosophes au sujet de l'incarnation du Christ.

    26. Citations de la biographie de Mohammad:
    a) sa naissance
    b) sa rencontre avec Dieu et la réduction du nombre des jours de jeûne.
    c) l'enterrement d'un païen tué par l'ange Gabriel et l'attitude de Mohammad à cette occasion; débauche dans l'Islam; accusation d'homosexualité et raillerie sur le Hadith.

    27. Opposition entre l'attitude d'Adam, d'Idris et de Moïse d'un côté et de Mohammad de l'autre.

    28. Épilogue.


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  • Un traité du chrétien Arabe ʿĪsā b. Zurʿa

    philosophe et théologien arabe chrétien jacobite

    (m. 398/1008)

    Réfutation d’Abū al-Qāsim al-Balḫī

    philosophe et théologien muʿtazilite musulman

    (m. 319/931)

     

    Présentation

     

    Présenté et traduit par Mina-Raouf Amgad

    Pour citer cet article

    Référence papier : Mina-Raouf Amgad, « Un traité du chrétien Arabe ʿĪsā b. Zurʿa (m. 398/1008) », MIDÉO, 33 | 2018, 223-273.

    Référence électronique : Mina-Raouf Amgad, « Un traité du chrétien Arabe ʿĪsā b. Zurʿa (m. 398/1008) », MIDÉO [En ligne], 33 | 2018, mis en ligne le 05 juillet 2018, consulté le 09 février 2019. URL : http://journals.openedition.org/mideo/1958

     *

    *    *

     

     

    ʿĪsā b. Isḥāq b. Zurʿa ‒ que Dieu, qu’Il soit exalté, lui soit miséricordieux – a dit :

     

    Voici la Réfutation des chrétiens (al-Naṣārā) par Abū al-Qāsim ʿAbdallāh b. Aḥmad al-Balḫī, dans son livre appelé « Awāʾil al-adilla ». Certains de mes amis ‒ que Dieu les assiste ‒ m’ont demandé de l’étudier et de lui répondre.

     

    Le mois de Ḏū al-Qaʿda de l’année 387 A.H. (997 A.D.)

     

    [1. La Trinité, l’anthropomorphisme, la prophétie de Muḥammad]

    Voici ce qu’affirme Abū al-Qāsim dans ce qu’il dit contre les chrétiens :

    « (Voilà) ce qui nous oppose, nous et les chrétiens en ce qui concerne (1°) la Trinité (al-taṯlīṯ) ; (2°) l’anthropomorphisme (al-tašbīh) – bien qu’ils le rejettent – ; (3°) et leur rejet de la prophétie de notre prophète.

    Quant à l’anthropomorphisme (2°), ce qu’il faut leur dire c’est la même chose que l’on dit aux mušabbiha et aux juifs. Bien qu’ils nient (par rapport à Dieu) le renouvellement et la génération dans un lieu, à l’exclusion d’un autre, ils affirment qu’Il est trois choses (ašyāʾ) ce qui implique une division en parties (al-taǧazzuʾ).

    Et il en est de même de la prophétie (al-nubuwwa) (3°) : ce qu’on leur dit à ce sujet, c’est ce qu’on dit aux juifs. »

     

    Le répondant (Ibn Zurʿa) dit : Jʼai trouvé quʼAbū al-Qāsim – que Dieu lui soit miséricordieux – a réduit ce qui oppose les gens de sa communauté et les chrétiens à trois sujets, qu’il a énumérés, le premier étant la Trinité (1°).

     

    (Pour ce premier point), en voici le sens. Cʼest clair, les musulmans – que Dieu les assiste – sont dʼun avis différent, pour autant qu’ils pensent que les chrétiens croient en l’existence de trois dieux distincts et séparés (lʼun de lʼautre) ; or, cʼest là une opinion fausse. Par rapport à la vérité, et par rapport à ce que nous leur disons au sujet des attributs, (les musulmans) en reviennent à se distancier de la vérité de manière abominable en attribuant aux chrétiens d’affirmer que lʼun est trois et que trois est un. Car, en effet, même si les chrétiens sʼexpriment ainsi, ils affirment simplement quʼIl est un sous un aspect qui nʼest pas le point de vue sous lequel (il est dit) quʼIl est trois. Mais eux, (les musulmans) – que Dieu les assiste – ils devront conclure (de ce qu’ils disent), qu’Il est un et plus qu’un, sous le même aspect ; comme je vais le démontrer.

     

    En effet, je leur demande ceci, en m’adressant à leurs théologiens (li-mutakallimīhim) : Nous avons appris selon votre enseignement que les attributs du Créateur – qu’Il soit exalté – se divisent en deux (sortes) : il y en a qui sont des attributs de l’acte (ṣifāt al-fiʿl) et il y en a qui sont des attributs de l’essence (ṣifāt al-ḏāt). Je leur demande donc aussi : est-ce qu’il est possible d’être dans la vérité, si nous le qualifions – (Dieu) qu’Il soit exalté - par les attributs que vous appelez des attributs de l’essence ? D’après ce qu’ils répondent, nous disons (effectivement) la vérité si nous le qualifions ainsi. Il est évident que les affirmations sont véridiques seulement si elles sont conformes à ce qu’il en est. Il faut donc que les attributs (que nous Lui attribuons) soient conformes à Lui. Et si les attributs sont véridiques à son sujet, nécessairement une des deux choses s’impose ; soit, qu’ils soient l’essence (ḏāt), ou qu’ils soient des états (aḥwāl) à elle. S’ils sont l’essence elle-même, il est évident que les entités réelles (al-maʿānī) des attributs sont différentes, et l’essence se différencie donc par leurs différences et elle devient multiple, alors qu’elle est une ; ce qui est impossible et irraisonnable. S’ils sont des états dans l’essence, deux choses s’imposent : (d’une part) que l’essence soit autre que les attributs ; or, cela s’impose ; et (d’autre part) aussi que (Dieu) – qu’Il soit exalté – soit un par rapport à l’essence, et multiple par rapport aux attributs. Et c’est exactement ce que les chrétiens pensent. Il s’avère donc qu’il est nécessaire de suivre ce que disent les chrétiens au sujet du Créateur : qu’Il est un par essence, multiple par les attributs. S’éloigne donc d’eux l’abomination qu’on (voulait) leur imposer, de dire que l’un est trois et que trois est un ; et que cette abomination nous concerne tous (les chrétiens).

     

    Quant au deuxième point qu’il a mentionné concernant la dissension entre les chrétiens et lui – que Dieu lui soit miséricordieux ! – il s’agit de l’anthropomorphisme (2°). J’ai trouvé qu’il veut dire par ce terme « anthropomorphisme » une des deux choses suivantes : soit l’incorporation (al-taǧsīm), soit que le Créateur – qu’Il soit exalté – est comparable (yumāṯil) à ses créatures d’une façon et d’une autre. S’il veut dire par cela (qu’il s’agit) d’incorporation, (je dirai que) les chrétiens ne l’affirment pas ; car je ne connais aucune communauté parmi eux qui le croit. Aucune des trois communautés qui ont des enseignements et des doctrines bien fixés, ne suit cet avis. Mais peut-être veut-il dire par le terme « anthropomorphisme » que ses créatures partagent avec Lui quelque chose de ses attributs ; et je laisse de côté tous les autres attributs sur lesquels il n’est peut-être pas d’accord avec moi, car cela allongerait le discours.

     

    Je me restreins à parler de l’existence (al-wuǧūd) ; car le Créateur – qu’Il soit exalté – est qualifié d’être existant (mawǧūd), alors que le soleil est qualifié de la même chose. Et je ne trouve pas pour l’instant de différence entre ces deux êtres existants (al-mawǧūdayn) par rapport à l’entité réelle (maʿnā) de l’existence. Car pour nous l’être existant est quelque chose qui a la capacité d’agir ou de subir l’action, ou qui agit et (en même temps) subit l’action. Mais il s’agit là aussi d’une caractéristique du Créateur – qu’Il soit exalté – ; et les deux choses sont vraies aussi pour le soleil. Du fait qu’Il agit, le Créateur entre dans (la catégorie) de l’existant ; et le soleil est un existant du fait qu’il agit et subit. Il n’y a donc pas, actuellement, de différence entre les deux par rapport à l’existence. Remarquons néanmoins l’éternité du Créateur et l’advenir du soleil et aussi que Dieu demeure tout le temps et que le soleil disparaît. Mais ça, c’est une autre question. De toute façon, l’existence, à ce moment même, qu’on remarque qu’Il soit éternel (azaliyyatahu) ou que (le soleil soit) advenu (ḥudūṯahā), n’a qu’une seule signification et il n’y a aucune différence entre les deux à ce sujet, qu’Il subsiste tout le temps, ou que (le soleil) disparaisse.

     

    Quant au troisième point que Abūl-Qāsim a mentionné – que Dieu lui soit miséricordieux – qu’il y a dissension entre les chrétiens et lui en ce qui concerne la prophétie de Muḥammad b. ʿAbdallāh ; (c’est vrai qu’il y a) négation de celle-ci par les chrétiens (3°). Les chrétiens en effet, s’ils la rejettent, ils la rejettent par une démonstration correcte et sans défaut. Et pour cela, nous leur demandons et nous leur disons : Dieu – que sa majesté soit exaltée et puissante – que veut-Il en établissant des lois pour nous, et en nous envoyant des messagers et des prophètes ? Est-ce que tu trouves qu’il est possible que Dieu obtienne par cela un intérêt propre à Lui ou veut-Il simplement notre intérêt ? Je ne crois pas que quelquʼun puisse avancer que Dieu a voulu nous prescrire des lois, et qu’Il nous a imposé des commandements pour son propre intérêt sans nous faire partager (celui-ci). En fait, (en faisant) cela, Il vaut simplement notre intérêt, surtout que le bénéficiaire est celui qui a obtenu ce dont il avait besoin. Alors que le Créateur – qu’Il soit exalté – n’a besoin de rien. Car tout bien existe pour Lui et par Lui. Il ne tire profit de rien. Il est donc évident que s’Il veut notre intérêt, nous ne pouvons pas Lui attribuer l’avarice. Nous Lui attribuons véritablement que la générosité lui appartient à l’extrême (al-ǧūd bi-l-ḥaqīqa fī al-ġāya lahu). Il s’ensuit alors que tous ceux, autres que Lui, auxquels on attribue (une même générosité), par métaphore, doivent vouloir notre bien à l’extrême (al-ḫayr fī al-ġāya), et la vertu sans borne (al-faḍīla fī al-nihāya).

     

    C’est un des premiers principes sains que la passion ne vainc pas, que les vertus auxquelles nous sommes appelés sont de deux sortes : la justice (al-ʿadl) et la grâce (al-tafaḍḍul). Et aussi que la grâce est une vertu plus complète et plus parfaite que la justice. Parce qu’il y a plusieurs niveaux de grâce (al-tafaḍḍul), il y a (le niveau où) celle-ci atteint le degré le plus extrême au-delà duquel on ne peut ajouter davantage de vertu, et il y a ce qui n’arrive pas (à ce degré). Or, on ne peut accéder à l’être (al-kawn)117, sans qu’on ne s’engage (d’une certaine façon) sur le chemin de la grâce (al-tafaḍḍul) ; ce qui fait qu’elle est plus parfaite que la justice.

     

    Si nous envisageons les choses auxquelles nous invite notre Seigneur le Christ, nous trouvons qu’il s’agit de la grâce la plus extrême (aqsā ġāyat al-tafaḍḍul) dans tout ce que nous faisons et dans nos agissements. Tout ce que nous faisons par ailleurs émane des facultés de l’âme qui sont en nous. S’il est vrai qu’il nous a indiqué et qu’il nous a prescrit, selon nos facultés de l’âme, ce qui est le plus extrême, pour que ces facultés puissent pratiquer la vertu de la grâce (faḍīlat al-tafaḍḍul), il devient clair que cet appel mène la nature humaine au plus haut degré de ce qui est possible d’atteindre de vertu.

     

    Ce serait la plus abominable chose que de dire que le Créateur – qu’Il soit loué – nous envoie quelqu’un qui nous appelle et qui veut de nous ce qui est le contraire d’une vertu supérieure (al-faḍīla fī al-ġāya). Si cela auquel nous invite Muḥammad b. ʿAbdallāh est la vertu supérieure, à quoi cela sert-il ? L’invitation à suivre cette voie est venue précédemment, et l’appel et l’instigation (à la suivre), alors que celle [de Muḥammad] y est contraire. Nous avons déjà admis que la vertu de la grâce (faḍīlat al-tafaḍḍul) à laquelle nous avons été appelés était à l’extrême de la vertu (aqsā ġāya). Par rapport à l’invitation qui nous est faite (par Muḥammad), il ne nous reste plus que d’abandonner cette vertu supérieure (al-faḍīla fī al-ġāya) pour faire sans elle. Ce n’est pas le fait du sage d’appeler les gens à une vertu qui n’est autre que celle pour laquelle ils ont été appelés ; bien que certains parmi (ces sages) sont restés en deçà d’atteindre son extrême (ġāyatuhā). D’une loi qui est pourtant facile à appliquer, certains peuvent ne pas faire tout ce qu’elle exige et ne prendre seulement de ses commandements ce qui est facile. Et même s’il est clair que cela est une chose que le sage n’arrive pas à faire (parfaitement), il s’impose pourtant que nous ne sommes pas appelés à une loi qui vient après la loi de notre Seigneur le Christ, car sa loi nous appelle a une fin ultime, celle de la grâce la plus extrême (aqsā ġāyat al-tafaḍḍul) qui est la meilleure des vertus (afḍal al-faḍāʾil).

     

    Il nous reste à démontrer ce que nous avons mentionné : c’est-à-dire, que les vertus que notre Seigneur le Christ nous a invités à pratiquer sont à l’extrême de la grâce (fī ġāyat al-tafaḍḍul)) ; et que celle-ci est plus parfaite, en tant que vertu, que la justice.

     

    Nous disons donc ceci : les facultés de l’âme sont trois ; c’est ce que nous ont indiqué les premiers principes : ce sont les facultés appétitive (qūwwa šahwāniyya), irascible (ġaḍabiyya) et rationnelle (nāṭiqa). Le système le plus correct est celui où les facultés appétitive et irascible se laissent conduire par la faculté rationnelle. Quand chacune des deux se laisse tout-à-fait subjuguer et qu’elles se font conduire par la faculté rationnelle.

     

    Quant à la faculté appétitive, c’est sa manière de faire et son genre de vouloir obtenir ce qu’elle désire et de simplement le posséder. Or, voilà ce que disait (le Christ) dans ce qu’il prescrivait à ses amis : « Ne cherchez pas à acquérir quoi que ce soit ! » (Mt 10, 9-10). Et si nous obéissons à ce commandement, l’objet des passions sera retranché de nous et son emprise sur nous s’affaiblira ; et c’est la faculté rationnelle qui dominera celle-ci. Elle se procurera ce qu’elle acquiert, dans la mesure du besoin pour la subsistance et pas plus. En faisant cela, on est pris par la compassion, le détachement, puis le renoncement de vouloir posséder des objets. Il ne reste donc plus aucun pouvoir ni aucune autorité de cette faculté sur nous, car (le Christ) l’a orientée vers la faculté rationnelle.

     

    (Le Christ) en vient ensuite à ce qui constitue l’âme irascible (al-nafs al-ġaḍabiyya), ou si tu veux, la faculté irascible. Or, (le Christ) nous a demandé d’être bienfaisants envers nos ennemis, de prier pour eux, de se laisser conduire à faire ce qu’ils nous demandent, de les aider et de les aimer. Et il veut dire par cela que les actes que nous produisons envers eux soient comme ceux que nous produisons envers ceux qui nous sont chers.

     

    Et il en vient ensuite à la faculté rationnelle, en disant : « Scrutez les sciences et vous y trouverez la vie pour vos âmes » (Jn 5, 39) ; et il a dit par ailleurs : « Le Royaume des cieux est enfermé en vous » (Lc 17, 21) ; et il signifie par cela la faculté rationnelle qui est en nous, quand elle agit comme il faut.

     

    Si la manière de faire de chacune des facultés de l’âme est au maximum de ce qui lui est propre de faire pour qu’il y ait grâce (tafaḍḍul), ce qui est la meilleure des vertus, il ne leur reste plus de défaut qui introduirait un manque à la Loi (du Christ). (Si cela était le cas) cela impliquerait qu’il faudrait envoyer un messager qui établirait une autre loi qui nous réformerait. Il est donc évident qu’on n’a pas besoin d’abroger cette Loi (nasḫ hāḏihi al-šarīʿa) – je veux dire : la Loi chrétienne (al-naṣrāniyya) – par une autre loi, autre qu’elle. Il n’est pas permis en effet qu’elle soit abrogée (tunsaḫ)118 par une loi qui nous abaisse par rapport à la vertu à laquelle nous sommes appelés ; cela est vraiment impossible ! Il est en effet détestable pour une raison saine (de voir) que le chemin de la vertu parfaite (al-faḍīla al-kāmila) est clair et que nous y sommes (déjà) invités, et qu’ensuite revienne un envoyé pour nous inviter à autre chose (qui ne mène pas à l’excellence). En faisant ce deuxième appel, (Muḥammad) se présente comme quelqu’un qui dirait ceci : « Rejetez la vertu qui est parfaite, pour en revenir à ce qu’elle n’est pas. » Or, cela ne fait pas partie des attributs du (Dieu), le Bienveillant (al-Ǧawwād) et Sage (al-Ḥakīm).

     

    [2. Les thèmes de l’Union, la Trinité et la Prophétie]119

    J’ai trouvé qu’ (Abū al-Qāsim) – qu’il soit agrée par Dieu – a réduit le nombre de points d’opposition entre les chrétiens et lui. Car je n’ai pas trouvé de mention de la question de l’Union (al-ittiḥād), que les gens de sa communauté ne reconnaissent pas – que Dieu les assiste. Si je n’avais pas horreur d’allonger le discours, j’en démontrerais la nécessité et le fait qu’elle s’impose. D’ailleurs, j’ai déjà indiqué (auparavant) qu’il y avait réduction concernant les points d’opposition entre Abū al-Qāsim et les chrétiens.

     

    Quant à la réponse à ce qu’il dit, qu’ils affirment qu’Il est trois choses (ašyāʾ) – ce qui implique une division en parties (al-taǧazzuʾ) – la voici : cela est déjà contenu dans ce que nous avons mentionné en expliquant la Trinité et ce que croient les chrétiens à ce sujet. Or, ce que disent les chrétiens s’impose à Abū al-Qāsim comme cela s’impose à eux. (En effet), si la multiplicité ne s’impose que du point de vue des attributs, et que les attributs sont nécessaires à l’ensemble de l’essence et non pour une partie d’elle, elle (l’essence) ne se divise pas en parties. Donc, il est faux de parler de partition (al-taǧazzuʾ) et de division (al-taqsīm).

     

    Et il (Abū al-Qāsim) dit : « Il en est de même de la prophétie : ce qu’on leur dit à ce sujet, c’est ce qu’on dit aux juifs. » La réponse à cela, nous l’avons déjà mentionnée précédemment. Après ce que notre Seigneur le Christ nous a appelé à faire, il est inutile qu’il y ait un messager qui appelle à quelque chose à laquelle nous invitent Moïse ainsi que notre Seigneur le Christ ; puisqu’ils ont adopté les deux manières de se conduire, qui sont : la justice et la grâce. Ce sont les deux voies supérieures, et il ne reste plus de troisième voie de vertu à laquelle on serait invité et appelé.

     

    Abū al-Qāsim a dit : « Quant à la Trinité (al-taṯlīṯ) et la façon dont ils (les chrétiens) la traitent, nous prenons leur argument tel qu’ils l’ont employé et suivi, et il sera critiqué, comme nous allons le décrire si Dieu le veut. »

     

     Le répondant (Ibn Zurʿa) dit : Abū al-Qāsim a réussi à proposer une méthode parfaite pour le théologien (li-l-mutakallim) : si une personne veut critiquer un argument, il faut qu’elle donne une preuve qui annule cet argument. Si cette preuve que présente le théologien (al-mutakallim) est juste, et que la personne qui reçoit la critique la refuse, il se déshonore par ce refus, alors que ni la preuve, ni celui qui l’a prononcée ne se trouveront déshonorés.

     

    [3. Trois autres arguments concernant la Trinité]

    [3.1. La perfection (al-kamāl)]

    Abū al-Qāsim dit : « Nous sommes arrivés à la conclusion que (les chrétiens) font erreur quand ils disent ce qui suit : “Il se fait que celui qui n’a pas de fils est imparfait (nāqiṣ) et que celui qui a un fils, est plus parfait (akmal). Il s’impose donc que nous attribuions à (Dieu) l’attribut qui implique la perfection (al-kamāl) et la supériorité (al-faḍl).” On leur dira donc : dites donc qu’Il a deux yeux et deux bras, pour la même raison. »

     

    Le répondant (Ibn Zurʿa) dit : Cette erreur qu’il évoque n’est pas une erreur que les savants chrétiens vont accepter. C’est clair que (ce qu’il dit là) est faux d’un certain point de vue ; mais ce n’est pas le point de vue sur lequel s’appuie Abū al-Qāsim. Une chose est considérée imparfaite seulement quand il lui manque la qualité (al-faḍīla) qui appartient à son genre (al-ǧins) et qui est propre à son espèce (al-nawʿ). Quand il lui manque une qualité qui n’est pas de son genre, mais qu’elle appartient à autre chose, ce n’est donc pas une imperfection (naqṣ) ou un défaut (ʿār) à elle. En effet, la vitesse de la course du cheval est une des qualités qui appartiennent au cheval. Mais on ne considérera pas que l’homme soit imparfait quand on ne lui trouve pas cette vitesse ! Sentir les odeurs de très loin est une des qualités du vautour (al-raḫam) ; et l’homme n’est ni imparfait ni infirme si cela lui manque.

     

    Et s’il en est ainsi, tel qu’il apparaît par induction de ce que j’ai dit, il n’y a pas d’imperfection (naqṣ) quand il n’y a pas besoin de descendance (al-aḫlāf). (Or, c’est le cas de Dieu), car son essence ne tend pas vers le néant, pour qu’elle ait besoin d’une descendance et que son espèce subsiste. Ce qui a besoin de descendance, c’est ce qui tend vers la corruption (al-fasād) ; son espèce en effet ne peut subsister quand son essence vient à s’anéantir ; (cette descendance) en effet est la cause pour que celle-ci (puisse continuer à) exister et à persister. (Dieu) qui subsiste sans déclin (zawāl), ni disparition (nafād), n’a pas besoin de descendance ; ce n’est que ce qui périt et décline qui en a besoin.

     

    Ce que Abū al-Qāsim (a mis en avant) pour s’opposer (à ce que disent les chrétiens) comme étant une erreur, se réduit à affirmer que l’imperfection concerne l’essence, quand il lui manque quelque chose ou quelque chose de ses actes et de ses capacités. Or, cela implique que le Créateur – qu’Il soit exalté – doit nécessairement, d’une certaine manière, manquer (de quelque chose). Or, cela n’est le cas que si (le Créateur) serait égal à d’autres choses pour ce qui est de leurs actes, du fait d’être créé, de leurs manières d’agir et de leurs capacités. Or, (affirmer quelque chose de pareil), c’est une chose d’abominable. Ce qui ne restera pas caché à ceux qui ont quelque peu de raison et de la perspicacité, même si elle est assez faible.

     

    [3.2. Le Verbe et la Vie]

    Abū al-Qāsim dit : « (Les chrétiens) affirment que le Fils est Verbe (nuṭq), que l’Esprit est Vie (ḥayāt) et que celui qui est sans parole (laysa bi-nāṭiq) est muet, alors que celui qui n’a pas d’esprit, est mort (mayyit). On leur dira : celui qui n’agit pas (laysa bi-fāʿil) est impuissant, ou bien il renonce (à tout acte), ou il lui est impossible d’agir. En ce cas-là, dites donc qu’Il ne cesse pas d’agir ou qu’il ne renonce (nullement à tout acte), pour que vous puissiez rejeter (de lui attribuer) l’impuissance et qu’il y ait impossibilité que se produise l’acte. Celui qui n’a pas de main est, pour sa part, paralysé ; et celui qui n’a pas d’œil est aveugle ; et celui qui n’a rien de masculin, est féminin. »

     

    Le répondant (Ibn Zurʿa) dit : Abū al-Qāsim avance ici une autre erreur qu’il attribue aux chrétiens, et sur laquelle ils s’appuient (pour démontrer) l’existence de la Trinité. Il raconte en effet qu’ils affirment que « le Fils est Verbe (nuṭq) et que l’Esprit est Vie (ḥayāt) ». Or, il ne s’impose pas à celui qui affirme quelque chose par métaphore (al-istiʿāra), que l’objet de la comparaison ressemble en toute chose à ce qui est comparé à lui. Il dit que « celui qui est sans parole (laysa bi-nāṭiq) est muet » ; mais je ne connais absolument personne parmi les communautés des chrétiens qui pense que (ce que signifie) la notion (maʿnā) de « Verbe » (nuṭq) soit le contraire de « muet ». (Pour eux), par contre, (cette notion) est le contraire de « animalité » (al-bahīmiyya). Et quand ils qualifient le Créateur – que son Nom soit exalté – d’être « Vivant » ils ne pensent pas que cette notion est le contraire du fait d’être « mort » (al-maytūta), mais qu’elle est plutôt contraire au « néant » (al-ʿadam).

     

    En somme, la raison qui, d’après eux, oblige les chrétiens (à affirmer) la Trinité, ce ne sont pas (toutes) celles qu’il a mentionnées, mais c’est une autre. Car ils croient qu’il est des attributs du Créateur – qu’Il soit exalté – de connaître toute chose, alors que son essence est simple (maʿa basāṭat ḏātihi). Or, le fait de saisir les choses connaissables (al-maʿlūmāt) implique nécessairement l’intellect (al-ʿaql) de celui qui saisit. Du fait de sa simplicité (li-basāṭaṭihi), et sous ce point de vue, nécessairement, (le Créateur) n’est pas intelligeant (ʿāqilan), mais Il n’est qu’intellect (ʿaql). Car, du point de vue de sa simplicité, Il n’a pas besoin du tout de s’approprier la connaissance des choses au-delà de l’intellect. Car le premier objet de connaissance de l’intellect est en effet sa propre essence, comme cela a déjà été démontré dans les livres sur l’intellect. Et étant intellect, il n’est pas nécessaire à son essence d’être aussi l’intelligible de son essence. Mais en étant intelligible de son essence, il devient intelligeant de son essence. Cette essence possède alors trois attributs essentiels (ṯalāṯ ṣifāt ḏātiyya), quand on reconnaît sa connaissance de tout autre existant ou certains existants, cʼest-à-dire qu’il est intellect, intelligeant et intelligible. On donne à ces trois attributs l’appellation de « Père, Fils et Esprit » ; et ceux-ci symbolisent (rāmiza) celles-là et invitent à examiner ce qu’est leur véritable réalité (ḥaqīqatuhā), pour que, par la recherche, nous obtenions la perfection de la connaissance se rapportant au Créateur (bi-amr al-Bāriʾ) – qu’Il soit loué ! Car les choses simples (al-basāʾiṭ), les choses que les sens ne saisissent pas (al-baʿīda ʿan al-ḥawāss), ne se connaissent seulement, soit par analogie (bi-l-munāsaba) entre elles et entre ses objets de connaissance (maʿlūmātuhā), soit par analogie entre elles et entre leur essence.

     

    Moïse – sur lui la paix – nous a montré par rapport à l’advenir (des choses) et comment on décrit la création des créatures, (qu’il y a) analogie (al-munāsaba) entre la cause et les choses causées, du fait que l’existence du causé implique nécessairement l’existence de la cause. Notre Seigneur le Christ (nous a indiqué) une autre façon par laquelle nous connaissons ce que nous ne connaissons pas par les sens (baʿīd ʿan al-ḥawāss), quand il a mentionné un deuxième mode de connaissance, un mode parmi les deux modes de connaissance, celui de l’analogie entre lui (le Christ) et son essence (Dieu). De cette façon la connaissance du Créateur se parfait. Et voilà la réponse à ce que (Abū al-Qāsim) avance que toute chose à laquelle il lui manque quelque chose (ʿadam) qui est en fait une qualité d’autre chose, on doit lui attribuer d’être imparfaite parce que cela lui manque (ʿadam) à son essence. Et voilà ce qui suffit à ce sujet.

     

    [3.3. La Paternité et la Filiation]

    Abū al-Qāsim dit ceci : « (Les chrétiens) trouvent dans leur Livre que le Christ a dit “Je pars vers mon Père et votre Père.” S’ils allèguent que ces paroles impliquent que le Christ est son Fils, comme ils le croient, il s’ensuit que tous ceux auxquels il a adressé la parole sont eux aussi fils de Dieu. »

     

    Le répondant (Ibn Zurʿa) dit : Par Dieu, si vraiment ils prétendent ce que (Abū al-Qāsim) a mentionné, ce qu’il dit s’ensuit nécessairement. Mais si (les chrétiens) ne l’affirment pas, cela ne s’impose pas à eux. Car en effet, la notion (maʿnā) de « fils » veut dire pour eux deux choses. Une des deux, c’est que le fils est de la nature de son père, tels que nous le sommes par rapport à nos pères ; et cette analogie (al-munāsaba) implique l’égalité (al-tasāwī) des deux éléments de l’analogie (al-mutanāsibayn) dans la substance (al-ǧawhar) et la nature (al-ṭabīʿa). Le deuxième (sens de « fils ») consiste en une relation par choix (nisba iḫtiyāriyya) de la même façon que l’homme se relate à celui dont il imite les actions. On dira donc chez (les chrétiens) de ceux qui imitent Dieu dans l’action du bien, qu’ils sont des « fils de Dieu ». Et il en est de même de ceux qui imitent les actions mauvaises du diable, qu’ils sont des fils du diable. Ils appellent aussi « fils » dans un troisième sens, plus général. Le causé (al-maʿlūl) par rapport à la cause ressemble à la relation entre le fils et le père : à cause de cette ressemblance, ils font du causé un fils et de la cause un père. Mais par rapport à la parole (du Christ) « Je pars vers mon Père et votre Père », les chrétiens ne croient pas que l’aspect de « paternité » (al-ubuwwa) par rapport à lui (le Christ) et par rapport à eux est le même. Ils pensent que c’est différent, car l’aspect de la paternité est naturel (ṭabīʿiyya) chez celui qui parle (al-qāʾil) et elle est d’imitation (al-iqtidāʾ) des actes chez ceux auxquels la parole est adressée (al-muḫāṭabīn).

     

    [4. Abū al-Qāsim cite al-Iskāfī concernant la filiation]

    Abū al-Qāsim dit : « Al-Iskāfī a posé cette question (aux chrétiens) : “N’est-ce pas que le père a un fils ?” Les chrétiens ont dit : “Si !” Et il leur dit : “Et le fils n’a pas de fils ?” Les chrétiens ont répondu : “C’est ainsi !” Alors al-Iskāfī a répondu : “Comment ce fait-il alors que celui qui a un fils est (le même que) celui qui n’a pas de fils ? Et comment serait-il possible que le fils soit autre que Dieu ?” »

     

    Le répondant (Ibn Zurʿa) dit : Cette question n’est pas conforme à ce qu’Abū al-Qāsim a attribué aux chrétiens au sujet de la Trinité. Car il a fondé leur Trinité sur la partition (al-taǧazzuʾ) et la multiplicité (al-takṯīr). Il s’ensuit que la construction de leur Trinité est basée sur l’unité de l’essence (waḥdāniyyat al-ḏāt) qui est caractérisée par ces attributs. Or, si la paternité et de la filiation signifient les attributs de l’essence, dans un sens littéral du terme (ʿalā ẓāhir al-lafẓ), alors ce qu’al-Iskāfī a mentionné s’impose. Mais la signification de ceux-ci est celle que nous avons mentionnée quand nous disions que la notion de « Père » est celle d’« intellect », et que la notion de « Fils » est celle d’« intelligeant ». Rien n’empêche à ce que quelque chose qui est un, soit intellect et qu’il soit intelligeant de sa propre essence en même temps ; et que la même chose soit intellect, intelligeant et intelligible. (Et s’il en est ainsi), l’impossibilité qu’al-Iskāfī a voulu imposer ne s’ensuit pas ; c’est-à-dire que la même chose soit père et non-père en même temps. Et pour ce qui concerne son affirmation que « le père n’est pas le fils » : pour dire la vérité, toute chose doit être, soit une certaine chose, ou autre chose. Et si le père n’est pas le fils, il est donc autre chose ; et ceci n’est pas impossible, tout comme il n’est pas impossible de dire que (la notion de) sage (ḥakīm) – qui est une notion qui rassemble l’essence et la sagesse – soit autre que la notion de bienveillant (ǧawād). Si on regarde le sujet de ces attributs d’une façon abstraite, celui-ci est un et il n’est multiple d’aucune façon ; mais si on regarde le sujet (de ces attributs) en les visant l’un après l’autre, alors l’essence, avec chacun de ces attributs, est différente que celle décrite autrement. Et elle sera donc une d’un point de vue de l’essence (abstraction faite des attributs), et multiple d’après les attributs. Elle sera « père » du point de vue qu’elle est intellect et cause, et elle sera « fils » du point de vue qu’elle est intelligente et causée. Cela n’est donc pas impossible. Ce qu’al-Iskāfī voulait imposer aux chrétiens est donc faux.

     

    [5. Abū al-Qāsim cite al-Iskāfī concernant l’adoration du Christ]

    Abū al-Qāsim dit : « (Al-Iskāfī) leur a demandé aussi : si vous adorez le Christ, alors que le Christ est Dieu et homme, vous adorez donc l’homme ; et celui qui adore l’homme est un mécréant, aussi bien pour nous que pour vous. »

     

    Le répondant dit ceci : Si nous situons le Christ là où il mérite d’être honoré (al-taʿẓīm) et déifié (al-taʾalluh), cela nous le faisons grâce aux deux essences (al-ḏātayn) dont il est constitué (mutaqawwam minhumā). Car nous le qualifions d’être Dieu d’après une des deux essences dont il est constitué ; c’est-à-dire l’essence de Dieu le Fils. Il n’est en fait pas étrange que quelque chose soit honoré sous certains aspects, alors que certaines de ses parties, prises à part, ne méritent pas du tout d’être honorées comme l’est honorée l’autre partie. Prenons par exemple l’homme Zayd, dont une de ses parties mérite d’être honorée, c’est-à-dire l’intellect. Alors qu’il ne le mérite pas pour autant qu’il mange beaucoup ; et ce n’est pas non plus parce qu’il est souple de nature ou qu’il ne le soit pas ; et ce n’est pas non plus parce qu’il a les membres d’un être féminin ou masculin. Quand nous honorons Zayd, par exemple, ce n’est pas pour toutes ces raisons, mais parce qu’il est intelligeant (ʿāqil) et qu’il est le fils d’un tel chef, dont la position auprès du sultan est une telle position. Et s’il est possible qu’une seule chose a plusieurs états (aḥwāl), dont certains méritent d’être honorés et d’autres pas, on honorera donc l’ensemble en vertu de certaines parties (qui le méritent). S’ensuit de cela la fausseté de ce qu’al-Iskāfī voulait imposer aux chrétiens (comme conséquence de ce qu’ils disent) : l’adoration de l’homme.

     

    [Épilogue]

    Mon cher monsieur – que Dieu fasse que je serve pour toi de rançon ! – : ce qu’Abū al-Qāsim a mentionné – que Dieu lui soit miséricordieux – pour réfuter les chrétiens, je l’ai expliqué dans la mesure de mes faibles capacités, le cœur troublé dans sa réflexion. Je demande à Dieu qu’il m’accorde le bienfait de sa guidance, Lui qui est mon Seigneur ; et cela par sa grâce, sa grandeur, sa générosité et sa bonté. Et qu’Il me pardonne pour la distraction, si elle se trouve, et l’erreur, si elle existe. Toi qui connais le temps et ses parties, et le travail pour lequel nous nous sommes engagés, l’attention que nous y avons portée pour y réfléchir et mener à bien cette tâche – in šāʾ Allāh Taʿālā !

     

     

    Notes :

     

    118 Tunsaḫ illā bi-šarīʿa : il nous semble que illā est une faute de copiste.

     

    119 Ibn Zurʿa donne ici clairement l’impression de citer hors contexte des extraits du livre d’Abū al-Qāsim, qui à certains moments reprend des sujets qu’il avait déjà abordés et continue ensuite à réfuter trois arguments de chrétiens concernant la Trinité, (1°) la perfection, (2°) le Verbe et la Vie, (3°) la Paternité et la Filiation ; le livre d’Abū al-Qāsim devait contenir ensuite deux références à al-Iskāfī, (1°) une concernant la Filiation, et (2°) une concernant l’adoration du Christ.

     


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  • Un traité du chrétien Arabe ʿĪsā b. Zurʿa

    philosophe et théologien arabe chrétien jacobite

    (m. 398/1008)

    Réfutation d’Abū al-Qāsim al-Balḫī

    philosophe et théologien muʿtazilite musulman

    (m. 319/931)

     

    Traduction

     

    Présenté et traduit par Mina-Raouf Amgad

    Pour citer cet article

    Référence papier : Mina-Raouf Amgad, « Un traité du chrétien Arabe ʿĪsā b. Zurʿa (m. 398/1008) », MIDÉO, 33 | 2018, 223-273.

    Référence électronique : Mina-Raouf Amgad, « Un traité du chrétien Arabe ʿĪsā b. Zurʿa (m. 398/1008) », MIDÉO [En ligne], 33 | 2018, mis en ligne le 05 juillet 2018, consulté le 09 février 2019. URL : http://journals.openedition.org/mideo/1958

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    Résumé

    Dans un siècle caractérisé par les débats théologiques au sein d’un milieu propice aux interactions culturelles et intellectuelles entre juifs, chrétiens et musulmans, ʿĪsā b. Zurʿa (m. 398/1008) et al-Balḫī (m. 319/931) ont mené un débat profond sur la Trinité, l’anthropomorphisme et la prophétie de Muhammad. Dans cet article, nous présentons non seulement une traduction inédite en français de cet échange, mais aussi le commentaire de ces débats théologiques en les situant dans l’histoire des réfutations islamo-chrétiennes. Nous montrons comment ces deux auteurs appartenaient à une élite et partageaient des méthodes d’argumentation, sources d’une sagesse commune qui contribuait à un respect mutuel, alors même que chacun se revendiquait membre de religion différente.

     

     

    Plan

    Introduction

    ʿĪsā b. Zurʿa et les controverses islamo-chrétiennes de 750 à 1050

    La vie d’Ibn Zurʿa

    Les œuvres d’Ibn Zurʿa

    Abū al-Qāsim al-Balḫī, sa vie, ses œuvres et la Réfutation d’Ibn Zurʿa

    Discussions théologiques concernant l’Unité de Dieu

    L’Unité et l’Unicité de Dieu et le Coran

    Questions concernant les attributs de Dieu et la Trinité

    Dieu chez des philosophes arabes musulmans

    L’influence des penseurs grecs de l’Antiquité

    Yaḥyā b. ʿAdī (363/974), l’inspirateur de Ibn Zurʿa

    Les réponses de ʿĪsā b. Zurʿa aux questions d’al-Balḫī

    La première question d’al-Balḫī et la réponse d’Ibn Zurʿa

    L’Unité de Dieu et la multiplicité des attributs

    Dieu Verbe et Vie

    Intellect, intelligeant, intelligible

    Intellect et Trinité

    L’Analogie

    Conclusion : la doctrine trinitaire d’Ibn Zurʿa

    Remarque finale

     

    Introduction

    1 Le patrimoine de la pensée arabe chrétienne n’a pas encore reçu ses lettres de créance du monde savant des arabisants. En 1900, lors du premier congrès international de l’histoire des religions à Paris, Carra de Vaux attirait déjà l’attention sur l’utilité de prendre en compte la littérature arabe chrétienne. Il évoqua Émile Galtier (m. 1908), en disant qu’il s’était attaché à l’étude difficile de cette littérature, dont il avait admirablement montré l’importance1. Il y eut d’autres exceptions notables. On n’oubliera pas que durant le xxe siècle, d’éminents spécialistes s’employèrent dans ce domaine, comme Georg Graf ou Paul Sbath, qui a consacré sa vie à rassembler un grand nombre de manuscrits d’auteurs Arabes chrétiens et a assuré l’édition de nombreux de leurs traités. Louis Cheikho et Augustin Périer font partie des premiers orientalistes qui s’intéressèrent aux philosophes Arabes chrétiens et notamment à Yaḥyā b. ʿAdī, maître de l’école philosophique de Bagdad après al-Fārābī. Il faut mentionner aussi Joseph Nasrallah, Gérard Troupeau, Samir Khalil, Sidney Griffith, Emilio Platti et David Thomas, chercheur et éditeur du grand manuel Christian-Muslim Relations : A Bibliographical History2. Plus récemment, pour la philosophie de ces auteurs chrétiens, Gerhard Endress, Robert Wisnovsky, et bien d’autres encore, ont contribué à faire connaître le patrimoine de la pensée arabe chrétienne en Occident3.

     

    2 L’essai proposé ici est consacré à la Réfutation d’Abū al-Qāsim al-Balḫī (m. 319/931)4, philosophe et théologien muʿtazilite musulman, par Ibn Zurʿa, philosophe et théologien arabe chrétien jacobite de la fin du xe siècle et disciple préféré du penseur jacobite Yaḥyā b. ʿAdī (m. 363/974). La Réfutation qui nous occupe porte essentiellement sur trois points : (1°) la Trinité divine (al-taṯlīṯ), professée par les chrétiens, et les attributs divins tels qu’ils sont conçus par les musulmans ; (2°) l’Incarnation du Christ professée par les chrétiens, perçue comme anthropomorphisme (al-tašbīh) par les musulmans ; et enfin (3°) le statut de la prophétie de Muḥammad, telle qu’elle est professée par les musulmans. Ces trois thèmes sont annoncés au début du texte de la réfutation5.

     

    3 Un commentaire exhaustif des trois questions dépasserait les limites de cet article. Il nous a donc semblé judicieux de nous focaliser sur la première question concernant la Trinité. La seconde question, sur le prétendu anthropomorphisme que constitue l’Incarnation, supposerait de traiter longuement de l’analogie des êtres et de l’ineffabilité de Dieu, thèmes qui traversent toute l’histoire des discussions islamo-chrétiennes6. En outre, les deux questions, celle de la Trinité et celle de l’Incarnation, sont portées par des argumentations philosophiques similaires, formant un ensemble cohérent. L’analyse de la première question sur la Trinité nous permet déjà de montrer le caractère spécifique de l’argumentation d’Ibn Zurʿa, sa conception de la philosophie grecque et sa relation avec la foi chrétienne. Par contre, la troisième question s’appuie sur un autre type argumentatif, plutôt à caractère éthique et historique, révélateur de la perception que les chrétiens avaient du personnage de Muḥammad et de son message, dès le commencement de l’Islam jusqu’au xie siècle7.

     

    4 Nous nous appuierons pour notre étude sur l’édition des vingt traités établis par Paul Sbath, dans lequel se trouvent d’autres traités d’Ibn Zurʿa8, ainsi que sur l’ouvrage de Cyrille Haddad sur ʿĪsā b. Zurʿa9.

     

    5 Par souci de clarté, en ce qui suit, nous présenterons tout de même sommairement le contenu de chacune des trois questions qui composent le traité qui nous occupe.

     

    6 1° La première question d’al-Balḫī porte sur la croyance des chrétiens en l’existence de trois dieux distincts. L’objection d’al-Balḫī est formulée comme suit : « Ils (les chrétiens) affirment qu’Il (Dieu) est trois choses (ašyāʾ), ce qui implique une division en parties (al-taǧazzuʾ). » Dans sa réponse, Ibn Zurʿa recourt à la trilogie aristotélicienne de l’intellect, l’intelligent et l’intelligible, qu’il assimile au Père, au Fils et à l’Esprit Saint. Comme nous l’indiquerons plus loin, cette analogie avait été formulée auparavant par son maître Yaḥyā b. ʿAdī en différents endroits de son œuvre. Mais la comparaison de l’Intellect avec la personne du Père se heurtait à une sérieuse difficulté, car l’Intellect, selon la conception des anciens, est simple et non composé. Selon les sources biographiques, Ibn Zurʿa a été incité à réfléchir à ce problème dans la nuit du 8 avril 979, lorsqu’il eut en vision son maître, qui lui demanda alors de composer un traité sur l’Intellect10. L’enjeu dans cette première partie est donc de prouver que l’Intellect, contrairement à ce que pensaient les anciens, est composé et non simple.

     

    7 2° La deuxième question d’al-Balḫī a pour objet l’anthropomorphisme des chrétiens. Pour al-Balḫī, il est similaire à celui des Mušabbiha11 et des juifs » (trad. in. XXX). Dans sa réponse, Abū al-Qāsim se réfère à al-Iskāfī12 qui interrogeait les chrétiens sur ce point. La Mušabbiha est une branche de la Ṣifātiyya, qui qualifie Dieu d’attributs comme la science, la puissance, la vie, la volonté, et même la vue, l’ouïe, la parole, la générosité, etc. Ceux-ci ne distinguent pas entre les attributs de l’essence et les attributs de l’acte13. Par ce fait, Dieu peut avoir des mains et des jambes. Les muʿtazilites, tels qu’al-Balḫī, rejettent cette opinion, et ils ont donné à cette communauté le nom de Mušabbiha, désignant une « similitude » entre Dieu et l’homme créé. Pour al-Balḫī, les chrétiens affirmeraient de la même façon une ressemblance entre Dieu et l’homme, car ils prétendent, tout comme la Mušabbiha, que Dieu se manifeste comme une personne. C’est ainsi qu’ils comprennent le verset du Coran où Dieu, ou l’Esprit de Dieu, se manifeste à Marie : « Elle plaça un voile entre elle et les siens, nous lui avons envoyé notre Esprit, il se présente devant elle sous la forme d’un homme parfait » (Cor. XIX, 17). Comme le dit Haddad : « Cette accusation d’anthropomorphisme émane bien d’un muʿtazilite, qui adressait le même reproche aux Mutakallimīn orthodoxes de l’Islam. On sait qu’al-Ašʿarī, revenu à l’orthodoxie, reprocha aux muʿtazilites d’avoir nié que Dieu avait un visage, des yeux, des mains, un trône, alors que les textes du Coran emploient de telles expressions14. » Pour al-Ašʿarī, le bi-lā kayf15 permet de maintenir l’affirmation littérale du texte coranique tout en reconnaissant que l’on ne connaît pas le mode d’existence de ces attributs. Pour Ibn Zurʿa, on ne peut nier d’attribuer à Dieu une perfection qui relève de son essence.

     

    8 3° La troisième question d’al-Balḫī concerne la prophétie de Muḥammad et le statut de sa Loi. Al-Balḫī y affirme que les chrétiens rejettent la prophétie de Muḥammad. Dans sa réponse, Ibn Zurʿa en explicite les raisons. D’abord, par rapport à la Loi : quand Dieu nous envoie des messagers et des prophètes, Il cherche notre intérêt et non pas le sien. Car tout bien existe pour Lui et par Lui, et non l’inverse. Or, sur ce point, la Loi de Muḥammad b. ʿAbdallāh n’a rien apporté de nouveau aux deux lois précédentes, celle de Moïse et celle de Jésus. Par rapport à la vertu : celle que le Christ a enseignée est en tout supérieure (al-faḍīla fī al-ġāya). L’invitation à suivre cette voie a déjà été proposée par le Christ16. Enfin, en ce qui concerne le salut : Ibn Zurʿa montre que le message de n’importe quel prophète permet aux facultés de l’âme, qu’il s’agisse de l’appétitive (qūwa šahwāniyya), de l’irascible (qūwa ġaḍabiyya) et de la rationnelle (qūwa nāṭiqa), de se réaliser. Or, objecte Ibn Zurʿa, Muḥammad b. ʿAbdallāh ne s’est pas positionné par rapport à chacune d’elles.

     

    9 Ce traité, qui aborde ces trois questions, n’a jamais été étudié ni traduit, ni situé dans l’histoire des réfutations islamo-chrétiennes. Or, il est rédigé à la fin de la période qui commence du temps du calife al-Mahdī (185/775-169/785) et de Timothée I (qui fut patriarche de 780 à 823), en passant par le calife al-Maʾmūn, les réactions anti-rationalistes qui débutent sous le calife al-Mutawakkil, jusqu’au début du xie siècle. Il est représentatif des sujets de discussions islamo-chrétiennes de cette période, qui se caractérise par une interaction intellectuelle très vive entre juifs, chrétiens et musulmans17. Les savants de ces trois communautés formaient en effet une élite partageant des méthodes argumentatives et un savoir commun, vecteur d’une sagesse qui contribuait à un respect mutuel, bien qu’ils adhérassent à une religion différente.

     

    10Pour éclairer notre Traité18, nous prendrons en compte le Traité sur l’Intellect19 dans lequel Ibn Zurʿa raconte comment il eut en vision son maître Yaḥyā b. ʿAdī, venant lui expliquer sa doctrine concernant la Trinité. Nous verrons à ce sujet combien ce maître s’appliquait dans la polémique ou la réfutation de certains penseurs contemporains ou appartenant à des générations précédentes, pour mieux comprendre les positions d’Ibn Zurʿa20.

     

    ʿĪsā b. Zurʿa et les controverses islamo-chrétiennes de 750 à 1050

    11 Ces traités d’Ibn Zurʿa font partie d’une grande tradition de débats, articulés en différentes formes littéraires, qui font partie d’un ensemble civilisationnel cohérent, allant d’environ 750 à 1050. On trouve des rapports de séances de discussions (maǧlis), des textes relatant des débats publics devant des autorités (muǧādala), des correspondances entre maîtres et disciples ou entre collègues (risāla), ou bien encore des réfutations de traités écrits précédemment (radd). Pour ce qui concerne Le Traité écrit pour le juif Bišr b. Finḥās b. Šuʿayb al-Ḥāsib21, il adopte la forme épistolaire ; quant au Traité qui nous occupe, il appartient très clairement au genre de la réfutation. Le premier traité est adressé à un contemporain d’Ibn Zurʿa, et le deuxième est une réfutation d’un penseur d’une génération antérieure. Dans ce dernier cas, les auteurs reprennent souvent, en totalité ou en partie, le texte-même qu’ils veulent réfuter. Il en va ici de ce procédé puisque Ibn Zurʿa reprend, mais probablement de manière partielle, les arguments d’al-Balḫī.

     

    La vie d’Ibn Zurʿa

    12 Ibn Zurʿa est né à Bagdad en 331/94222. Il est mentionné entre autres dans trois ouvrages de référence anciens, le Fihrist d’Abū al-Faraǧ Muḥammad b. al-Nadīm (m. 395/995), contemporain d’Ibn Zurʿa23, le Tā'rīḫ al-Ḥukamāʾ de Yūsuf b. ʿAlī al-Qifṭī (m. 646/1248)24 et le ʿUyūn al-anbāʾ fī ṭabaqāt al-aṭibbāʾ d’Ibn Abī Uṣaybīʿa (m. 668/1270)25. C’est Ibn ʿAlī al-Qifṭī qui indique comme date de la mort d’Ibn Zurʿa 398/1008.

     

    13 D’après le Fihrist, qui tient Ibn Zurʿa pour contemporain (fī zamāninā hāḏā – « il est de notre temps »), son nom complet est Abū ʿAlī ʿĪsā b. Isḥāq b. Zurʿa b. Murqus b. Zurʿa b. Yūḥannā. Il était philosophe arabe et apologiste chrétien. Il a suivi des études avancées en littérature, physique et mathématique, selon le curriculum de philosophie de l’époque. Ibn Zurʿa entra à l’école de philosophie de Yaḥyā b. ʿAdī (m. 363/974), le célèbre logicien (al-manṭiqī, sa première qualité, d’après Ibn al-Nadīm), qui jouissait d’une très grande autorité parmi ses contemporains, musulmans ou chrétiens. Il y avait parmi eux de grandes figures intellectuelles, dont Abū al-Faraǧ Muḥammad b. al-Nadīm lui-même et Abū Ḥayyān ʿAlī b. Muḥammad al-Tawḥīdī (m. 414/1023), mutakallim muʿtazilite et essayiste persan, qui a rapporté les séances de discussions, auxquelles participait Yaḥyā b. ʿAdī, dans son livre des Muqābasāt et dans d’autres ouvrages. Celui-ci connaissait aussi Abū al-Ḥasan ʿAlī al-Masʿūdī (m. 345/956), le célèbre historien. Ibn Zurʿa fut disciple de Ibn ʿAdī avec Abū Sulaymān al-Siǧistānī (c. 375/985), logicien reconnu, ainsi qu’avec ʿĪsā b. ʿAlī b. Dāwūd b. al-Ǧarrāḥ et Abū al-Qāsim, fils du vizir, qui a étudié la logique chez Yaḥyā et chez qui il apprit aussi l’art de l’argumentation26. À ceux-ci il faut ajouter Abū al-Ḥasan b. Ṣuwār, médecin et philosophe nestorien. Tels étaient les condisciples et amis d’Ibn Zurʿa, dans le cercle dominé par Yaḥyā b. ʿAdī27. Ibn Zurʿa s’inscrit ainsi dans ce qu’on appelle « l’École philosophique de Bagdad »28, qu’on peut faire remonter plus loin que Yaḥyā b. ʿAdī, avec les prédécesseurs de ses maîtres à lui, le syriaque al-Marwazī (m. début xe s.) et Ibn Ḥaylān (m. 320/932 ?), maîtres du nestorien Abū Bišr Mattā (m. 328/940) et de Abū Naṣr al-Fārābī (m. 339/950).

     

    14 Une profonde amitié unissait Ibn Zurʿa à son maître Ibn ʿAdī. Ibn Abī Uṣaybiʿa écrivit de lui « qu’il était un grand ami de Yaḥyā et qu’on le voyait souvent à ses côtés29 ». Ibn Zurʿa se trouva au chevet de son maître et reçut son dernier vœu : « Certains morts sont devenus vivants par la science, et des survivants sont déjà morts des suites de leur ignorance et de leur bégaiement ; acquerrez donc la science pour obtenir l’immortalité ; n’estimez point la vie dans l’ignorance30. » Le souvenir de son maître ne le quitta plus même après la mort de celui-ci. Quatre ans plus tard, en 978, Ibn Zurʿa écrivit un traité sur l’Intellect, prétendant qu’il l’avait rédigé « sous la recommandation » de son maître, qu’il avait vu en vision, et qui lui avait demandé d’éclaircir certains points douteux concernant l’Intellect31. Ibn Zurʿa connut très probablement les réfutations rédigées par son maître32. Elles nous sont parvenues dans des manuscrits qui se trouvent aujourd’hui en Égypte et en Iran33. Il nous suffit d’énumérer les auteurs que réfute Yaḥyā, pour montrer comment le traité qui nous occupe, la Réfutation du musulman Abū al-Qāsim al-Balḫī par Ibn Zurʿa, s’inscrit dans cette tradition de polémiques philosophico-religieuses. Notons par exemple, les réfutations du premier philosophe arabe musulman Abū Isḥāq al-Kindī, du soi-disant zindīq musulman Abū ʿĪsā al-Warrāq, du musulman inconnu adepte de la théologie de l’iktisāb d’al-Ašʿarī (m. 324/936), Abū ʿUmar Saʿd b. al-Zaynabī, du musulman Abū al-Ḥusayn Aḥmad al-Miṣrī, sa Lettre au nestorien Abū al-Qāsim b. Ḥabīb, la réponse d’Abū al-Ḫayr al-Ṣayrafī, enfin d’autres polémiques avec des musulmans, récemment redécouvertes34.

     

    Les œuvres d’Ibn Zurʿa

    15 S’il est jacobite, et sa démarche est avant tout théologique, Ibn Zurʿa accorde cependant une grande place à la philosophie, non seulement en raison de l’écriture d’œuvres à caractère proprement philosophique, mais aussi en ce que les références à la révélation sont écartées en faveur d’une argumentation fondée sur la raison35. Parmi ses œuvres philosophiques, certaines comprennent des traductions à partir du syriaque, mais aussi des traités de son propre cru, rédigés soit en syriaque soit en arabe. La seule liste des traductions, commentaires et œuvres originales mentionnés par Ibn al-Nadīm, Ibn al-Qifṭī et Ibn Abī Uṣaybiʿa donnent à voir la richesse du travail accompli par l’école de Bagdad36.

     

    16Parmi ses œuvres, il est utile de mentionner les travaux qui concernent la philosophie, ses traductions, dont celle des Réfutations sophistiques d’Aristote37, et ses commentaires, dont son épitomé de la logique d’Aristote38. Suivent les ouvrages à caractère apologétique, dont les quatre traités édités par Paul Sbath39 : 1° Une Lettre à un ami musulman, traduite par Gérard Troupeau40 ; 2° une autre correspondance, mentionnée par Ibn Abī Uṣaybīʿa, le Traité écrit pour le juif Bišr b. Finḥās b. Šuʿayb al-Ḥāsib, analysée et traduite par Peter Starr dans sa thèse41 ; 3° la réfutation du livre Awāʾil al-adilla d’Abū al-Qāsim ʿAbdallāh b. Aḥmad al-Balḫī42 ; 4. le traité sur l’intellect, écrit en 368/978, quatre ans après la mort de Yaḥyā b. ʿAdī.

     

    Abū al-Qāsim al-Balḫī, sa vie, ses œuvres et la Réfutation d’Ibn Zurʿa

    17Abū al-Qāsim al-Balḫī est un célèbre théologien muʿtazilite43. Né à Balkh dans la première moitié du ixe siècle et mort vers 319/93144, il était un des chefs de la Muʿtazila de l’école de Bagdad. Il y étudia et était connu sous le nom d’al-Kaʿbī, tant pour ses qualités intellectuelles que pour ses livres, qui attirèrent l’attention de grands savants musulmans tels que Ibn al-Rāwandī (298/910 ?) et Abū ʿAlī al-Ǧubbāʿī (303/915), ou encore le philosophe Abū Bakr al-Rāzī (313/925)45. À la fois savant, théologien, et disciple d’Abū al-Ḥasan b. Abī ʿAmr al-Ḫayyāṭ (m. avant 912), il était connu et estimé pour défendre la doctrine de la Muʿtazila. Al-Balḫī se sépara de lui plus tard, lorsque chacun fonda sa propre école46. Al-Balḫī mourut environ 11 ans avant la naissance de ʿĪsā b. Zurʿa en 942 : la réfutation par Ibn Zurʿa s’inscrit donc dans le cadre de nombreuses réfutations d’ouvrages appartenant à des auteurs d’une époque précédente. D’après certains témoignages, al-Balḫī aurait écrit 46 livres, mais dans le Fihrist, Ibn al-Nadīm ne mentionne que dix-huit titres. À ce jour, il ne subsiste que très peu de manuscrits. Le traité ʿUyūn al-masāʾil wa-l-ǧawābāt47, que mentionne Ibn al-Nadīm, a été édité récemment48. Subsistent aussi les extraits cités par Ibn Zurʿa, qu’Ibn al-Nadīm ne mentionne pas. Ils proviennent d’un ouvrage intitulé Awāʾil al-adilla fī uṣūl al-dīn, Les principales preuves concernant les fondements de la religion, dans lequel il réfute, entre autres, le dogme de la Trinité des chrétiens.

     

    18Il est difficile de décrire la personnalité d’al-Balḫī à cause de la nature contradictoire des témoignages. Nombreuses étaient les divergences entre al-Balḫī et les philosophes de son époque, qui durent transparaître dans son livre contre Muhammad b. Zakariyyā Abū Bakr al-Rāzī49, auquel al-Rāzī a répondu50. Il est aussi important de noter qu’al-Balḫī n’était pas accepté dans sa ville natale de Balḫ : il était considéré comme un libre-penseur, un zindīq51, pour le simple fait d’être muʿtazilite. Comme le dit al-Samʿānī, un de ses contemporains : « Je déteste même entendre son nom (al-Balḫī), et ceux des gens comme lui, car il est un prêcheur de son propre égarement52. » Al-Ašʿarī a émis un avis similaire lorsqu’il dit : « Nous avons écrit un grand livre afin de critiquer le fameux livre d’al-Balḫī sur les fondements de la muʿtazila53. » En revanche, son ami Abū Yazīd al-Balḫī affirme que « cet homme (Abū al-Qāsim al-Balḫī) est innocent [de ces accusations] ; il est monothéiste muʿtazilite, je le connais mieux que personne, nous avons grandi ensemble, et nous avons également lu la logique ensemble ; il dialoguait, il critiquait beaucoup54 ». On rapporte également le témoignage élogieux de son ami al-Iṣṭaḫrī, qui disait : « Je n’ai jamais vu un homme aimant le dialogue plus qu’(Abū al-Qāsim) al-Balḫī55. »

     

    19La discussion entre al-Balḫī et Ibn Zurʿa est l’aboutissement, à la fin du xe siècle, d’une longue période durant laquelle la pensée religieuse chrétienne et la pensée religieuse musulmane étaient en interaction l’une et l’autre sous l’influence de la pensée philosophique de l’antiquité56. Comme le percevait Harry Austryn Wolfson, on ne peut disjoindre le questionnement des théologiens musulmans des premiers siècles de l’Hégire par rapport à Dieu, des théologies chrétiennes et des philosophies de l’antiquité tardive, qui formaient leur environnement intellectuel auquel ils étaient constamment confrontés57. Surtout que certains passages du Coran donnaient déjà à réfléchir…

     

    Discussions théologiques concernant l’Unité de Dieu

    L’Unité et l’Unicité de Dieu et le Coran

    20Dans le monde sémitique, Dieu se manifeste comme expérience. Dès le temps de Muḥammad, nombreuses questions furent abordées sur la nature même de ce Dieu, son Unité et Unicité, dans le cadre de rencontres culturelles, philosophiques et théologiques. On se voyait obligé de répondre à la question du statut des attributs qu’on a été bien obligé de Lui attribuer. Plusieurs théologiens arabes chrétiens Lui ont consacré des traités, faisant suite aux Pères de l’Église grecs et syriaques. Du côté musulman, il y eut différentes manières de penser les attributs divins, et c’est sur cette question que se divisèrent les écoles de théologie musulmane (maḏāhib), suite aux questionnements dont parla Wolfson58.

     

    21Dans ce contexte il convient aussi de souligner l’ambigüité du texte coranique lui-même concernant l’unicité du Créateur : « Nous avons certes créé l’homme d’un extrait de la boue, puis nous en fîmes une goutte de sperme dans un reposoir solide, ensuite, nous avons fait du sperme une adhérence, et de l’adhérence nous avons créé un embryon, puis de cet embryon, nous avons créé des os et nous avons revêtu les os de chair. Ensuite, nous l’avons transformé en une toute autre création. Gloire à Allah le meilleur des créateurs - Allāhu aḥsanu l-ḫāliqīna » (Cor. XXIII, 12-14)59. Dans ce passage, le Coran semble bien reconnaître qu’il y a d’autres créateurs que Allāh, mais que Allāh est le meilleur. Pour le crédo musulman, cette affirmation n’est pas sans difficulté, puisqu’en principe seul Dieu est Créateur. Dans son commentaire, al-Ṭabarī (m. 310/923) reconnaît cependant l’existence d’un autre créateur, Jésus fils de Marie, quand il affirme ce qui suit : « Le verbe “créer” équivaut au verbe “produire”, Dieu est le meilleur de ceux qui produisent. » Mais la difficulté persiste, car il reste à identifier « ceux qui produisent ». Et al-Ṭabarī d’ajouter aussi que « ʿĪsā, Jésus, créa. Dieu ‒ que sa majesté soit honorée ‒ a dit de lui-même qu’Il crée mieux que ce qu’il (Jésus) créa60 ».

     

    Questions concernant les attributs de Dieu et la Trinité

    22 C’est dans l'interaction intellectuelle musulmane - chrétienne – païenne, qui s’étend de 750 à 1050, qu’il faut situer la discussion entre al-Balḫī et Ibn Zurʿa qui nous occupe. Et sans aucun doute, c’est la question concernant la Trinité et le statut des attributs divins qui s’est imposée en premier lieu, tout comme elle l’est dans la réfutation qui nous concerne, mais dans un cadre plus large, qui inclut la philosophie païenne : comment la penser dans le cadre de la philosophie néoplatonicienne de l’époque comme un monothéisme et non comme un tri-théisme ?

     

    Dieu chez des philosophes arabes musulmans

    23 On ne peut oublier qu’à l’instar des théologiens musulmans, les premiers philosophes Arabes musulmans travaillaient dans ce même contexte de triple interaction que nous avons évoquée, et s’intéressèrent eux aussi à la question. Un intérêt qui concerne au plus haut point le plus connu parmi eux, Yaʿqūb b. Isḥāq al-Kindī (c. 252/866), et que nous connaissons, par le biais du maître d’Ibn Zurʿa, Yaḥyā b. ʿAdī, qui écrit une Réfutation du traité d’al-Kindī sur la Trinité.

     

    24 Yaʿqūb b. Isḥāq al-Kindī travailla à Bagdad au sein d’un cercle de traducteurs constitué par le calife al-Maʾmūn que d’aucuns appelleront d’ailleurs « le cercle d’al-Kindī », témoignant de la qualité de son travail61. De sa production littéraire, il ne subsiste qu’une partie de ses ouvrages62, qui témoignent du fait que al-Kindī a créé des liens entre la philosophie, les sciences et la religion. Nous savons combien il s’est opposé intellectuellement aux traditionnalistes ; les sources nous disent en effet qu’il a critiqué « violemment les adversaires de la philosophie qui l’attaquent au nom de la religion, alors que, dit-il, ils sont sans religion »63. Respectueux de l’Islam, on trouve chez lui une forte tendance muʿtazilite : ce qui le conduit à nier les attributs divins64. Dans son ouvrage Sur la philosophie première (Fī al-falsafa al-ūlā), il présente une pensée métaphysique qui nous renseigne sur sa conception de Dieu. Dans le chapitre quatre de la première partie, al-Kindī analyse les affirmations suivantes65 :

     

    L’Un vrai (al-Wāḥid al-Ḥaqq) n’a absolument aucun genre » ; « l’Un vrai est éternel » ; « on ne le dit pas un en relation à quelque chose d’autre, car il est celui qui n’a pas de matière par laquelle il se diviserait, ni de forme composée d’un genre et d’espèces » ; « il n’est aucunement une quantité et n’a pas de quantité » ; « l’Un vrai n’est pas un mouvement » ; « l’Un vrai n’est pas une âme (nafs) » ; « l’unité en vérité n’est pas un intellect (ʿaql) » (…).

     

    Dès lors il est clair que l’Un vrai (al-Wāḥid al-Ḥaqq) n’est aucun des intelligibles [aucune des catégories (maʿqūlāt)] : ni matière, ni genre, ni espèce, ni individu, ni différence, ni propre, ni accident commun, ni mouvement, ni âme, ni intellect, ni tout, ni partie, ni ensemble, ni part, ni un relativement à un autre ; mais il est un un absolument… (…). L’Un vrai n’a ni matière, ni forme, ni quantité, ni qualité, ni relation, il ne peut être décrit par aucun des autres intelligibles…66.

     

    25 C’est à la lumière de ce traité sur la philosophie première, qu’il faudra lire sa Réfutation des chrétiens où il s’assigne pour objectif de « réduire à néant le dogme de la Trinité ». Ce texte est cité, très probablement intégralement, dans « la démonstration faite par Yaḥyā Ibn ʿAdī de l’erreur d’Abū Yūsuf Yaʿqūb Ibn Isḥaq al-Kindî » 67, au mois de Ramadan de l’an 350/962.

     

    26 Dès le début, al-Kindī affirme que pour réduire à néant le dogme de la Trinité, il suffit d’établir qu’il y a manifestement composition dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit […]. Or, tout composé est effet [causé] ; et aucun effet n’est éternel », « aucune chose causée n’est éternelle » ; ce qui fait que ni le Père, ni le Fils, ni l’Esprit ne sont éternels. Pour définir le statut des composantes, al-Kindī se réfère ensuite au Livre de l’Introduction, l’Isagoge de Porphyre. Il se demande si les trois personnes de la Trinité sont des genres, des espèces, des différences éternelles ou des accidents universels, ou si « les trois Personnes sont des accidents particuliers qui ont toujours existé, c’est-à-dire des propriétés ». On verra plus loin la réponse de Yaḥyā b. ʿAdī.

     

    27 Le deuxième grand philosophe musulman qui nous concerne est Abū Naṣr Muḥammad al-Fārābī (m. 339/950). Après avoir vécu à Bagdad, il mourut à Damas, à l’âge de 80 ans. Ses maîtres furent Yuḥannā b. Ḥaylān (m. 320/932) et Abū Bišr Mattā b. Yūnus (m. 328/940), qui était un personnage éminent de l’école des aristotéliciens arabes de Bagdad, et qui eut une grande influence aussi sur Yaḥyā b. ʿAdī. Il appert néanmoins, que Yaḥyā b. ʿAdī n’est pas dans la ligne de Fārābī. Ni Ibn Zurʿa d’ailleurs. Pour ce prédécesseur, en effet, la raison est supérieure à la foi religieuse, ce qui n’est pas le cas pour Ibn ʿAdī et son disciple68. Al-Fārābī considère la religion comme une forme secondaire pour accéder à la vérité, à travers des symboles : elle est destinée aux non-philosophes. Dans sa définition de Dieu, al-Fārābī recourt à la voie négative dont l’origine est à chercher du côté du néoplatonisme. Pour notre philosophe, Dieu existe, et il est « le Premier (al-Awwal) ». Il est la Cause à l’origine de toutes les créatures : « Rien ne lui manque. Éternel, Il existe par soi, car Il est sa cause… Le Premier n’est ni matière, ni forme ; Il est différent, par son essence de tout ce qui est distinct de lui. Il est l’Un indivisible, et son unité est son essence. Il nous est impossible de le concevoir69. » Il est évident que cette position diffère profondément de celle d’al-Kindī, d’Ibn ʿAdī ou d’Ibn Zurʿa.

     

    L’influence des penseurs grecs de l’Antiquité

    28La compréhension des arguments avancés par les philosophes et théologiens arabes musulmans et chrétiens, et en particulier ceux relatifs à la Trinité dans les traités écrits par al-Balḫī et Ibn Zurʿa, nécessite de se rapporter à certaines traditions néoplatoniciennes et à leur théorie de l’Un.

     

    29 Si pour Platon, ainsi que pour Aristote, le Dieu suprême est l’Intellect, contrairement à Aristote, Platon admet un principe transcendant à l’Intellect, qu’il appelle le Bien ou l’Un. L’Intellect échappe à toutes les formes particulières de l’être : il ne cherche aucune explication rationnelle parce qu’il est lui-même la fin ultime. Il est lui-même l’explicable. Chez Aristote, l’Intellect se pense et devient par conséquent intelligible vis-à-vis de lui-même. L’Intellect, en saisissant l’Intelligible, devient Intelligent70.

     

    30 Avec Aristote, la question de l’unité et de la multiplicité a connu une articulation encore plus subtile, cherchant à catégoriser les modalités de l’être. Dans le livre ∆ de la Métaphysique, Aristote établit les définitions envisageables de l’Un. Il distingue, pour commencer, l’Un par essence et l’Un par accident71 : « Si l’Un existe en soi, la grande difficulté est de savoir comment il existera en dehors de lui-même. Donc l’Un ne peut pas être juste essence. Car si l’Un en soi est indivisible, il ne sera rien72. » Quant à l’Un par essence, il est dans une première classification. Aristote parle alors de l’Un par continuité73, c’est-à-dire l’indivisibilité de l’essence et de l’accident, approche que les chrétiens utilisent comme argument pour affirmer que nous ne pouvons pas penser Dieu sans des attributs. Les attributs ici ne sont pas des accidents par rapport à l’essence mais ils sont l’essence même. L’Un selon le genre, « comme par exemple, être humain, est la même chose qu’être humain musicien. Parce que musicien coïncide avec être humain qui est une essence Une74 ». Pour Aristote donc : « Tout ce qui ne comporte pas de division est dit Un en tant qu’il n’en comporte pas. Par exemple si, en tant qu’un être humain, cela ne comporte pas de division, c’est un humain Un75. »

     

    31Ces éléments philosophiques sont au cœur des arguments rationnels sur lesquels s’appuient les théologiens arabes chrétiens dans leurs débats avec les musulmans.

     

    Yaḥyā b. ʿAdī (363/974), l’inspirateur de Ibn Zurʿa

    32 Comme on pouvait s’y attendre, le maître par excellence d’Ibn Zurʿa, Yaḥyā b. ʿAdī, s’est exprimé longuement sur les deux grands sujets qui nous concernent, l’Un et le multiple, l’Unité de Dieu et ses attributs.

     

    33 Il y a en premier lieu la réfutation du philosophe musulman al-Kindī, que nous avons déjà mentionnée. Al-Kindī se demande si les trois personnes de la Trinité sont des genres, des espèces, des différences éternelles ou des accidents universels, ce que Yaḥyā b. ʿAdī niera à chaque fois. De plus, ce dernier critique al-Kindī d’avoir « omis de parler de l’un par relation » puisqu’il ne fait qu’évoquer cette relation76, en énumérant quelques exemples, sans plus y prêter attention. Quant à la question de savoir si « les trois Personnes sont des accidents particuliers qui ont toujours existé, c’est-à-dire des propriétés », Ibn ʿAdī répond que les chrétiens ne disent pas non plus que les personnes soient des accidents particuliers, car, bien qu’ils leur appliquent d’une manière générale ce nom de propriété, ils n’entendent pas qu’elles soient des accidents, mais ils disent que chacune est substance.

     

    Et il ajoute à cette réponse ce qui suit :

    Les chrétiens ne vous accorderont pas que le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient produits par la composition de la substance et des propriétés, puisqu’ils disent seulement que la substance est qualifiée de chacun de ces trois attributs, et que ces attributs lui sont éternels, et non produits en elle, après ne pas avoir existé » ; [or,] « ce sont des attributs que l’on donne à la substance unique, parce qu’elle est bonne, sage et puissante 77.

     

    34 Il s’agit là d’une triade qui se retrouve chez Proclus et que Yaḥyā b. ʿAdī répète souvent, et entre autres dans son Traité sur l’Unité dont nous parlerons plus loin ; il ajoute ici que « chacune de ces notions est distincte des deux autres ». On remarquera que Yaḥyā b. ʿAdī emploie trois termes pour définir les trois personnes : ce sont des « substances » (ǧawāhir), des « notions » (ou « entités réelles » : maʿānin)78 ou des « attributs » (ṣifāt).

     

    35 En finale, al-Kindī reprend la question de la Trinité par le biais de la notion de l’unité, car pour lui, « les chrétiens disent encore que ‘trois font un, un fait trois’ » et il énumère l’unité numérique, l’unité dans l’espèce et dans le genre, pour conclure « qu’il faut admettre ici, comme précédemment, composition et pluralité, et reconnaître que les Personnes sont éternelles sans être éternelles » ; ce qui est absurde. Yaḥyā b. ʿAdī avance sur ce point une autre subdivision de l’un, qu’il répète d’ailleurs dans d’autres traités, c’est-à-dire que l’un peut être un dans le sujet et multiple dans les définitions ».

     

    36 Yaḥyā b. ʿAdī a consacré à cette question non seulement le Traité sur l’Unité, Maqāla fī al-Tawḥīd79, mais aussi la première partie de sa réfutation d’Abū ʿĪsā al-Warrāq, sur la Trinité80, dont la deuxième partie concerne l’Incarnation. On y ajoutera deux de ses « Petits Traités » : 1° Traité pour démontrer comment il est permis d’affirmer du Créateur qu’Il est une substance unique douée de trois propriétés que les chrétiens appellent « personnes » ; 2° Traité pour expliquer comment les Chrétiens comparent le Fils à l’intelligent et non à l’intelligible, le Saint-Esprit à l’intelligible, non à l’intelligent, et solution de la difficulté à ce sujet81.

     

    37 Pour mieux comprendre les arguments avancés par les philosophes et théologiens arabes musulmans et chrétiens, et en particulier les arguments présentés dans la question sur la Trinité des traités de Yaḥyā b. ʿAdī, ainsi que du traité écrit par Ibn Zurʿa, il faut se rapporter à certaines traditions néoplatoniciennes et la théorie de l’Un que nous présentons très brièvement ici.

     

    38Chez Platon, ainsi que chez Aristote, le Dieu suprême est l’Intellect. Mais contrairement à Aristote, Platon admet un principe transcendant à l’Intellect, qu’il appelle le Bien ou l’Un. L’Intellect échappe à toutes les formes particulières de l’être : il ne cherche aucune explication rationnelle parce qu’il est lui-même la fin ultime. Il est lui-même l’explicable. Chez Aristote, l’Intellect se pense. Du fait de se penser, il devient intelligible vis-à-vis de lui-même. Et l’Intellect, en saisissant l’Intelligible, devient Intelligent82. Cela forme ce qu’on appelle la « pensée », et c’est la source de toutes les relations. Par conséquent, toutes les relations morales et intellectuelles font qu’une pensée et une personne peuvent se retrouver dans cette contemplation.83.

     

    39 Avec Aristote, la question de l’unité et de la multiplicité a connu une articulation encore plus subtile, cherchant à catégoriser les modalités de l’être. Dans le livre ∆ de la Métaphysique, Aristote établit les définitions envisageables de l’Un. Il en distingue, pour commencer, l’Un par essence et l’Un par accident84. « Si l’Un existe en soi, la grande difficulté est de savoir comment il existera en dehors de lui-même. Donc l’Un ne peut pas être juste essence. Car si l’Un en soi est indivisible, il ne sera rien85. » Quant à l’Un par essence, il est dans une première classification. Aristote parle alors de l’Un par continuité86, c’est-à-dire l’indivisibilité de l’essence et de l’accident que les chrétiens utilisent comme argument en disant que nous ne pouvons pas penser Dieu sans des attributs. Les attributs ici ne sont pas des accidents par rapport à l’essence mais ils sont l’essence même. L’Un selon le genre, « comme par exemple, être humain, est la même chose qu’être humain musicien. Parce que musicien coïncide avec être humain qui est une essence Une87 ». Pour Aristote donc : « Tout ce qui ne comporte pas de division est dit Un en tant qu’il n’en comporte pas. Par exemple si, en tant qu’un être humain, cela ne comporte pas de division, c’est un humain Un88. »

     

    40 Ces éléments philosophiques sont au cœur des arguments rationnels sur lesquels s’appuient les philosophes arabes chrétiens dans leurs débats avec les musulmans.

     

    41 C’est dans la deuxième partie du traité sur l’Unité de Dieu qu’il analyse le concept de l’un, en suivant le modèle d’Aristote, Métaphysique ∆ 6. Il y indique comment l’Un, la cause première (al-ʿilla al-ūlā), n’est ni un genre, ni une espèce, ni une relation (al-nisba), ni un continu, ni un indivisible, mais qu’il est un dans la définition (al-Wāḥid al-Aḥadd), parce qu’il est un dans le sujet. L’énoncé (al-qawl al-wāṣif) qui définit son essence est un, mais, dans ce cas, cet énoncé est composé de plus d’une partie, désignant chacune une notion différente de la notion signifiée par une autre partie. Pour cela, la définition rassemble nécessairement en elle-même les deux notions de l’unité et de la pluralité, par rapport à ses parties. La cause première est donc plurielle seulement pour autant que le sont les parties constituantes de sa définition, et dans ce cas-ci, les attributs qui sont attribués à l’essence divine. Or, ces attributs sont trois, appartenant à son essence, et on peut les déduire de l’action créatrice de Dieu : sa Bonté (Ǧūd), sa Puissance (Qudra) et sa Sagesse (Ḥikma), une triade qui se retrouve dans sa réfutation d’al-Kindī89.

     

    42 Quant à la réfutation d’Abū ʿĪsā al-Warrāq sur la Trinité, Rachid Haddad a montré que Yaḥyā b. ʿAdī élargit la question des attributs de Dieu90. Il analyse l’expression suivante de son adversaire (Abū ʿĪsā) : « Les attributs de Dieu considéré en lui-même (fī nafsihi), ou dans son opération (fī fiʿlihi) » et affirme ce qui suit : « Certains attributs sont constitutifs de l’essence à laquelle on les applique : par exemple, la notion (l’entité réelle – maʿnā) d’un animal et celle du raisonnable constituent l’essence de l’homme et en exprime la définition. D’autres attributs s’ajoutent à l’essence sans en présenter une notion constitutive, comme la faculté de rire pour l’homme, l’égalité des angles dans le triangle ; certains attributs conviennent encore à l’essence, par suite de sa manière d’agir : telle la propriété qu’a le feu de s’élever vers le ciel. » Quant à la paternité, la filiation et l’Esprit-Saint, ce sont trois notions (entités réelles – maʿānin) qui désignent nominativement chacune des trois personnes ; ces notions ne peuvent être attribuées à rien en dehors d’elles ; elles sont différentes des autres attributs éternels, propres à l’essence divine, et que l’on peut, dès lors, attribuer à chacune des personnes91. Dieu est donc Un, mais il est aussi multiple, par la définition de l’Un qui comporte plusieurs notions distinctes les unes des autres, et qui entraîne de nécessité une pluralité (non numérique mais formelle) en Dieu. L’argument de Yaḥyā b. ʿAdī apporte donc un fondement philosophique au dogme chrétien de la Trinité92. Après avoir établi qu’en Dieu l’unité suppose la pluralité formelle, Ibn ʿAdī conclut que Dieu est bon, sage, puissant, ni plus ni moins : « Pas moins, écrit-il, car l’élimination de l’un quelconque de ces attributs entraîne l’annulation de son action sur les créatures ; pas plus, car les créatures se passent, dans leur état actuel, de tout attribut autre que ceux mentionnés plus haut ; leur existence harmonieuse se suffit de ces seuls attributs. Le nombre des attributs du créateur est donc prouvé et ils sont trois93. »

     

    43 Dans un des deux « petits traités »94, Yaḥyā b. ʿAdī donne une autre forme à la triade des hypostases. Il précise comment « le Fils peut être comparé à l’intelligent et non à l’intelligible » et comment :

     

    L’intelligent seul et non l’intelligible a quelque ressemblance avec le Fils. En effet, l’homme peut percevoir par son intelligence l’essence séparée. Telle est la signification (la nature) de l’union de l’homme avec Dieu le Fils. Mais l’intelligible ne peut dans l’homme devenir l’intelligent, car il ne peut comprendre une essence divine séparée, devenir cette essence et s’unir avec elle. Voilà pourquoi il lui est impossible de devenir cette essence séparée, et de s’unir à elle, et pourquoi nous avons comparé spécialement le Fils à l’intelligent, non à l’intelligible, et le Saint-Esprit à l’intelligible et non à l’intelligent95.

     

    Les réponses de ʿĪsā b. Zurʿa aux questions d’al-Balḫī

    La première question d’al-Balḫī et la réponse d’Ibn Zurʿa

    44 La lecture de la réfutation d’Ibn Zurʿa est difficile ; le texte est loin d’être limpide ce qui tranche avec la cohérence et l’harmonie des réfutations d’Ibn ʿAdī. Ibn Zurʿa recourt à de nombreuses répétitions et donne à son ouvrage une facture désordonnée, difficile à expliquer. Quant au texte d’al-Balḫī qui est rapporté, il ne nous est pas possible d’en vérifier l’authenticité, l’original, « Awāʾil al-adilla », étant perdu. Par hypothèse, on considèrera qu’Ibn Zurʿa en a extrait les seuls passages qui lui importaient de réfuter, quitte à ce qu’ils soient rendus dans un certain désordre.

     

    45Quoi qu’il en soit de la cohérence de l’ensemble, trois thèmes fondamentaux indissociables se dégagent : (1°) les attributs divins ; (2°) la multiplicité de l’Un, thème suivi de trois questions se rapportant à la perfection de Dieu, le Verbe et la Vie, ainsi que la question majeure, celle de l’Intellect, qui est au centre de la réflexion d’Ibn Zurʿa ; (3°) les notions de paternité et de filiation. À cela s’ajoutent deux passages venant d’al-Iskāfī, cités par al-Balḫī, l’un concernant la filiation, et l’autre concernant une question adressée aux chrétiens, « dans le cas où vous adorez le Christ (iḏā kuntum taʿbudūna al-Masīḥ), et celui-ci étant Dieu et homme, vous adorez donc l’homme ? ».

     

    L’Unité de Dieu et la multiplicité des attributs

    46 Dans sa « Lettre à un ami musulman »96, ainsi que dans sa réfutation des objections d’al-Balḫī97, Ibn Zurʿa rappelle la distinction entre les attributs de l’essence (ṣifāt al-ḏāt) et les attributs de l’acte (ṣifāt al-fiʿl), qu’il attribue aux gens du Kalām. Haddad souligne qu’Ibn Zurʿa a recourt à cette théorie de la division des attributs98, qui n’est pas la sienne99, pour prouver sa foi en la Trinité. Il range la trilogie Vivant, Puissant et Bon, parmi les attributs de l’essence100. Mais Ibn Zurʿa poursuit en affirmant que les attributs que nous lui attribuons doivent être conformes à Lui. Si les attributs sont réels, une des deux choses s’impose de nécessité : soit les attributs sont l’essence (ḏāt), soit ils sont des états (modes d’être) (aḥwāl) de l’essence. S’ils sont l’essence elle-même, il est pourtant évident que les entités réelles (maʿānī) des attributs, (la quiddité propre des attributs), sont différentes. L’essence elle-même se différencie donc par leurs différences, c’est-à-dire par la distinction entre les attributs, devenant dès lors multiple plutôt que simple, ce qui est absurde. S’ils sont des états de l’essence, alors nécessairement l’essence est autre chose que les attributs ; il faut donc conclure que Dieu est Un par rapport à l’essence et multiple par rapport aux attributs. La position d’Ibn Zurʿa n’est pas sans originalité à l’égard de la division des attributs, mais il reste dans la ligne de son maître qui disait que Dieu est un d’après le sujet et multiple d’après la définition.

     

     

    47 Affirmer que l’essence divine est une par rapport à l’essence et multiple par rapport aux attributs n’implique pas, comme le dit Abū al-Qāsim, une division en parties (al-taǧazzuʾ). En réponse à cette objection, Ibn Zurʿa dira que les attributs divins sont des entités réelles, ou des quiddités propres de quelque chose. Comme son maître, il recourt pour les désigner au terme maʿnā, et comme le faisait Ibn ʿAdī par rapport à l’union de l’humain et du divin dans le Christ101, les entités de la Trinité sont elles aussi des entités réelles, qu’Ibn ʿAdī ne craint pas d’appeler des substances102. Ainsi, les attributs sont considérés comme des entités réelles, sans être pour cela des parties de l’essence divine.

     

    48 Qualifiée par des attributs différents, l’essence est distincte de chacun d’eux. Car quand nous attribuons la bonté à l’essence divine, le concept de bonté dans notre intelligence est distinct du concept de sagesse. L’entité réelle de « sagesse » n’inclut pas celle de « bonté » ni inversement, même si les deux attributs peuvent être prédiqués de la même essence. Ibn Zurʿa entend ainsi prouver qu’il est possible d’apercevoir dans l’unité simple de Dieu une certaine multiplicité qui ne met pas en cause son indivisibilité mais révèle les différentes manifestations de son être. Pour Ibn Zurʿa, l’essence divine ne pouvait être conçue autrement qu’avec ses attributs, les attributs sont donc nécessaires à l’essence, autrement dit : ils sont essentiels. Et ses attributs se limitent à trois : la Bonté, la Sagesse et la Puissance.

     

    Dieu Verbe et Vie

    49 Quant à ce que les chrétiens attribuent au Fils d’être Verbe (nuṭq), et à l’Esprit d’être Vie (ḥayāt), Abū al-Qāsim leur objecte ce qu’affirment les muʿtazilites. Ceux-ci disent en effet, comme les chrétiens, que Dieu est vivant et qu’Il est raisonnable ; mais à cela ils ajoutent ceci : affirmer, comme le font les chrétiens, qu’il est vivant par la Vie et raisonnable par la Raison, conduit au polythéisme, parce qu’alors ils associent à Dieu d’autres êtres éternels, que sont la Vie et la Raison103. Et Abū al-Qāsim de conclure que quand les muʿtazilites attribuent à Dieu la vie, c’est pour nier sa mortalité (al-maytūta), non pour affirmer en lui la Vie ; et quand ils lui attribuent le Verbe, ou la Raison, c’est pour nier qu’il y ait en lui une quelconque animalité (al-bahīmiyya).

     

    50 Pour Ibn Zurʿa, l’objection d’Abū al-Qāsim ne convainc pas. Car la vie d’un être est la cause pour laquelle on le dit vivant, et non le contraire ; sinon tout ce qu’on qualifie de vivant ne le serait pas en réalité. Or, Dieu est nécessairement vivant, donc, Il l’est parce qu’Il possède réellement la Vie. Quand Ibn Zurʿa attribue la Vie à Dieu en l’appelant vivant, il le qualifie ainsi parce qu’Il a une Vie et un Esprit (rūḥ), et non parce qu’Il est animé comme le reste des vivants. Pour lui, la Vie en Dieu n’est d’ailleurs pas l’opposé de la mort mais du néant (al-ʿadam). De même, Ibn Zurʿa veut démontrer que Dieu est raisonnable, mais non à la façon des autres êtres raisonnables auxquels a été donnée la Raison104. « Car l’homme, pour penser sa propre intelligence, a besoin de la dépouiller de lui-même pour qu’elle lui soit pensable. Mais Dieu, à cause de sa simplicité, se passe bien de ce dépouillement, car Il est Lui-même Intellect, Intelligeant et Intelligible105. »

     

    Intellect, intelligeant, intelligible

    51 Al-Balḫī soulève une objection contre l’affirmation des chrétiens, selon laquelle le Fils est Verbe (nuṭq), que l’Esprit est Vie (ḥayāt) et que celui qui est sans parole (laysa bi-nāṭiq) est muet, alors que celui qui n’a pas d’esprit, est mort (mayyit). Pour al-Balḫī cette théologie prouve que le Dieu des chrétiens est composé de plusieurs parties.

     

    52 Dans sa réponse, Ibn Zurʿa rappelle que l’essence du Créateur est simple, et qu’en étant simple elle connaît toute chose106. Or, pour connaître tout ce qui est connaissable ou intelligible, il faut avoir une raison. Mais avant qu’Il soit intelligeant pour saisir tout ce qui est intelligible, il doit d’abord être intellect. Car « le premier objet de connaissance de l’Intellect est en effet sa propre essence107 » : l’Intellect se pense lui-même lorsqu’il actualise et exerce son habitus d’intellection. Du fait de se penser, il devient intelligible. Et du fait de se saisir, il devient lui-même l’intelligible ; d’où la question : a-t-il besoin d’un objet, ou bien est-il lui-même l’objet ? Et si la faculté de se penser soi-même appartient à l’objet, alors, n’a-t-on plus besoin d’un sujet ? Si cependant on veut maintenir la relation sujet-objet, cela reviendrait à compromettre la simplicité de l’Intellect. C’est ce qu’affirmera plus tard Ibn Zurʿa, dans son Traité sur l’Intellect.

     

    Intellect et Trinité

    53 Ibn Zurʿa eut l’occasion de présenter les précisions relatives à cette question lorsqu’il dut résoudre le problème suivant : les philosophes grecs appliquaient la notion d’intellect à l’Essence divine, car selon leur conception, l’Intellect est simple. En revanche, dans la perspective chrétienne, la personne du Père est composée de l’essence éternelle et de la relation de paternité. Or, la simplicité de l’Intellect ne tolère pas la composition de la personne du Père en tant que représentant de l’Intellect. En conséquence, et en suivant l’enseignement de Yaḥyā b. ʿAdī, on pouvait arriver à la conclusion que cette « composition » pouvait être rejetée au nom de la philosophie grecque. Dans son livre sur Ibn Zurʿa, Cyrille Haddad montre que cette question se rapportant à l’Intellect était si importante pour Ibn Zurʿa, que celui-ci en rêvait et eut une apparition de Yaḥyā qui allait l’inciter à reprendre la question et à calmer son doute :

     

    La nuit qui était la veille du mardi le 8 Ramadan de l’an 386 A.H, (8 avril 979) après avoir étudié le moyen de justifier la croyance des chrétiens en la Trinité, j’eus comme une vision (…), cette nuit-là. J’ai aperçu notre maître Yaḥyā qui me souriait ; je veux, dit-il, t’interroger sur quelque chose (…) ; que penses-tu de l’Intellect ? Est-il simple ou composé (…) ; sur le champ, je fis cette réponse : l’Intellect est composé (…) ; c’est bien vrai, dit-il (…) : j’ai sur cette question de l’Intellect cinq ou six considérations. Je voudrais que tu en fasses un traité dans lequel tu les exposeras et que tu m’attribueras (…). Je les ai exposées, raconte donc ibn Zurʿa, en des termes dont lui-même (son maître) a le mérite, car c’est lui l’instigateur de cette trouvaille et de cet exposé108.

     

    54 Telles sont les circonstances décrites par Ibn Zurʿa et qui ont motivé l’écriture de son traité sur l’Intellect. Les six considérations sur le caractère composé de l’Intellect, dont il parle dans sa vision, sont les suivantes. Concernant l’attribution du terme ʿaql au Père : l’intelligence est une chose existante (mawǧūd) qui désigne la faculté de concevoir toutes les catégories. De plus, comme cette faculté n’est pas identique à l’essence (ḏāt), il en résulte qu’elle est encore plus simple, lorsque la puissance d’être informée par les catégories lui est ajoutée que lorsqu’elle lui est soustraite. En effet, lorsque la puissance d’être informée par les catégories s’unit à la faculté de concevoir toutes les catégories, il en résulte la notion de l’intelligence qui devient alors composée et non simple. De l’union entre l’essence (al-ḏāt) et la faculté se déduit la notion de l’Intellect en acte. En fait, al-ʿaql est l’Intellect abstrait de l’acte d’intelliger, l’intelligeant (al-ʿāqil) ; et l’objet de l’Intellection est l’Intellect lui-même. C’est ainsi que la doctrine de Yaḥyā sur la Trinité montre que l’intelligence abstraite correspond à la substance qu’est l’hypostase du Père109. Ainsi conçu, al-ʿaql désigne le Père, ce qui n’est donc pas l’acte d’intelligence, encore moins une simple potentialité cognitive ; c’est une véritable entité intellectuelle abstraite de cette dernière. Mais le Père est la nature divine à laquelle s’ajoute la caractéristique (ṣifa) de la paternité, comme al-ʿaql est une entité douée d’une capacité intellective. Par analogie, on déduit que le Fils (al-ʿāqil) est ce même être, auquel on superpose le fait de se connaître, vu que le premier des objets conçu par al-ʿaql est sa propre essence. Le Saint-Esprit (al-maʿqūl) est donc cette même entité considérée comme l’objet de sa propre connaissance110.

     

    55 Ce schéma se rattache à la théorie de la connaissance de Yaḥyā. Il affirme que si la connaissance de l’homme peut être sensible ou intellectuelle, celle de Dieu est tout autre. Il est évident que Dieu ne connaît pas par les sens, et Il ne connaît pas non plus par l’Intellect, sinon sa connaissance serait causée par cet intellect. Il connaît plutôt directement par son essence, sans l’intermédiaire de l’Intellect. Et Yaḥyā de conclure que « cela nécessite donc que son essence soit Intellect ». Ibn Zurʿa aboutit à la même conclusion en partant de l’analyse de la nature de Dieu : « La simplicité de l’essence du Créateur ne permet pas de dire de lui qu’Il a un Intellect, mais qu’Il est lui-même Intellect, attendu que les connaissances lui viennent par son essence, non par voie déductive111.» Il n’y a pas lieu de confondre, malgré l’imprécision de l’expression, les deux emplois du terme al-ʿaql, qui désigne tantôt l’essence de Dieu, tantôt la personne du Père. Ibn Zurʿa démontre donc que puisque le Créateur pense son essence, il lui advient, en vertu de la connaissance de son essence, d’être intelligeant ; et puisqu’Il est lui-même la chose que connaît son essence, il est aussi intelligé par son essence. Il acquiert ainsi trois attributs différents : il est intellect, intelligeant et intelligé, tout en étant une seule essence ; car ce qui est intellect est bien cela même qui est intelligeant et intelligé.

     

    L’Analogie

    56 Ibn Zurʿa poursuit sa réfutation en abordant la question de l’analogie (munāsaba) :

     

    Car les choses simples (al-basāʾiṭ), les choses que les sens ne saisissent pas (al-baʿīda ʿan al-ḥawāss), se connaissent seulement (de deux manières), soit par analogie (bi-l-munāsaba) entre elles et entre leurs objets de connaissance (maʿlūmātuhā), soit par analogie entre elles et entre leur essence (…). Car, en effet, la notion (maʿnā) de « fils » veut dire pour eux deux choses. Une des deux, c’est que le fils est de la nature de son père, tels que nous le sommes par rapport à nos pères ; et cette analogie (al-munāsaba) implique l’égalité (al-tasāwī) des deux éléments de l’analogie (al-mutanāsibayn) dans la substance (al-ǧawhar) et la nature (al-ṭabīʿa).

     

    57 Il présente ici un autre aspect que celui de l’acceptation classique112 : il ne s’agit pas tant d’un rapport entre choses dissemblantes non seulement en quantité et en qualité, que d’une différence de la forme, comme l’humain et le divin. On a souvent tendance à penser la différence comme deux choses opposées, mais il est possible de penser la différence comme relevant de la même essence alors que la forme est différente. L’analogie se caractérise alors par un mouvement entre la ressemblance qu’elle implique et la dissemblance qu’elle franchit sans réduire la ressemblance. Une proportion et une raison fait tenir ensemble ce qui, par ailleurs, ne se ressemble pas. Il y a visiblement ressemblance dans la dissemblance. C’est-à-dire que la différence dans la ressemblance fait de l’analogie une sorte de pont par-dessus une frontière qui ne s’en trouve pas abolie pour autant ; car la proportion rationnelle ne détruit pas les différences réelles113 .

     

    58 Chez Platon, nous trouvons une belle définition de l’analogie qui se présente ainsi :

     

    Deux éléments ne peuvent pas seuls former une composition qui soit belle, sans l’intervention d’un troisième : il faut en effet, entre les deux, un lien qui les réunisse. Or, de tous les liens, le plus beau, c’est celui qui impose à lui-même et aux éléments qu’il relie l’unité le plus complète, ce que, par nature, la proportion114 réalise de façon la plus parfaite. Chaque fois que de trois nombres quelconques, que ces nombres soient entiers ou en puissance, celui du milieu est tel que ce que le premier est par apport à lui, lui-même l’est par apport au dernier, et inversement que ce que le dernier est par apport à celui du milieu, celui du milieu l’est par apport au premier, celui du milieu pouvant devenir premier et dernier, le dernier et le premier pouvant à leur tour devenir moyens ; il en résulte nécessairement que tous se trouvent être dans une relation d’identité, et que, parce qu’ils se trouvent dans cette relation d’identité les uns par rapport aux autres, ils forment tous une unité. Cela dit, si le corps de l’univers avait dû être une surface, dépourvu de toute profondeur, une seule médiété eût suffi à établir un lien entre les autres termes qui l’accompagnent et elle-même. Mais en fait, il convenait que ce monde fût un solide, et, en ce qui concerne les solides, ce n’est jamais une seule médiété, mais toujours deux qui établissent entre eux une analogie115.

     

    59 Dans la réponse au théologien al-Balḫī, Ibn Zurʿa reprend le même argument. Après avoir établi, d’une part, la réalité des attributs divins, et de l’autre, l’impossibilité pour eux de se confondre avec l’essence divine, Ibn Zurʿa sort de cette contradiction en prouvant que les attributs divins désignent des relations analogues (munāsabāt), soit entre Dieu et ses opérations, soit entre Dieu et son essence (baynahu wa-bayna ḏātihi). Ces relations analogues, notamment celles entre Dieu et son essence, ne révèlent toujours rien de l’essence-même de Dieu. Dans cette perspective, Ibn Zurʿa maintient les principes précédents, à savoir la réalité des attributs divins et l’incompréhensibilité de la nature divine. Cette analogie constitue même les personnes : Paternité, Filiation et Spiration, qui ont, selon lui, un fondement dans la nature divine, mais elles ne révèlent en rien ce que celle-ci est en elle-même. Ce deuxième aspect de la pensée d’Ibn Zurʿa signifie que l’essence divine, éminemment simple, est ineffable par excellence ; elle ne peut être envisagée qu’à travers la nouvelle notion qui lui est ajoutée : l’analogie116 .

     

    Conclusion : la doctrine trinitaire d’Ibn Zurʿa

    60 Les arguments avancés par Ibn Zurʿa nous permettent de comprendre comment les chrétiens articulaient leur position face aux musulmans. On peut résumer celle-ci comme suit.

     

    Ibn Zurʿa affirme que l’Un est multiple dans son essence. Pour Lui, cet Un est Dieu, identification que nous trouvons déjà chez d’autres philosophes ou théologiens Arabes. Et ce Dieu, Un, est Intellect – une idée, que nous avons pu retracer, elle aussi, chez des philosophes prédécesseurs.

    L’Intellect est composé : il n’est pas simple comme cela a pu être pensé par certains anciens. Pour Ibn Zurʿa, l’Intellect pur est Dieu, mais Il est Lui-même l’Intelligeant, et Lui-même est aussi l’Intelligible, sous différents points de vue, son essence restant une. Les attributs de l’essence prennent l’appellation de Père, Fils, Esprit – considérés par le musulman al-Balḫī comme trois dieux distincts.

    À la suite de ces argumentations, nous avons évoqué un autre type d’argument qui n’était pas utilisé par les chrétiens, mais qui a simplement été mentionné par Ibn Zurʿa, concernant la question du simple et du composé. Pour Ibn Zurʿa le simple peut contenir une certaine composition, dans le sens que l’Un est, comme dans tout composé, ce qu’on appelle un élément simple ; et lorsque le composé est fait d’un certain nombre de choses, il est impossible de connaître sa nature en ignorant ses éléments simples. Dieu est l’être simple par excellence, Dieu en effet, est Un, se multipliant pour se connaître. Dans un autre sens, l’essence peut contenir des attributs en restant une ; autrement dit, l’essence, par nécessité, doit pouvoir contenir des attributs.

    Dans son traité, Ibn Zurʿa met le doigt sur la question de l’analogie de l’être comme un mode de connaissance nécessaire pour penser l’humain et le divin. Il a utilisé l’analogie en faisant un rapport proportionnel entre l’essence divine et l’égalité de ses attributs. L’essence, pour lui, se manifeste comme un rapport qui se répète de manière différente en gardant toujours sa quiddité propre. Autrement dit, il y a une ressemblance fondée sur une similitude de rapport entre des réalités différentes. Cette pensée de l’analogie est fondamentale pour Ibn Zurʿa afin de pouvoir affirmer l’unité de l’essence, et pour montrer l’existence simultanée de l’un et du multiple. Pour un musulman, une telle approche est problématique, car il apparaît clairement que pour lui l’analogie de l’être n’est pas recevable. C’est pourquoi Ibn Zurʿa veut démontrer que c’est par l’analogie qu’il est possible que l’homme ait connaissance de Dieu, tout autant qu’est possible la relation entre le monde sensible et le divin, en sachant bien évidemment que la Trinité est une doctrine philosophiquement nécessaire pour penser l’essence même du divin.

    Remarque finale

    61 À la lumière de ce parcours entrepris, nous voyons combien la philosophie médiévale se présente comme une quête vers l’universel absolu à partir du particulier ; elle est avant tout est une relation, du moins pour la noétique du Moyen-âge. Dans ce sens, on ne saurait lire un auteur à partir d’une ligne chronologique. Pour le connaître et scruter sa pensée, il convient de mettre à jour une problématique, au-delà d’une certaine « épistémè » du temps. Toute philosophie qui se construisait alors, tissait des relations, des récupérations, des emprunts, des débats constructifs ou dé-constructifs envers d’autres philosophies ou celles de figures importantes. En ce sens, la dynamique du Moyen-âge arabe est aussi la « raison » même de sa philosophie, si l’expression est ici permise.

     

    62 Quant au caractère chrétien ou musulman de la pensée philosophique, elle est marquée par une structure d’ensemble, avec un savoir transmis de génération. En amont de ce savoir, deux mondes : celui de la tradition chrétienne/musulmane et celui de la philosophie. Il existe une dialectique de traductibilité qui conduit les deux mondes à une double impossibilité ou à une double détermination. Il faut que la Loi révélée réponde à l’interpellation que lui adresse la philosophie de langue grecque ; et inversement, toute pensée philosophique ne peut faire abstraction de l’évènement de la Bible ou du Coran. Cette traductibilité suppose un non-fusionnement total. C’est la raison pour laquelle la lecture d’Aristote ne remplacera jamais celle de la Bible, ni celle du Coran, et inversement. Ces deux mondes restent dans une tension permanente, qui marque aussi toute la différence entre l’héritage philosophique chrétien/musulman et la philosophie grecque. Les deux exemples d’Ibn Zurʿa et d’al-Balḫī montrent à quel point cette rencontre entre philosophie grecque et pensée philosophique religieuse peut s’appliquer à toute philosophie réfléchissant à la révélation.

     

     

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    Notes

    1 Chassinat, « Nécrologie. Émile Galtier ».

     

    2 Thomas, e.a. (éd.), Christian-Muslim Relations.

     

    3 Pour tous ces auteurs mentionnés, voir la bibliographie.

     

    4 Les extraits du livre d’al-Balḫī, Awāʾil al-adilla, qui se trouvent dans la Réfutation d’Ibn Zurʿa ne sont pas mentionnés dans l’étude d’El Omari, The Theology of Abū al-Qāsim ; il y a pourtant un long chapitre sur les attributs, ainsi qu’une référence à al-Iskāfī qui est mentionné dans les extraits (p. 89-116).

     

    5  On trouvera la traduction française de l’intégralité du traité édité par Paul Sbath en Annexe de cet article.

     

    6 Pour le terme « substance », voir Monnot, « Des doctrines des chrétiens dans le “Moghni” de ʿAbd al-Jabbār », p. 13.

     

    7 Sujet qui touche aussi notre actualité, posant la question de la différence entre musulman et islamiste : question trop vaste pour qu’elle soit traitée dans cet article.

     

    8  Sbath, Vingt traités, « Réfutation de Abū al-Qāsim al-Balḫī », p. 52-68 ; « Traité écrit pour le juif Bišr b. Finḥās Ibn Šuʿayb al-Ḥāsib », p. 19-52 ; « Traité sur l’Intellect », vision de la position de Yaḥyā b. ʿAdī concernant la Trinité, p. 68-75. Parmi les ouvrages de référence, rappelons celui de Rachid Haddad, sur La Trinité divine chez les théologiens arabes (750-1050), ceux de Gérard Troupeau, qui fut le premier à traduire une réfutation d’Ibn Zurʿa et qui se trouve dans l’édition de Sbath : Troupeau, « Épître du philosophe ʿĪsā Ibn Zurʿa », et celui de Shlomo Pines, qui a traité la question de la loi chez Ibn Zurʿa : Pines, « La Loi naturelle et la société ». Nous n’avons pas eu accès à la thèse soutenue par Peter Starr concernant l’épître à Bišr b. Finḥās, qui n’a pas été publiée.

     

    9 Haddad, ʿĪsā Ibn Zurʿa.

     

    10 "يقول سيدي الشيخ يحيى بن عدى: العقل عندك بسيط أو مركب؟ فأجبته في الوقت بما لم أكن فكرت فيه قط ولا خالج سري وهو أن العقل مركب, فضحك ضحكآ شديدآ وجمت له, فقال لما رأى وجومي وهو يشير إلي بأصبعه: هذا صحيح وهو الحق" . Sbath, Vingt traités, p. 69.

     

    11 Voir al-Šahrastānī, al-Milal wa-l-niḥal, p. 59-47.

     

    12 Il s’agit d’Abū Ǧaʿfar Muḥammad b. ʿAbdallāh, philosophe muʿtazilite de l’école de Bagdad, originaire de Samarkand ; il vécut la majorité de sa vie dans une ville au centre de l’Iraq appelée Iskāf. La date de sa naissance demeure inconnue, mais on sait qu’il atteignit un grand âge et mourut en 240/854. Il devient muʿtazilite par l’initiation de Ǧaʿfar b. Ḥarb qui a remarqué l’intelligence d’al-Iskāfī, et c’est la raison pour laquelle il l’amène à Bagdad pour suivre son enseignement. Al-Iskāfī était estimé du calife al-Muʿtaṣim (m. 227/842), qui l’avait présenté comme propagandiste de la doctrine muʿtazilite. Voir Ibn al-Nadīm, Fihrist, p. 213 ; Rashīd al-Khayyūn, Muʿtazilat al-Baṣra wa-Baġdād, p. 299-318 ; Sourdel, « al-Iskāfī », p.132.

     

    13 On attribue à Dieu les attributs de l’essence : Dieu est savant, mais n’a pas de savoir, Il est pouvant, mais sans pouvoir, Il est vivant, mais sans avoir une vie. On attribue à Dieu les attributs de l’acte, quand on peut qualifier Dieu d’un attribut et de son contraire, par exemple, dire que Dieu accorde sa faveur ou qu’il la refuse, il s’agit d’un acte, comme d’être le miséricordieux, le généreux, le pardonneur etc. Cette distinction permet de sauvegarder la transcendance de Dieu et son immutabilité.

     

    14 Haddad, Ibn Zurʿa, p. 208.

     

    15 Entre autres dans son crédo : al-Ašʿarī, Kitāb maqālāt al-islāmiyyīn, p. 290-297.

     

    16 Dans ce contexte, nous avons systématiquement traduit le terme « tafaḍḍul » par « grâce », suivant ainsi l’option qu’a prise Pines dans son important article sur « La Loi naturelle et la société » et qu’il a longuement explicitée dans une note. Voir Pines, « La loi naturelle et la société », p. 175, n. 61 : « Tafaḍḍul , terme (…) que je rends de façon constante dans le texte par le mot « grâce ». Cette traduction peut se défendre et est, en outre, la plus commode. Cependant la traduction de « surcroît » (de vertu) » ‒ qui correspond grosso modo au second sens du mot arabe – entre aussi en ligne de considération. » Ce terme se retrouve déjà dans l’Apologie du chrétien ʿAbd al-Masīḥ al-Kindī, traduite par Georges Tartar. Dans son chapitre sur les différentes sortes de lois et de préceptes, al-Kindī fait la distinction entre « la loi naturelle », fondée sur la raison, c’est-à-dire « la loi de la justice », qui est celle de l’Ancien Testament, et « la Loi d’origine divine », « la loi de la générosité » (sic Tartar), qui est au-dessus de la raison et de la nature, c’est-à-dire, la loi divine apportée par le Christ, la loi de la miséricorde, du pardon et de l’imitation de Dieu… » : Tartar, Dialogue islamo-chrétien, p. 175-176. Voir aussi Platti, « La Loi religieuse et la Loi naturelle » ; Griffith, « Commending Virtue ». Comme l’exprime Griffith, on retrouve chez Ibn Zurʿa l’argument du chrétien al-Kindī : « In these texts, Ibn Zurʿa argued against both the contemporary Jewish defense of the Mosaic šarīʿa and the Muslim promotion of the Islamic šarīʿa, as being expressions of the right religion and therefore as embodying the right law for the governance of the human community. Rather, for Ibn Zurʿa it was the Gospel, as the šarīʿa of grace (sic!) and charity that commended God’s will for mankind. »

     

    17  Ainsi Griffith, Commending Virtue, p. 82-83, par rapport à Ibn ʿAdī, mais aussi par rapport à Ibn Zurʿa : « An interesting feature of a number of the texts is the insight they afford the reader into the course of the philosophical and theological colloquies in which Yaḥyā took part with his Jewish, Christian and Muslim interlocutors. »

     

    18 Sbath, Vingt traités, p. 52-68.

     

    19 Sbath, Vingt traités, p. 68-75.

     

    20 Endress, The Works of Yaḥyā Ibn ʿAdī. Il en est ainsi des questions posées par Abū ʿĪsā al-Warrāq (m. vers 274/861), auxquelles répondit Yaḥyā b. ʿAdī, ou encore des attaques du premier philosophe arabe musulman, Abū Isḥāq al-Kindī (m. entre 247/861 et 252/866) adressées aux chrétiens que réfutera plus tard le théologien chrétien, décédé un siècle plus tard (m. 363/974).

     

    21 Sbath, Vingt traités, p. 19-52.

     

    22 Haddad, ʿIsa Ibn Zurʿa, p. 31 ; Graf, Geschichte der christlichen arabischen Literatur, p. 252-256.

     

    23 The Fihrist of al-Nadīm, p. 204.

     

    24 Ibn al-Qifṭī, Ta'rīḫ al-Ḥukamāʾ, p. 245-247.

     

    25 Ibn Abī Uṣaybiʿa, ʿUyūn al-anbāʾ, p. 235-236. D’après Cyrille Haddad, les dates que nous trouvons dans le livre d’Ibn Abī-Uṣaybiʿa sont erronées. 

     

    26 ʿAlī Ibn Yūsuf al-Qifṭī, Ta'rīḫ al-Ḥukamāʾ, p. 247.

     

    27 Sala, « Ibn Zurʿa », CMR I, p. 570-574.

     

    28 Voir The School of Baghdad (4th-5th/10th-11th Cent.) and its Achievements ; Platti, « Yaḥyā Ibn ʿAdī, Disciples and Masters », p. 60-64.

     

    29 Ibn Abī Uṣaybiʿa, ʿUyūn al-anbāʾ, p. 235.

     

    30 Haddad, ʿĪsā Ibn Zurʿa, p. 33.

     

    رب ميت قد صار بالعلم حيـآ       ومبقى قد مات جهلا وعيـــآ

     

    فافتنوا العلم كى تنالوا خلودآ      لا تعدوا الحياة فى الجهل شيآ

     

    31 Édité par Paul Sbath, Vingt traités, p. 68-75 ; Ibn al-Nadīm mentionne ce Kitāb fī al-ʿaql, mais ajoute que c’est un traité qui n’est « pas encore sorti – Maqāla lam taḫruǧ » !

     

    32 Platti, Yaḥyā Ibn ʿAdī ; Périer, Yahyâ Ben ʿAdî ; Périer, Petits traités.

     

    33 Voir Endress, The Works of Yaḥyā Ibn ʿAdī, et les éditions de Platti mentionnées par Endress.

     

    34 Wisnovsky, « New Philosophical Texts », p. 308-326.

     

    35 Pines, La loi naturelle et la société, p. 157.

     

    36  Ibn al-Nadīm, Fihrist, p. 249, 251, 264. Ibn al-Qifṯi, Ta'rīḫ, p. 245. Ibn Abī Uṣaybiʿa, ʿUyūn al-anbāʾ, tome I, p. 235-236. Haddad, ʿĪsā Ibn Zurʿa, p. 39-52. Une analyse détaillée des œuvres conservées ou perdues et attribuées à Ibn Zurʿa a été publiée récemment par Gerhard Endress : Endress, «ʿĪsā Ibn Zurʿa », p. 325-333.

     

    37 De toutes ces traductions, seules les Réfutations sophistiques ont été conservées dans le manuscrit 2346 de la Bibliothèque nationale de Paris : Haddad, ʿĪsā Ibn Zurʿa, p. 40.

     

    38  Épitomé édité par Gerhard Gihami sous le titre Manṭiq Ibn Zurʿa, qui contient ses commentaires d’al-ʿIbāra, al-Qiyās, al-Burhān.

     

    39 Sbath, Vingt traités, 1° p. 6-19, 2° p. 19-52, 3° p. 52-58, 4° p. 68-75.

     

    40 Troupeau, « Épître… », p. 73-83.

     

    41 Starr, The Epistle.

     

    42 Autrement dit, Les Preuves primordiales des Principes de la Religion d’Abū al-Qāsim ʿAbdallāh Ibn Aḥmad al-Balḫī ; ce Traité d’Ibn Zurʿa porte la date de Ḏū al-Qaʿda 387 A.H. (= 5 nov.-4 déc. 997).

     

    43 Dunlop, al-Balḫī, p. 1033.

     

    44 Thomas, CMR, II, p. 188, On ne connaît pas la date précise. Voir Ibn Ḥaǧar al-ʿAsqālānī, Līsān al-mīzan, p. 308.

     

    45 CMR II, p. 188.

     

    46 Dans son Livre des religions et des sectes, Šahrastānī mentionne deux écoles sous les noms d’al-Ḫayyāṭiyya et al-Kaʿbiyya, voir al-Milal wa-l-niḥal, p. 50.

     

    47 Ibn al-Nadīm, Fihrist I/2, p. 615, n. 2 : dans une note se trouvant dans le Fihrist qu’il édite, Ayman F. Sayyid mentionne que son père, Fuʾād Sayyid, avait découvert un manuscrit au Yémen, intitulé Maqālāt, constitué d’un recueil comprenant à la fin le traité.

     

    48 Al-Balḫī, ʿUyūn al-masāʾil wa-l-ǧawābāt.

     

    49 Voir Maḥmūd Niǧm ʿAbbādī, Abū Bakr b. Zakariyyā al-Rāzī.

     

    50 Voir Ibn al-Qifṭī, Ta'rīḫ, p. 274.

     

    51 Al-Baġdādī, al-Farq bayna al-firaq, p. 33.

     

    52 Al-Balḫī, ʿUyūn al-masāʾil wa-l-ǧawābāt, p. 21.

     

    53  Rašīd al-Khayyūn, Muʿtazila, p. 330.

     

    54 De même, p. 330.

     

    55 Al-Balḫī, ʿUyūn al-masāʾil wa-l-ǧawābāt, Introduction, p.19.

     

    56 Voir Wolfson, The Philosophy of the Kalam, p. 305-354.

     

    57 Ainsi, Wolfson, The Philosophy of the Kalam, p. 112 : concernant la Trinité et les attributs divins : « …As early as the first part of the eighth century, […] there arose in Islam the belief that certain terms which are attributed to God in the Koran stand for real incorporeal beings which exist in God from eternity. […] The appearance of that belief at that time can be explained only on the ground of some external influence. […] By a process of elimination it is to be assumed that Christianity was that external influence. »

     

    58 Voir Wolfson, « The Muslim Attributes and the Christian Trinity », p. 112-132.

     

    59 Le Saint Coran et la traduction en langue française du sens de ses versets, al-Madina, Complexe du Roi Fahd, 1410 A.H.

     

    60 Nous trouvons dans le Tafsīr du Coran d’al-Ṭabarī deux endroits dans lesquels nous trouvons une explication de la phrase « le meilleur des créateurs » ; voir, Tafsīr al-Ṭabarī, t. 17, p. 25. Concernant la question de Dieu comme seul Créateur, voir Anawati, Gardet, Dieu et la destinée de lʼhomme, p. 45-50.

     

    61 Endress, « The Circle of Al-Kindī ».

     

    62 Adamson, Porman, The Philosophical Works of al-Kindī.

     

    63 EI V, p. 125.

     

    64 EI V, p. 124-126. Henri Serouya, La pensée arabe, Paris, Université de France, 1967, p. 84-86.

     

    65 D’après la traduction de Jolivet, Œuvres philosophiques et scientifiques d’al-Kindi. Vol. II, p. 82-86, 94-95.

     

    66 Al-Kindī, Rasāʾil falsafiyya, p. 153-161 ; cet « Un » véritable tel que le conçoit al-Kindī, est aussi le Dieu du Coran.

     

    67 Périer, Petits traités, p. 118-128. D’après Périer, « ce petit traité (d’al-Kindī) est sans contredit, le plus intéressant des opuscules de Yaḥyā Ibn ʿAdī, par l’importance du sujet, la vigueur de l’argumentation, et la qualité de l’adversaire… ».

     

    68 « Ce n’est pas Aristote qui est mon guide en matière de christianisme », voir Emilio Platti, « Les thèses des philosophes rejetées par Ghazālī », p. 80.

     

    69 Al-Fārābī (c. 339/950), Arāʾ ahl al-Madīna, p. 23-25.

     

    70 Voir Endress, « ʿĪsā Ibn Zurʿa », p. 321: Ibn ʿAdī greift auf das Konzept des aristotelischen Ersten Bewegers zurück, der in ewiger Kontemplation das Denken des Denkens ist... (Arist. Met. Λ 9, 1074b34).

     

    71 Aristote, Métaphysique ∆, p. 1806.

     

    72 Aristote, Métaphysique B, Paris, Flammarion, 2014, p.1774.

     

    73 Aristote, Métaphysique ∆, p.1807 : « On appelle continu ce qui a par soi un seul mouvement et qui ne peut être autrement ; le mouvement est un quand il est indivisible, mais indivisible selon le temps. Est continu par soi tout ce qui est un autrement que par contact. »

     

    74 Ibid., p. 1807.

     

    75 Ibid., p. 1808.

     

    76 Périer, Petits traités, p. 125: réf. à Aristote, Naturalis Auscultationis Lib. I, Cap. II, p. 241.

     

    77 Endress, The Works of Yaḥyā Ibn ʿAdī, p. 73, et ses réf. à Dodds, Proclus, The Elements of Theology, p. 264.

     

    78 Endress, Yaḥyā Ibn ʿAdī, p. 321: Yaḥyā b. ʿAdī emploie le terme maʿnā dans le sens (allemand) de « Wesenswas », que nous traduisons par “entité réelle” ; ainsi : Platti, « Towards an Interpretation of Yaḥyā Ibn ʿAdī’s Terminology in his Theological Treatises », p. 61-71, et surtout : Menn and Wisnovski, « Yaḥyā Ibn ʿAdī on the Four Scientific Questions concerning the Three Kinds of Existence ».

     

    79 Khalifat, Yaḥyā Ibn ʿAdī, p. 375-406 ; Khalil, Le traité de l’unité de Yaḥyā Ibn ʿAdī.

     

    80 Yaḥyā Ibn ʿAdī (363/974), Naẓariyyat al-tawḥīd wa-l-taṯlīṯ al-falsafiyya ʿinda Yaḥyā Ibn ʿAdī.

     

    81 Périer, Petits traités, p. 44-62 et 24-27.

     

    82 Voir Endress, « ʿĪsā Ibn Zurʿa », p. 321: Ibn ʿAdī greift auf das Konzept des aristotelischen Ersten Bewegers zurück, der in ewiger Kontemplation das Denken des Denkens ist... (Arist. Met. Λ 9, 1074b34).

     

    83 Bréhier, La philosophie de Plotin, p. 137.

     

    84 Aristote, Métaphysique ∆, Marie-Paule Duminil, Annick Jaulin (éd.), Paris, Flammarion, 2014, p. 1806.

     

    85 Aristote, Métaphysique B, Paris, Flammarion, 2014, p.1774.

     

    86 Aristote, Métaphysique ∆, p.1807 : « On appelle continu ce qui a par soi un seul mouvement et qui ne peut être autrement ; le mouvement est un quand il est indivisible, mais indivisible selon le temps. Est continu par soi tout ce qui est un autrement que par contact. »

     

    87 Aristote, Métaphysique ∆, p. 1807.

     

    88 Aristote, Métaphysique ∆, p. 1808.

     

    89 Périer, Petits traités, p. 119; Endress, The Works of Yaḥyā Ibn ʿAdī, p. 73.

     

    90 Haddad, La Trinité divine, p. 194, avec réf. à Périer, Yahyâ Ben ʿAdî, p. 176-178.

     

    91 Périer, Yaḥyâ Ben ʿAdî, p. 177-179.

     

    92 Haddad, La Trinité divine, p. 204.

     

    93 Ibid., p. 205.

     

    94 Périer, Petits traités, p. 25-26.

     

    95 Voir Endress, « ʿĪsā Ibn Zurʿa », p. 321.

     

    96 Sbath, Vingt traités, p.13.

     

    97 Annexe, p. 9.

     

    98 Haddad, La Trinité divine, p.194.

     

    99 Aristote établit les définitions envisageables de l’Un, il en distingue pour commencer l’Un par essence et l’Un par accident. Ce que les théologiens arabes ont utilisé sous les noms d’attributs d’essence et attributs de l’acte. Voir Hanna, Les arguments philosophiques chez les apologètes Arabes chrétiens, p. 141.

     

    100 Haddad, La Trinité divine, p. 221.

     

    101 Voir Endress, « Yaḥyā Ibn ʿAdī », p. 321: « Gegenüber der mono-physitischen Theologie des Severus von Antiochia spricht Ibn ʿAdī  jedoch nicht von der einen Natur (… ṭabīʿa) des inkarnierten Logos in der Person Christi, sondern von der einen Substanz oder dem einen Wesenwas (maʿnā)… ».

     

    102 Platti, Yaḥyā Ibn ʿAdī, p. 87-90.

     

    103 Cheikho, Trois traités anciens, p. 31.

     

    104 En parcourant la suite des œuvres polémiques des Arabes chrétiens, on remarquera que la question de la Vie et de la Raison en Dieu revient encore plus tard chez d’autres théologiens. Ainsi chez Élie de Nisibe (438/1046), qui répond d’une façon assez catégorique : « Dire de Dieu qu’Il est vivant sans vie et raisonnable sans raison, conduit à dire que Dieu n’est ni vivant, ni raisonnable », Haddad, ʿĪsā Ibn Zurʿa, p.192. La réponse d’Élie de Nisibe se divise en trois arguments. Le premier est d’ordre sémantique : les noms dérivés renvoient à des concepts qui en portent la signification première. Le vivant dérive de la vie et le raisonnable dérive de la raison. D’où il s’ensuit nécessairement qu’il n’y a pas de vivant sans une vie ni de raisonnable sans une raison. Le deuxième argument est d’ordre logique : chaque mot a une signification propre, de sorte que dire qu’Il est vivant équivaut logiquement à affirmer qu’Il a une vie. Le troisième argument procède par l’absurde et entend montrer la contradiction existant dans la pensée islamique sunnite et surtout ašʿarite. Les musulmans sunnites croient que Dieu est vivant par une vie, savant par une science, puissant par une puissance, voulant par une volonté, parlant par une parole, auditeur par une audition, voyant par une vision. Or, si les chrétiens sont considérés comme polythéistes, c’est à cause de leur identification de Dieu à une vie et à une raison substantielle. Si cela est vrai, les sunnites sont davantage polythéistes. Donc, si les sunnites sont monothéistes, les chrétiens le sont eux aussi, Cheikho, Seize traités, p. 106 : on remarquera que par rapport aux « sunnites » mentionnés ici, ceci est contraire à la pensée d’Abū al-Qāsim al-Balḫī, puisque selon la muʿtazila, Dieu est vivant sans vie, sage sans sagesse et est puissant sans puissance.

     

    105 Haddad, ʿĪsā Ibn Zurʿa, p.192.

     

    106 Goichon, Lexique de la langue philosophique d’Ibn Sīnā, p. 23 : « Le mot basīṭ (simple) employé seul signifie ‘’élément simple’’, et se rencontre rarement au singulier. L’un dans tout composé est ce qu’on appelle un élément simple, et lorsque le composé est fait d’un certain nombre de choses il est impossible de connaître sa nature en ignorant ses éléments simples ».

     

    107 Dans « l’Intellection et les objets mêmes de l’Intellection » chez Aristote, nous trouvons que ce qui est « lien » ou des « formes » est un intellect en puissance et les formes ne sont elles-mêmes qu’en puissance dans un réceptacle ; mais l’Intellect tout « en acte » est au contraire la forme même. Et voilà pourquoi la pensée est pensée de la pensée : si l’Intellect se pense, cela vient de ce qu’il a l’intelligible pour moteur. Voir Aristote, Métaphysique 7, et Robin, Aristote, p. 203.

     

    108 Traité édité par Sbath, Vingt traités, p. 68-70.

     

    109 Ibid., p. 70-71.

     

    110 Ibid., p. 69.

     

    111 Idem., p. 39.

     

    112 Le terme analogie de définition en Grec αναλογία, que les philosophes Arabes ont traduit par munāsaba, et les latins par proportio, indique « le rapport des parties entre elles et avec leur tout ». Dans un sens mathématique du terme, le mot analogie signifie le rapport de quantités entre elles, et en géométrie, l’égalité de deux rapports par quotient. Tous ces éléments de définition fixent un fond de signification, quelque chose qui prendra la forme principale de ce qu’on appelle analogie. Voir : Secretan, L’analogie, p. 5-6 : dans le terme analogos, ana signifie « en haut », « vers en haut », et donne l’idée d’un passage ou d’un dépassement possible. Lorsqu’il s’agit de passer a un ordre supérieur : de l’animal à l’humain, de l’humain au divin. Et dans la mesure où les étapes qui marquent les limites sont dans un sens physique un terme infranchissable, l’analogie les franchit en montrant ce qu’il y a de ressemblant entre l’ici et le là-bas. La pensée transgresse une limite vers cela à quoi les êtres eux-mêmes n’ont pas accès. Le terme analogos manifeste une sorte de ressemblance entre les dissemblables ; c’est ainsi que la fonction de transgression est largement confiée aux mots : aux Noms divins, par exemple, aux qualificatifs de valeurs, à des termes de fonction, etc.

     

    113 Heidegger, Introduction à la métaphysique, p. 350. Martin Heidegger montre à quel point penser l’analogie était une chose indispensable pour une pensée médiévale : « Le concept de l’analogie semble n’être qu’un concept d’école passablement effacée et de peu d’importance. Pourtant, comme principe dominant la sphère catégoriale de la réalité sensible et suprasensible, il contint l’expression conceptuelle du monde vécu, pleinement qualifié et valeureux, référé à la transcendance de l’homme médiéval : il est l’expression conceptuelle même de la forme définie. Ancrée dans la relation primordiale de l’âme à Dieu, de l’existence intérieure comme elle fut vécue au moyen Âge dans une rare plénitude. »

     

    114 En grec ancien analogia, qui désigne une identité entre deux rapports, par exemple : a/x=x/b. la position des termes dans le rapport peut donc changer, alors que l’égalité est maintenue.

     

    115 Platon, Timée (31c-32a-b), Paris, Flammarion, 2008, p. 1991-1992.

     

    116 Traité édité par Sbath, Vingt traités, p.18 :

     

    "اذا نظر فيها الذات الإلهية من هذه الجهة فليس يكون النظر فيها من حيث هى بسيطة فى الغاية, بل من حيث قد أضيف الى تلك الذات البسيطة معنى أخر وهو المناسبة."

     

    117 Al-kawn, la génération, est le venir à l’être.

     


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  • L'ermite Moïse,

    premier évêque des Sarrasins

     

     

    Les Sarrasins

    Avant de parler de ce Moïse, il faut dire quelque chose des Sarrasins.

    Au quatrième siècle ils habitaient en divers endroits de l'Arabie, et peut-être parvinrent-ils à l'occuper tout entière. En effet, on voit que ce nom s'est étendu insensiblement sur tous les Arabes, quoique divisés en différentes tribus qui conservaient en outre chacune leur nom particulier.

    Ils ont été appelés plus anciennement Skénites, parce qu'ils étaient nomades et habitaient sous des tentes. On les appelait aussi Ismaélites et Agaréniens, parce qu'ils descendaient, du moins en partie, d'Ismaël, fils d'Abraham par Agar.

    Selon divers anciens auteurs, ce furent eux-mêmes qui prirent le nom de Sarrasins, pour faire croire qu'ils descendaient d'Abraham par Sara son épouse, et non point par Agar la servante.

    Ils se rendirent redoutables en divers temps, même aux Romains, qu'ils battirent sous Marc-Aurèle ou sous Commode. Ils s'étaient aussi beaucoup étendus dans les déserts de la Mésopotamie et de la Syrie. Ils étaient divisés en plusieurs nations ou tribus, dont chacune payait à son prince, et ils offraient leurs services en tant que troupes mercenaires soit aux Romains, soit aux Perses, selon qu'on leur faisait la meilleure offre.

    Quant à leur religion, la longueur du temps et le commerce avec les nations voisines leur firent oublier les éventuelles traditions qu'Ismaël, dont ils descendaient plus ou moins en partie, avait reçues de son père Abraham. En un mot, ils étaient païens.

    Toutefois, bien avant Valens (empereur de 364 à 378), il y en eut plusieurs qui,  suite aux relations qu'ils avaient avec les prêtres et les solitaires d'alentour, étant touchés par la sainteté de leur vie, devinrent chrétien. C'est ainsi que saint Hilarion, en convertit en grand nombre dans la ville d'Eluse, d'où ils refusèrent de le laisser partir avant qu'il leur ait tracé la place d'une église. On a aussi le récit de la conversion d'un certain sarrasin du nom d'Obedien, qu'un certain Moïse de Raïthou (différent de celui dont il sera question ensuite) amena à la foi chrétienne, avec beaucoup d'autres sarrasins de Pharan. De même, Zocome, chef d'une de leurs tribus, n'ayant pas d'enfants, alla trouver un saint solitaire et se plaignit à lui. L'ermite tâcha de le réconforter, fit des prières pour lui, et l'assura qu'il aurait un fils s'il voulait croire en Jésus-Christ. Zocome se fit instruire dans la religion, Dieu lui donna l'enfant qu'il désirait, il reçut enfin le saint baptême, et à son exemple tous ses sujets se firent chrétiens.

     

    L'ermite choisi

    Venons-en à l'époque de ce Moïse qui fut le premier évêque des sarrasins.

    En ce temps là, une certaine tribu des Sarrasins ravageait les frontières de l'Empire, sous la conduite de  sa "reine" Mavia. Le romains, sachant que les sarrasins étaient menés par une femme, veuve du prince de la tribu, comptaient sur une victoire rapide, mais après quelques cuisantes défaites, ils considérèrent qu'il serait plus judicieux d'envoyer une ambassade à Mavia pour lui proposer la paix. Ayant été éclairée de la lumière de la foi, elle demanda qu'un certain ermite nommé Moïse, qui demeurait sur la frontière de l'Egypte, et de la Palestine fût ordonné évêque pour son peuple.

    Cet homme était Sarrasin de naissance et demeurait dans un désert voisin, entre l'Egypte et la Palestine, où ses vertus et ses prodiges l'avaient rendu fort célèbre.

    Les Romains s'estimèrent trop heureux d'obtenir la paix à cette condition.

    L'Empereur Valens ordonna qu'on le menât à la ville d'Alexandrie, qui était la plus proche pour y recevoir les saints ordres.

     

    Le sacre épiscopal

    C'était la période où les disciples d'Arius menaçaient la foi de l'Eglise. L'empereur Valens était arien, et Lucius, le despotique évêque d'Alexandrie, avait fait déporter de nombreux orthodoxes, évêques, prêtres et moines. 

    Dès que Moïse le vit paraître pour faire la cérémonie de l'imposition des mains, il lui dit en présence des généraux et de tout le peuple assemblé en grand nombre :

    "Lucius, arrête-toi ! Et n'imagine pas que tu puisse m'ordonner évêque. Je reconnais que cette dignité est bien au-delà de mes forces et que j'en suis bien indigne. Cependant si c'est la volonté de Dieu que j'y sois élevé malgré mon indignité, je prends ici le Dieu du ciel et de la terre à témoin que je n'accepterai jamais que tu mettes sur moi tes mains rougies et souillées du sang des Saints."

    Lucius, qui ne s'attendait pas à une pareille apostrophe, y fut d'autant plus sensible que le reproche était public. Il lui répondit avec un cœur plein d'émotion :

    "C'est me faire une injure bien éclatante que de témoigner une si grande horreur pour moi en présence de tout le monde, sans savoir quelle est ma foi. Si tu as entendu  des choses fausses sur moi, je suis prêt à faire une déclaration de foi sur laquelle il sera plus juste que tu te bases plutôt que sur des ragots."

    Moïse répliqua : "Lucius, sans même que tu aies besoin de me l'expliquer, je sais quelle est ta foi ! Elle est manifestée par les évêques, les prêtres et les diacres que tu as envoyés en exil et condamnés aux mines. A cela, on voit qu'elle est fort éloignée de la foi de Jésus Christ et de la doctrine orthodoxe !"

    Et il jura que jamais il n'accepterait d'être ordonné par Lucius.

    Quoique ce fut pour l'évêque Lucius un terrible affront, il fut contraint de consentir par la nécessité des affaires de l'État, de peur de rallumer la guerre des Sarrasins, qu'on conduisît Moïse auprès des évêques en exil pour être sacré par eux, ainsi qu'il l'avait demandé.

     

    Evêque des Sarrasins

    Après que Moïse eut été sacré par les évêques confesseurs de Jésus-Christ, il prit soin des Sarrasins que le Seigneur lui avait confiés. Il trouva parmi eux peu de chrétiens ; mais il en convertit un très-grand nombre par ses instructions et par ses miracles. Il conserva toujours la pureté de la foi et maintint sa nation en paix avec les Romains.

    Quant à la reine Mavia, elle respecta son engagement de paix envers Rome, et envoya même du secours à Valens contre les Goths, dont il se servit très-avantageusement. Elle cimenta de plus son union avec les Romains, en donnant sa fille en mariage à Victor leur général, dont Théodoret et Nicéphore louent beaucoup la pureté de la foi.

    Tels furent les fruits de l'élection de Moïse, je veux dire la conversion d'une grande multitude de Sarrasins et leur paix avec l'empire. On ne sait pas combien de temps il vécut, ni où fut son siège épiscopal.

     

    L'Église catholique fait mémoire de saint Moïse, dans son Martyrologe, au 7 février.

    Il ne semble pas être dans le Synaxaire.

    Albocicade

     

    Sources :

    Sozomène HE Liv VI, 38

    Socrate HE IV 36

    Théodoret HE IV 23

     


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  •  

    Michel Nau (Jésuite, XVII° siècle) page ressource sur sa page wikipedia

     

    Karl Pfander (Missionaire protestant, XIX° siècle) : Mizan Ul Haqq  ("La Balance de la Vérité" traduit du persan en anglais et de là en français)

     

    Charles Marsh (surnommé Abd al-Massih, missionaire protestant, XX° siècle) Prédication sur Jésus

     


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  • Lettre adressée le 17 novembre 2014 par Ashiq Masih, l’époux d’Asia Bibi, au Président de la République islamique du Pakistan, sollicitant sa grâce.

    Hier [16 novembre], je suis rentré de la prison de Multan [sud de la province du Pendjab] où mon épouse, Asiaa Bibi, a été transférée voici huit mois. Depuis qu’Aasia a été condamnée à mort en novembre 2010 pour avoir bu un verre d’eau tirée du puits de notre village, ma famille vit dans une peur constante et sous des menaces de mort. Je vis dans la clandestinité avec mes cinq enfants aussi près que possible d’Aasia. Elle a beaucoup besoin de nous pour l’aider à continuer à vivre, pour lui apporter des médicaments et une nourriture saine quand elle est malade.

    Après avoir passé quatre longues années en prison dans de terribles conditions, nous espérions que la Haute cour de Lahore libérerait mon épouse. Elle n’a d’aucune manière commis de blasphème. La Cour ayant confirmé la sentence de mort le 16 octobre, nous ne comprenons pas pourquoi notre pays, notre bien-aimé Pakistan, nous est si hostile. Notre famille y a toujours vécu pacifiquement et nous n’avons jamais été la cause d’une quelconque perturbation. Mais désormais et depuis quelques années la situation au Pakistan a changé à cause de quelques uns, et nous avons peur. Aujourd’hui beaucoup de nos amis musulmans ne comprennent pas pourquoi le système judiciaire pakistanais fait tant souffrir notre famille.

    Nous faisons de notre mieux pour présenter notre ultime pourvoi à la Cour suprême avant le 4 décembre. Mais nous sommes convaincus que le seul moyen d’épargner la pendaison à Aasia sera la grâce que l’honorable Président Mamnoon Hussain lui accordera. Personne ne devrait être tué pour avoir bu un verre d’eau.

    Nous sommes chrétiens mais nous respectons l’islam. Nos voisins sont musulmans et nous avons toujours vécu en bonne intelligence avec eux dans notre petit village.

    Mes cinq enfants et moi ne survivons que grâce à la protection de quelques amis fidèles qui risquent chaque jour leur vie en nous aidant. Nous sommes la famille d’Aasia Bibi et beaucoup de gens veulent que nous mourrions. Grâce à notre amie Anne-Isabelle Tollet, qui est devenue notre sœur et nous aide depuis déjà quatre ans, nous parlons souvent de ce qui se passe à Paris et dans le monde pour aider à sauver Aasia. Savoir que tant de personnes soutiennent Aasia de si loin est très important pour nous. Cela nous aide à tenir. À chaque fois que je rends visite à Aasia dans sa prison je lui donne toutes ces informations. Parfois cela lui donne le courage d’aller de l’avant.

    Juste avant de partir pour mon voyage de 10 heures afin de rendre visite à Aasia, j’ai appris la merveilleuse nouvelle que Paris est prête à offrir l’hospitalité à Aasia et à notre famille à Paris si [mon épouse] était libérée. C’est un très grand honneur et nous en sommes très reconnaissants. Je souhaite vous exprimer Madame le Maire [Anne Hidalgo] mes sincères remerciements et vous dire notre immense gratitude pour votre intérêt. J’espère qu’un jour nous pourrons vous rendre visite en vie et non pas morts.

    Quand j’ai visité Asia Bibi hier elle m’a demandé de vous transmettre ce message : « La cellule de ma prison n’a pas de fenêtre et je ne fais pas de différence entre le jour et la nuit, mais si je tiens aujourd’hui c’est grâce à tous ceux qui tentent de m’aider. Quand mon mari m’a montré des photos de gens que je ne connais pas et qui buvaient un verre d’eau pour moi, mon cœur a débordé. Ashiq m’a dit que la ville de Paris m’offrait l’hospitalité ainsi qu’à ma famille. Je vous adresse mes plus profonds remerciements Madame le Maire, ainsi qu’à toutes ces aimables personnes à Paris et dans tout le monde. Vous êtes mon seul espoir de demeurer en vie dans ce cachot. Alors je vous en prie : ne m’abandonnez pas. Je n’ai pas commis de blasphème ».

     Source : The Guardian (20 novembre) – © L’Obs pour la traduction.

    NB : La chrétienne Asia Bibi n'a pas été grâciée par le président du Pakistan. Après 9 années sous une condamnation à mort, elle a finalement été acquitée en Novembre 2018.


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  • Prédication sur Jésus,

    Extrait de :

    Le musulman mon prochain

    Charles Marsh

    Editions Farel 1977

    réimpression 1981, p 57 et suivantes

     

    CHAPITRE 8

    JESUS LE FILS DE DIEU

    Dans ce chapitre vous trouverez un aperçu assez complet d'un message que l'auteur a prononcé pour la première fois dans un village de montagne en Algérie. Il était le seul européen dans le district, et passait deux semaines parmi les musulmans, dormant dans un café abandonné, et se trouvant ainsi complètement à leur merci.

    Chaque soir, environ vingt à trente hommes se rassemblaient pour écouter le message. L'auteur avait consacré beaucoup de temps et de prière à la préparation de ce discours, et le premier soir il parla en tremblant de peur. Il savait avec quelle violence les hommes fanatiques réagissent à la vérité divine. Après la réunion, les hommes sortirent en silence les uns après les autres mais sans se disperser. Puis l'un d'entre eux revint.

    "Et voilà, pensa l'auteur, ils sont revenus pour me tuer." A sa surprise l'homme dit : "Merci infiniment, Cheikh, pour ce message. C'est exactement ce que nous voulons savoir. Nous voulons savoir qui est Jésus-Christ. Dites-nous-en plus à son sujet demain." Il partit et cinq hommes rentrèrent les uns après les autres pour dire combien ils avaient apprécié le message.

    Des mois plus tard, l'auteur parlait sur le même thème à des Arabes près d'Alger, et la réaction fut la même. Plus tard encore il se servit du même message dans le désert, dans un autre dialecte cependant. C'est le seul message qui ait été apprécié par un auditoire musulman, au point que plusieurs hommes revinrent pour lui dire merci. Evidemment plusieurs détails se perdent en français, en particulier les termes musulmans. Mais cela donnera peut-être des idées pour des entretiens similaires. On peut s'en servir pour un message, ou alors on peut reprendre un ou deux points avec une personne pendant plusieurs soirées de suite. Faisons une grande place à Jésus-Christ.

     

    QUE PENSEZ-VOUS DE CHRIST ? (Matt. 22:42) De votre réponse à cette question dépend à la fois votre bonheur dans cette vie-ci et le lieu où vous passerez l'éternité. Bientôt Jésus-Christ reviendra et quand il sera là, il vous demandera, comme il l'a demandé aux pharisiens d'autrefois : "Vous, que pensez-vous de moi ?"

    Je suis venu vers vous en tant que chrétien et je veux être votre ami. Je veux vraiment vous faire connaître qui est Jésus et il est de la plus haute importance que personne ne vous induise en erreur à ce sujet. Je vous en prie, ne croyez pas qu'il est un simple prophète, un homme bon parmi d'autres. Non, il est unique, incomparable. Il n'a pas son pareil dans ce monde ni dans le monde à venir.

     

    1. QUE PENSEZ-VOUS DE SA NAISSANCE MERVEILLEUSE ?

    Personne d'autre n'est né comme lui. Il est Jésus, le fils de Marie. Vous appelez Ismaël le fils d'Abraham, Jean le fils de Zacharie, Mohammed le fils d'Abdullah. Tous les autres hommes prennent le nom de leur père. Pourquoi Jésus a-t-il pris le nom de sa mère ? Parce qu'il n'avait pas de père terrestre. Il est né de la vierge Marie. Il est né par la puissance de Dieu (qudrat Allah) sans l'intervention d'un homme. Sept cents ans avant sa naissance, le prophète Esaïe prédit comment il naîtrait (Esaïe 7:14) et sa naissance advint selon cette prédiction comme vous pouvez le lire en Matt. 1:18-25.

    Dieu créa Adam notre père de la poussière de la terre et nous tous nous sommes enfants d'Adam, comme les prophètes. Nous sommes de la terre ; et lui, le Seigneur Jésus, vint du haut des cieux. On l'appelle al Manzül : celui qui est descendu. Il était pur et sans tache, semblable à la neige et à la pluie. Tous les autres sont comme la terre, sales, impurs et souillés par le péché. Nous lisons que "Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs" (1 Tim. 1:15). Il est venu comme moi je suis venu dans votre pays, en étranger. Vous, vous n'êtes pas venus, vous êtes nés ici. Jésus était dans la présence de Dieu avant de venir sur terre. Il a choisi de venir sur terre pour nous sauver. "Au commencement était la Parole" (lire jean 1:1-3 et verset 14). Il a pris un corps humain et est devenu homme. Il est venu d'en-haut.

    On raconte qu'un jour deux hommes tombèrent dans un puits. L'un dit à l'autre : "Délivre-moi de cet endroit affreux. Sors-moi de cette saleté et cette boue." l'autre répondit : "Insensé, comment le pourrais-je ? Je suis dans la même situation que toi." Tous deux étaient dans le puits et aucun ne pouvait aider l'autre. C'est alors qu'ils entendirent une voix venant d'en-haut leur disant de saisir une corde. L'homme qui n'était pas tombé dans le puits était le seul à pouvoir les aider. Il apportait de l'aide d'en-haut. Le meilleur d'entre les prophètes ne pouvait nous sauver du puits du péché car il était aussi pécheur, mais Jésus lui n'a pas hérité de la nature pécheresse. Il est venu d'en-haut. Dieu a envoyé des anges pour annoncer sa naissance (lire Matt. 1:20 et Luc 2:9). Que tout cela est merveilleux ! Jamais homme ne naquit comme cet homme. Il est unique par sa naissance. Il est incomparable

    .

    2. QUE PENSEZ-VOUS DE SA PERSONNE ?

    Il était parfait. Pas une seule fois il n'a commis de péché. Il n'a jamais commis d'erreur. Il n'a jamais eu à demander pardon (astaghafr). Tout homme qui craint Dieu doit confesser son péché et demander pardon. David l'a fait. Abraham également. En fait un prophète a dit qu'il demandait pardon à Dieu soixante-dix fois par jour (c'était Mohammed, mais ne mentionnez pas son nom). En vain chercherez-vous dans la Bible et dans le Coran un seul verset où il soit question de Jésus demandant pardon. Etant sans péché, il n'avait pas besoin de pardon. Ses compagnons les plus proches écrivaient et disaient de lui qu'il ne connaissait pas le péché, n'avait pas commis de péché et qu'il n'y avait pas de péché en lui. C'étaient des hommes qui le connaissaient bien. Dieu a accordé le pardon aux prophètes lorsqu'ils ont confessé leur péché, mais Jésus n'avait pas besoin de pardon. Il était sans péché. Il pouvait même dire à ses ennemis : "Qui de vous pourra nommer un seul de mes péchés pour me faire taire ?" (Jean 8:46en arabe). Mais aucun d'eux ne put trouver le moindre péché dans sa vie. Qui d'entre nous oserait lancer un tel défi à ses ennemis ? Jésus fut amené devant le juge Pilate et faussement accusé, mais Pilate, ne trouvant rien de mal en lui, se lava les mains et dit : "Je suis innocent du sang de ce juste." Jamais personne d'autre ne fut sans péché. Il est le seul prophète sans péché. Il est unique et incomparable.

     

    3. QUE PENSEZ-VOUS DE SES PAROLES ?

    Ses ennemis envoyèrent un jour des soldats pour l'arrêter. Ceux-ci écoutèrent son enseignement, puis s'en retournèrent sans l'avoir saisi et dirent avec étonnement : "Nul homme n'a jamais parlé comme cet homme." (Jean 7:46). Pensez à ce qu'il a dit : "Je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie." (Jean 8:12). Un vieillard m'expliqua un jour ce que Jésus voulait dire par là : "Vous savez, mon ami, les prophètes sont comme la lune. La lune brille la nuit et les prophètes ont apporté la lumière de Dieu dans ce pauvre monde enténébré. La lune croissante brille de plus en plus jusqu'à la pleine lune, puis elle décline et meurt. Mais n'ayez crainte. Une autre lune (un autre mois) la remplacera. Ainsi se succédèrent les prophètes. L'un délivre son message, pâlit, passe son chemin et cède la place à un autre. Chaque nation a eu quelque lumière sur Dieu. Les religions des hommes ressemblent à la lueur d'une bougie ou à la lune. Mais qui donc se sert de ces faibles lumières lorsque paraît le soleil ? Jésus a dit : "Je suis la lumière du monde', le soleil de justice. Avez-vous déjà vu le soleil décroître et diminuer ? Non, il ne s'éteint jamais. Il luit pour tous dans tous les pays. Jésus-Christ est comme le soleil. Il ne disparaît jamais. Non, il ne meurt pas. Il est pour tous les pays, pour chaque homme. Il dit également :'je suis le chemin, la vérité et la vie." Ils est vrai que tous les prophètes sont venus montrer le chemin qui mène à Dieu. Ils ont dit : "Faites ceci. Suivez cet enseignement. Voici le chemin. Gardez les commandements." Mais Jésus a dit : "Je suis le chemin. Suivez-moi."

    Illustration :

    Un petit garçon se perdit dans une grande ville. Il venait d'ailleurs et n'était pas capable de s'exprimer clairement. Il demanda à un agent de lui indiquer le chemin de la maison. Celui-ci lui dit : "!I faut suivre la rue, prendre la deuxième rue à gauche, puis la troisième à droite, traverser le pont, tourner autour d'un rond-point puis remonter la rue centrale..." Le garçonnet éclata en sanglots. L'agent lui avait bien indiqué le chemin; mais le garçon était trop faible et trop craintif pour suivre les instructions. A cet instant quelqu'un du même village passa par là. Il le prit par la main. Lorsque le petit garçon ne put plus avancer de fatigue, il le prit dans ses bras et le porta jusque chez lui. L'agent lui avait montré le chemin. L'autre personne était le chemin. Jésus a dit : "Je suis le chemin... le chemin qui conduit à la maison du Père.'

    Que pensez-vous du sens de ses histoires merveilleuses ? Lisez Luc 15. Que pensez-vous de ses invitations étonnantes ? Il a dit : "Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés. Je vous donnerai du repos." (Matt. 11:28). Que c'est merveilleux ! Que pensez-vous de ses paroles ? Jamais homme ne parla comme cet homme. Il est unique. Il est incomparable. Il n'a pas son pareil sur la terre ni dans les cieux.

     

    4. QUE PENSEZ-VOUS DE SES NOMS ET DE SES TITRES ?

    Chaque prophète a un nom particulier. Abraham est appelé l'ami de Dieu (Khalil Allah). Moise est appelé le porte-parole de Dieu (Kalam Allah). D'autres sont appelés Rùh Allah (Jésus) et Habib Allah (Mohammed). Dites-moi maintenant, qui un homme aime-t-il le plus, son ami (habib) ou son esprit, c'est-à-dire soi-même (rùh) ? Soyez tout à fait honnêtes à présent. Que votre coeur donne la réponse. Oui, Jésus est appelé Rùh Allah. Dans les Evangiles nous lisons que Dieu a dit de Jésus : "Celui-ci est mon Fils élu. Ecoutez-le." (Luc 9:35). Je vous pose encore une fois la question : "Qui un homme aime-t-il le plus, son ami ou son fils ? Vous avez raison, son fils." Pour le distinguer de tous les autres, Dieu appela Jésus son Fils. Que voulait dire Dieu par là ? Nous disons que le fils est l'image même (mathal) du père. Aussi lorsque nous voyons Jésus nous apprenons à mieux connaître Dieu (Jean 14:9). Un fils peut prendre la place de son père et le représenter. Il peut parler au nom de son père. C'est ce qu'a fait Jésus lorsqu'il était parmi les hommes. C'est pourquoi on l'appelle la Parole de Dieu. Dieu parlait au travers de lui (Héb. 1:3) Ses titres sont uniques, Il est incomparable. (N.B. Dans les pays musulmans où l'on connaît les titres des prophètes, ce paragraphe a beaucoup d'effet. Seulement ne mentionnez pas Mohammed par son nom.)

     

    5. QUE PENSEZ-VOUS DE SA PUISSANCE ?

    Il peut tout faire. Tout pouvoir et toute autorité lui ont été donnés. Il n'y a en fait aucune oeuvre de Dieu que Jésus n'ait accompli lorsqu'il vivait sur cette terre. Qui peut ressusciter les morts sinon Dieu ? Jésus a ressuscité des morts. Qui peut vraiment guérir la lèpre sinon Dieu ? Jésus a guéri et a purifié des lépreux. Qui peut ouvrir les yeux des aveugles sinon Dieu ? Jésus a accompli tout cela. Il a guéri toutes sortes de maladies. Même les maladies incurables. D'une seule parole il a chassé des esprits mauvais. Il a changé la vie de beaucoup d'hommes et les a sauvés de leur péché. Lorsque les gens venaient dans mon dispensaire en Afrique, avant de commencer le traitement, je demandais toujours à Dieu de les guérir. Je les soignais au nom de Dieu (bi ism Allah). Tous les prophètes ont toujours fait des miracles et guéri des gens au nom de Dieu, mais le Seigneur Jésus n'a jamais guéri au nom de Dieu. Il a toujours guéri des hommes et des femmes par sa propre puissance et en son nom à lui. Il pouvait dire : "Je te le dis : lève-toi et marche", à un homme qui n'avait plus marché depuis trente-huit ans. Cet homme se leva et marcha. Il ne s'est jamais servi de médicaments, il guérissait les hommes en son propre nom et par sa propre puissance.

    Un homme appelé Lazare mourut. On l'enterra et on appela Jésus. Lorsque Jésus arriva sur les lieux, Lazare était déjà mort et enterré depuis quatre jours. Jésus alla au tombeau et dit : "Lazare, sors." (Jean 11:43). Le mort sortit de son tombeau. Jésus ne laissa aucun doute sur son pouvoir de ressusciter les morts. Il dit : "Je suis la résurrection et la vie." (Jean 11:25). "Le jour viendra où tous ceux qui sont dans la tombe entendront sa voix et se lèveront." Vous sortirez de la tombe si vous êtes morts. Il en sera ainsi pour Moise et Abraham et tous les prophètes. Mais dès maintenant, Jésus est capable de vous donner une vie nouvelle, la vie de Dieu, la vie éternelle. Aujourd'hui il transforme la vie de nombreux hommes dans le monde entier. Il peut transformer votre vie. Que pensez-vous de sa grande puissance ? Il est unique, tout-puissant. Il est incomparable.

     

    6. QUE PENSEZ-VOUS DE SES SOUFFRANCES ? DE SA MORT ?

    Savez-vous où vous mourrez ? Ici, ou dans un autre pays ? En mer ou sur la route, ou dans votre lit ? Où ? Et puis comment allez-vous mourir ? Sera-ce de maladie, par accident ou de mort naturelle ? Peut-être savez-vous quand vous mourrez ? Quel jour et quel mois ? Et puis dites-moi encore ce qui vous arrivera après votre mort ? Vous et moi, nous devons bien admettre que nous l'ignorons. C'est Dieu qui décide de tout cela.

    Mais le Seigneur Jésus savait et avait prédit où il mourrait. A Jérusalem. Il prédit aussi comment il mourrait et en donna tous les détails (Luc 18:31-33). Il dit à ses disciples quand il mourrait : le jour même où tout le monde tuerait un agneau pour fêter la Pâque, il mourrait comme l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. Il leur dit qu'après trois jours, il ressusciterait. Tout s'est passé exactement comme il l'avait dit. Lui, il savait. Il n'était pas comme les autres hommes. Nous, nous ne savons pas. Les prophètes ne savaient pas. Vous et moi nous mourrons au moment, à l'endroit, et de la manière dont Dieu décidera.

    Mais Jésus dit : "Personne ne m'ôte la vie, mais je la donne de moi-même. J'ai le pouvoir de la donner et j'ai le pouvoir de la reprendre." (Jean 10:18). Il n'a jamais commis de péché ; c'est pourquoi il n'était pas obligé de mourir. Il aurait pu remonter au ciel sans mourir. Mais il a choisi de mourir par amour pour les autres. Il a donné sa vie pour nous. Il mourut pour nous obtenir le pardon. Il mourut pour vous. Lui, le bon berger, a donné sa vie pour ses brebis. Jamais aucun homme ne mourut comme Lui. Il est incomparable, unique parmi les hommes.

     

    7. QUE PENSEZ-VOUS DE SA VICTOIRE SUR LA MORT ?

    Il mourut et les hommes le mirent enterre, Ses ennemis firent de leur mieux pour le garder dans le tombeau. Ils roulèrent une grosse pierre devant l'entrée du sépulcre. Ils scellèrent la pierre. Ils entourèrent le sépulcre de gardes armés. Il était bien mort, et les hommes firent de leur mieux pour le garder dans le tombeau. Mais il ressuscita des morts et se montra vivant à ses disciples, à Pierre, à Marie et puis à plus de cinq cents personnes. Il ressuscita comme il l'avait annoncé. Dieu le ressuscita des morts parce qu'il voulait montrer au monde entier qu'il avait accepté l'oeuvre de Jésus. Toutes ces personnes le virent. Ils le touchérent, mangèrent et burent avec lui après sa résurrection. Il leur montra les blessures de ses mains, de ses pieds et de son côté.

    La mort est un grand ennemi. Vous devrez mourir un jour et moi aussi. Les prophètes moururent et sont encore morts. Loué soit Dieu, Jésus-Christ a vaincu la mort. Il est vivant aujourd'hui. Il peut sauver tous ceux qui viennent à Dieu par lui, parce qu'il vit et qu'il intercède pour eux. Existe-t-il un autre prophète qui soit vivant après être passé par la mort ? Christ seul est ressuscité des morts. Il est unique et incomparable. Il n'a pas son pareil sur la terre ni dans les cieux.

     

    8. QUE PENSEZ-VOUS DE SON ASCENSION ?

    Lire Actes 1:9-11 ; Phil. 2:6-11. Si je demandais à une assemblée de juifs qui ils souhaiteraient voir occuper la place d'honneur au ciel, ils diraient tous : Moise. Si je posais cette question à des musulmans, ils répondraient : Mohammed. Et si je la posais à des chrétiens, ils diraient : Jésus. Dieu cependant n'a consulté ni les juifs, ni les musulmans, ni les chrétiens. Dieu a souverainement élevé Jésus et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom. Voilà ce que Dieu a fait, et tout homme orgueilleux devra fléchir le genou devant lui.

    9. QUE PENSEZ-VOUS DE SON RETOUR SUR LA TERRE ?

    Il reviendra. Il l'a dit (Jean 14:1-3). Les anges l'ont dit dans Actes 1:11. Tous les chrétiens attendent son retour. Les musulmans savent qu'il reviendra pour régner. Il revient pour prendre son peuple (umma) avec lui au ciel. Il revient afin de régner sur la terre entière. Il est le roi de la terre. Il doit régner jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds. Certains se trompent en pensant qu'il régnera quarante ans ; Dieu a dit mille ans. Je crois ce que Dieu a dit. Je pense que mille ans de bénédictions et de paix valent mieux que quarante ans. Oui, il va venir bientôt. Chacun doit reconnaître qu'il est le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs. Il revient. Vous vous tiendrez devant lui, et il sera le juge.

    Lorsque vous le verrez face à face il vous demandera : "Que penses-tu de moi ?" Que répondrez-vous ? Si vous dites : "Tu es simplement un prophète parmi les autres prophètes', il vous demandera pourquoi vous n'avez pas suivi ses commandements, et vous serez condamné parce que vous avez cru qu'il n'était qu'un prophète parmi tant d'autres, alors qu'il est incomparable. Il est l'unique sauveur. Qui reviendra pour régner ? Moise, Abraham, David ou quelque autre prophète ? Non. C'est le Seigneur Jésus qui revient et il sera le juge. Dieu en a donné l'assurance à tous les hommes en le ressuscitant des morts. Il revient. Tout oeil le verra. Il est unique.

     

    10. QUE PENSEZ-VOUS DE SES EXIGENCES A VOTRE EGARD ?

    Il dit : "Venez à moi, je vous donnerai du repos." (Matt. 11:28). Il vous appelle aujourd'hui. Lorsqu'il appela ses premiers disciples, ils quittèrent tout pour le suivre : leur foyer, leurs parents, leur travail. Il vous demande de faire de même. Il vous demande de lui faire confiance, de croire en lui, de l'accepter comme votre sauveur, de lui abandonner votre vie, de l'accepter comme Seigneur. Il exige tout. S'il est réellement ce qu'il prétend être, ses exigences sont tout à fait légitimes. Il est unique et incomparable par sa naissance, sa vie et sa personne sans tache, ses titres, ses paroles merveilleuses, sa puissance souveraine, ses souffrances et sa mort. Il vit aujourd'hui. Il est avec ceux qui se confient en lui. Il intercède dans le ciel pour ceux qui croient en lui. Il vient bientôt, il n'a pas son pareil dans le ciel ni sur la terre. C'est pourquoi il demande à être le roi et le Seigneur de votre vie.

     

    Certains pourront objecter que nous n'avons pas enseigné clairement la divinité de Christ dans ce message. Mais nous avons avancé d'un pas dans la communication de cette vérité merveilleuse qu'il est le Seigneur suprême. Voici le mot de passe des premiers chrétiens : "Jésus est Seigneur". Nul ne peut dire : "Jésus est Seigneur" si ce n'est par le Saint -Esprit (1 Cor. 12:3). Comptons sur lui pour révéler cette importante vérité à nos amis musulmans.


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  • Entretiens avec un Musulman 
    édition numérique par jesusmarie.com et Thierry L.

    Traduction "Sources Chrétiennes" n° 115

    Introduction, texte critique, traduction et notes par Théodore Khoury

    1966

    Les « Entretiens avec un musulman » présentent de vraies discussions qui ont vraiment eu lieu entre l’empereur Manuel et un lettré musulman au XIVe siècle à Ancyre. Les deux abordent des questions débattues depuis des siècles entre controversistes chrétiens et musulmans, mais renoncent aux arguments scripturaires et "ad hominem". La 7e controverse ici présentée considère les questions éthiques.

    Du très pieux Basileus, ami du Christ, 
    MANUEL PALEOLOGUE, 
    à son très cher frère, 
    le très fortuné Despote Porphyrogénète 
    Théodore Paléologue 
    ENTRETIEN 
    avec un certain Perse, Mudarris de sa charge, 
    tenu à Ancyre de Galatie

     

    Septième Controverse

    1. a. Au lever du jour, le Mudarris nous accueillit sur le pas de la porte. S'adressant à nous, selon son habitude : "Attachons-nous, dit-il, si cela te plaît, aux points qui nous restent d'hier." 
    Quand ils se furent assis tout autour de nous, comme à l'accoutumée, j'entamai le sujet de la sorte : 
    b. "La Loi de Moïse vient de Dieu. Ce qui le montre, c'est la multitude des miracles surnaturels. Car Moïse n'aurait pu opérer des prodiges qui dépassent la nature, s'il avait porté des lois que Dieu ne lui aurait pas communiquées. Or Dieu, manifestement, a honoré cette Loi par des œuvres et par des déclarations constantes, non seulement par celles dont il a glorifié le législateur avant, pendant et après la promulgation de la Loi, mais aussi par le fait qu'il haïssait, pour ainsi dire, et repoussait ceux qui ne l'observaient pas, et que si quelqu'un la méprisait, lui-même le méprisait et lui infligeait le châtiment convenable. 
    c. "Mais je prétends t'apprendre d'une façon claire et brève la différence entre les deux Lois. 
    "Presque tous les hommes se partagent en trois groupes: pour Moïse, pour le Christ et pour celui que tu n'as pas craint de comparer à celui-là qui a vu Dieu. Or seule votre Loi n'a, aux yeux de tous, à tous points de vue, rien de sain.

    2. a. "Considère ceci : Vous-mêmes dites que la Loi de Moïse est descendue de Dieu et que la nôtre est sans nul doute bien meilleure qu'elle. Vous les jugez donc bonnes toutes les deux, bien que vous préfériez la vôtre, qui n'est louée par personne mais décriée par tous. 
    b. "En voici la preuve : Si l'on demandait à l'ensemble des hommes quelle est la meilleure de toutes les Lois et quelle est au contraire la pire, chacun émettrait cette affirmation : la sienne est la meilleure, mais celle de Mahomet est la pire. Nous, maintenant, nous disons cela sous forme de supposition, mais toi tu n'ignores pas que c'est bien la vérité. Tu as beau dédaigner l'opinion de tous les hommes, les prenant à partie comme des ennemis, tu raisonnes mal. Il faut assurément considérer le témoignage de chacun sur lui-même comme non avenu, et comme non valide son suffrage; ceux de l'ensemble des hommes au contraire, quand ils sont convergents, doivent être admis, quel que soit le sujet considéré. 
    c. "Ainsi on ne saurait plus appeler ta Loi proprement Loi, ni ranger celui qui l'a établie au nombre des législateurs. Et cela parce que les articles les plus importants de cette nouvelle Loi sont plus anciens même que la législation de Moïse. Car ils ont une origine lointaine, et ce n'est pas Mahomet qui les a institués. En effet, se défaire de l'égarement des idoles, fuir le polythéisme, croire en un seul Dieu créateur, recevoir comme signe de la foi la circoncision, et les autres points semblables, Abraham les a établis sans écriture. Moïse ensuite les a consignés par écrit et promulgués, en y ajoutant ce que Dieu, dans ses entretiens avec lui, lui a ordonné. Ainsi donc cette Loi plus récente, venant après l'ancienne, lui a emprunté — cela est clair — ses fondements et ses principes; et non point l'ancienne à celle-ci. Comment en effet l'ancien serait-il tributaire du plus récent ? Or combien une telle condition donne de précellence, point n'est besoin de discours pour le montrer. Et que parlé-je de fondements et de principes, quand ce qui parait le plus parfait de tout et tout ce en quoi, pourrait-on dire, ta Loi semble consister, est pris manifestement dans l'ancienne Loi. Ainsi rien de neuf ne s'y rencontre, mais les mêmes choses ont été dites deux fois, ou plutôt elles ont été impudemment pillées. Car montre-moi que Mahomet ait rien institué de neuf : tu ne trouverais rien que de mauvais et d'inhumain, tel ce qu'il statue en décrétant de faire progresser par l'épée la croyance qu'il prêchait.

    3. a. "Mais il faut, je pense, m'expliquer là-dessus plus clairement. De trois choses, l'une devait nécessairement arriver aux hommes sur la terre :

    - ou se ranger sous la Loi, 
    - ou payer des tributs et de plus être réduits en esclavage, 
    - ou, à défaut de l'un et de l'autre, être taillés par le fer sans ménagement.

    b. "Or cela est fort absurde. Pourquoi ? Parce que Dieu ne saurait se plaire dans le sang, et que ne pas agir raisonnablement est étranger à Dieu. Ce que tu dis a donc franchi, ou presque, les bornes de la déraison. D'abord en effet, comment n'est-il pas très absurde de payer de l'argent et d'acheter ainsi la faculté de mener une vie impie et contraire à la Loi ? 
    c. "Ensuite, la foi est un fruit de l'âme, non du corps. Celui donc qui entend amener quelqu'un à la foi a besoin d'une langue habile et d'une pensée juste, non de violence, ni de menace, ni de quelque instrument blessant ou effrayant. Car de même que, quand il est besoin de forcer une nature non raisonnable, on n'aurait pas recours à la persuasion, de même pour persuader une âme raisonnable, on ne saurait recourir à la force du bras, ni au fouet, ni à aucune autre menace de mort. 
    d. "Nul ne saurait jamais prétendre que, s'il use de violence, c'est malgré soi, car c'est un ordre de Dieu. Car s'il était bon d'attaquer avec l'épée ceux qui sont totalement incroyants et que ce fût là une loi de Dieu descendue du ciel — comme Mahomet le soutient — il faudrait sans doute tuer tous ceux qui n'embrasseraient pas cette Loi et cette prédication. Il est en effet bien impie d'acheter la piété à prix d'argent. En opines-tu autrement ? Je ne le pense pas. Comment le ferais-tu? Or si cela n'est pas bon, tuer est encore bien pire. 
    e. "Cependant s'il se trouve que Mahomet ait ajouté quelque chose à la Loi de Moïse, aussitôt tu appelles cela Loi. Et tu ne te contentes pas qu'on te passe de parler ainsi, mais tu exiges qu'on préfère cette Loi à celles qui l'ont précédée. En vertu de quoi ? Elle qu'il n'est même pas juste d'appeler Loi. 
    f. "Ce qui en effet la fait considérer comme Loi, cela même lui ôte d'un autre côté ce caractère de Loi. Une des propriétés de la Loi, c'est d'établir des prescriptions naturelles agréables à Dieu. La vôtre se vante de prescriptions empruntées. Que si l'on en élaguait les articles plus anciens, elle ne différerait en rien du geai de la fable : on lui prêta des plumes de toute sorte, on les lui ôta ensuite, et le voilà redevenu geai. 
    g. "S'il en est ainsi, tout le monde jugera inférieure à celle des juifs votre Loi — appelons-la Loi, en attendant, pour te faire plaisir. Et si elle lui est inférieure, elle l'est bien plus à la Loi du Christ, laquelle, de votre aveu et de l'aveu de tous, l'emporte surabondamment sur celle des juifs."

    4. a. Je parlai ainsi. Il se fit un silence assez long. Alors l'interprète — il était issu de chrétiens, aimait les croyances de ses parents et s'opposait à nos interlocuteurs par la pensée, pas autant toutefois qu'il eût convenu — l'interprète donc, transporté comme de juste par nos paroles, le visage joyeux, s'en prit au Perse, mais non ouvertement. Il lui dit à peu près ceci : "Jusqu'à quand, telles des statues, resterons-nous sans riposter ? Il faut que ton courage accomplisse quelque action généreuse, si nous ne voulons pas sortir d'ici couverts de confusion, cédant à d'autres les couronnes de la victoire." 
    b. Lui donc, ayant levé la tête avec une fierté hautaine, regarda les siens, puis, se tournant vers nous, il parla à peu près de la sorte :

    Le Perse 
    5. a. — "J'ai dit, je dis et je dirai que belle et bonne est la Loi du Christ et bien meilleure que la Loi plus ancienne, mais que supérieure aux deux est la mienne. Considère donc ce que je vais dire, tu entendras peut-être quelque chose que tu ne condamnerais pas tout à fait. Votre Loi, dis-je, est belle et bonne, mais elle est très dure et très lourde et ne saurait donc facilement être utile. Tels sont les remèdes trop âpres de goût. Il n'y a donc pas erreur à ne pas la tenir pour totalement parfaites.

    b. "La Loi de Mahomet suit la voie moyenne et proclame des ordonnances abordables et en somme plus douces et plus humaines. Par là elle est en tous points modérée et remporte sur les autres Lois. En effet, les insuffisances de l'ancienne Loi, elle les comble par les compléments qu'elle y a apportés; d'autre part elle réduit les exagérations de la Loi du Christ. Il y a aussi ce qu'elle élague visiblement de l'une et de l'autre Loi, et du coup elle l'emporte tout à fait sur elles. 
    c. "Elle évite également, je pense, la médiocrité et l'imperfection de Ia Loi des juifs d'une part, et d'autre part l'élévation et la hauteur des préceptes du Christ, leur dureté, ce qu'ils ont d'excessif et d'impraticable jusqu'à présent pour les hommes, car ils forcent, pour ainsi dire, notre nature terrestre à monter vers le ciel. Elle évite donc les uns et les autres défauts et s'attache à la modération en tout. Elle est par là et elle apparaît meilleure que toutes les Lois qui l'ont précédée. 
    d. "Les vertus, tu le sais bien, consistent à éviter les excès et à tenir exactement le juste milieu. C'est cela qu'on appelle et qu'est la vertu. Ce qui est vertu est le juste milieu, et ce qui n'est pas tel n'est pas non plus vertu. C'est la doctrine de tous les anciens, et toi-même l'as dit précédemment. 
    e. "Or, dis-moi, est-ce rester dans le juste milieu 
    - que "d'aimer ses ennemis, de prier pour eux", de leur fournir, lorsqu'ils ont faim, des vivres pour leur nourriture; 
    - et cela qui est plaisant — passe-moi cette franchise — de "haïr ses parents et ses frères et même sa propre âme" ; 
    - à qui a pris la tunique, de laisser même le manteau' ; 
    - de donner sans distinction à qui demande ', jusqu'à apparaître plus nu qu'un pilon et ridicule aux yeux de ceux qui feraient alors de vos biens un butin de ^ysiens, en feignant d'être dans la nécessité ; 
    - à qui frappe ' sur une joue, de tendre l'autre; de ne jamais tenir tête au méchant ' ; 
    - de n'avoir ' ni bâton, ni besace, ni monnaie, ni deux tuniques' ' ; 
    - de ne pas s'inquiéter du lendemains ' ? 
    "Quel est l'homme de fer, de diamant, plus insensible que pierre, qui supportera toutes ces choses, 
    - qui supportera l'offense et chérira l'insulteur ; 
    - qui fera du bien à qui est mal disposé à son égard ; 
    - qui par ses bontés supplémentaires invitera les gens de cette espèce à s'acharner sur lui comme les vautours sur les cadavres des morts ? 
    f. "Quelle oreille admettrait cela, à moins qu'on n'exige de nous une grande complaisance à l'égard de prescriptions de toute sorte, même de celles à qui ne suffisent pas nos misères ? Et cela qui est tout à fait insupportable et qui s'oppose au précepte de Dieu édicté jadis, je veux dire la virginité, faut-il l'admettre ? La réponse est évidente. Car vivre dans un corps et vouloir imiter la nature des incorporels et, comme si l'on vivait en pur esprit, ne pas approcher de la femme, est contraire à la raison : c'est un lourd fardeau et une grande violence. 
    g. "De plus, ne pas procréer d'enfants pour assurer sa postérité, du fait de vivre sans se marier, détruit manifestement le monde. Or il est entièrement absurde et indigne de Dieu de faire l'être humain mâle et femelle au commencement, de lui prescrire de multiplier, et ensuite, la prescription ayant atteint sa fin et la terre s'étant remplie d'hommes, de donner aux hommes une loi qui doit faire disparaître les hommes. Ne m'allègue pas le déluge', ni le cas de ceux qui ont été abattus au désert au temps de Moïse, ni ce feu si extraordinaire, à savoir celui de Sodome. Ces cas et les châtiments pareils n'ont pas fait disparaître entièrement le monde; et c'est en raison de la grandeur de la transgression qu'ils ont été infligés aux coupables. Le Christ, lui, n'est pas ministre de la colère. Il n'est pas venu, je pense, tirer vengeance de ceux des hommes qui auraient offensé Dieu, mais plutôt apporter bienfait et secours aux hommes, principalement par une Loi meilleure. 
    h. "Considérons ceci : II est bon de quitter son père et sa mère et de s'attacher à sa femme et par là d'accroître le genre humain, comme le statuait l'ancien précepte. Cela, je pense, ne souffre pas de réplique. ^A Dieu ne plaise que je tente de détruire ce qui a été prescrit par Dieu à nos premiers parents pour la constitution de notre espèce et qui a peuplé d'humains ce monde. Mais la seconde Loi qui établit la virginité, toi tu voudrais la considérer comme l'emportant de beaucoup sur la précédente Eh quoi? Ne faudrait-il pas que tous l'observent'? Que si tous l'observaient, tout le genre humain serait réduit absolument à néant. Ainsi donc ces préceptes, à savoir se multiplier et garder la virginité, ne s'accordent point, ils se combattent plutôt l'un l'autre. Et puisqu'il faut de toute nécessité que, étant donnée leur opposition, l'un soit bon et l'autre pas, est mauvais, à mon sens, celui qui engage les hommes à avoir sur Dieu une opinion indécente. Or c'est bien le cas de ce qui aurait fait disparaître le genre humain, la virginité ainsi que je l'ai dit. 
    i. "Donc la Loi intermédiaire, j'entends la tienne, nous offrant de nombreux exemples pareils, n'est manifestement pas parfaite. Toutefois, elle est sans conteste bien meilleure que celle qui l'a précédée. Mais relativement à celle qui l'a suivie, elle occupe manifestement le second rang.

    6. a. "La Loi dernière venue apparaît donc plus élevée que les autres, comme c'est le cas dans les édifices. C'est pourquoi le juif, soumis à une Loi qui gît en quelque sorte à terre, nous ne saurions l'accueillir quand il vient à la Loi de Mahomet, la plus haut située, à moins qu'il ait d'abord, autant qu'il se peut, pratiqué votre religion. Celui qui vient à Dieu ne doit pas en effet brûler les étapes ni avancer d'une marche désordonnée, mais, comme par degrés, monter à travers le degré intermédiaire vers le dernier, en commençant par le premier : ainsi partout l'ordre sera sauvegardé. 
    b. "Il se produit donc, pour parler bref, que les juifs possédaient la vraie religion jusqu'à l'avènement du Christ, et qu'ensuite ce fut le cas pour ceux qui avaient foi en lui ; les autres étaient alors infidèles à la Loi et n'obéissaient pas à Moïse qui avait prédit le Christ, même s'ils observaient tous les préceptes, même s'ils prétendaient rendre à Moïse la vénération et l'honneur (qui lui reviennent) après Dieu lui-même. II se produit aussi que ceux qui ont cru au Christ étaient le peuple de Dieu, tous successivement, jusqu'à l'arrivée de Mahomet, porteur de la Loi parfaite. Mais, par la suite (appartiennent au peuple de Dieu) ceux-là seuls qui adhèrent à cette Loi. Ainsi donc ceux qui se sont ralliés à Mahomet, ceux-là sont vraiment les disciples et du Christ et de Moïse. Ceux au contraire qui font plus de zèle qu'il ne faut et qui à cause de cela en sont restés aux Lois abrogées, provoquent contre eux la colère des législateurs et par leur folie travaillent à leur perte."

    Le Basileus 
    7. a. Le vieillard, après ces paroles, haussa les sourcils et s'assit. Le cercle des auditeurs dressait l'oreille. La lutte, estimaient-ils, atteignait le point culminant. Les enfants soulignaient de gestes les paroles de leur père, applaudissaient et avaient envie de bondir. 
    b. Je dis donc : 
    8. a. — "Qu'est cela, mon brave? Voici que, par une attaque massive, tu as investi l'acropole avec une arrogance et une fougue acharnées, Tu t'es attendu à la prendre en quelque sorte au premier assaut. Mais tu t'es abusé dans tes espoirs. Il y a des hommes qui l'habitent, et elle est solidement assise sur le roc. Elle est remplie de biens merveilleux. De ces biens dont tu n'as jamais eu l'expérience, tu auras peut-être ta part, la guerre heureusement achevée avec l'appui de Dieu, toi et tes deux fils que voici. 
    b. "Mais il m'est permis de m'étonner de ceci : Tu es à la vérité un homme doué de sens et honoré de la toute première place parmi les docteurs de chez vous, tu es orné de la grande sagesse qui est propre à votre pays, et tu possèdes des mœurs vertueuses, estimant toutes choses inférieures à la vérité. Et pourtant voici que tu te démens et te contredis toi-même ouvertement. Tu as déjà déclaré Loi divine et bonne celle de Moïse, et affirmé fortement qu'elle a été envoyée du ciel aux hommes. Ensuite, comme si tu t'étais repenti des déclarations précédentes, tu ne te lasses pas d'en dire du mal, et de la sorte tu te démens, comme je l'ai dit. Ili n'est pas en effet possible que la même Loi soit divine et bonne et soit par ailleurs telle qu'elle puisse recevoir de justes reproches. Néanmoins, cette Loi et celle du Christ, sous prétexte qu'elles n'ont pas recommandé la modération, tu les ranges parmi les Lois mauvaises. 
    c. "Tu supposes que la Loi la meilleure de tous points, la tienne s'entend, tient le juste milieu. Tu veux par là montrer qu'en raison de ce juste milieu, elle est conforme à la vertu. Tu t'écartes ainsi de la position convenable, ce dont tes amis auront grande honte pour toi. Car il ne convient pas que toi, homme si considérable, tu couvres de longs outrages la Loi du Christ. Tu sais combien tu t'es laissé emporter à la bafouer, l'appelant ouvertement fort insupportable et très violente, et lourde et absurde, voire pareille à un piège, et autres épithètes du même genre. Je tais les nombreux reproches que tu as proférés contre la virginité et au nom desquels tu as beaucoup attaqué le législateur qui l'a instituée, bien que par ailleurs tu le places au-dessus de tous les hommes.

    9. a. "Mais continue à réfléchir sur cela. Tu pourrais aboutir à de meilleurs jugements même sur les points où tu ne sembles nullement te contredire. Il me faut donc présenter ma défense contre tes objections. 
    b. "Les choses extraordinaires et surnaturelles qui, dis-tu, dépassent la vertu humaine, parce qu'elles te semblent au-dessus de la nature humaine, sont à peine au-dessus de l'homme. D'autre part, elles sont accessibles et vraiment très faciles pour les hommes, s'ils le veulent. Cela te semblera peut-être pareil à une énigme, mais c'est tout à fait la vérité. Si l'on considère notre force, ou plutôt notre faiblesse héritée d'Adam, ces points sembleront peut-être au-dessus de toute vertu, mais nullement si l'on considère l'appui et la puissance de celui qui y exhorte. Il n'y engage pas les hommes pour les abandonner privés de son secours, mais invisiblement la main de Dieu accomplit avec eux leurs actions. Là donc où se rencontre une telle assistance, qu'est-ce qui paraîtrait rude, qu'est-ce qui semblerait incommode, qu'est-ce qui ne paraîtrait au contraire très facile ? 
    c. "Mets-toi dans l'esprit que la récompense en est le royaume de Dieu. Le discours précédent l'a déjà montré et toi-même en es demeuré d'accord. Il faut donc que ceux qui nourrissent cette espérance supportent tout. Mais ce n'est pas ici le moment de m'en expliquer. Tes paroles nous entraînent insensiblement vers les assistants, comme un courant. Attachons-nous donc à la défense, en partant des raisons susceptibles de vous persuader, sans que, pour avoir eu besoin d'une réponse, vous ayez à rougir de ce qu'il est juste (de dire). 
    10. a. "Notre Seigneur, du temps qu'il vivait parmi nous, redressant nos mœurs et nous menant à la lumière de la vérité par tous les moyens, paraît commander et prescrire certaines choses indistinctement à tous. Il les établit en effet comme une indication, comme un signe, si tu veux, de l'amour qu'on lui porte. Car, dit-il, ` celui qui m'aime, observera mes commandements'. Tous donc doivent les bien observer. Sans cela, il n'est point possible de devenir en vérité ses serviteurs, d'ennemis qu'on était auparavant par suite du péché des premiers parents. 
    b. "Les autres points, il ne les institue ni comme préceptes nécessaires, ni pour tous, ni en sa qualité de maître absolu. C'est sous forme d'exhortations et de conseils, ou de combat spirituel, si l'on aime les appeler ainsi, qu'il les propose aux plus parfaits, leur promettant le royaume des cieux et la filiation divine. A ceux qui se satisfont d'être des serviteurs, petits ayant des sentiments petits, il donne des biens correspondants. Toutes les richesses, comme on dit, ne sont pas semblables. Au contraire, tous ceux qui accueillent et observent ces conseils-là, bénéficient de la filiation mystique par la participation à la grâce divine. En font foi les opérations et la puissance de l'Esprit divine, qui se révèlent en eux et sortent d'eux, tel un courant d'une source éternelle.

    11. a. "Je veux en parler plus clairement. Qu'on me pardonne si je me laisse prendre par le fil du discours, entraîné, si tu veux, par le courant de la vérité ; il me mène à ce que je ne veux actuellement ni dire ni accorder, et qui ressemble à des fruits verts, ou plutôt, pour en parler plus exactement, prématurés pour vous qui êtes attachés aux choses charnelles. De telles nourritures spirituelles appartiennent à tous ceux qui se trouvent inférieurs à elles, et qui s'attachent tout de même comme il convient aux commandements: car, si on les omet, on ne peut être estimé serviteur irréprochable. Ces hommes donc peuvent non seulement éviter de subir le châtiment, mais aussi bénéficier de jouissances immortelles, par la grâce du Maître à l'égard de ses serviteurs, afin que soit bienfaisant pour tous celui qui, à cette fin, a accepté de ` prendre la forme d'esclave', bien qu'il soit par nature le seigneur de tous. 
    b. "Il est donc clair que respecter les préceptes est une nécessité générale et indispensable. Mais se hausser au niveau des conseils, qui élèvent à la filiation, est l'affaire de ceux-là seuls qui choisissent de souffrir les choses pénibles, quels qu'en soient la qualité et le nombre, en vue de gagner une joie et une gloire sans fin. C'est leur soin que de conserver leur ardeur jusqu'au bout, de ne pas déserter avec le temps le groupe des vertueux qui pratiquent la vertu pour le bien lui-même, et enfin d'obtenir des couronnes qui ne vont qu'aux seules têtes des vertueux. 
    c. "C'est pourquoi, en traitant de cela, le Sauveur, qui voulait montrer ce que je dis, proféra cette parole, très brève si l'on considère les mots seuls, mais vaste comme le ciel si l'on considère sa puissance : ' Comprenne qui pourrai. ' C'est comme s'il disait : grand est le combat actuel, mais plus grandes les récompenses, et éternelles. Il s'agit de signaler l'homme qui fait montre d'un courage juvénile et qui, soutenu par sa réflexion, sait endurer les sueurs. Je n'entends pas (vous) entraîner au stade par force: ce n'est ni normal ni juste. Comprenne qui a la force, c'est-à-dire la volonté de surmonter les sueurs. Voilà qui est digne d'admiration. Car le libre arbitre, cet honneur insigne accordé aux hommes dès le début et par lequel ils sont supérieurs aux autres animaux, il le laisse intact : il ne fallait pas qu'il en fût autrement. Car comment ferait-on don par voie de nécessité, fût-ce d'un royaume, ou couronnerait-on des fainéants ? Au contraire, c'est d'une autre façon, c'est par un art et une puissance convenables' qu'il les pousse tous vers les buts meilleurs. Il a ouvert à tous les hommes le royaume des cieux et indiqué la voie qui y conduit. Menant à bon terme tout ce qui concerne ce dessein, il n'a rien omis des secours destinés à aider les lutteurs et les voyageurs. Bien plutôt il n'est rien qu'il n'ait fortement recommandé à tous en vue du bien. 
    d. "Est-ce une Loi au-dessus de la nature que vous voyez là ? Elle entraîne tous les hommes à la vertu, fournit du secours à la volonté et des rétributions qui correspondent aux combats de chacun."

    Les Perses 
    12. a. — "Nous voyons, dirent certains, que tu dis des mystères et des doctrines plus élevées que nos connaissances. Les préceptes du Christ, tu les divises en commandements et conseils. Tu as fort bien disserté à ce sujet. 
    b. "Mais nous voudrions t'entendre t'expliquer sur cela plus clairement et en détail."

    Le Basileus 
    13. a. — "De quelle manière pensez-vous, dis-je, que je vais achever ma défense ? Celui qui ne peut garder la virginité n'en sera pas pour autant privé des biens futurs : sinon les élus seraient bien peu nombreux. De même, celui qui, dépouillé de son manteau, ne laisse pas aussi sa tunique à qui lui cherche querelle, n'est point pour cela passible d'un châtiment ; ni non plus celui qui, frappé sur une joue, ne présente pas l'autre à l'agresseur. Mais lors même que nous n'avons pu faire preuve d'un empressement à supporter l'injustice plus grand que l'inclination des injustes vers l'injustice, le fait néanmoins que nous souffrons avec douceur l'injustice de la part de qui que ce soit mérite, on le sait, une importante rétribution : car cela n'est pas facile ni accessible au grand nombre. 
    b. "Ce sont vos déclarations du début — vous vous en souvenez — qui nous ont avec raison amenés à ces paroles. Toutefois, même pris de cette façon, le caractère élevé des exhortations nous fait du bien. Car rien ne serait certes plus heureux que de pouvoir les accomplir, de se lancer vers elles comme vers un but et de se dépouiller de l'infirmité de l'esprit. Ce n'est point pour nous une acquisition de nature, loin de là ! Car même si nous n'avons pu donner encore ce qui a échappé à la férocité des injustes, même si nous n'avons pas pratiqué toutes les vertus plus élevées et ne sommes pas de la sorte parvenus au terme de la perfection, si nous n'avons su accomplir, comme on dit, la seconde traversées, à savoir de supporter avec douceur que qui que ce soit empiète sur nous, néanmoins nous gardons la mesure, tout en sachant combien nous sommes en défaut relativement aux meilleures d'entre les bonnes choses."

    Le Perse 
    14. a. — "Comment est-il évident, dit le Perse, que garderont la mesure ceux qui sont en défaut relativement aux choses plus élevées, mais pratiquent la bienfaisance, la justice et les vertus semblables ? 
    b. "Car tu as dit, je pense, que ceux-là auront en partage des biens éternels. Vivre dans de telles espérances ne permet pas de garder la mesure."

    Le Basileus 
    15. a. — "Mais, mon cher, cela est possible de toute nécessité pour ceux du moins qui ont de l'esprit et raisonnent à partir des principes convenables. Si des hommes observent avec soin les commandements bons pour des serviteurs mercenaires, comment les estimerait-on autant que les fils ? Il n'y a rien qui puisse engager un serviteur à s'enorgueillir, si tant est qu'il soit sensé. Si en effet il accomplit les œuvres des serviteurs, même si par son service il a comblé son maître de milliers de biens, faits d'éléments obscurs, indigents et modestes, il a accompli son devoir et n'a pas rendu un service gracieux. Celui qui n'accomplit pas son devoir est passible de coups, de la prison et d'autres châtiments. Celui au contraire qui s'acquitte bien de tout, nul ne l'en admirera; il ne s'admirera pas non plus lui-même, je pense. Y a-t-il lieu de le faire ? Il s'en faut de beaucoup. 
    b. "Toutefois l'exemple, certes, n'est pas heureux. Car pour nous, nous avons besoin du serviteur, et nombreux sont ceux qui, par leurs serviteurs, ont échappé à bien des malheurs et acquis beaucoup de biens. Mais Dieu, quel besoin aurait-il de nos services, lui à qui absolument rien ne manque et qui a tout créé uniquement par bonté ? Ainsi nul homme doué d'intelligence ne pourrait, du fait qu'il observe les commandements du maître, lever le front. Il aura pourtant son salaire, lequel est accordé par grâce. Car il n'est pas dû de salaire à des esclaves. Il obtiendra néanmoins celui qui convient à sa conduite modérée, et il enviera ceux qui ont pratiqué les points que lui-même a délaissés.

    16. a. "En voilà assez là-dessus. Mais il fallait que le discours, qui s'est écarté du sujet à cause de vos questions, ait donné réponse à celles qui en exigeaient une. Il arrive parfois même que, dans le courant de la discussion, le discours nous ramène dans le droit chemin, afin qu'il achève sa course et aboutisse au terme qui lui convient. 
    b. "Il n'est certes pas vrai que tous ceux qui n'ont point réussi à se hausser au niveau des conseils et des exhortations se soient du fait perdus eux-mêmes. Si, sans avoir fait de tort à personne, sans vouloir non plus en subir, nous supportons ensuite avec peine d'être maltraités et recourons au maître du jugement pour accuser le malfaiteur, nous ne serions pas pour cela passibles de blâme. Non certes, pas plus que si nous circulions tout chaussés, endossions deux tuniques, portions bâton, besace et monnaie à la ceinture. Il est aussi permis à ceux qui le veulent de contracter mariage et d'acquérir par des moyens justes de l'or à dépenser de façon raisonnable, bien que ce soit une acquisition meilleure de ne pas vouloir acquérir dans le siècle présent et d'aimer la pauvreté adoptée dès le début par le Christ plus que toute abondance. Bref, accomplir pour un motif raisonnable tout ce qui constitue pour nous la vie, n'est ni condamné par la nature, pour ainsi dire, ni interdit par la Loi.

    17. a. "Disons donc ceci, s'il faut établir des distinctions et résumer ce qui a été dit à ce sujet : 
    b. "C'est le fait d'hommes mauvais, indignes même d'être des serviteurs, de dédaigner les commandements du maître. Les observer est le propre de serviteurs sages et fidèles. Mais accueillir avec plaisir les conseils admirables et les accomplir selon son pouvoir, c'est le propre d'un homme désireux des grandes valeurs, qui ne se contente pas d'être serviteur, lorsqu'il est loisible d'accéder à la filiation. 
    c. "Il faut donc parler ainsi: c'est le propre des hommes supérieurs, j'entends de ceux qui disent se plaire aux valeurs susdites, de fréquenter les anges et de devenir, pour ainsi dire, leurs compagnons de vie. Le propre des hommes inférieurs à ceux-ci, des hommes moyens, est de se contenter d'observer les préceptes qui sauvent et réconcilient Dieu avec les hommes pécheurs. Le troisième groupe, j'entends ceux qui, de leur propre gré, se sont placés en dehors des deux autres groupes mentionnés, c'est le troupeau des pourceaux qui n'ont rien de bon.
    d. "Il me semble, n'est-ce pas, cher ami, que tu ne tiens plus à ta première opinion, après avoir appris cela, et que tu ne déclares plus ouvertement très dure et pareille à un piège notre Loi, ni non plus les exhortations et conseils que tu as dit dépasser la vertu des hommes, contre toute vérité. Car comment cette Loi aurait-elle jugé bon de recommander des choses impossibles ? 
    e. "Que ces conseils te semblent plus pesants que les commandements d'autrefois, cela n'a rien d'étonnant : ils sont manifestement plus élevés qu'eux — car ils les mènent à leur achèvement — comme toi-même en as déjà convenu. Or la chose qui achève est de tous points plus élevée que ce qui reçoit d'elle son achèvement. D'autre part, ce qui est plus élevé et qui va en montant est de soi en quelque sorte plus difficile et rend plus pénible le chemin qui y mène. Car en vérité, étroit, resserré et montant, à le considérer en lui-même, est le chemin frayé à tous par le Dieu qui, sans quitter les cieux, est descendu et s'est fait homme pour le salut de notre espèce. Ce chemin était au commencement inconnu, non pratiqué et malaisé. Ces difficultés lui sont inhérentes, car il est montant : il conduit à l'endroit le plus élevé ; il n'est ni large, ni uni, ni aisé, pour la raison que personne ne l'a parcouru avant. 
    f. "Opposés sont les caractères du chemin que nos premiers parents ont emprunté. Il mène à l'abîme, et nombreux sont les hommes qui dès le début s'y sont engagés, attirés par sa pente inclinée et aisée et par l'appât de la facilité. Rien d'étonnant donc que le Sauveur détourne les hommes des plaisirs qui mènent à l'abîme, et qu'il encourage à s'engager dans la voie susceptible de sauver les voyageurs. Il y aurait eu lieu de s'étonner s'il avait recommandé le contraire. La raison principale en est que nécessairement il n'y a rien de commun entre lui et la jouissance et qu'ensuite il a stigmatisé la vie molle, pour ainsi dire, aux yeux de tous et de ceux mêmes qui la recherchent. 
    g. "En effet, parmi tous les humains, c'est à vous aussi et surtout qu'il montre cela. Car ceux qui chez vous semblent être les nourrissons de la vertu, vous les estimez meilleurs que ceux qui s'enorgueillissent d'une large renommée et que les gros richards. Les Grecs, de toute évidence, pensent

    19. a. "De la sorte, la distinction est claire. Les opinions de tous s'accordent avec les préceptes du Christ. Tels sont les termes du problème. Pour certains comme toi, les prescriptions du Christ seraient plus lourdes que celles de Moïse, du point de vue exprimé plus haut. D'un autre point de vue, au contraire, elles sont plus légères à porter et plus aisées à accomplir. Et cela pour deux raisons : 
    b. "— D'abord les espérances. Les promesses ne sont pas égales ; mais les unes sont humbles, parce que terrestres : En elles', dit-il, vivra celui qui les aura accomplies' ' ; les autres sont élevées, parce que célestes et immortelles. 
    c. "— Ensuite l'assistance que reçoivent du ciel ceux qui ont préféré suivre les traces du Christ législateur. Lui-même en effet, invisiblement, accomplit avec eux leurs œuvres. Il les oint pour les luttes et il les arme, comme je l'ai dit précédemment, de constance pour supporter les sueurs. 
    d. "C'est cela qui fait que le chemin étroit et resserré n'est pas pénible, comme il l'est de sa nature, pour les plus généreux. Pour les hommes doués d'intelligence, le chemin qui conduit à une patrie resplendissante fait que paraissent légères les choses lourdes, et supportables les choses insupportables, non seulement parce que nous ne butons pas constamment aux aspérités du chemin et que nous les traversons vite, niais encore parce que, parvenus au terme du voyage, nous sommes débarrassés de ses peines et habitons la patrie et jouissons sans interruption des biens qu'elle contient. Espérer ces biens donne de supporter avec facilité les aspérités du chemin : nous en sommes d'ailleurs débarrassés avec une telle facilité que nous ne nous apercevons point du temps de la peine. 
    e. "Il est raisonnable, je pense, de préférer les biens immuables et stables, même pour ceux qui font du mariage le suprême bonheur. Mais nous voilà ramenés de nouveau en quelque sorte, malgré nous, aux discussions de doctrine. Il n'est pas, semble-t-il, bien facile à ceux qui mènent la lutte pour la vérité, de se désister d'un tel appoint. C'est pourquoi j'ai lieu de craindre de subir peut-être encore la même chose à l'avenir, c'est-à-dire que le discours ne nous renvoie à un autre discours, par force certes et non sans raison, si l'on n'a point perdu de vue ce que nous avons déjà dit. 
    f. "Mais je vais vous montrer, sans tarder, que Celui à qui il n'est rien d'impossible ne recommande pas des choses impossibles. Appuieront certes mon discours tous ceux qui ont mené jusqu'au bout cette lutte, et ils sont nombreux à l'avoir fait, même si tous n'accomplissent pas tout chaque jour mais accomplissent tous fragmentairement ce tout : ils le font d'ailleurs si bien qu'on ne saurait rien reprocher à aucun d'entre eux. Je parle non seulement des commandements, mais aussi bien de tous les conseils. 
    g. "Ainsi donc il n'a point conseillé des choses impossibles, il ne les a pas imposées à ceux qui en sont incapables, ni d'une façon intempestive ou pesante. Il a donné à qui et quand il convenait les conseils qu'il lui convenait à lui de donner et qu'il convenait aux bénéficiaires de recevoir. Car tout ne convient pas à tous, en tout temps et de toutes façons. Mais certaines choses conviennent à ceux-ci, d'autres à ceux-là, hier à un tel, aujourd'hui à tel autre, et cela pour des milliers de raisons.

    20. a. "C'est pourquoi nombreux sont les choix de vie qui ont été aménagés et donnés pour assurer le salut des âmes, ` nombreuses aussi sont les demeures chez le Père' '. C'est ainsi, en effet, que le Sauveur s'exprime, montrant qu'il n'accordera pas des rétributions égales aux hommes vertueux, c'est-à-dire à ceux qui ont vécu conformément aux seuls commandements et à ceux qui sont allés plus avant par l'observation des conseils. Mais aux uns et aux autres, par ordre de mérite, il offrira des couronnes immortelles et des récompenses dignes des bienheureux, mais différant grandement l'une de l'autre par la splendeur. Elles différeront, non seulement celles des fils de celles des serviteurs, mais aussi celles des uns et des autres entre elles dans le même groupe. 
    b. "Il y a, dis-je, beaucoup de genres de vie. Il me semble qu'il faut en parler. Les distinguer tous les uns après les autres en unités, espèces et genres, ne serait pas à propos. Ce qu'il faut, c'est les distinguer plutôt en parties d'un même tout. Il y aura ainsi, selon les sages, un triple groupe. Parmi ceux qui rendent un culte à Dieu, les uns choisissent de s'abstenir du mal par crainte du châtiment. Ceux-ci, lorsqu'ils sont amenés à se purifier de leurs passions, se trouvent dans une situation pénible : ils souhaiteraient assurer à leurs âmes une condition plus facile. De la sorte leur situation est fort absurde, et ils ne diffèrent absolument en rien de serviteurs paresseux et mauvais 3. Ils n'offrent pas une somme de bonnes oeuvras qui l'emporte de beaucoup sur les peines d'ici-bas, car ils n'entreprennent pas ces oeuvras avec une âme joyeuse. Ils se retiennent eux-mêmes malgré eux, pour ainsi dire, par peur des coups. 
    c. "D'autres règlent leur vie par l'espoir du profit. Ils offrent l'image de mercenaires à les comparer aux hommes qui sont plus près de Dieu. Car les bons ne doivent pas faire le bien pour quelque autre raison, mais pour le seul bien lui-même. 
    d. "Le troisième groupe, dont il nous arrive de ne parler que maintenant se place en fait au premier rang par la qualité et la nature. C'est le groupe le plus parfait. Ces hommes ne poursuivent le bien ni par crainte des peines, ni par espoir du profit. Mais, quelque mal qu'ils éprouvent à se conduire de la sorte — tu t'étonneras, je le sais bien, de m'entendre dire la vérité — ils aiment mieux le subir que de gagner les faveurs de qui que ce soit au prix d'une conduite non agréable à Dieu. C'est ce qui leur vaut leur filiation. Les biens terrestres, ils ne les estiment pas dignes de souci', sauf en cas d'extrême nécessité. Mais songer au ciel et aux affaires de là-bas, tout en vivant dans un corps, montre que chez ceux qui choisissent d'agir ainsi, les passions sont mortes. Ils ont toujours devant leurs yeux le Dieu qui les a blessés3 : blessés d'un amour à la folie pour lui, ils pensent à lui toujours et méprisent les choses de la terre. Ils se façonnent sur lui autant qu'il leur est possible, afin, je pense, d'attirer à eux le modèle par leur ressemblance avec lui, bien que le Divin soit impassible et que petite et ténue soit la ressemblance avec lui des hommes les meilleurs, par l'opération de la grâce la plus grande.

    21. a. "Il apparaît donc — je parlerai maintenant brièvement — que les uns, par crainte, demeurent dans les limites déterminées : ce sont des serviteurs et rien de plus. Les autres ne refusent pas d'accomplir les œuvres des serviteurs ; ils s'en acquittent donc, poussés par l'espoir du salaire : ils sont assurément bons et raisonnables, ils échangent les biens périssables contre les biens éternels ; mais ils ne sont point des fils et ne sont donc pas dignes non plus de la filiation. Les autres enfin nourrissent en outre l'ambition de dépasser tous ceux-là en tout ; ils essayent, en plus des commandements, de garder avec soin les conseils et de tourner les regards vers la vie du Maître, absolument comme vers un modèle : ceux-là seuls seront les véritables disciples et amis' ; ils seront inscrits par la grâce divine dans le chœur des fils. Ceux qui ont fait preuve d'une telle ardeur, accompli de telles œuvres, qui ont connu Dieu vraiment et tenu leur âme toujours tournée vers lui tout entière, obtiennent naturellement cette faveur et au-delà de leur attentez. 
    b. "Certes les biens d'en-haut dépassent dans une large mesure le désir des hommes. Ineffables sont la gloire, la jouissance et la lumière que (Dieu) donne à ceux qui l'aiment, à présent dans la mesure du possible, mais dans le siècle à venir avec plus d'éclat et de pureté. Quelles sont la grandeur et la qualité de cette félicité, ' nulle oreille ne l'a entendu, nul œil ne l'a vu ', l'esprit est incapable d'y tendre même en s'y efforçant'. Seuls le comprendront ceux qui y participeront alors. Quant aux meilleurs parmi les hommes ici-bas, ils se représentent la béatitude ' comme dans un miroir, d'une manière confuses ', dit un homme de Dieu 6 ; l'excellence de cette jouissance, ils la conjecturent d'après les choses présentes ; ils y volent par l'âme, chacun selon la mesure de son amour pour le Maître. Car c'est à la mesure de l'amour que seront répartis les dons divins. 
    c. "Quel peut donc être ce don de Dieu qui, même entrevu obscurément, nous attire à lui assez fortement pour nous persuader de faire peu de cas de la vie et de tenir ses biens, ses agréments et ses côtés enviables pour simple bagatelle au regard de luit ? Il me serait fort aisé, si je le désirais, d'allonger encore cette apologie, de présenter des développements meilleurs et en plus grande abondance. Mais c'est assez, je pense, de ce qui a été dit. Il est franchement superflu pour un foulon de venir jusqu'à l'Euphrate et au Tigre, quand il s'est servi de fontaines qui suffisent à son dessein ; d'autant plus que ce dont la précellence est médiocre requiert beaucoup de discours pour la confirmation et l'illustration de sa supériorité. Au contraire ce dont le triomphe est total en requiert peu, si ce n'est (pour convaincre) certaines personnes grossières ou qui ne veulent pas bien voir la splendeur des choses éclatantes. 
    d. "Si vous demeurez d'accord, nous sommes arrivés au but recherché ; sinon, voyez comment vous répondrez à mon développement."

    Le Perse 
    22. a. — "Il serait trop long, dit le Perse, de répondre à ce développement. Ce que tu as dit a été estimé bon par tous, à n'examiner que le discours seul ; mais confronté avec d'autres considérations, je ne sais s'il paraîtrait tel. 
    b. "Il nous reste encore à examiner les Lois elles-mêmes, comme il a été convenu entre nous dès le début. Ce que j'ai dit de notre Loi ne paraîtra pas, je pense, paroles de vantard."

    Le Basileus 
    23. a. — "Pourquoi, dis-je, te semble-t-il que ce qui a été dit ne concerne pas les deux Lois ? Est-ce que la puissance de l'une et de l'autre Loi n'est pas devenue par là manifeste ? Ou plutôt la force de la nôtre et la débilité, la vanité et l'infirmité de l'autre ? Tu veux encore, à ce qu'il parait, entendre prouver que ta Loi n'a rien de bon. Cela se produira nécessairement lorsque, l'ayant tirée au clair, tu l'auras comparée à celle qui ne lui est semblable en rien. — A la plaine lydienne ! comme on dit. 
    b. "C'est donc à toi d'expliquer le premier ceci : comment est-il vrai, à ce que tu affirmes, que la Loi de Mahomet s'accorde avec la nôtre ? Qu'a-t-elle de commun avec elle ? De quelle manière la complète-t-elle ? Comment, en occupant le juste milieu, est-elle meilleure qu'elle, comme celle-ci est meilleure que l'ancienne ? Pour moi, c'est tout le contraire que je vois. Tu t'abuses : ta Loi s'oppose indubitablement à la nôtre et se rapproche de celle de Moïse. Tu as donné dans ces erreurs malgré toi, emporté par la difficulté du discours. 
    c. "Parle, explique-moi, j'écouterai et apprendrai avec beaucoup de plaisir. Ce faisant, tu te libéreras des blâmes et tu recueilleras des louanges non négligeables. C'est là en effet que se situe presque tout le nœud de l'argument. 
    d. "Mais tu n'y réussiras pas. Même si Mahomet s'accorde quelque peu avec la Loi du Christ, il n'en résulte pas immédiatement qu'il porte vraiment et clairement secours à cette Loi. Celui qui vient en aide et porte vraiment secours, c'est non point celui qui, tout en favorisant telle partie, ne cesse pas de combattre telle autre, mais c'est celui qui a le dessein de faire pleinement de l'homme qu'il aide un athlète couronné, et de ne rien négliger, si possible, des moyens qui mènent à ce but. Si quelqu'un te louait et qu'aussitôt il te couvrît d'outrages, tu ne l'inscrirais pas parmi ceux qui veulent ta prospérité, je pense. Tu le considérerais plutôt comme hostile à toi et le rangerais dans la liste de tes ennemis."

    Le Perse 
    24. a. — "Eh bien 1 dit le Perse, Mahomet ne prodigue-t-il pas défense et soutien à votre Loi, si, la prenant pour ainsi dire par la main, il soulève le fardeau (de votre Loi)1 ?"

    Le Basileus 
    b. — "S'il le soulève, dis-je, il apporte tout à fait de l'aide. Mais tu le dis toujours et ne le prouves jamais."

    Les Perses 
    c. Alors quelques-uns parmi les assistants, qui étaient du parti du Perse, dirent : "Montre toi-même le contraire."

    Le Basileus 
    25. a. — "Fort bien ! M'exclamai-je. Ainsi donc, quand vous devriez vous-mêmes prouver la vérité de vos déclarations par des syllogismes valides, voilà que, à peine le Mudarris s'est-il avancé, vous m'ordonnez à moi, au mépris de l'ordre, de remonter le courant et épargnez par là celui qui y est engagé. Combien cela est plaisant, c'est clair. Je ne devrais donc nullement céder, mais vous amener par force au comportement normal. Toutefois puisque la joute que vous me proposez n'est pas pénible, je l'accepterai avec joie'. 
    2. Il est plus aisé d'objecter que d'apporter une preuve positive. Manuel se charge du rôle le plus difficile. Il ne trouve cependant pas la joute pénible. 
    b. "Je montrerai que votre Loi, outre qu'elle n'apporte aucune aide à la Loi du Christ, la combat clairement. D'abord j'exposerai le tout en quelques mots choisis entre beaucoup ; ensuite j'essayerai de démontrer la thèse. 
    26. a. "Si vraiment Mahomet, quel qu'il ait été jadis — je ne soumettrai pas ici sa vie à l'examen, ni ne m'occuperai de sa Loi, ni non plus ne désire passer au crible sa conduite' — par ce qu'il a dit et réglementé, a donné la Loi selon toi la plus parfaite et paraît porter à son accomplissement la Loi du Christ — je reprends vos mots — comme le Christ a porté à son accomplissement celle de Moïse et cela avec raison — c'est encore toi qui l'as dit — alors Mahomet (dis-je), est tout bon, tout utile et tout parfait. On doit le proclamer ministre de la vérité, prophète aussi, si tu veux, et tout ce qu'il te paraîtrait bon et agréable de lui décerner en fait de titres qui ne dépassent pas la créature. Si, d'autre part, il décerne au Christ les meilleurs éloges et le place au-delà de toute créature', déclarant fortement le glorifier comme esprit et verbe et âme de Dieu', mais que, en fait, à savoir dans sa Loi et ses enseignements, il brouille tout et renverse tout, portant sans aucun doute des lois opposées à celles du Christ et accomplissant des actions contraires à ses déclarations, moi alors je me tairai. 
    b. "Il n'est pas nécessaire, je pense, de s'attarder là où les choses parlent presque d'elles-mêmes et confirment avec éclat mes paroles. Tu sauras ce que tu as à faire, tu feras ce qui convient à ton intelligence et à ta vieillesse. C'est le propre, je pense, d'un homme sage, tel que toi, d'appuyer ceux qui s'accordent avec lui sur la vérité et de combattre ceux qui la combattent. Mais il convient de poursuivre l'examen de la question.

    27. a. "Les articles de l'ancienne Loi que le Sauveur a pour ainsi dire abrogés en les transformant de fort épais et de corporels en plus divins et en spirituels, Mahomet, lui, les a retenus. Ainsi, fort clairement, il abolit notre Loi. Or donc, ô Mahomet, si tu fais mal de les reprendre, tu n'es pas bon ; si tu fais bien, comment alors le Christ, que tu n'arrêtes pas de louer, serait-il bon, s'il a mal fait de les abolir ? Que Mahomet, pris de honte, se retire de devant nous. Mais c'est avec vous qu'il faut discuter. 
    b. "Il est facile de constater qu'il fait donc revivre à sa guise les prescriptions de l'ancienne Loi qui avaient pour ainsi dire vieilli. Il faut citer ces prescriptions. La Loi de Moïse ordonne de s'abstenir de certains aliments — je veux parler des aliments impurs — et surtout de la viande de porc. Elle permet d'épouser à la fois plusieurs femmes; elle permet aussi que la même femme soit épousée successivement par plusieurs frères', si son mari meurt sans avoir d'enfants. Elle accorde même à ceux qui le veulent de répudier leurs femmes. A qui arrache une dent, elle impose de subir le même tort; elle ordonne de crever oeil pour oeil, et d'autres pratiques semblables. 
    c. "Ces prescriptions, Mahomet vous les donne en guise de Loi. Ou plutôt les ayant honteusement dérobées, il les présente comme étant les siennes. Bref, pour ne pas trop prolonger le discours, la Loi la plus récente suit totalement la plus vieille. S'il en est ainsi, on ne saurait en toute rigueur appeler Loi la vôtre, ni du moins la comparer à celles qui l'ont précédée. Je vais donc me mettre à craindre, puisque la nécessité s'impose de la comparer avec les deux autres Lois et surtout avec la nôtre. Il me pardonnera bien, à moi qui supporte, en vue d'une fin tout à fait bonne, qu'ait lieu cette chose terrible, Celui qui a été crucifié pour le salut des hommes au milieu des larrons, le sage et l'insolent.

    28. a. "Je parlerai maintenant d'une manière concise et claire. Si dans les points principaux, la Loi la plus récente est identique pour ainsi dire à la plus ancienne, et si Mahomet reconnaît que la Loi du Christ est meilleure que celle-ci, il montre par là — cela lui a échappé — qu'elle est aussi meilleure que la sienne. Les choses apparentées sont en tous points susceptibles des mêmes jugements. 
    b. "Il faut en dire autant au sujet des points cités un peu plus haut. Ce n'est pas, je pense, un sujet de reproche que de reprendre les mêmes paroles, quand quelque affaire pousse à réfléchir sur les mêmes sujets. 
    c. "Le Christ a donc pris dans l'Écriture — je parle de l'ancienne Loi — certains articles et les a enrichis d'un sens élevé, digne d'une Loi céleste, puis il nous les a donnés. Il les a menés à leur perfection, eux qui souffraient de lacunes. Car il n'est ' pas venu abolir la Loi mais l'accomplir' '. D'un autre point de vue, il les a abrogés, puisqu'il n'a pas permis de les comprendre comme auparavant'. Or ce que le Sauveur a nettement abrogé, Mahomet, lui, l'a ressuscité et rétabli à sa guise pour ses disciples et lui a fait occuper chez vous la première place. Il est donc clair pour tous qu'il est en accord et en harmonie avec la Loi de Moïse, qu'il jugeait imparfaite et servant d'introduction. Quant à notre Loi, il lui est opposé, lui qui se vantait de lui prêter concours et défense. Qu'en dites-vous, n'en est-il pas ainsi ? Tous l'avoueraient sans doute et même vous, si vous vouliez vous attacher à la vérité'. 
    d. "Si donc il est convaincu d'avoir détruit à sa guise la Loi qu'il admire en paroles, et d'être d'accord avec celle dont il recommande de s'éloigner, est-il besoin de te fournir plus de preuves encore pour t'apprendre que c'est un imposteur' ? 
    e. "Au demeurant il n'est pas purement et simplement en accord avec la Loi de Moïse. Et si nous l'avons dit, c'est qu'il y avait besoin de le dire. Mais que parlé-je d'accord, quand il n'arrête pas de l'outrager ? On voit qu'il le fait de beaucoup d'autres manières, et spécialement lorsqu'il se préfère à elle. Mais surtout il ne se corrige pas de cette insulte, car il s'approprie la plupart des prescriptions de l'autre, et il y en a même qu'il corrompt. Tels les voleurs de chevaux et de boeufs : ils leur tranchent les oreilles,  tondent le poil, changent les empreintes et ils les marquent de signes ; bref, ils leur prêtent un faux signalement. 
      
    29. a. "Que t'en semble ? N'est-ce point assez pour convaincre d'erreur ton opinion — j'entends celle qui concerne ton législateur et ta Loi ? Car ce pour quoi tu pensais vénérer convenablement la Loi plus ancienne aboutit pour toi à l'opposé, et ce pour quoi tu pensais exalter celui qui l'a donnée, cela même sert plutôt à l'abaisser. "Mais, ô toi qui as pillé les prescriptions les plus légères de la Loi et dérobé aussi quelques-unes des nôtres - car tu as été convaincu d'avoir non institué mais volé ce que tu as affirmé avoir appris de Dieu — tu aurais dû, gardant bien ton rôle, ne pas t'abstenir de vols plus considérables, mais prendre dans les deux Lois les choses vraiment élevées qui transforment l'âme et l'élèvent vers place propre. 
    "Mais en réalité, tu n'as rien entrepris dans ce sens. Tu as su que cela était au-dessus de toi et de ta force. Tu t'es donc livré tout entier aux prescriptions plus légères, pour ainsi dire. Et cela est naturel. Un pillard ou un perceur se laisse emporter à la fois par l'impatience et l'élan oratoire : on en aura des preuves dans les quelques pages qui suivent.

    ***/***
    de mur doué d'une force débile, s'il trouve des vases d'or très lourds, n'essayera même pas de les remuer : la vigueur de son corps n'est point proportionnée au poids des vases qu'il convoite. Ceux qu'il peut porter, il les emporte et s'en va, même s'ils sont faits d'une matière plus vile. 
    d. "Tel est ton cas, même si tu as pris grand soin de rajuster ta fraude et d'arranger les fruits de ton vol. La charge que tu as emportée ne te fera réaliser qu'un gain médiocre. En effet, tirer des Lois certains points et les donner à tes partisans comme tiens propres, cela est une supériorité accessible à tout homme qui le voudrait. Même si tu as ajouté quelque chose de ton cru, cela a paru, en raison de ses défauts, comme une souillure dans un beau visages. 
    e. "Donc, les prescriptions qui sont proportionnées à ta force, tu les as assurément volées et cela dans l'une et l'autre Lois. Celles qui en elles sont plus lourdes et requièrent des hommes, tu les as laissées à porter à ceux qui sont les proches de Moïse et dont tu t'es beaucoup éloigné."

    30. a. Ayant ainsi parlé, je sollicitai leur jugement. — "A vous, dis-je, de prononcer la sentence." Eux, ils demandaient un délai, promettant de le faire le lendemain. Mais moi, j'insistais, ne leur laissant point de répit. Bien en vain auraient-ils tenté de différer.

    Le Perse 
    31. a. -- "Sans mentir, dit le Perse, j'avouerai qu'on n'a pas facilement de quoi répondre aux nombreux que tu as produits contre nous, à moins d'insister et de dire que notre Loi aide aussi pour sa part les deux autres Lois qui l'ont précédée, en empruntant par moitié à la plus ancienne sa facilité et à la plus récente sa difficulté, et en établissant de la sorte avec raison la règle qui est à la fois saine et susceptible d'être observée très aisément. 
    b. "Considérons cela à présent, si tu veux, avec plus de soin. Je sais bien que tu seras tout de suite d'accord avec nous et admettras que notre Loi occupe la place la plus élevée."

    Le Basileus 
    32. a. Ces paroles me remplirent de surprise. Je dis donc : — "Je ne sais ce qu'il faut faire. Je crains d'avoir l'air de verser de l'eau dans un tonneau percé'. Je ne mettrai jamais un terme à mes peines, si tu retournes constamment aux mêmes choses. Je pense qu'il te faut, à toi qui t'exposes pour défendre l'opinion de tes pères, reconnaître tes prises de position dès le débute. Si tu tentes d'échapper à toute force aux réfutations, il convient simplement de ne pas discuter du tout. Mais d'autre part j'estime qu'il convient de céder à ta volonté. Eh bien ! passons encore autant de temps que tu veux à discourir au sujet des Lois. 
    b. "Or donc, explique-moi : Comment est-elle meilleure que l'ancienne Loi, la tienne qui a été convaincue avec éclat de tenir d'elle ses titres à être estimée par vous comme Loi ? Comment occupe-t-elle le juste milieu ? Tu faisais grand cas de cette situation, car c'est par là qu'elle aurait même dépassé la Loi du Christ, à laquelle il n'est nullement juste de la comparer — car cela n'est pas convenable, ni admissible, c'est plutôt un outrage. Et de quelle manière convainc-t-elle clairement les deux autres de ne point recommander la mesure — j'emploie vos mots — elle qui n'entend rien à la mesure et qui le cède sans mesure, comme il a été démontré, à la Loi de Moïse' ? Or cette Loi (de Moïse), il est nécessaire de la tenir pour aussi inférieure à la Loi du Christ que l'est Moïse au Christ. Quelle est cette admirable règle que Mahomet a établie avec bonheur, qui est saine et susceptible d'être accomplie très aisément ? A quel titre dis-tu que ta Loi s'est élevée au sommet, du fait qu'elle a évité les excès, qu'elle est parvenue au sommet de la perfection comme par degrés ? 
    c. "Mahomet a dérobé certains points des deux autres Lois, les a liés ensemble avec grande ignorance et les a déclarés non point Loi à la vérité, à en considérer attentivement le contenu, mais quelque chose d'autre, de bigarré et de désordonné. 
    d. "Montre donc que tes affirmations sont valables. Si cela plaît à l'un des tiens, qu'il se mette à se défendre avec les forfanteries que tu as proférées au sujet de ta Loi. Mais si cela ne vous est pas possible, je vous montrerai, moi, où est, selon nous, la vérité."

    Le Perse 
    e. — "En attendant, explique toi-même, dit le Perse, ce que tu voudrais dire."

    Le Basileus 
    33. a. Je dis donc : — "Ce Mahomet nourrissait l'ambition de paraître le plus grand des législateurs, mais il ne l'a nullement paru par ses œuvres. Comme il a été dit, il a emprunté tous les principes et les fondements soit à la Loi de Moïse soit à la nôtre. Ainsi donc, soit la circoncision, soit l'abstinence des aliments et les autres prescriptions de même nature perfectionnent l'homme qui est selon Dieu, grâce à Moïse qui les a instituées ; ou plutôt elles sont bonnes pour des enfants et sont devenues comme superflues, grâce au Christ qui, à leur place, a établi les prescriptions qui conviennent à des adultes selon Dieu. 
    b. "Toutefois, si la circoncision et toutes les choses que Mahomet a dérobées des prescriptions de la Loi étaient bonnes et parfaites, la Loi du Sauveur n'est donc pas bonne, qui a voulu les abolir et les a toutes supprimées en son temps et remplacées par d'autres. Mais si le Sauveur a bien fait — comme toi-même le confesses avec raison —en les transformant en mieux, celui qui tente de les ramener à ce qu'elles étaient auparavant, est évidemment le fléau des choses bonnes. De deux choses l'une : ou il apparaîtra en proie à la déraison et à l'égarement, ou il semblera s'être fait un métier de tromper les naïfs.

    34. a. "Que la Loi de Moïse fût imparfaite, toi-même tu l'as dit plusieurs fois. Si donc la Loi est imparfaite, le sont également ses parties. Et si la circonsision et les autres points que nous avons cités plus haut constituent des parties de la Loi, ils sont imparfaits et ne sauraient rendre parfait. Par conséquent le Sauveur est bon, lui qui a ajouté des choses parfaites et capables de rendre parfait. Celui qui entend les supprimer, est au contraire mauvais. b. "Si en effet le Sauveur, en ajoutant à l'ancienne Loi, comme à une peinture, les couleurs qu'il fallait, lui a accordé la perfection, que diras-tu de celui qui essaye de les effacer et de gâter la beauté du tableau ? Je sais bien que tu ne dirais rien de lui et de son action. Tu préféreras te taire, car tu n'as pas d'autre choix que le mensonge, ou quelque prétexte futile comportant un blâme à l'adresse de ton prophète. Ce qu'un autre aurait dit à bon droit en s'adressant à cet homme, c'est qu'il l'aurait appelé ouvertement un fléau, parce qu'il détruit au gré de sa fantaisie des bourgeons qui vont porter un fruit d'immortalité.

    35. a. "Je veux maintenant réfuter ta prétention d'attribuer le rang le plus élevé à la Loi de Mahomet. Je parlerai à présent d'une façon concise et simple. 
    b. "D'abord est venue la Loi de Moïse, que tu estimes imparfaite. Elle a institué par écrit la circoncision et tout ce que ta Loi y a puisé — car il n'est pas nécessaire de parler des autres points où elle diffère de celle de Moïse. Ensuite sont venus le baptême, le chrême et nos sacrements, et une Loi meilleure et plus parfaite que la première — c'est toujours toi qui l'accordes. Enfin de nouveau la circoncision et presque toutes les prescriptions de la première Loi. 
    c. "Si tel est le cas, est-ce que tu appelles cela un progrès ? Est-ce là de l'ordre et de la bonne organisation ? Nullement, n'est-ce pas ? Aller de la circoncision à la circoncision, comme qui tourne en cercle, et des choses les plus élevées redescendre aux plus basses, et venir après cela nous disputer de la sorte le rang le plus élevé, cela ne signifie pour tout homme, je pense, rien de plus que s'escrimer à des choses vaines. 
    d. "Ainsi donc, considère le terme auquel a abouti ton zèle pour ta Loi et prononce toi-même le juste jugements."

    36. a. Il s'éleva dès lors entre eux une grande et ardente discussion. Ils disputaient entre eux, je pense, sur mes propos, et ils conversaient en langue perse. Ils avaient coutume de faire cela, toutes les fois qu'ils voulaient dissimuler leur pensée aux interprètes. 
    b. Ensuite, comme ils ne se mettaient naturellement pas d'accord et craignaient de paraître impolis pour avoir passé une si grande partie de la nuit à converser entre eux, ils jugèrent qu'on devait se retirer. Même celui qui ne semblait pas en avoir assez de nos développements) — car il nous aurait retenus à converser des nuits entières si cela lui avait été loisible -- acculé alors par la force de mes raisons, prit un air de douceur et se tourna vers nous :

    Le Perse 
    37. a.  Il convient, dit-il, de ne point s'acharner fort tard dans la nuit. Je vois ton corps rompu de froid et de fatigue, car tu passes à la chasse cette saison d'hiver. Chasser avec mesure est bon ; autrement, c'est le contraire. Fâcheux en tout est l'excès. Mais si notre chef actuel dédaigne maintenant la mesure sur ce point, comme il le fait sur presque tous les autres'', il recevra sans doute des imprécations, même de la part de ceux qui sont passionnés de la chasse."

    Le Basileus 
    b. Il recommandait donc de cesser alors l'entretien et de nous réunir comme à l'accoutumée au lever du soleil. Moi, pour éviter d'être impoli et d'étaler au grand jour leur dérobade, j'affirmai que la mesure est la meilleure des choses, et je me levai. Nous nous séparâmes tous pour aller nous coucher. 


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  • -1- Abu Qurrah dit : Tandis que j'étais, en compagnie d'autres chrétiens, au Tombeau du Christ notre Dieu[1], je fus approché par un musulman accompagné de plusieurs de ses amis. Ce sont eux qui, s'adressant à notre groupe, nous dirent : "Notre ami va vous poser une question par laquelle il vous obligera à abandonner le christianisme."

    -2- Nous répondîmes : "Quelle est la question ?"

    Il dit : "Le Christ n'est-il pas votre Dieu ?"

    Nous : "Oui."

    Il dit : "Dites-nous, était-ce ou non en accord avec sa volonté que les juifs l'ont crucifié ?"

    -3- Je lui dis : "Si nous disons que c'était en accord avec sa volonté, tu nous diras alors qu'ils n'ont commis aucune offense. Mais si par contre nous disons que ce n'était pas en accord avec sa volonté, tu nous diras que dans ce cas il était faible, et ne pouvait par conséquent pas être un dieu."

    Il répondit : "C'est exact ! Tu as bien compris la conclusion logique en ce qui vous concerne : vous ne pouvez pas y échapper. Et cela détruit votre religion."

    -4- Je dis alors à ses amis : "Pouvez-vous attester que votre ami considère ce raisonnement comme valide ?"

    Ils répondirent : "Nous l'attestons !"

    -5- Alors, je lui dis : "Ton raisonnement fonctionne contre toi, et non contre nous. N'hésite pas à me contredire si tu n'es pas d'accord, mais n'affirmez-vous pas que nous inventons des mensonges contre Dieu ?"

    Il dit : "Oui, les mensonges les plus abominables !"[2]

    -6- Je dis : "Est-ce ou non en accord avec sa volonté que nous inventons ces mensonges contre lui ? Si tu dis que c'est en accord avec sa volonté, alors nous ne commettons aucune offense. Si tu dis que c'est contre sa volonté, alors, c'est que ton Dieu est faible. Apprécie-donc ce que ton raisonnement t'a coûté !"

    -7- Ses amis dirent : "Par Dieu, quelle honte pour notre ami !"

    -8- Ils me dirent : "En ce qui concerne notre ami, tu lui as véritablement cloué le bec avec son propre raisonnement. Maintenant, dis-nous comment tu sors de cette impasse ?"

    Je répondis à celui qui me questionnait : "Dis-moi, lorsque vous menez une attaque contre les territoires des Roumis[3], ton désir n'est-il pas de souffrir en martyr dans la voie de Dieu dans la mesure où - selon ce que vous dites - cela vous conduit au paradis ?"[4]

    Il répondit : "Oui."

    -9- Je lui dis alors : "Imagine que toi et ton frère - je veux dire, ayant même père et mère[5] - ce frère que tu aimes plus que qui que ce soit d'autre, vous preniez part ensemble à une attaque, avec précisément cet objectif et qu'un roumi tue ton frère durant la bataille. Que ferais-tu à ce roumi si tu l'avais à ta merci ?"

    Il dit : "Je le tuerais !"

    Je lui répondis : "Que tu es un homme cruel, puisque tu voudrais tuer quelqu'un qui a réalisé le plus grand désir de ton frère!"

    -10- Il resta songeur à ce propos pendant un moment, puis parla comme suit : "Lorsque le roumi a tué mon frère, il ne cherchait pas à agir en accord avec ses désirs. La seule chose qu'il voulait, c'est de le détruire. C'est pourquoi le châtiment que je lui dois est en fonction de ce qu'il voulait, et de ce qu'il a fait à mon frère, quand bien même son acte aurait coïncidé avec les désirs de mon frère."

    -11- Je lui dis alors : "Sois donc logique, et reconnais que quand les juifs ont crucifié le Christ, ils ne cherchaient pas à agir en accord avec ses désirs. En fait, ils voulaient seulement le détruire, quand bien même ce qu'ils faisaient était en accord avec sa volonté. C'est pourquoi, ils seront châtiés pour la cruauté de ce qu'ils voulaient faire, indépendamment du fait que la volonté du Christ a été accomplie à travers ce qu'ils lui ont fait."

    -12- Tous ses amis s'écrièrent alors : "Par Dieu, il nous a vaincu ! Jamais nous n'aurions pensé qu'il nous répondrait de cette manière !" C'est assez pour cela.

    -13- Et encore, Abu Qurrah leur dit : "Imagine que tu souffre d'un ulcère dont la douleur intolérable te saisisse jusqu'au cœur, au point de t'amener à désirez la mort. -14- Moi, je suis ton ennemi, et le gouverneur t'a placé à ma merci par ces mots : frappe-le un coup, de ta propre main, à quelque endroit de son corps que tu souhaites. -15- Souhaitant que la douleur, causée par mon coup, atteigne ton cœur et te tue, je frappe précisément sur l'ulcère ; mais le résultat, c'est que se perçant, l'ulcère laisse s'écouler ce qui à l'intérieur te causait cette douleur, de sorte que tu es guéri. -16- Dis-moi. Si, après cela, c'est moi qui suis à ta merci, ne me tuerais-tu pas - si tu en as la possibilité - pour me punir d'avoir voulu te tuer, même si c'est par ma main que ta guérison est advenue ?"

    Il dit : "Oui."

    -17- Je dis : "C'est de cette manière que le Christ a été crucifié ; et il y a de nombreux autres exemples semblables pour confirmer ce que je dis."

    -18- Ils dirent alors : "Tu as raison, et tu nous as convaincu."

    Puis ils partirent.

     


    [1] Le "Tombeau du Christ" : Il s'agit de la grande basilique de Jérusalem, édifiée entre 325 et 335 sur ordre de l'empereur Constantin, appelée "Anastasis" (Résurrection) par les grecs, et "Saint Sépulcre" par les latins. Cette basilique englobe trois "lieux" liés à la Passion du Christ : le Golgotha où Jésus fut crucifié, le Tombeau où son corps fut déposé et dont il sortit ressuscité et le Fossé où, selon la tradition, la Croix fut retrouvée par Ste Hélène en 326. Quoique son utilisation par les chrétiens ait été garantie par les autorités musulmanes après la prise de Jérusalem par les troupes d'Omar en 638, son accès est contrôlé par les musulmans et soumis à paiement d'un droit d'entrée.

    Nous avons donc là un témoignage de la présence d'Abu Qurrah à Jérusalem.

    [2] "Vous affirmez que nous inventons des mensonges contre Dieu : Selon l'islam, le plus grand blasphème possible consiste à "associer" des divinités à "Allah". Ainsi lit-on dans le Coran (5.72-73) Quiconque associe d'autres dieux à Dieu, Dieu lui interdira le Jardin. Ceux qui disent " Dieu est un des trois dans la trinité " blasphèment; car il n'y a pas de Dieu si ce n'est le Dieu Unique. Les chrétiens – qui confessent que Dieu est par nature "Père, Fils et Saint-Esprit" – sont considérés comme "donnant des associés" à Dieu. Il est par ailleurs à noter que la manière dont la Trinité est perçue dans le Coran est assez… curieuse. En effet, on lit dans le Coran (5.116) cette question posée par Allah : Jésus, fils de Marie, as tu dit aux hommes: prenez moi et ma mère à coté de Dieu ?, à quoi "Jésus" répond bien sûr par la négative. Sur le reproche de blasphémer, voir aussi Coran 3.94, 6.21, 6.93, 6.144…

    Dans le "dialogue en présence d'Al-Mamoun", le reproche fait est clairement celui-là.

    [3] "Une attaque contre les territoires des Roumis" : Au IXe siècle, ce que l'on appelle aujourd'hui "Empire byzantin" s'appelait encore "Empire romain", même si sa capitale était Constantinople. Les habitants de cet Empire romain étaient donc des "romains", ou, selon la forme arabisée, des "roumis". L'Empire romain étant chrétien, le terme "roumi" désignait aussi les chrétiens.

    [4] "Cela vous conduit au paradis" : L'islam enseigne que ceux qui meurent pour la défense de la foi enseignée dans le Coran sont des "shahid", c'est à dire des martyrs. En arabe, le même terme est employé pour les martyrs chrétiens et musulmans, toutefois, une différence de taille différencie le martyr musulman du martyr chrétien : si ce dernier se laisse dépouiller de la vie pour ne pas renier le Christ, dans l'islam le titre de "martyr" (shahid) est décerné au combattant musulman qui meurt au combat. A ceux-là, le Coran (VI. 74) annonce "Que ceux qui veulent échanger la vie présente contre celle de l'au-delà combattent dans le chemin de Dieu ! Qu'ils succombent ou qu'ils soient vainqueurs, Nous leur accorderons une généreuse récompense." Notons aussi que, quoique cette réflexion soit anachronique, les djihadistes qui meurent dans des attentats-suicides sont aussi considérés comme "shahid".

    [5] "Ayant même père et mère". Cette précision est une allusion à la polygamie existant dans le monde musulman, allusion qui se retrouve dans le "fragment sur le libre arbitre" mais disparaît dans la traduction grecque. Par ailleurs, concernant la polygamie, voir DJ 7

     


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    La Divine et Sainte Liturgie de St Jean Chrysostome bilingue, arabe français

     

    Les voeux de Pâques en diverses langues (dont arabe, syriaque et plein d'autres...)


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  • Il y a quelques temps, j'ai reçu une demande inhabituelle : pourrai-je (à l'intention d'un catéchumène adulte, syrien d'origine) trouver une version bilingue Arabe- Français de la Divine Liturgie de St Jean Chrysostome,.

    Un premier coup d'oeil à internet me laissa désemparé : pas moyen de dénicher quelque chose qui y ressemblât.

    Sans doute fallait-il composer soi-même le document. Bon, pour une traduction française,cela ne pose guère de problème. Mais où dénicher le texte arabe de la Divine Liturgie ?

    Je décidais donc de recourir à certains de mes contacts, spécialistes du christianisme de langue arabe.

    Très vite les informations affluèrent, de sorte que je suis maintenant en mesure de signalerun site qui donne une traduction en arabe de la Divine Liturgie en ligne .

    Pour rendre la chose plus pratique, j'en ai préparé un pdf que j'ai placé sur Archive

     

    Mais leur bienveillance ne s'est pas arrêtée là, et grâce à eux je suis en mesure de vous proposer deux authentiques éditions bilingues, qui ont été numérisées tout exprès, afin de rendre service.

    *

    *  *

    D'une part, édité par le Patriarcat orthodoxe d'Antioche (et ayant transité en Grande Bretagne, puis en Roumanie) une édition orthodoxe de cette Liturgie :

    La Divine et Sainte Liturgie de St Jean Chrysostome bilingue, arabe français, sur Archive

    En fait, ce document a été édité en quatre langues (arabe, français, anglais et allemand), et je l'ai aussi placé sur Archive de cette manière (mais comme il est assez volumineux, j'ai préféré offrir le "bilingue" en plus).

    *

    *  *

    Mais il n'y a pas que les Orthodoxes à célébrer avec cette Liturgie ; il y a aussi les Melkites, c'est à dire des chrétiens orientaux rattachés à Rome (rappelez-vous ce petit billet).

    Pour eux, et en provenance directe de l'éparchie grecque catholique de Beyrouth, un livret de la Divine Liturgie, publié en 1970.

    La Messe de St Jean Chrysostome bilingue, arabe français, sur Archive

     

     

    Dans tous les cas, le texte ne contient pas l'office de la Proscomidie (qui concerne le clergé seul) et commence à la Liturgie des catéchumènes.

    Rappelons enfin que les usages liturgiques varient selon les "Langues" : on trouve chez les Russes des prières inconnues des Grecs, ou qui sont placées différemment... Il en est aussi de même dans l'usage Arabe : il n'y a donc pas lieu de s'affoler si l'on décèles des "différences" d'avec le détail du texte suivi dans votre paroisse...


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  •  Histoire d'Abraham le Syrien 

    Patriarche Copte d'Alexandrie

    Traduction par L. Leroy

    publiée dans la Revue de l'Orient Chrétien

    vol.14 (1909) pp. 380-400 et vol 15 (1910) pp. 26-41.

    Basée sur le manuscrit Karshuni Paris Syr. 65.

     

    Introduction :

    Le texte présenté ici est basé sur le récit que l'on trouve dans "L'Histoire des patriarches Coptes d'Alexandrie", mais très nettement amplifié, de sorte que si l'on ne saurait garantir l'authenticité de tous les détails de "L'Histoire des patriarches...", nous sommes par contre ici clairement dans le roman pieux*. Pour autant, quoique romancé, ce récit donne un aperçu de l'ambiance, des relations entre chrétiens, juifs et musulmans dans les siècles qui suivirent.

    Le patriarche Abraham le Syrien** n'est guère connu en dehors de "L'Histoire des Patriarches...", et le cordonnier appelé ici Simon n'est pas nommé dans la source***. Quant au calife Al-Muizz li-Dîn Allah, qui régna de 953 à 975, il est bien connu de l'historiographie.

    Il faut comprendre comme pure fiction la conversion de ce calife au christianisme, et son entrée au monastère.

    Notes :

    * Voir à ce propos l'étude "Apologetic Elements in Coptic-Arabic Historiography", sur ce texte et ses évolutions

    **On le trouve sous le nom Ibrahim/Abraham, mais aussi sous le nom Afram (ou Afraham)/Ephrem. Quant au nom de son père, que Leroy nomme Ar'a (ce qui semble être une étrange coquille), il se nommait Zar'a (ou Zur'a).

    *** Voir dans Christian-Muslim Relations vol 3 (CMR3), p 84-88 l'article sur Michael of Damru, auteur de cettepartie de l'Histoire des patriarches.

    *

    *  *

     Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, Dieu unique.

    Nous allons avec la grâce de Dieu et sa faveur, exposer la vie du Père saint, vénéré et vertueux Anbâ Ibrahim (Abraham) le Syrien, le 62° patriarche spirituel de la liste des patriarches, appelé aussi Ibn-Ar'a, décédé le sixième jour de Koiakh. C'est de son temps qu'eut lieu le transfert de la montagne, sous le règne de notre souverain Al-Moëz, le premier des califes de l'empire musulman[1].

     Le Père Anba Ibrahim était marchand dans les affaires périssables de ce monde, et il devint marchand pour les précieuses choses spirituelles. Je vais raconter (son histoire) avec la protection du Seigneur, que sa bénédiction soit sur nous. Amen ! Et gloire à Dieu à jamais !

     Il dit : Celui qui éclaire par sa loi les flambeaux des intelligences, qui ouvre par sa doctrine les portes des cœurs, qui nous fait connaître par ses indications les chemins de la vie, qui par ses directions a donné des lois et des constitutions aux chefs des prêtres ; qui a donné une preuve de sa bonté parfaite par l'incarnation de son Verbe ; qui a révélé les mystères ineffables de ses attributs : nous le glorifions à cause de son excellence sans bornes, et nous le remercions pour ces bienfaits dignes de la reconnaissance la plus grande et la plus entière, telle que la langue ne se lasse pas de la redire. Nous le prions de nous rendre dignes d'écouter sa parole divine et de lui plaire par nos actions, par notre docilité et par notre obéissance à nos prélats, selon qu'il nous ordonne d'observer les lois et les canons qui nous ont été donnés par nos pères les Apôtres dans la paix du Seigneur. Amen.

     Mes amis, c'est avec le plus vif intérêt que j'entreprends de vous raconter la vertueuse vie et les actions merveilleuses de notre Père Anbâ Abràm (Abraham) le Syrien, et quelques-uns des prodiges et des miracles que Dieu (louange à lui) a opérés par ses mains, dans la paix du Seigneur. Amen .

    Mes amis, quand le Seigneur Patriarche Anbâ Mina (Mennas),le soixante et unième de la liste de nos Pères les Patriarches, vint à mourir et remit son troupeau au Pasteur des Pasteurs, Notre-Seigneur Jésus-Christ – gloire à Lui ainsi qu'à son Père et à son Esprit vivant et saint ! – le siège (patriarcal) resta vacant. Les évêques du Delta et du Saïd se réunirent avec les scribes de Misr et les prêtres d'Alexandrie. Ils restèrent plusieurs jours sans trouver personne dont l'élévation leur agréât.

     

    I. Présentation du patriarche copte Abraham

    Désignation d'Ibrahim ibn Ar'a comme patriarche

    Or il y avait à Misr un marchand Syrien nommé Ibrahim (Abraham) Ibn-Ar'a. Il faisait d'abondantes aumônes aux veuves, aux pauvres, aux nécessiteux et aux malades. C'était un vieillard dont la longue barbe descendait sur la poitrine comme Abraham l'Ancien. Il était lié avec al-Malek al-Moëz et avec ses soldats par une vive affection, parce qu'il était leur fournisseur et leur intendant. Les principaux personnages de l'Egypte l'aimaient et l'honoraient. On admirait ses grandes vertus et sa charité pour les pauvres ; sa probité, sa science et ses bonnes œuvres étaient bien connues. Un jour tout le peuple s'était réuni à l'église des grands et illustres martyrs Sergius et Bâkhous à Misr, dans le quartier de Kasr al-Djam'a[2]. Les évêques, les prêtres et les notables étaient venus également pour la fête. Ibrahim ben-Ar'a entra à son tour à l'église pour prier. A ce moment un notable fit signe à l'un des évêques et lui dit : "Vous cherchez un homme apte au patriarcat : voici celui qui en est digne. C'est Dieu (qu'il soit béni !) qui nous l'envoie." Les évêques présents entendirent ce propos et l'approuvèrent, sans toutefois laisser paraître leur sentiment. Mais, par la volonté de Dieu, et avec leur agrément, un des notables, ami d'Ibrahim, l'appela sous prétexte de l'entretenir d'une certaine affaire. Puis lorsqu'il fut au milieu d'eux, ils s'écrièrent tout d'une voix : "Voici celui qu'a choisi le Seigneur !" Il poussa un cri, pleura et dit : "Je ne mérite point cette dignité." Ils l'emmenèrent à l'instant et le conduisirent à Alexandrie, où ils le sacrèrent patriarche.

     

    Réformes morales et contestations

    Dès qu'il fut assis sur la chaire de Marc, il distribua toute sa fortune aux couvents, aux pauvres et aux indigents. Il extirpa les mauvaises mœurs dans tout le ressort de son patriarcat. II défendit à tout prélat d'accepter des présents de qui que ce fût pour le promouvoir aux dignités de l'Église et prononça l'anathème contre cet abus. Ensuite il interdit à tout fidèle de prendre des concubines.

    Cette prohibition sembla dure à un grand nombre ; néanmoins les concubinaires. en l'apprenant, craignirent le Dieu Très-Haut et l'anathème du patriarche, et renvoyèrent tous leurs concubines. Ils se présentèrent ensuite au patriarche et firent pénitence en sa présence. Il agréa leur repentir et leur pardonna. Il n'y eut qu'un seul homme qui désobéit. C'était un membre du Divan, qui occupait une haute situation dans le gouvernement. Ce malheureux ne craignit pas Dieu le Très-Haut, ni l'anathème de ce Père. Celui-ci multiplia les exhortations et usa d'une grande patience envers lui ; il lui fit des promesses (?), mais le coupable ne se rendit point et ne craignit pas que Dieu le perdît, bien qu'il vît ce saint vieillard prosterné à terre à ses pieds. Le patriarche ne cessa pas pour cela de l'instruire et de l'exhorter au bien : il s'humilia devant le Christ son Créateur, puis il se rendit à la demeure "du coupable. Quand ce mécréant apprit que le Père venait chez lui, il ferma sa porte, et le Père resta debout au dehors, l'espace de deux heures, frappant à la porte. Mais il ne lui ouvrit point et ne lui adressa pas une parole. Constatant alors que le malheureux préférait sa propre satisfaction à l'obéissance au Christ et qu'il était devenu décidément un membre pourri, le vénérable Père reconnut qu'il n'avait plus rien à se reprocher à cause de lui, et il crut bon de le retrancher du corps de peur qu'il ne corrompît les autres membres. Il laissa donc sa faute retomber sur sa tête et il l'excommunia ; puis il secoua la poussière de sa chaussure sur sa porte souillée. Dieu le Très-Haut fit paraître en cet instant un prodige aux yeux des assistants : le linteau de la maison, qui était en pierre, se cassa en deux. Chose étonnante ! le cœur de ce malheureux ne fut pas fléchi. Mais, dans la suite, Dieu donna en lui un signe éclatant de sa justice ; il devînt si pauvre qu'il ne lui resta plus un seul dirhem ; il perdit sa situation et tomba dans le mépris ; il fut affligé dans son corps par de douloureuses maladies et il subit une mort cruelle après qu'on lui eut coupé la main, sous le règne d'Hakem, servant ainsi d'exemple à tous. Il était souillé de nombreux péchés et son châtiment inspira une grande crainte. Ce fut aussi pendant le pontificat de ce Père, que le calife vint avec sa cour visiter un monastère, bien qu'il fût souverain musulman, et il fut témoin du déplacement de la montagne sur une parole du Père.

    II. Le miracle de la Montagne

    Débat théologique avorté

    Voici comment eut lieu ce prodige : Quand les musulmans eurent conquis le pays d'Egypte, ce furent les califes qui gouvernèrent à la place des anciens souverains, et le pays échut à Al-Malek al-Moëz. Cet Al-Moëz faisait venir à chaque instant le saint Père Anbâ Abràm, et prenait son avis en tout ce qui lui arrivait ; puis il lui demandait sa bénédiction. Il le pria de venir se fixer à Mîsr, car jusqu'à cette époque il résidait dans la ville d'Alexandrie. Le vizir d'Al-Malek al-Moëz était un Juif nommé Yakoub Ibn-Khalis qui était venu de l'Occident avec le calife et avait embrassé l'islamisme par complaisance pour lui. Ce vizir avait pour ami un juif nommé Mousa (Moïse). Il avait reçu de grandes largesses d'Al-Moëz et il était devenu très riche grâce à son amitié avec le vizir. Quand il fut témoin de l'affection du calife pour le vénérable patriarche et des fréquentes visites qu'il lui faisait, il lui porta envie et ourdit contre lui une intrigue. Il dit à Al-Moëz : "Je désire que tu fasses venir ici avec moi le patriarche des chrétiens pour que je discute avec lui en ta présence. Il exposera sa religion et l'expliquera." Le calife ne présenta pas la question de cette manière au patriarche, et ne lui proposa point de discuter avec le Juif ; mais il lui dit : "Si vous voulez faire venir quelqu'un des évêques, vos fils, pour discuter avec le Juif, faites-le." Ils fixèrent donc un jour pour la réunion. Parmi les évêques présents il y avait le saint et vertueux prélat qui occupait le siège d'Al-iskandar (Alexandre) d'Al-Achmounaïn appelé Sâouïrous (Sévère) et surnommé Ibn-Al-Mokaf'a. Il avait été scribe, puis il était devenu évêque. Le Seigneur lui avait accordé la faveur d'une connaissance approfondie de la langue arabe grâce à laquelle il avait écrit un grand nombre de livres, d'homélies et de traités de controverse. Ceux qui ont lu ses livres reconnaissent son talent et sa science profonde. Il avait discuté maintes fois avec les principaux cheikhs musulmans, sur l'ordre d'Al-Malek al-Moëz, et il les avait vaincus par la puissance de Dieu et sa grâce. Le patriarche Anbâ Abrâm le prit avec lui au jour convenu et ils se rendirent au palais. Le juif Mousa y était également avec le vizir Ibn-Khalis. Ils restèrent longtemps assis en silence. Al-Malek Al-Moëz leur dit alors : "Vous ne parlez pas de la question pour laquelle vous êtes réunis." Puis se tournant vers le patriarche, il lui dit : "Que n'ordonnes-tu à ton représentant de dire ce qu'il pense ?" Le patriarche dit alors à l'évêque : "Parle, mon fils, et que Dieu te soit en aide." L'évêque se tournant vers le calife Al-Moëz : "II n'est pas permis, dit-il, d'adresser la parole à un Juif en présence du Commandeur des Croyants." Le Juif répondit : "Tu me fais affront en disant devant le Commandeur des Croyants et son vizir que je suis un infidèle." L'évêque Anbâ Sévère lui répliqua : "Sache, ô Juif, que, lorsque la vérité aura paru aux yeux du Commandeur des Croyants, il ne s'irritera pas." Al-Malek Al-Moëz intervint : "On ne doit pas, dit-il, s'emporter pendant la discussion, mais que chacune des parties expose librement sa pensée et les explications qui conviennent à sa thèse." (fol. 250, a) L'évêque dit alors : "Ce n'est pas moi, à Juif, qui te convaincs d'igno- rance, mais c'est un prophète grand et glorieux auprès de Dieu. — Qui est ce prophète ?" demanda le Juif. — Il lui répondit : "C'est Isaïe le prophète qui dit au commencement de son livre : Le bœuf connaît son possesseur, et l'âne connaît l'étable de son maître, mais Israël ne me connaît pas[3]." AI-Moëz dit alors à Mousa : "Est-ce vrai ?" Il répondit: "Oui." L'évêque reprit : "Dieu n'a-t-il pas dit que les animaux sont plus intelligents que vous ? II ne m'est donc pas permis, dans une séance présidée par le Commandeur des Croyants (puisse durer sa puissance), d'adresser la parole à quelqu'un qui est moins intelligent que les animaux et que Dieu qualifie d'ignorant." Al-Malek Al-Moëz admira ce raisonnement et leur ordonna de s'en aller. Il en résulta une grande inimitié entre les deux parties.

     

    Le défi du Vizir

    La colère du vizir fut grande et il chercha à prendre en défaut le patriarche, parce qu'il avait confondu le Juif en présence d'Al-Malek Al-Moëz. Mais le Seigneur Christ garde ses élus et ses serviteurs. Un jour, le vizir trouva un expédient et vint dire à Al-Malek Al-Moëz : "Il est écrit dans l'Évangile des Chrétiens que celui qui a de la foi gros comme un grain de sénevé n'a qu'à dire à la montagne : déplace-toi et jette-toi dans la mer, et elle se déplace[4]. Que le commandeur des croyants agisse selon sa prudence pour la vérification de cette parole et qu'il se rende compte que tout n'est chez eux qu'absurdité et mensonge s'ils ne peuvent l'accomplir. Dans ce cas ils doivent être traités comme le mérite leur imposture." Cette proposition plut au calife. Il fit venir Anbâ Abràm, le patriarche, et lui dit : "Que dis-tu de cette parole ? Est- elle, oui ou non, dans votre Évangile ? "Le patriarche répondit : "Oui, elle y est." Al-Malek Al-Moëz lui dit alors : "Sache, ô patriarche, que la nation des chrétiens coptes compte dans ce pays des milliers et des milliers de membres ; je veux que tu m'amènes l'un d'entre eux et qu'il opère ce prodige en ma présence, sinon c'est toi, leur chef, qui en répondras. Et si vous ne le faites pas, je jure par Dieu que je vous exterminerai par l'épée." Le patriarche resta interdit, et fut frappé d'une grande crainte et il ne sut que répondre. Mais Dieu le Très-Haut lui rendit la présence d'esprit et il dit au calife : "Accorde-moi un délai de trois jours pour que je prie Dieu (glorifié soit son nom) de rendre le cœur du Commandeur des Croyants favorable à ses serviteurs." Cette demande lui fut accordée.

     Jeûne et supplications des chrétiens

    Le patriarche descendit dans sa cellule à Misr al-'Atika[5]. Il convoqua les prêtres ainsi que l'assemblée des notables de Misr et tout le peuple orthodoxe et il leur annonça en pleurant l'ordre du calife. Or il y avait en ce moment à Misr des moines du Ouadi Habit[6]. Il leur communiqua à tous un ordre enjoignant que pas un d'entre eux ne retournât à son monastère avant trois jours, et qu'ils se réunissent tous à l'église pour prier jour et nuit. C'est ce qu'ils firent pendant trois jours et trois nuits. Ce fut, chez tous les fidèles, une grande désolation, avec des pleurs, des gémissements, des prières et des supplications adressées à Dieu pour qu'il les délivrât de cette calamité. Le saint Père, le Patriarche ne prit aucune nourriture pendant tout ce temps, ni le jour, ni la nuit. Certains restaient à jeun d'une nuit à l'autre et ne prenaient que du pain, du sel et un peu d'eau. Anbà Abràm le Patriarche resta constamment debout, pleurant devant Dieu (louange à Lui), pendant ces jours et ces nuits, et il ne fit pas un mouvement. Cette réunion bénie avait lieu dans l'église de Notre-Dame, la Vierge sainte et pure, la Mère du Sauveur du monde, sainte Marie, à Qasser al-Djama'a, appelé aussi Al-Mu'allaqa[7]. Le Père fit aussi annoncer ce qui se passait à tous les couvents de religieuses et de vierges qui se trouvaient à Misr al-Qâhira[8], et les mit au courant de l'affaire. Il leur ordonna de jeûner sans interruption pendant ces trois jours et ces trois nuits, de prier sans cesse le jour et la nuit, de prier Dieu le Très-Haut et de s'humilier devant Lui ; de prier aussi Notre-Dame, la gloire de notre race. Ils firent ce qu'il leur ordonnait. Lui-même ne prit aucun repos, parce qu'il était le Pasteur et que tout pasteur est responsable de son troupeau. Il dit comme David le prophète : "Je ne donnerai point de repos à mes tempes ; je n'accorderai point le sommeil à mes yeux ni l'assoupissement à mes paupières jusqu'à ce que j'aie sauvé le peuple de Dieu"[9]. Et il levait en son temps les mains vers le ciel avec un cœur brisé, et de tout son cœur il adressait ses supplications au Seigneur. Il parla ainsi : "Seigneur, ne fais pas de nous la risée des nations étrangères. Console nos âmes en nous délivrant d'elles. Eloigne de nous cette terrible épreuve. Sauve ton peuple et bénis ton héritage, Sois miséricordieux pour nous, ô Seigneur, sauve-nous et délivre-nous. Pardonne-nous et ne nous punis pas selon la malice de nos actions. Ne fais pas venir sur nous les péchés que nous avons commis et ne nous induis pas dans cette dure épreuve. Accorde-nous ta bienveillance et ta miséricorde. Tu connais la situation de tes serviteurs ; tu sais qu'ils n'ont pas d'aide et personne qui intercède pour eux auprès du pouvoir par de bonnes paroles ; que personne ne s'occupe d'eux et ne les secourt et que personne ne leur est favorable, si ce n'est toi seul, ô notre Seigneur Jésus-Christ. Fais-nous parvenir ton secours, car tu as dit et ta parole est vraie : Si vous avez de la foi gros comme un grain de sénevé, dites à cette montagne : Déplace-toi, et elle vous obéira sans difficulté. Nos ennemis se sont emparés de cette parole. Agis avec nous selon ta coutume. Si nous n'avons ni confiance, ni foi, si nos cœurs sont pleins de doutes, ne nous en tiens pas rigueur, mais fais en sorte que ta parole soit une lumière devant ces infidèles, afin que ton saint nom soit glorifié." Le saint Patriarche ne cessait de répéter cette prière. Il récitait les psaumes et des formules de louanges et célébrait le Seigneur (gloire à Lui), debout devant la colonne où est représentée l'image de Notre-Dame sainte Marie. Chaque fois qu'il finissait sa prière, il levait ses yeux remplis de larmes et suppliait la miséricordieuse Vierge Marie. Il demeura dans cet état pendant trois jours et trois nuits en présence de Dieu et de Notre- Dame de miséricorde, sainte Marie. Quand arriva le matin du troisième jour, il redoubla ses prières et ses supplications, il s'appliqua davantage à la méditation et mortifia son corps jusqu'à l'heure de l'aurore. Il se rappela alors que les satellites du gouverneur devaient venir de grand matin pour le conduire à leur maître. Il implora à grands cris le Dieu Très-Haut et pleura amèrement à cause de la douleur qu'il éprouvait pour le peuple de Dieu. Il s'endormit à ce moment se trouvant seul debout près de la colonne. La Dame de Miséricorde lui adressa la parole pendant son sommeil et lui dit avec un visage joyeux : "Que t'est-il arrivé ?" Il répondit : "Ne vois-tu pas ma douleur, ô Notre Dame, et en quelle situation me met le souverain de ce pays ? Il m'a dit : Si tu ne me montres pas le miracle de la montagne, je tuerai tous les chrétiens et je les ferai disparaître par l'épée de tout mon empire." Notre-Dame de Miséricorde lui dit : "Ne crains pas. Mon fils bien-aimé est avec ceux qui ont recours à lui. Et moi-même je serai ton aide et ton secours, car je ne négligerai point les larmes que tu as répandues dans mon église. Mais lève-toi, descends de ce lieu ; sors par la porte de la rue Neuve qui conduit au grand marché. En sortant tu rencontreras un homme portant sur son épaule une cruche d'eau. Comme signe particulier, il n'a qu'un œil. Prends-le avec toi, car c'est lui qui opérera le prodige." Le patriarche s'éveilla à ce moment plein de trouble. Il se leva promptement et alla, sans saluer aucun de ceux qu'il connaissait, jusqu'à ce qu'il arrivât à la porte. Il la trouva fermée et il éprouva un doute dans son cœur et il se dit : "Je pense que c'est le démon qui s'est joué de moi." Il appela le portier et celui-ci lui ouvrit la porte.

     Simaan le cordonnier

    Le premier qui entra fut l'homme dont il lui avait été parlé dans la vision. Il le prit à part et lui dit : "C'est le signe (?) du Seigneur. Aie pitié de ce peuple." Puis il l'informa du motif de la réunion. L'homme lui répondit : "Pardonne-moi, mon Père, je suis un pécheur ; je ne suis point parvenu à un tel degré." Le patriarche lui dit : "En vérité, tu es bien celui de qui dépend le salut du monde..." Le porteur d'eau répondit : "Mon Père, je suis un pécheur chargé de fautes." Or ce porteur d'eau était auparavant cordonnier et s'appelait Sima'àn (Simon). Il était arrivé qu'une femme était venue chez lui chercher sa chaussure et avait découvert sa jambe. Cette femme était d'une grande beauté. L'homme dont nous parlons aperçut la jambe de cette femme ; son œil le scandalisa et il la considéra d'un œil de concupiscence. Il se rappela alors la parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans son saint Evangile où il est dit : "Si ton œil te scandalise, arrache-le et jette-le loin de toi, car il vaut mieux pour toi entrer dans la vie avec un seul œil que d'avoir tes deux yeux et d'être jeté dans le feu de l'Enfer[10]." Le cordonnier s'étant rendu compte que son œil considérait la jambe de cette femme d'un regard de concupiscence, y enfonça son poinçon de fer qui lui servait à travailler le cuir, et arracha son œil qui resta suspendu sur sa joue. A cette vue, la femme fut épouvantée et s'écria : "Cet homme est fou." Il lui répondit : "Un esprit a disparu de lui et il est plus raisonnable que tous les habitants de la terre." La femme le quitta à ce moment. A partir de ce jour, il ne trouva plus de travail dans la cordonnerie et il dut entrer comme mercenaire chez un tanneur. Il distribuait aux pauvres et aux indigents et à ceux qui étaient dans le dénuement tout le superflu qui lui restait après avoir mangé. Ce saint homme pourvoyait d'eau les églises, les couvents et les pauvres. Quant à la femme perverse à cause de laquelle il s'était arraché l'oeil, elle était partie pleine d'admiration. Elle annonça à ses voisins ce qu'avait fait le cordonnier. Une femme de mauvaise vie dit alors : "Gagez avec moi que j'entraîne cet homme à pécher avec moi." Les femmes gagèrent avec elle, puis elles lui dirent : "Cela n'arrivera jamais à cet homme qui s'est conduit ainsi et qui, pour un regard, s'est arraché l'œil." Cette femme alla donc et employa toutes les ruses, usa de tous les artifices féminins propres à exciter la convoitise. Mais cet homme n'en fut pas troublé, et ne lui céda point. Il ne la regarda même pas et il pria Dieu de le fortifier contre ses pièges et sa ruse. Plein de courage, il résista à la femme et la repoussa. Elle lui dit alors, quand elle fut fatiguée et qu'elle n'eut plus de stratagème à employer contre lui : "Écoute-moi ; je te connais. Par Dieu, si tu ne me donnes satisfaction, je te livrerai à quelqu'un qui n'aura point pitié de toi, et je te convaincrai d'imposture." Saint Simon lui répondit : "Déploie tous les artifices, car c'est Dieu qui est mon soutien. Il me sert de voile ; il me protège et il me sauve de ta malice." Cette méchante femme reconnut alors qu'il l'avait vaincue par la puissance de Dieu et elle le quitta pleine de confusion. Quant à cet homme béni, il continua comme par le passé à porter de l'eau et il ne cessa de vaquer à ce travail jusqu'à ce que Notre-Dame, la Vierge de Miséricorde, dévoilât son secret au vénérable patriarche. Il le prit avec lui et l'obligea à rester là. Puis il dit : "Mon fils, il m'a été révélé en songe que le salut du peuple dépend de toi." Et il l'obligea par la parole de Dieu à rester à cet endroit jusqu'à l'arrivée des émissaires du gouvernement qui devaient venir le chercher avec tout le peuple.

     Première partie du défi : prières des juifs et des musulmans.

    Au point du jour, les envoyés arrivèrent en effet chez le patriarche, avec les chambellans, les émirs et les chefs, et ils l'emmenèrent ainsi que le cordonnier qui était avec lui, les fidèles et tous les évêques, les prêtres et les diacres qui l'entouraient à ce moment. Ils portaient à la main des encensoirs, des croix et des cierges. Ils furent conduits devant Al-Malek Al-Moëz. Le calife leur dit : "Voici que les trois jours sont écoulés." Ils répondirent : "Oui, Seigneur, traite-nous comme tu le voudras, mais le Seigneur montrera sa puissance." Le calife sortit, suivi par tout le peuple, et alla au pied de la montagne. Il dit alors aux chrétiens : "Je veux que vous fassiez venir cette montagne, que vous l'enleviez de la place qu'elle occupe et que vous l'établissiez dans un autre lieu. Cela ne vous sera pas difficile. C'est votre Évangile qui le dit." Ils lui répondirent : "Seigneur, nous vous demandons d'être équitable." II leur dit alors : "Que voulez-vous que je fasse de plus pour vous ? Je vous ai accordé trois jours de délai ; que voulez -vous de moi maintenant ?" Ils lui répondirent : "Nous désirons que nos Seigneurs les Musulmans prient les premiers et demandent à la montagne de changer de place ; que les Juifs prient ensuite et nous prierons en dernier lieu." Je veux, dit le calife, me conformer à leurs désirs pour qu'ils n'aient plus d'autre réclamation à faire." Ils répondirent : "C'est entendu et nous obéissons." Les Musulmans firent alors leurs ablutions et se purifièrent, car ils sont persuadés que l'eau les rend purs ; ils annoncèrent l'izan[11] à grands cris et prièrent longtemps. Un de leurs Cheikhs les plus vénérés appela la montagne de toute sa voix et lui ordonna de changer de place, mais elle ne bougea pas. Les Juifs s'avancèrent à leur tour avec leur grand-rabbin. Ils commencèrent leur prière et la prolongèrent jusqu'à ce que le calife en fut ennuyé. Ensuite ils crièrent tout d'une voix à la montagne de quitter le lieu où elle était, mais elle ne bougea pas. Les Musulmans s'approchèrent alors du calife et lui dirent : "Cette parole se trouve-t-elle dans les écrits des Musulmans ou dans ceux des Chrétiens ?" Il leur dit : "Dans ceux des Chrétiens." Ils lui répondirent : "Pourquoi imposes-tu aux Musulmans l'opprobre de se mêler aux communautés infidèles ?" Il leur dit : "Il n'y a aucun opprobre si la montagne s'ébranle et change de place par les prières des chrétiens ; mais si elle ne bouge pas, vous verrez ce qui arrivera ; par la vérité de la religion de l'Islam, je ne laisserai pas subsister chez les chrétiens un enfant de deux jours, mais je les passerai au fil de l'épée ; j'enlèverai leurs femmes, je rendrai leurs enfants orphelins et je purifierai la terre de leur présence, car désormais ils ne pourront invoquer aucune bonne raison."

     Deuxième partie du défi : prières des chrétiens et miracle.

    Puis il fit venir le patriarche en sa présence et lui demanda : "Avez-vous autre chose à dire ?" Il lui répondit : "Non, Seigneur." Le calife lui dit : "Pourquoi alors nous faites-vous attendre : priez et invoquez la montagne."

    A ce moment le patriarche ordonna à tout le peuple de dire à haute voix Kyrie eleison et tous répétèrent ensemble le Kyrie eleison quatre cents fois. Ensuite ils offrirent l'encens et prononcèrent les paroles de l'absolution. Le patriarche se tenait devant le peuple et derrière lui était Simon le cordonnier. Le patriarche ordonna à Simon d'appeler la montagne et il lui dit : "Parle, je parlerai après toi, et, s'il plait à Dieu le Très-Haut, la montagne bougera de sa place et nous serons sauvés." Et le Père Patriarche s'écria en même temps que le cordonnier : "Je t'ordonne, ô montagne bénie, par la vérité de Celui qui t'a établie et qui t'a affermie dans ce lieu, de quitter la place que tu occupes et de venir près de nous sans causer la perte d'aucune créature de Dieu." Et à l'instant la montagne s'ébranla de sa place et s'avança peu à peu vers les assistants. Le calife s'écria : "Arrête-la, ô patriarche, de peur qu'elle ne fasse périr les hommes et ne les anéantisse." Le patriarche ordonna donc à la montagne de s'arrêter au lieu où elle était et elle cessa de bouger. Les témoins oculaires attestent qu'au moment où la montagne remua, il se produisit un grand bruit et un grand tremblement de terre et l'on crut que la résurrection était arrivée ; toutes les femmes enceintes qui étaient à Misr et dans les villages environnants enfantèrent par suite du tremblement de terre, et l'on crut que le ciel tombait sur la terre. Le calife ordonna ensuite au patriarche de retourner chez lui, félicité et honoré par tous. Les chrétiens étaient dans une joie et un bonheur qui ne se peuvent décrire.

     III. Entretien du Calife avec le patriarche 

    Dieu a un Fils

    Ce même soir, le calife envoya chercher le patriarche qui vint à lui au milieu des plus grands honneurs, quand il fut arrivé chez Al-Malek al-Moëz, celui-ci congédia ses esclaves et tous ceux qui étaient présents, il baisa la main du patriarche et embrassa ses pieds sans que le patriarche put l'en empêcher. Ensuite le calife dit au patriarche : "Je reconnais la vérité et j'ai acquis la certitude que la croyance des chrétiens est la vraie. Mais je désire savoir, ô patriarche, quelle est l'ordonnance de votre doctrine, et je voudrais que tu m'expliquasses comment vous attribuez un fils au Dieu Très-Haut. Est ce que Dieu (qu'il soit loué et exalté) a épousé une femme pour avoir d'elle un fils ?" Le patriarche lui répondit : "Cette parole ne convient pas dans la bouche d'un homme intelligent, instruit, plein de cœur et de mérite comme vous l'êtes, et celui qui la prononce blasphème contre Dieu le Très-Haut. Loin de Dieu (magnifique est sa puissance et sublime est sa gloire), qu'il ait un enfant d'une épouse, comme le reste des hommes ! Seulement il a envoyé son Verbe à Marie, fille de Joachim, parfaite en toute pureté, remplie de toute grâce, exempte de tout défaut, sans aucune souillure, le vase de pureté et d'élection. Ce fut Gabriel qui fut envoyé vers elle. A sa vue elle fut saisie de crainte, mais l'ange la rassura et apaisa son trouble et sa frayeur. Il la salua, lui adressa la parole avec douceur et lui révéla le mystère caché, ce mystère dont Paul l'Apôtre dit qu'il est resté caché depuis la création du monde[12]. Et lorsque l'ange lui dit : Salut à toi, ô pleine de grâce, le Seigneur est avec toi[13], au moment où il lui dit : Il est avec toi, quand Marie l'eut entendu et eut donné son contentement, à cet instant même, le Verbe de Dieu s'incarna dans ses entrailles et il passa dans son sein neuf mois comme tous les hommes. Et quand les mois furent passés, elle enfanta comme le lui avait dit l'ange de Dieu, Gabriel : Celui qui naîtra de toi sera saint et sera appelé Fils de Dieu[14]. Après sa naissance, il grandit peu à peu comme tous les hommes et quand il fut parvenu à l'âge de trente ans, il fut baptisé par Jean fils de Zacharie dans le fleuve du Jourdain et il nous légua (dans sa vie) un modèle pour que nous le suivions.

     Nécessité du baptême

    Il dit dans le saint Evangile : Celui qui n'est pas baptisé dans l'eau et l'Esprit[15] ne verra pas le bonheur du royaume. D'après notre doctrine, celui qui n'est pas baptisé de la main du prêtre et meurt inopinément, quand même il serait dans la situation de notre Père Abraham, il ne verra pas la grâce et la sainteté de Dieu.

    "Il aurait beau jeûner comme Jérémie, être parfait comme Abraham, l'ami de Dieu, passer par toutes sortes d'épreuves comme le juste Job ; être parfait comme Élie ; quand même il ferait des miracles comme les saints, et ressusciterait les morts, s'il meurt subitement sans avoir été baptisé de la main du prêtre, il va sans miséricorde en un lieu où il n'y a point de repos et il ne voit point le bienfait de Dieu qui est puissant et glorieux dans l'éternité. Il a dit en effet dans son saint Évangile, lui dont la parole est véridique : Celui qui ne naît pas de l'eau et de l'Esprit, ne verra pas le royaume de Dieu[16]. Et cette parole ne sera jamais en défaut quand même le ciel et la terre cesseraient d'exister ; car notre Sauveur a dit : Le ciel et la terre passeront, mais ma parole ne passera point[17] (3). C'est un point de doctrine certain que le principe de la doctrine chrétienne est le baptême et qu'il est la base de la religion chrétienne en même temps qu'il en est le principe, la lumière, la force, la garantie, l'appui et la vertu. Un enfant d'un jour ou d'une heure qui mourrait sans avoir été baptisé, ne verrait pas le royaume de Dieu, et ses parents commettraient un grand péché en négligeant de le baptiser. Seigneur, est-ce que l'enfant d'un jour a commis le péché, et sait-il distinguer le bien du mal ?" Le calife répondit que non. Le patriarche lui dit alors : "C'est que la parole de Dieu dans l'Évangile d'après laquelle l'enfant (non baptisé) ne verra point le royaume des Cieux est une autorité suffisante d'après la parole déjà citée : Le ciel et la terre passeront, mais ma parole ne pas- sera point. Vous savez donc, Seigneur, que la foi sans le baptême n'a pas de valeur.

     

    L'incarnation du Fils

    Quant à la question que m'a faite votre Seigneurie, comment le Verbe de Dieu, par qui les cieux et la terre ont été créés, a pris un corps dans les entrailles de la Vierge, l'Evangile glorieux dit que le Verbe s'est fait chair, et en même temps, Seigneur, votre Coran rend ce témoignage à la Vierge Marie que Dieu lui inspira de son Esprit et c'est de cet Esprit que vint le Christ qui est la merveille du monde. Vous dites dans votre Coran qu'il a parlé au berceau, et il est rapporté de lui qu'il guérissait les sourds, les muets, les lépreux et les paralytiques, qu'il ressuscitait les morts et qu'il opérait toutes sortes de prodiges. Vous concédez que toute parole est sûre dans la bouche de deux ou trois témoins. Nous avons la même chose écrite dans la Thora et dans l'Evangile. Or votre livre rend au Christ ce témoignage qu'il est l'Esprit de Dieu et son Verbe.

    Les juifs se sont trompés de mille trois cents ans dans leur évaluation et ils l'attendent encore. Quant à nous, Chrétiens, tous nos livres, les anciens comme les nouveaux attestent que c'est lui qui est désigné par les prophéties et que c'est par lui que les cieux et la terre ont été créés. Dieu dit en effet, par la bouche de Moïse, que c'est par le Verbe de Dieu que les cieux et la terre ont été créés et qu'ils ont été fondés par l'esprit de sa bouche. Et Paul l'apôtre dit du Seigneur Christ que Dieu a créé par lui l'univers, et qu'il est la splendeur de sa gloire et son image éternelle."

     Le Père et le Fils, deux dieux ?

    Le calife lui dit alors : "Patriarche, je crois à ta parole depuis que j'ai vu la montagne s'ébranler sur ton ordre et trembler à ton commandement. Je ne doute pas de ta parole ; cependant tu affirmes que le monde a été créé par lui et qu'il est la splendeur de la gloire de Dieu et son image éternelle. Tu établis ainsi une dualité et tu fais entendre qu'il y a deux Dieux."

    Le patriarche reprit : "A Dieu ne plaise qu'il en soit ainsi. Nous disons qu'il n'y a qu'un seul Dieu et un seul Seigneur, Père, Fils et Saint-Esprit, Dieu unique. Le Père est le principe substantiel, le Fils est la Parole éternelle et l'Esprit-Saint procède du Père et du Fils. Ce ne sont pas deux substances ni deux êtres séparés l'un de l'autre, ni divisés, mais une seule substance, un seul Dieu et un seul Seigneur. Seule la personne du Verbe s'est revêtue d'un corps glorieux, a conversé de vive voix avec les hommes, a séjourné parmi eux, a mangé, a bu, a eu faim et soif, a dormi et s'est éveillée, s'est fatiguée et s'est reposée, a souffert et a possédé intégralement l'humanité à l'exception du péché originel. Car il ne provient pas du péché et il ne l'a pas commis, parce qu'il n'est pas venu par la volonté de l'homme ni de la chair, mais il a été engendré par Dieu d'une génération qui surpasse l'intelligence humaine. Tous les philosophes et tous les sages de la Grèce ont été impuissants à pénétrer ce mystère et il surpasse la portée de tous les savants du monde."

    Le Christ, Dieu incognito

    Le calife lui demanda alors : "Patriarche, pourquoi tout cela, puisqu'il possède la puissance de faire ce qu'il veut et qu'il règne dans le lieu de sa magnificence ?"

    Le patriarche lui répondit : "Seigneur, Paul l'Apôtre a dit : Qui a été le conseiller de Dieu et qui a connu la pensée du Seigneur[18] ? De même qu'il est impossible de savoir ce que pense l'homme, il n'y a pas d'ange ni d'homme qui puisse pénétrer la pensée intime de Dieu si ce n'est l'Esprit de Dieu. Qui donc pénétrera le plan divin dans l'Incarnation, la merveille des merveilles, dans la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ de la Vierge demeurée vierge après l'enfantement sans que sa virginité eût à souffrir. On dit chez vous du Seigneur Christ qu'il est la merveille du monde. Je citerai à mon Seigneur une comparaison qui pénétrera dans son intelligence : Les califes, les rois, les Chosroès[19], les souverains, les Césars, les pharaons, lorsqu'ils ne voulaient pas être connus comme rois mais passer pour de simples particuliers, se travestissaient sous des habits de marchands ou d'autres professions, et ils allaient sans être connus au milieu de leurs ulémas ; ils parcouraient les marchés, et se promenaient parmi les vendeurs et les acheteurs, faisant avec eux des échanges. Ils entendaient parfois des injures et des paroles outrageantes à leur égard, mais ils n'y prenaient pas garde et faisaient comme s'ils n'entendaient pas. Ils retournaient ensuite à leur situation première, à leurs affaires et à leurs plaisirs, et ils ne se rappelaient plus ce qui s'était passé. De même Notre-Seigneur (gloire à Lui !) s'est mêlé aux hommes, a opéré les mêmes actions à l'exception du péché ; et à partir du moment où il revêtit un corps humain, il eut à entendre et à endurer de la part de l'infidèle peuple juif des choses que ne méritait pas sa bonté. Parfois ils en font seulement le fils de Joseph le charpentier[20]. ou bien ils prétendent qu'il chasse les démons par Bâalzaboul (Béelzébub). chef des démons[21], ou encore ils lui disent en face qu'il est un possédé[22]. Quand il les instruisait et leur reprochait leurs mauvaises actions, ils prirent des pierres pour le lapider, mais il se cacha à leurs yeux et ne revint pas. Ils avaient pourtant en ce jour été témoins de miracles, de preuves et de prodiges de nature à frapper l'intelligence : il avait ouvert les yeux de l'aveugle-né qui était en même temps paralytique. Notre-Seigneur avait craché à terre, et prenant de cette boue, il en avait oint les yeux de l'aveugle[23] et avait ainsi perfectionné son corps pour montrer que l'homme avait été créé de boue, et pour prouver que celui qui perfectionnait le corps de l'aveugle sans peine et sans fatigue, était le même qui avait créé Adam de terre sans aucune fatigue : il ordonna et il fut. Nous disons de lui qu'il était hier, qu'il est aujourd'hui et qu'il sera dans l'éternité. Sache, ô seigneur, que toute chose revient à son principe et retourne à son élément. Ainsi Notre-Seigneur (gloire à Lui !) est venu de Dieu et retourne à lui ; il est lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu. Il était de Dieu et il est retourné à Dieu après avoir réparé l'état du genre humain qui était plongé dans l'infidélité et la corruption. Lorsqu'il fut remonté au ciel, il envoya les Apôtres qu'il avait choisis et leur ordonna d'aller dans tout l'univers. Il leur donna le pouvoir et la puissance de guérir les malades, de chasser les démons, d'ouvrir les yeux des aveugles et de ressusciter les morts. Il souffla sur eux et leur dit : Recevez le Saint- Esprit[24] ; et, à partir de ce jour, ils parlèrent les langues étrangères et annoncèrent les événements avant qu'ils fussent arrivés. Ils dévoilèrent aux hommes les événements futurs ; ils parlèrent toutes les langues répandues dans le monde. Ils travaillèrent avec le plus grand zèle ; ils nettoyèrent le monde de l'ivraie et ramenèrent tout l'univers à la connaissance de la vérité.

     Supériorité du christianisme sur l'islam.

    L'univers entier, Sire, est composé de vingt-quatre parties dont vingt-trois sont chrétiennes, tandis que l'Islam ne possède qu'une partie. Votre Majesté sait que cette vingt-quatrième partie n'est venue à l'Islam que par l'épée et Dieu est témoin que la plupart des musulmans pensent autrement qu'ils ne paraissent, parce qu'ils craignent l'épée, et bon nombre d'entre eux vont en secret à l'église et en public à la mosquée où ils prient à contre-cœur. Quand ils sont malades, ils reviennent au Seigneur Christ dont l'image est présente à leur esprit à cause de l'intensité de leur foi. Aucun ne va chez vous de son propre mouvement, mais ils y sont entraînés contre leur gré. Vous tentez les hommes par les richesses et les présents, par les habits précieux et les dons magnifiques, par les vanités flatteuses de ce monde qui exercent sur tous les hommes une attraction. Par ces faveurs vous en attirez un certain nombre ; d'autres viennent à vous par crainte du châtiment qui les menace. Il n'est pas nécessaire que je multiplie les paroles, que je donne de longues explications, ni que je m'étende à faire l'éloge de notre religion, et à démontrer son excellence et sa supériorité sur toutes les autres doctrines. Votre Majesté a vu hier le prodige accompli par la puissance de notre religion en témoignage de sa dignité et de sa gloire. Soyez persuadé que les idées de la plupart des assistants ont été modifiées et qu'ils ont été ébranlés ; leur croyance n'est plus aussi forte depuis qu'ils ont vu tous leurs cheikhs et leurs ulémas impuissants à remuer la montagne. Ils n'étaient donc pas appelés [par Dieu], puisqu'il n'a pas exaucé leur demande. Et nous, pauvres que nous sommes, nous avons imploré Notre-Seigneur Jésus-Christ et nous lui avons demandé de ne pas nous rendre l'opprobre et la risée du monde et de ne pas repousser notre prière. Aussi lorsque nous avons adjuré la montagne, elle s'est ébranlée avec toutes les montagnes adjacentes, et si nous n'avions pas demandé à Dieu de l'arrêter et de la fixer, toute la terre aurait été ruinée. Ce que Votre Majesté a vu provient de l'excellence de notre religion et prouve sa vérité. Et si Votre Majesté veut être sauvée et venir à nous, elle le fera de son plein gré, et il n'y aura point en elle un cœur double. Si elle agit ainsi, elle sera témoin dans notre religion de choses plus grandes que celles que je lui ai montrées de sorte que tu croiras n'avoir rien vu ni rien entendu jusqu'alors. Je vous les ferai connaître bientôt."

     Conversion du Calife et ses promesses

    Al-Malek Al-Moez demanda alors au patriarche : "Notre Père le Patriarche, je te demande de m'accorder un délai jusqu'à demain, et, si telle est la volonté du Dieu Très-Haut, je ferai sans tarder ce qui est en moi, car le retard est sujet à trop d'accidents. Tout ce que vous voudrez, ô notre Père le Patriarche, je le ferai, et ce sera pour moi une règle éternelle."

    Le Patriarche lui dit alors : "Tu as, Sire, augmenté considérablement, pour les chrétiens, l'impôt de la capitation: tu as pris contre eux des mesures préjudiciables, plus dures que les conditions ordinaires, et tu as causé leur perte. Maintenant que Dieu a enlevé de dessus ton cœur le voile de l'ignorance et qu'il a illuminé ton âme et ta pensée, et que tu as passé à des dispositions nouvelles, fais cesser l'oppression que tu leur as imposée, car Notre-Seigneur a dit dans son saint Évangile : "Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles[25]." Sache donc que Dieu n'abandonne pas cette humble communauté. Il lui suscite en tout temps des pasteurs, il en prend soin et il est pour elle plein de bonté et de miséricorde."

     Le calife lui dit : "Demande-moi encore autre chose et je le ferai. Ce que tu viens d'indiquer est chose facile et de peu d'importance." Le patriarche répondit : "Je te demande en outre de t'occuper sans retard du salut de ton âme."

    Le calife lui dit alors : "Baptise-moi cette nuit même de ta main bénie.

    — Il n'est pas possible, lui répondit le patriarche, de te baptiser ici, mais cela doit avoir lieu dans la sainte église. Sache bien, Sire, que tant que tu resteras parmi les musulmans tu agiras comme eux. Tu n'empêcheras pas l'accès auprès de ta personne aux cheikhs, aux cadis et à toutes sortes d'ulémas musulmans qui fortifieront ta croyance dans la religion musulmane, et t'inculqueront cette idée que les chrétiens sont des impies et des magiciens et te persuaderont que la magie a un grand pouvoir, et que, par ce pouvoir, ils remuent les montagnes et nous font voir quelqu'un qui ébranle la terre en frappant sur un morceau d'étoffe et en invoquant l'architecte de la terre ; qu'ils font semblant aussi d'évoquer les esprits, de les attirer et de les faire descendre de l'air, et qu'ils font de nous des magiciens, des enchanteurs et des astrologues, et ils ne négligeront rien de ce que l'ennemi peut dire quand il s'agit de son ennemi. Je prends les devants et je te préviens que, tant que tu ne seras pas baptisé, tu inclineras facilement vers leurs discours et une forte attraction t'entraînera de leur côté. Hâte donc la question de ton baptême. Je t'avertis que l'ennemi du bien, c'est-à-dire Satan qui cherche à semer l'ivraie parmi tous les hommes, représente à tes yeux la grandeur de ton empire, et exagère l'abandon du trône que tu occupes. Il te tente et te dit : Comment abandonneras-tu ta situation et le rang suprême, ta grandeur et ton empire ? Il te dépeint sous des couleurs attrayantes les enfants, les femmes, les concubines, les villas, les palais et les richesses, et il te représente les difficultés qu'il y aurait à abandonner ta situation actuelle. Voilà ce dont je t'avertis. Je te fais savoir en outre, Sire, que si tu abandonnes ces biens périssables, tu recevras cent pour un. Ne dis pas : Comment abandonnerai-je ce que voit mon œil pour rechercher ce qu'il ne voit pas ? Sachez que celui qui est le plus proche de toi est celui qui a adapté paupière à paupière et tous ces biens passagers que tu laisses, le Seigneur te les conservera en lieu sûr et il te rendra plus que tu ne désires. Tu contempleras un bonheur, un royaume et des biens que l'oreille n'a point entendus, que le Cœur de l'homme n'a point soupçonnés et que son œil n'a point vus[26]."

    Le calife s'apercevant que l'aube commençait à poindre, dit au patriarche : "Mon Père, que cette nuit m'a semblé courte en ta société !" Puis il lui répéta ce qu'il lui avait déjà promis : "Mon Père le Patriarche, dis-moi ce que tu veux que je fasse pour toi avant que je renonce à l'empire." Le Patriarche lui dit : "Puisqu'il en est ainsi, je dois te demander, Sire, de faire reconstruire l'église du grand Martyr Mar Qourius (Mercurius). Cette église avait été construite primitivement, puis elle fut détruite."

    Il y avait près de cette église un fort dans l'enceinte du Khan du Roseau. Le calife fit construire une grande église sur l'emplacement de l'ancienne église et du fort. Il fit reconstruire également l'église d'Al-Muallaka à Misr, dans le quartier de Qasr al-Djamaa, dont les murs étaient en grande partie détruits. Le patriarche demanda de la réparer, et à l'instant le calife fit dresser pour lui un acte l'y autorisant et il lui donna, sur le trésor public, une somme considérable pour être employée à cette restauration. Le patriarche prit l'acte et lui exprima le vœu que Dieu le confirmât dans la foi. Puis il prit congé et se retira plein de joie.

     Mise en oeuvre des travaux

    Il se rendit à l'église du grand martyr Mercurius et lut publiquement l'acte d'autorisation. Les marchands du quartier et la populace s'assemblèrent alors et lui dirent : "Si nous passions tous les chrétiens au fil de l'épée, nous empêcherions qu'il n'y en eût un seul capable de mettre une pierre sur une pierre dans cette église." Le patriarche retourna chez le calife et le mit au courant de ce qui se passait.

    Il entra dans une violente colère et partit aussitôt a cheval avec ses soldats. Il se rendit sur les lieux et donna l'ordre de creuser les fondations, ce qui fut fait rapidement. Il réunit un grand nombre de maçons et fit apporter des pierres de tous côtés et l'on se mit aussitôt à la construction de l'église.

    Personne n'osa dire un mot à l'exception d'un cheikh qui priait avec les marchands à la mosquée voisine. C'était celui qui avait ameuté les foules et leur avait recommandé d'empêcher le patriarche de construire l'église. Il vint et se jeta dans les fondations en disant : "Je veux mourir aujourd'hui plutôt que de permettre à qui que ce soit de bâtir cette église." Le calife, apprenant cela, ordonna de jeter des pierres sur lui et de bâtir sur son corps. Voyant qu'on jetait sur lui du plâtre et des pierres, il voulut se relever, mais les ouvriers ne le lui permirent pas, car Al-Malek Al-Moëz avait ordonné de l'ensevelir dans les fondations puisqu'il s'y était jeté.

     Le patriarche s'en aperçut, descendit de son siège (?) et se jeta aux pieds du calife en lui demandant la grâce du cheikh. Il le fit retirer des fondations au moment où il désespérait d'en sortir sain et sauf, ayant vu la mort de si près.

    Le calife retourna à son palais et personne n'osa plus dire un mot jusqu'à ce que l'église fût restaurée. Il fit de même réparer les parties endommagées de l'église de Notre- Dame d'Al-Muallaka, et il fit restaurer toutes les églises qui en avaient besoin sans que personne y fit la moindre opposition. Il reconstruisit également toutes les églises d'Alexandrie et il dépensa dans ce but des sommes considérables.

     Le vizir Qazmân

    Quant au vizir Yakoub Ibn Khalis dont il a été question précédemment, il usa de son influence auprès du souverain pour perdre un homme nommé Qazmân Ibn Mina (Côme fils de Mennas) et le calife irrité voulait le mettre à mort. Mais le Seigneur le sauva en faisant connaître au calife son innocence et l'imposture du vizir. Le calife mit à mort le vizir et établit Qazmân à sa place après l'avoir comblé de faveurs, d'honneurs et de dignités. Ce Qazmân, le fils béni de Mennas, prit sur ses biens quatre-vingt-dix mille dinars et les confia à saint Anbà Abrâm, puis il partit pour un lieu éloigné, après avoir fait au patriarche la recommandation suivante : "Si je meurs, emploie cette somme pour les églises, les monastères, les pauvres et les indigents." Son absence s'étant prolongée longtemps sans qu'il revînt, le saint patriarche employa la somme comme il le lui avait recommandé. Quelque temps après, le béni Qazmân, fils de Mennas, revint et réclama l'argent au seigneur Patriarche. Celui-ci lui apprit l'usage qu'il en avait fait. Qazmân s'en réjouit grandement et remercia Anbà Abrâm de l'emploi excellent qu'il en avait fait.

     Baptême du calife

    Le calife, de son côté, voyant saint Anbà Abràm occupé à la restauration des églises, sortit en cachette par une porte secrète de la citadelle et se rendit dans un couvent où il reçut le baptême. Ensuite il se fit moine et s'adonna à des austérités qui dépassent l'imagination. Sa retraite passa en proverbe chez les habitants de Misr et des provinces et quand quelqu'un faisait des vœux pour son enfant, il lui disait : "S'il plaît à Dieu, tu sortiras de chez moi comme s'est retiré le calife."

     

    La montagne fut appelée, par les Égyptiens, la Montagne coupée ou encore la Montagne taillée parce que son sommet, qui auparavant était uni, se trouva désormais partagé en trois pointes qui se suivaient à une distance de vingt coudées l'une de l'autre. Ce fut un prodige, digne de la plus grande admiration, qui eut lieu sous le pontificat du grand saint Anbà Abrâm le Syrien. Il siégea sur le trône patriarcal pendant trois ans et six mois. Enfin le Seigneur voulut qu'il se reposât. Il y avait un homme nommé Babis-Sourour al-Kabir. C'était un personnage puissant qui avait un grand nombre de concubines. Le patriarche lui ordonna de les renvoyer, mais il n'en fit rien ; le saint prononça alors l'anathème contre lui et l'excommunia. Mais cet homme, qui ne craignait pas Dieu et n'avait pas d'égards pour les hommes, usa de perfidie et lui fit boire un poison violent qui le fit mourir. Ce Père saint alla ainsi au bonheur éternel, tandis que l'impie alla à l'enfer éternel et au ver qui ne meurt point, là où il y a des grincements de dents.

    Ce grand saint ressemblait à notre Père Abraham l'Ancien par ses œuvres agréables à Dieu. Il fut mis au nombre des Justes dans le royaume des cieux que Dieu a préparé pour ses saints et ses élus. Nous le prions de nous pardonner nos péchés, d'être indulgent pour nos fautes et nos chutes, d'effacer nos iniquités et de nous accorder la grâce d'accomplir de bonnes œuvres avant le terme de cette vie ; d'éloigner de nous les tentations du démon, les maladies du corps et les épreuves temporelles. Qu'il nous fasse entendre cette parole d'allégresse : Venez, les bénis de mon Père, prenez possession du royaume qui vous a été préparé avant la création du monde[27], que l'œil ne voit point, que l'oreille n'entend point, que le cœur humain ne conçoit point[28], par l'intercession de Notre-Dame la Vierge pure, des Anges, des Pères et des Prophètes, des Apôtres, des saints Martyrs et de tous ceux qui ont plu à Dieu par de bonnes actions et lui seront agréables à l'avenir. Amen. Amen.

     

    Fin de l'histoire du transfert de la montagne par Anba Ibrahim le Syrien.

    Le jour béni où elle fut terminée fut le troisième de Qânoun al-Aoual de l'année grecque.

    Elle a pour auteur le plus chétif des serviteurs de Dieu, le nommé Qouriaqons (Cyriacus), moine et prêtre du pays de Diarbékir dans la province de Mardin la bien gardée, de Ouàstira, la bénie, la victorieuse.

    Que Dieu, le Très-Haut,

    fasse miséricorde à quiconque sera miséricordieux

    pour l'écrivain, pour le lecteur et pour leurs parents.

    Amen. Amen. Amen.

      

     

     


    [1] 2). Al-Moëz-le-Din-Illah (donnant force à la religion do Dieu), premier Khalife fatimide d'Egypte et fondateur du Caire, régna sur ce pays de 969 à 975. Zotenberg place la consécration d'Abraham en 693 des martyrs (977 de J.-C), sous le règne do Moëz (Mou'izz)..

    [2] Ordinairement appelé Kasr ach-Cham'a, la forteresse du flambeau.

    [3] Is., I, 3.

    [4] Math., XVII, 20. — Luc, XVII, 6

    [5] Masr el-'Atika (le vieux Caire) est la même ville que Fostat fondée par Amrou sur l'emplacement de l'ancienne Babylone d'Egypte. Elle a été supplantée par le Caire actuel.

    [6] L'orthographe ordinaire est Ouadi Habib. On l'appelait encore la vallée du Natron ou d'Al-Askit, ou désert de Nitrie ou de Scété. Ce fut un centre de vie religieuse intense. Saint Macaire, disciple de saint Antoine, qui s'y établit le premier, y attira de nombreux disciples. Cent monastères s'échelonnaient dans cette vallée aride, entrecoupée de marais salins alternant avec des rochers abrupts. D'après Makrizi, soixante-dix mille moines auraient habité les couvents de cette vallée célèbre, à l'époque de la conquête de l'Egypte par les Musulmans.

    [7]L'église d'Al-Mu'allaqa (la suspendue), ainsi appelée parce qu'elle était supportée par des arcades, se trouvait au vieux Caire dans le quartier de Kasr ach-Chama'. C'était l'Église patriarcale et elle était dédiée à la sainte Vierge.

    [8]Misr ou Masr al-Qahira (l'Egypte la Victorieuse) est la ville actuelle du Caire. Elle fut fondée en 972 par El-Moëz le-Din-Illah au nord-est de Fostât. Cette dernière ville s'appela dans la suite Misr ou Masr el-'Atika (le vieux Caire).

    [9]Ps. cxxxi, 4, 5

    [10]Matth.. V. 29 ; XVIII. 9 ; Marc, IX. 46

    [11]L'appel à la prière.

    [12]Colossiens I. 26

    [13]Luc I. 28

    [14]Luc I. 35

    [15]Jean III. 5

    [16]Jean, III. 5.

    [17]Matth. XXIV. 35 ; Marc, XIII, 13

    [18]Rom., XI, 34 ; I Cor., II, 16. Cf. Sap., IX, 13 ; Is., XL, 13

    [19] Nom de plusieurs empereurs de la dynastie Sassanide perse.

    [20]Matth., XIII. 55 ; Marc, VI. 3 ; Jean, VI. 42

    [21]Matth., XII. 24 ; Marc, III. 22 ; Luc, XI. 15.

    [22]Jean, VII. 20

    [23]Jean, IX. 6, 11, 14.

    [24]Jean XX. 22

    [25] Matth., XXVIII. 20

    [26] I Cor. II. 9

    [27] Matth., XXV. 34

    [28] I Cor. II. 9.


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  • Les onze sources de l'islam,

    d'après une brève notice dans deux manuscrits syriaques.

     

    I. Présentation

    On trouve, dans deux manuscrits syriaques[1] du "Candélabre du Sanctuaire" de Bar Hebraeus, parmi d'autres textes placés en pêle-mêle en appendice, une curieuse notice d'origine jacobite concernant les sources de l'islam.

    Cette notice tardive, toute anachronique et artificielle qu'elle apparaisse par certains aspects, n'en est pas moins fort intéressante dans sa concision, c'est pourquoi j'en donne la traduction, avec le minimum d'explication nécessaire. Pour les curieux qui voudraient en savoir plus, l'étude de Yonatan Moss[2] "A religion assembled from many religions" est accessible sur Academia.

     

    II. Traduction et note

     

    Extrait du commentaire de St Cyrille[3] sur Isaïe, à propos de la religion des musulmans.

    La religion des fils d'Hagar est un assemblage de nombreuses religions.

    Premièrement, elle tient des chrétiens leur façon d'appeler le Christ "Parole de Dieu"[4].

    Et des Juifs la circoncision.[5]

    Et des païens, les sacrifices (d'animaux)[6].

    Et  des Chaldéens, la fatalité et le destin[7].

    Et des Egyptiens, la magie[8].

    Et de le secte pharisienne, la résurrection[9].

    Et des saducéens, le mariage après la résurrection.[10]

    Et, de l'opinion de Sabellius, leur confession de l'unicité de Dieu.[11]

    Et de l'opinion d'Arius, leur confession de Dieu en tant que créature[12].

    Et de Julien le Phantasiaste[13], leur affirmation que le Christ ne mourut pas[14].

    Et des Samaritains, leurs ablutions rituelles[15].

    C'en est assez.

     

    Notes


    [1] Manuscrits Berlin Syr. 190 ( = Sachau 81) et Yale Syr. 7.

    [2] MOSS Yonatan : "A religion assembled from many religions:' A syncretizing characterization of Islam attributed to Cyril of Alexandria," in Henoch 39 (2017), 287-305.

    [3] Attendu que le seul "Commentaire sur Isaïe" connu attribué à un St Cyrille est celui de St Cyrille d'Alexandrie, cela pose un problème certain : St Cyrille est mort en 444, soit 126 ans avant la date estimée de la naissance de Mahomet. St Cyrille n'est donc qu'un prête-nom aisé et prestigieux pour une note anonyme, à moins que notre copiste n'ait réellement trouvé cette "analyse" dans une traduction syriaque du Commentaire, ajouté par quelque copiste antérieur. En tout état de cause, Cyrille est, d'un point de vue Jacobite, la référence ultime comme lien avec l'Eglise indivise, c'est à dire avant les "crises" nestoriennes et chalcédoniennes.

    [4] Voir Coran 3.39, 45 et Coran 4.171. Bien sûr, l'islam ne comprend pas cette affirmation de la même manière que les chrétiens (cf Jn 1.1-14).

    [5] Il faut chercher l'imposition de la circoncision qui s'est globalement généralisé dans l'islam non pas dans le Coran, mais dans la tradition. cf http://www.droitaucorps.com/circoncision-musulmans-islam-pourquoi . Notons que le judaïsme sera de nouveau convoqué plus loin.

    [6] Alors que les sacrifices rituels ont disparu du judaïsme avec la destruction du Temple de Jérusalem en 70, et n'ont jamais été pratiqués dans le christianisme, ils reprennent vie dans l'islam notamment lors de l'Aïd al-Adha.

    [7] Un des grand débats entre chrétiens et musulmans a longtemps porté sur le Libre-Arbitre, généralement nié dans l'islam au nom d'un "destin" implacable, décidé par Dieu quels que soient nos actes et volontés.

    [8] Sur ce sujet, voir COULON, Jean-Charles : "La magie arabe : une affaire de grimoires ? " http://www.lhistoire.fr/la-magie-arabe-une-affaire-de-grimoires

    [9] Cette affirmation est un écho de la plaidoirie pro-domo de St Paul devant Festus, où, après s'être défini comme Pharisien, explique que c'est à cause de sa croyance en la résurrection qu'il est persécuté. (Actes 26. 2-9). On sait, par ailleurs, que les Saducéens ne croyaient pas en la résurrection (Mt 22.23)

    [10] Il y a là un étonnant contresens, puisque cette assertion s'appuie sur un passage de l'Evangile (Mt 22.23-33) dans lequel il est précisé que c'est par ironie que les saducéens – "qui ne croient pas à la résurrection" – posent la question du devenir marital "après la résurrection" d'une femme qui a été l'épouse successive de sept frères. Néanmoins, cette assertion, sous le calame de notre auteur syriaque, vise les "70 vierges" censées accueillir les "martyrs" de l'islam.

    [11] L'unicité de Dieu, telle qu'elle est vue par l'islam, n'a que peu à voir avec la doctrine de Sabellius. Toutefois, l'un et l'autre – par des approches différentes – affirment l'unicité de Dieu en niant la Trinité.

    [12] En l'occurrence, c'est le refus de reconnaître la divinité du Christ, pierre de touche de la théologie d'Arius, qui est visé ici.

    [13] Sur Julien d'Alicarnasse et sa doctrine, voir Chronique de Michel le Syrien, Livre 9, chap 27 (Trad Chabot, tome 2, p 224) http://archive.org/stream/MichelLeSyrien2/michael_the_syrian2#page/n228/mode/1up .

    [14] Cette affirmation repose, dans l'islam, sur un passage obscur du Coran : "Or, ils ne l'ont ni tué ni crucifié ; mais ce n'était qu'un faux semblant ! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont vraiment dans l'incertitude : ils n'en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures et ils ne l'ont certainement pas tué Mais Allah l'a élevé vers lui, et Allah est puissant et sage"» (Sourate 4, 157-158) Que ce soit chez Julien ou dans le Coran, il est donc question (si l'on peut me pardonner ce jeu de mot) d'une "cruci-fiction" et non de la crucifixion du Sauveur".

    [15] Notre auteur aurait tout aussi bien pu faire dériver les ablutions rituelles de l'islam du judaïsme, qu'il a déjà sollicité par trois fois. Le renvoi aux Samaritains permet d'ajouter une origine supplémentaire au conglomérat que constitue l'islam.

     


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  • En attendant de trouver une traduction complète du Martyr de St Pierre de Capitolias, je place ici ce que l'abbé Fleury en dit[1] (sous le nom de "Pierre de Majume", c'est à dire, Pierre de Maiouma), et que l'on trouve réimprimé à l'identique en d'autres ouvrages :

     Vers l'an 743, le calife Walid II, neveu et successeur de Hescham, fit couper la langue à Pierre, métropolitain de Damas, parce qu'il réfutait ouvertement l'impiété des Arabes et des Manichéens. Il l'envoya en exil dans l'Arabie, où il mourut.

     Pierre de Majume s'attira aussi le martyre dans le même temps. Etant malade, il appela les magistrats des Arabes, qui étaient de ses amis, car il avait la recette des impôts, et leur dit : "Je prie Dieu de vous récompenser de la visite que vous me faites; mais je veux que vous soyez témoins de mon testament que voici. Quiconque ne croit pas au Père, au Fils, au Saint-Esprit et à la Trinité consubstantielle, est aveugle de l'âme et digne du supplice éternel, comme Mahomet, votre faux-prophète, précurseur de l'antéchrist. Renoncez donc à ces fables, je vous en conjure aujourd'hui, et j'en prends à témoin le ciel et la terre."

    Il leur dit plusieurs autres choses sur ce sujet, et, bien qu'ils en fussent irrités, ils résolurent de prendre patience, le regardant comme un malade en délire. Mais quand il fut guéri, il commença à crier plus haut : "Anathème à Mahomet et à son livre fabuleux, et à tous ceux qui y croient !"

    Alors on lui coupa la tête.

    Saint Jean Damascène fit son éloge[2].

    *   *

    Sur l'identité entre Pierre de Maiouma et Pierre de Capitolias, voir Paul Peeters. — La passion de S. Pierre de Capitolias [compte-rendu].

    *   *

    Peter of Capitolias : A priest of Capitolias, a city of the Decapolis in the Transjordan. He was cruelly executed there for his stubborn refusal to refrain from violent invective against Islam, by order of the caliph al-Wahid on 13 January 96/715. Traduction anglaise partielle dans : "Three Christian Martyrdoms from Early Islamic Palestine: Passion of Peter of Capitolias, Passion of the Twenty Martyrs of Mar Saba, Passion of Romanos the Neo-Martyr" par S. J. Shoemaker.

      

    Notes :


    [1] Histoire Ecclésiastique, tome IX, 1720, p 295

    [2] Selon Théophane le Confesseur. Mais comme le note l'abbé Goujet (Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques, tome 2, 1736, p 600) "Ce discours ne s'est trouvé nulle part", affirmation qui reste vraie, sauf à considérer comme authentique le martyr de St Pierre dont le texte est conservé en Géorgien, et que le titre attribue à St Jean de Damas. Voir "Peter of Capitolias", traduction partielle par Shoemaker.


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  • Présentation de l'islam dans la Chronique de Nestor

    Traduite par Louis Léger, 1884

     La chronique dite de Nestor renferme l'histoire de la Russie et des pays voisins depuis la seconde moitié du IXe siècle jusqu'aux premières années du XIIe.

    Le chapitre 40 évoque les visites que le Prince Vladimir, alors païen, reçut de bulgares musulmans, d'allemands catholiques, de juifs khazars, et d'un sage grec orthodoxe, venus chacun lui vanter sa religion. Je reproduits ici la présentation que firent les députés bulgares, selon la Chronique.

    Chap 40.

    .../...

    Année 6494[1]. Il vint des Bulgares de la foi mahométane disant: « Prince, tu es sage et prudent et tu n'as point de religion. Prends notre religion et rends hommage à Mahomet. »

    Et Vladimir dit: « Quelle est votre foi? »

    Ils dirent: « Nous croyons en Dieu, et Mahomet nous apprend à circoncire les membres honteux, à ne point manger de porc, à ne point boire de vin et à faire débauche après la mort avec des femmes. Mahomet donne à chaque homme soixante-dix belles femmes: il en choisit une belle; il rassemble sur elle la beauté de toutes les autres et elle devient sa femme. Et là on peut, dit-il, se livrer à toute espèce de débauche. Celui qui est pauvre en ce monde le sera dans l'autre.»

     

     Accès au texte sur le site de Remacle


    [1] 6494 depuis la Création du Monde, soit l'an 984.


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