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Réfutation du Mahométisme par Hugo Grotius

Réfutation du Mahométisme

par

Hugo Grotius

 

Extraite du

Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne

De veritate religionis Christianae, 1627

Par Hugo de Groot dit "Hugo Grotius"

Traduction française par P. Le Jeune

1728

Texte récupéré

du site  Projet Gutemberg

http://www.gutenberg.org/files/15739/15739-h/15739-h.htm

 

Table de la Réfutation :

I. Origine du Mahometisme.

II. Contre la soumission aveugle, qui est le fondement du Mahometisme.

III. 1. Preuve contre les Mohometans, tirée de l'Écriture Sainte dont ils avouent en partie la divinité.

IV. Que l'Écriture n'a pas été corrompue.

V. 2. Preuve tirée de la comparaison de la Religion Chrétienne & de la Mahometane, & 1. de la comparaison de Jesus-Christ avec Mahomet.

VI. 2. De la comparaison des actions de l'un & de l'autre.

VII. 3. De la comparaison de ceux qui ont les premiers embrassé le Christianisme & le Mahometisme.

VIII. 4. De la comparaison des moyens par lesquels ces deux Religions se sont établies.

IX. 5. De la comparaison de la Morale Chrétienne avec celle de Mahomet.

X. Reponse à l'Objection que les Mahometans tirent de la qualité de Fils de Dieu, que nous donnons à Jesus-Christ.

XI. Que les Livres des Mahometans sont pleins d'absurditez.

XII. Application de tout l'Ouvrage, adressée aux Chrétiens.

XIII. Usage du I. Livre, pour la Pratique.

Usage du II. Livre.

Usage du III. Livre.

Usage du IV. Livre.

Usage du V. Livre.

Usage du VI. Livre.

 

 

 

LIVRE SIXIÈME

Réfutation du Mahométisme

I.

Origine du Mahométisme.

Je destine ce sixième Livre à réfuter le Mahométisme. Avant la naissance de cette fausse Religion, Dieu avoit déployé sur l'Eglise Chrétienne de très-sévéres jugemens, qu'elle n'avoit que trop méritez. Cette piété solide et pure, qui avoit fleuri parmi les Chrétiens dans les cruelles persécutions, dont ils avoient été l'objet, s'étoit peu à peu altérée, depuis que la conversion de Constantin, et la profession que les Empereurs suivans firent du Christianisme, eurent fait succéder le calme au trouble, ataché de l'honneur et de la gloire à nôtre Religion, et confondu le Monde avec l'Eglise, en y introduisant la pompe et les maximes mondaines. On vit alors les Princes Chrétiens se consumer les uns les autres par des Guerres continuelles, qu'ils auroient souvent pu terminer par une heureuse Paix. Alors les Évêques commencérent à se disputer le rang avec une chaleur indigne de leur caractére. Alors il arriva ce qui étoit arrivé au premier homme. Il avoit préféré l'arbre de Science à l'arbre de Vie, et atiré par là sur lui et sur ses Descendans une infinité de maux. De même l'Eglise, dans ce période dont nous parlons, prit plus de goût à une Science curieuse et téméraire, qu'à la véritable piété, et fit de la Religion un Art méthodique et une matiére à raisonnement. Cette dépravation de goût eut bien tôt de fâcheuses suites. Dieu avoit autrefois confondu l'orgueil de ceux qui bâtissoient la Tour de Babel en confondant leur Langage. On vit alors quelque chose de semblable dans l'Eglise. Cette afectation hardie de connoître à fond les plus sublimes Mystéres de la Religion, mit de la diversité dans les expressions des Docteurs, et par cela même, des sentimens de désunion dans leur coeur. La vue de ces malheurs naissans jetta le Peuple dans le doute et dans l'incertitude sur les objets de sa Foi ; et une fausse préocupation pour ses Maîtres le retenant dans le respect, il aima mieux chercher la cause de ces nouveaux troubles dans l'Ecriture même, que dans la témérité de ces Esprits inquiets et curieux.

 

Il s'acoutuma donc à regarder la Parole de Dieu comme une chose qui cachoit un poison dangereux, et contre laquelle il faloit se tenir sur ses gardes. Ce mal fut suivi d'un autre. Comme si l'on eût voulu rapeller le Judaïsme, on commença à faire consister la Religion, non dans la pureté de l'ame, mais dans des Cérémonies. On l'apliqua à certaines choses plus propres à exercer le corps, qu'à corriger le coeur. On vint à élever le zéle de Parti, et l'atachement à certaines opinions, au dessus de toutes les autres vertus : ainsi le Christianisme intérieur et véritable devint aussi rare, que l'extérieur et l'aparent étoit ordinaire.

Dieu ne put voir cette corruption sans témoigner par ses châtimens combien elle lui étoit odieuse. Du fond de la Scythie et de l'Allemagne il tira des Armées innombrables, dont il couvrit le Monde Chrétien. Mais voyant que les ravages éfroyables que firent ces Armées, et les sanglantes victoires qu'elles remportérent sur les Chrétiens, n'étoient d'aucune éficace pour l'amendement de ceux qui échapérent à ces terribles Ennemis : il permit dans sa juste colére, qu'il s'élevât dans l'Arabie un faux Prophéte, le fameux Mahomet, et qu'il formât une nouvelle Religion, directement contraire à la Religion Chrétienne, mais assez conforme à la vie de la plûpart des Chrétiens de ce tems là. Les premiers qui embrassérent cette nouvelle Doctrine, furent les Sarrazins, qui s'étoient revoltez contre l'Empereur Héraclius. Ces Peuples subjuguérent en fort peu de tems l'Arabie, la Syrie, la Palestine, l'Égypte, et la Perse. L'Afrique et l'Espagne eurent aussi le même sort. Quelques siécles s'étant écoulez, les Turcs, Peuples très-belliqueux, vinrent enlever aux Sarrazins une bonne partie de ce qu'ils avoient conquis ; et après plusieurs combats, ils acceptérent l'ofre que ceux-ci leur firent d'entrer par une Alliance dans les mêmes intérêts.

 

Ils se laissérent ensuite aisément persuader de recevoir la Religion de leurs nouveaux Alliez : Religion commode, et qui flatoit par ses maximes la licence de leurs moeurs. Peu à peu ils devinrent les maîtres, et jettérent les fondemens d'un puissant Empire, qui ayant commencé par la prise des Villes de l'Asie, et continué par la conquête de la Grèce, s'est étendu par ses victoires jusqu'à la Hongrie, et jusqu'aux frontiéres de l'Allemagne.

 

II.

Contre la soumission aveugle, qui est le fondement du Mahométisme.

Cette Religion a en général 2 caractéres, l'un d'inspirer la cruauté, et de porter ses Sectateurs à répandre du sang ; l'autre, d'exiger une soumission aveugle, de défendre l'examen de ses Dogmes, et d'interdire au Peuple, par une suite naturelle de ce principe, la lecture des Livres qu'elle leur fait recevoir comme sacrez. Dès là, il est aisé de voir l'injustice et le peu de droiture de son Auteur, et l'on ne peut qu'on ne le tienne pour suspect. Cette conduite, en éfet, ressemble assez à celle d'un Marchand qui ne voudroit vendre ce dont il trafique, qu'à condition qu'on l'achetât sans le voir et sans l'examiner. Il est vrai qu'en matiére de Religion, tout le monde n'a pas les yeux également propres à discerner le vrai d'avec le faux ; et que la présomption, les passions, et le préjugé de la coutume obscurcissent l'Esprit de la plûpart des hommes ; et l'engagent dans l'erreur. Mais d'ailleurs, on ne sauroit, sans faire injure à la bonté de Dieu, s'imaginer qu'il ait rendu le chemin du salut inaccessible à ceux qui le cherchent préférablement aux avantages et à la gloire du Monde ; qui pour y parvenir soumettent à Dieu, et leurs personnes, et tout ce qu'ils possédent, et lui demandent on secours. Et puis qu'il a donné à tous les hommes le pouvoir de juger des choses, pourquoi n'exerceroient-ils pas leur jugement sur les objets les plus dignes d'être connus, et que l'on ne peut ignorer sans courir le risque de perdre la félicité éternelle ?

 

III.

1. Preuve contre les Mahométans, tirée de l'Écriture Sainte dont ils avouent en partie la divinité.

Mahomet et ses Sectateurs avouent que Moyse et Jésus-Christ ont été envoyez de Dieu, et que ceux qui ont travaillé à répandre et à établir la Religion Chrétienne ont été des personnes saintes et pieuses. Cependant l'Alcoran, qui est la Loi de Mahomet, oblige à croire quantité de choses contraires à celles que Moyse et Jésus-Christ nous aprennent. Je n'en raporterai qu'un exemple. Tous les Apôtres et tous les Disciples de Jésus-Christ disent d'un commun consentement, qu'après que nôtre Seigneur fut mort sur la croix, il ressuscita le troisiéme jour, et fut vu par un grand nombre de personnes. Mahomet, au contraire, enseigne que Jésus-Christ fut enlevé secrettement dans le Ciel, et que ce ne fut qu'un Fantôme qui fut ataché à la croix ; qu'ainsi il ne mourut pas, et qu'il trompa les Juifs par cette illusion.

 

IV.

Que l'Écriture n'a pas été corrompue.

Les Mahométans ne peuvent répondre à cette objection, qu'en disant que les Livres de Moyse et des Disciples de Jésus-Christ ne sont pas demeurez tels qu'ils étoient du commencement, et qu'ils ont été corrompus. C'est précisement ce que répond Mahomet. Mais nous avons déjà fait voir la vanité de cette chicane dans nôtre troisiéme Livre. Si quelqu'un disoit aux Mahométans que leur Alcoran est corrompu, ils le nieroient, et prétendroient que cette réponse sufit ; tant qu'on ne leur prouve pas cette corruption. D'ailleurs ils ne peuvent pas aporter en faveur de leurs Livres, les argumens que nous alléguons pour les nôtres. Nous disons, par exemple, qu'aussi tôt que nos Livres sacrez eurent été composez, il s'en répandit par tout le Monde une infinité de Copies ; qu'ils furent traduits en plusieurs Langues, et fidélement conservez par toutes les Sectes du Christianisme fort éloignées les unes des autres par la diversité de leurs sentimens : et c'est, encore une fois, ce qu'ils ne peuvent prouver de leurs Livres.

 

Ils se persuadent que dans le Chapitre XIV. de l'Évangile de S. Jean où Jésus-Christ promet qu'il envoyera un Consolateur, il y avoit quelque chose touchant Mahomet, et que les Chrétiens l'ont fait éclipser. Là-dessus je leur demande, s'ils croyent que les Chrétiens ont commis cette fraude avant ou après le tems auquel Mahomet vint au Monde ? S'ils disent que cela arriva après que Mahomet eut paru, je soutiens que c'étoit une chose absolument impossible ; puisque, dès ce tems-là, il y avoit par tout le Monde un nombre presque infini d'Exemplaires du Nouveau Testament, en Grec, en Syriaque, en Arabe, en Éthiopique, en Latin même de plus d'une sorte de Version, et que tous ces Exemplaires s'acordent sur ce passage du Chap. XIV. sans qu'il y ait la moindre diversité de leçon.

 

S'ils disent que cette corruption se fit avant que Mahomet vînt au Monde, je répons que cela ne se peut dire, puis qu'alors aucune raison n'obligeoit les Chrétiens à en user ainsi. Car comment auroient-ils pu prendre les devans, à moins que de savoir ce que Mahomet enseigneroit un jour ? Et c'est ce qu'ils ignoroient tout à fait. De plus, si les Chrétiens eussent trouvé de la conformité entre la Doctrine de Mahomet et celle de Jésus-Christ, pourquoi auroient-ils fait plus de difficulté de recevoir les Livres de ce nouveau Docteur, qu'ils n'en avoient fait d'admettre ceux de Moyse et des autres Prophétes du Peuple Juif ? Enfin suposons que ni les Mahométans ni nous, n'ayons aucuns Livres qui nous instruisent, eux, de la Doctrine de Mahomet, et nous, de celle de Jésus-Christ ; l'équité voudroit sans doute, en ce cas, que l'on regardât comme Doctrine de Jésus-Christ, celle que tous les Chrétiens reconnoissent pour telle, et comme Doctrine de Mahomet, celle que les Mahométans disent qu'il a enseignée.

 

V.

2. Preuve tirée de la comparaison de la Religion Chrétienne et de la Mahométane et 1. de la comparaison de Jésus-Christ.

Comparons à présent ces deux Religions dans ce qu'elles ont et d'essentiel et d'accessoire, et voyons laquelle est la meilleure. Je commence par les Auteurs de l'une et de l'autre. Mahomet même avoue que Jésus-Christ [avec Mahomet.] est le Messie qui avoit été promis dans la Loi et dans les Prophétes. Il l'apelle la Parole, l'Intelligence et la Sagesse de Dieu, et il dit qu'il n'a point eu proprement de Pére selon la chair : au lieu que pour lui, ses Sectateurs croyent qu'il est né selon les voyes ordinaires. Jésus-Christ a mené une vie pure et irrépréhensible : Mahomet a exercé long tems l'infame métier de Voleur, et pendant toute sa vie il s'est plongé dans les voluptez criminelles. Jésus-Christ a été élevé dans le Ciel, de l'aveu même de Mahomet : et pour ce qui est de lui, il est encore aujourd'hui renfermé dans un sépulcre, Qu'on juge après celà, lequel des deux mérite le plus d'être suivi.

 

VI.

2. De la comparaison des actions de l'un et de l'autre.

Examinons ensuite les actions de l'un et de l'autre. Jésus-Christ a rendu la vue aux aveugles, et la santé aux malades ; il a fait marcher les boiteux ; il a fait revivre des personnes mortes, et Mahomet en tombe t'accord ; Mahomet donne pour preuves de sa Mission, non le pouvoir de faire des miracles, mais l'heureux succès de ses Armes. Quelques-uns néanmoins de ses Disciples ont prétendu qu'il en avoit fait. Mais c'étoient, ou des choses que l'Art seul pouvoit produire, comme ce qu'ils disent d'un pigeon qui voloit à son oreille ; ou des choses dont ils ne citent aucuns témoins, par exemple, qu'un chameau lui parloit de nuit ; ou qui, enfin, sont si absurdes qu'il ne faut que les proposer pour en faire voir l'extravagance, comme ce que les mêmes Auteurs raportent, qu'une grande partie de la Lune étant tombée dans sa manche, il la renvoya au Ciel pour rendre à cet Astre la rondeur qu'il avoit perdue. Là dessus, qui ne prononcera que l'on doit s'en tenir à celle de ces deux Loix qui a de son côté les témoignages les plus certains de l'aprobation divine ?

 

VII.

3. De la comparaison de ceux qui ont les premiers embrassé le Christianisme et le Mahométisme.

Jettons aussi les yeux sur ceux qui ont les premiers embrassé ces deux Loix. Ceux qui se soumirent d'abord à l'Évangile étoient des personnes qui craignoient Dieu, et dont la vie étoit simple et sans faste. Or il est de la bonté de Dieu de ne pas soufrir que des personnes, qui ne tâchent qu'à lui plaire, soient trompées par des aparences de miracles. Les premiers Sectateurs de Mahomet étoient des Voleurs de grand chemin, et qui, bien loin d'avoir quelques sentimens de piété, n'avoient pas même ceux de l'humanité.

 

VIII.

4. De la comparaison des moyens par lesquels ces 2. Religions se sont établies.

La Religion Chrétienne n'a pas moins d'avantage sur celle de Mahomet, à l'égard de la maniére dont l'une et l'autre se sont répandues dans le Monde. La premiére doit ses progrès tant aux Miracles de Jésus-Christ, et à ceux de ses Disciples et de leurs Successeurs, qu'à la confiance qu'ils témoignérent dans les suplices. Les Docteurs du Mahométisme n'ont fait aucuns miracles, et n'ont soufert ni miséres ni mort violente pour la défense de leurs sentimens. Cette Religion ne s'est étendue qu'à la faveur des Armes, et ses progrès se sont réglez sur le succès des guerres de ses Sectateurs ; de sorte qu'elle servoit en quelque maniére d'accessoire aux victoires qu'ils remportoient. Cela est si vrai, que les Docteurs Mahométans ont fait de ces succès et de la grande étendue de Païs que leurs Princes ont subjuguée, l'unique preuve de la vérité de leur Religion. Mais qu'y a-t-il de plus équivoque et de moins sûr que cette espéce de preuve ? Ils rejettent avec nous la Religion Payenne. Cependant personne n'ignore, ni les victoires signalées qu'ont remportées les Perses, les Macédoniens, et les Romains ; ni la vaste étendue de leurs Empires. Ces grans succès mêmes, dont nos Adversaires se vantent, n'ont pas été constans et perpétuels. Sans parler des désavantages qu'ils ont eus dans leurs guerres tant par terre que par mer, on les a contraints d'abandonner l'Espagne dont ils s'étoient rendus maîtres. Or ce qui doit servir de caractére à la véritable Religion, ne doit être ni commun aux méchans et aux personnes vertueuses, ni sujet au changement. J'ajoûte que ce caractére ne doit avoir en lui-même rien d'injuste : c'est ce que les Mahométans ne peuvent pas dire de leurs guerres. Ils les ont entreprises pour la plûpart contre des Peuples qui ne les avoient pas inquiétez, et dont ils n'avoient aucun lieu de se plaindre ; de sorte qu'ils en étoient réduits à colorer ces guerres du prétexte de la Religion : ce qui choque directement les fondements de la Religion même.

 

Dieu ne peut agréer le service que les hommes lui rendent, à moins qu'il ne parte d'une volonté pleine et entiére. Or la volonté ne se peut fléchir, ni par les menaces, ni par la violence, mais par l'instruction et par la persuasion. Lors qu'on ne croit que parce qu'on y est contraint, on ne croit pas proprement, mais on fait semblant de croire pour se soustraire à la persécution. On peut dire aussi que ceux qui par la violence des maux ou par la terreur des menaces, veulent tirer des autres un consentement forcé, se font beaucoup plus de tort qu'ils ne pensent, puis qu'ils découvrent par là qu'ils se défient de la force de leurs raisons. Outre ce défaut que les Mahométans ont de commun avec tous les Persécuteurs, ils en ont un autre qui leur est particulier. C'est qu'après avoir pris pour prétexte de leurs guerres le désir d'étendre les bornes de leur Religion, ils détruisent ensuite ce prétexte par la permission qu'ils donnent aux Peuples qu'ils ont vaincus, de suivre telle Religion qu'il leur plait ; et par l'aveu public que quelques-uns d'entr'eux font, que ceux qui vivent dans la profession du Christianisme peuvent être sauvez.

 

IX.

5. De la comparaison de la Morale Chrétienne avec celle de Mahomet.

Comparons enfin la Morale de Jésus-Christ, avec celle de Mahomet. L'une nous ordonne de soufrir patiemment les maux, et d'aimer même ceux qui nous les causent : l'autre autorise la vangeance. L'une afermit l'union du Mari et de la Femme, en les obligeant à se suporter mutuellement : l'autre permet le divorce pour quelque raison que ce soit. L'une oblige le Mari à faire pour la Femme ce que la Femme fait pour le Mari, et veut qu'il lui montre par son exemple à ne partager pas son afection : l'autre veut bien qu'il prenne plusieurs Femmes, et qu'il ranime par là sa passion refroidie. La Loi de Jésus-Christ raméne la Religion de l'extérieur à l'intérieur, et la cultive dans le coeur pour lui faire produire des fruits propres à édifier le Prochain : la Loi de Mahomet borne presque tous ses Préceptes et toute son éficace à la Circoncision, et à d'autres choses indiférentes par elles-mêmes. Celle là permet l'usage du vin et de toutes sortes de viandes, pourvu que cet usage soit modéré : celle-ci défend de manger de la chair de porc, et de boire du vin : quoi que dans le fond le vin soit un don de Dieu, utile au corps et à l'esprit, lors qu'on en use avec sobriété. Il est vrai que la Loi de Jésus-Christ a été précédée de certains rudimens grossiers, et dont l'extérieur sembloit avoir quelque chose de puéril : ce qui ne doit pas plus nous surprendre que de voir une ébauche grossiére et imparfaite précéder un ouvrage très-parfait. Mais qu'après la publication de cette Loi excellente, on retourne encore aux ombres et aux figures, c'est en vérité un renversement bien étrange : à moins que l'on n'allégue de bonnes raisons qui prouvent, qu'après une Religion aussi parfaite que la Religion Chrétienne, il étoit de la sagesse de Dieu d'en donner une autre aux hommes.

 

X.

Réponse à l'objection que les Mahométans tirent de la qualité de Fils de Dieu que nous donnons à Jésus-Christ.

Les Mahométans paroissent scandalisez, de ce que nous disons que Dieu a un Fils, puis que Dieu, disent-ils, n'a point de Femme. Mais ils ne prennent pas garde que nous donnons à Jésus-Christ le nom de Fils dans un sens digne de Dieu, et qui n'a rien de charnel. De plus, il ne leur sied guéres de nous faire de pareils reproches, après les choses basses et indignes que leur Prophéte atribue à Dieu. Il dit que les mains de Dieu sont froides, et qu'il le sait parce qu'il les a touchées ; que Dieu se fait porter en chaise, et telles autres puérilitez. Lors que nous disons que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, nous n'entendons autre chose que ce que Mahomet dit lui-même, que Jésus-Christ est la Parole de Dieu. Car la Parole est en quelque façon engendrée par l'entendement. Deux autres raisons de ce tître de Fils de Dieu, sont que Nôtre Seigneur est né d'une Vierge par la seule puissance divine, qui lui a servi de Pére, et que par la même puissance, il a été élevé dans le Ciel. Mahomet ne le nie pas. Il doit donc reconnoître que ces glorieux priviléges fondent avec raison le nom de Fils de Dieu. que nous donnons à Jésus-Christ.

 

XI.

Que les Livres des Mahométans sont pleins d'absurditez.

Si nous voulions user de récrimination, raporter ici tout ce qu'il y a de faux, de ridicule, et de contraire à la foi des Histoires dans les Écrits des Mahométans, nous aurions une ample matiére de leur insulter et de les couvrir de confusion. Tel est le Conte qu'ils font d'une certaine femme très-belle, à qui quelques Anges, après s'être enivrez, enseignérent une Chanson, par le moyen de laquelle on monte au Ciel, et l'on en descend : à quoi ils ajoûtent que cette femme s'étant déjà élevée extrémement haut par la vertu de cette Chanson, Dieu, qui s'en aperçut, l'arrêta tout court, et en fit l'Étoile de Venus. Tel est cet autre Conte, que dans l'Arche de Noé le rat naquit de la fiente de l'éléphant, et le chat de l'haleine du Lion. En voici encore quelques autres qui ne valent pas mieux. Ils disent que la mort sera métamorphosée en un bélier, qui aura son siége au milieu de l'espace qui séparera l'Enfer d'avec le Ciel : que dans la vie à venir, ce que l'on mangera se dissipera par les sueurs : qu'à chaque homme seront assignées des troupes de femmes pour assouvir sa passion. En vérité, il faut avoir irrité Dieu, et reçu une grande mesure de l'Esprit d'étourdissement, pour admettre des rêveries aussi grossiéres et aussi sales ; sur tout, lors qu'on est environné de toutes parts, de la lumiére de l'Évangile.

 

XII.

Aplication de tout l'Ouvrage, adressée aux Chrétiens.

Cette dispute achevée, il ne me reste plus rien à faire que de m'adresser aux Chrétiens de toutes les Nations et de toutes les Sectes, et de leur montrer en peu de mots quel usage ils doivent faire des choses que nous avons dites jusqu'ici ; qui est en général d'embrasser ce qui est bon, et de se détourner de ce qui est mauvais et criminel.

 

XIII.

Usage du I. Livre, pour la pratique.

Que premiérement donc, ils élévent leur mains pures à ce grand Dieu qui a fait de rien toutes les choses visibles et invisibles. Qu'ils croyent avec une parfaite certitude qu'il a soin de nous, puis qu'un passereau même ne tombe pas sans sa permission. Qu'ils craignent moins ceux qui ne peuvent nuire qu'au corps, que celui qui par le droit qu'il a sur le corps et sur l'ame, peut traiter l'un et l'autre avec la derniére sévérité.

 

Usage du II. Livre.

Qu'ils mettent leur confiance, non seulement en Dieu le Pére, mais aussi en Jésus-Christ, puis qu'il n'y a sur la Terre aucun autre nom qui nous puisse sauver. Qu'ils songent que pour être agréable et au Pére et au Fils, et pour aquerir la Vie éternelle, il ne sufit pas d'apeller l'un son Pére, et l'autre son Seigneur, mais qu'il faut régler sa vie sur leur volonté. Qu'ils conservent avec foin la sainte Doctrine de l'Évangile, comme un trésor d'un prix infini.

 

Usage du III. Livre.

Que pour y réüssir, ils lisent assidûment l'Écriture S. qui ne peut tromper, que ceux qui veulent se tromper eux-mêmes. Qu'ils considérent que ceux par les mains de qui Dieu nous l'a donnée, étoient trop fidéles et trop sûrement guidez par le saint Esprit, pour avoir eu dessein de nous cacher aucune vérité nécessaire au salut, ou de l'enveloper d'obscuritez impénétrables. Que pourvu qu'ils aportent à cette lecture un Esprit soumis et obéïssant, ils découvriront sans peine tout ce qu'ils doivent croire, espérer, et pratiquer : et que c'est là le moyen infaillible d'entretenir et de de réveiller en eux cet Esprit que Dieu donne à ses Enfans pour arrhe de la félicité éternelle.

 

Usage du IV. Livre.

Qu'ils se donnent de garde d'imiter les Payens, soit dans le Culte des faux Dieux, qui, à parler proprement, ne sont que de vains noms, dont les Démons se servent pour nous détourner du service du vrai Dieu : et qu'ils sachent qu'ils ne peuvent participer à ce faux Culte, sans perdre tout le fruit du Sacrifice de Jésus-Christ. Qu'ils s'éloignent aussi autant qu'ils le peuvent, de la vie impure et libertine des Idolâtres, qui ne suivent point d'autres Loix que celles de la cupidité.

 

Usage du V. Livre.

Rom. II. 28. 29

Qu'ils réfléchissent encore sur l'obligation où ils sont de vivre plus saintement, non seulement que les Payens, mais aussi que les Pharisiens et les Scribes, dont la justice ne consistant qu'en de certaines pratiques extérieures et visibles, n'est pas capable de conduire à la Vie. Qu'ils aprennent que ce n'est pas la Circoncision faite de main qui peut plaire à Dieu, mais la Circoncision du coeur, qui n'est autre chose que l'observation des Commandemens de Dieu, la nouvelle Créature, et une confiance qui produit l'amour ; que c'est là la marque et le symbole du véritable Israélite, et du Juif mystique, c'est-à-dire, du Juif qui loue véritablement Dieu. Qu'ils recueillent enfin de ce que nous avons dit contre les Juifs, que la diférence des viandes, les sabbats, et les fêtes n'étoient que des ombres dont le corps se trouve dans Jésus-Christ, et dans les Fidéles.

 

Usage du VI. Livre.

Heb, I. v. 1, 2. etc.

Voici les réflexions que peut fournir nôtre dispute contre les Mahométans. C'est que Jésus-Christ notre Seigneur a prédit, qu'après son ascension, il s'éléveroit des personnes qui se vanteroient faussement d'être envoyez de Dieu.

 

Mais que selon l'avis de saint Paul, quand un Ange même viendroit du Ciel pour annoncer une autre Doctrine que celle de Jésus-Christ, il le faudroit rejetter avec exécration, parce que cette Doctrine a été vérifiée et confirmée par des témoignages incontestables, et qu'elle est si parfaite, qu'on ne peut y rien ajoûter. En éfet, quel autre Législateur pourroit-on atendre après celui dont l'Ecriture nous fait cette magnifique description : Dieu, dit-elle, ayant autrefois parlé à son Peuple en beaucoup de maniéres fort diférentes, a bien voulu dans l'acomplissement des tems s'adresser à nous par son Fils, qui est Maître de toutes choses, la splendeur de sa gloire, l'image vive et expresse de sa personne ; qui après avoir créé toutes choses, les soutient et les gouverne par sa parole puissante ; qui enfin, après avoir fait l'expiation de nos péchez, s'est assis à la main droite de Dieu et est parvenu à une dignité infiniment plus excellente que celle des Anges.

Une autre réflexion que les Chrétiens doivent faire sur ce que nous avons dit contre les Mahométans, c'est que les armes que Dieu a données aux Soldats de Jésus-Christ, ne sont pas de la nature de celles sur lesquelles Mahomet a apuyé sa Religion : qu'elles sont uniquement spirituelles, et propres à détruire les forteresses qui s'élévent contre la connoissance de Dieu : que le bouclier des Chrétiens est la foi, qui est propre à repousser les dards enflammez du Démon : que leur cuirasse est la justice, la droiture, et l'intégrité de la vie : que leur casque est l'espérance du salut, laquelle couvre en éfet, aussi bien que cette sorte d'armes défensives, les endroits les plus foibles et les plus exposez : qu'enfin ils ont pour épée la Parole de Dieu, qui est assez éficace pour pénétrer jusqu'au fond de l'ame.

 

Après ces usages qui se retirent de ce Traité, j'exhorte sérieusement tous les Chrétiens à cette concorde mutuelle que Jésus-Christ recommanda si fortement aux siens un peu avant que de les quiter.

 Qu'ils considérent donc qu'il ne doit pas y avoir parmi eux plusieurs Docteurs, et qu'ils n'en ont qu'un, qui est Jésus-Christ, au seul nom de qui ils ont tous été batisez ; qu'ainsi l'on ne devroit pas voir parmi eux cette diversité de Sectes, et cette désunion, qui sont si contraires à l'Evangile ; et qu'il est tems de travailler à y aporter du reméde. Pour le faire avec succès, ils doivent toûjours avoir devant les yeux ces belles paroles des Apôtres : qu'il faut être sage avec sobriété, et selon la mesure de la connoissance que Dieu a distribuée à chacun de nous : que s'il y en a de moins éclairez, on doit suporter leur foiblesse et les engager par cette modération à se réünir avec nous, à entretenir la paix, et à bannir toutes disputes : qu'il est juste, d'ailleurs, que ceux qui excellent en lumiéres et en connoissance, excellent aussi en charité : qu'à l'égard de ceux qui sont dans quelque erreur, il faut atendre que Dieu leur découvre les véritez qu'ils ignorent : que jusqu'à ce que cela arrive, on doit retenir les Articles dont on convient, et y conformer sa vie : que maintenant nous ne connoissons qu'en partie, et qu'un tems viendra que nous connoîtrons toutes choses avec évidence et avec certitude.

Je prie aussi chaque Chrétien en particulier, qu'il ne garde pas inutilement le talent qui lui a été confié : qu'il travaille de toutes ses forces à gagner des ames à Jésus-Christ : qu'il employe à ce dessein, non seulement des discours salutaires et pieux, mais la pureté et la sainteté d'une vie exemplaire, afin de donner lieu aux Etrangers de juger de la bonté du Maître par celle des serviteurs, et de la pureté de ses Loix par celle de leurs actions.

 

Je finis en priant ceux pour qui j'ai dit dès l'entrée que j'ai composé cet Ouvrage, que s'ils y trouvent quelque chose de bon, ils en rendent graces à Dieu, et que s'il y a des choses qui ne soient pas de leur goût, ils veuillent bien avoir quelque égard, tant à la condition ordinaire des hommes, qui naturellement sont fort sujets à se tromper, qu'au lieu et au tems auquel ce Livre a été écrit, et qui ne m'a pas permis d'y aporter toute l'exactitude dont j'aurois été capable dans une plus heureuse conjoncture.

 

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