L'ermite Moïse,
premier évêque des Sarrasins
Avant de parler de ce Moïse, il faut dire quelque chose des Sarrasins.
Au quatrième siècle ils habitaient en divers endroits de l'Arabie, et peut-être parvinrent-ils à l'occuper tout entière. En effet, on voit que ce nom s'est étendu insensiblement sur tous les Arabes, quoique divisés en différentes tribus qui conservaient en outre chacune leur nom particulier.
Ils ont été appelés plus anciennement Skénites, parce qu'ils étaient nomades et habitaient sous des tentes. On les appelait aussi Ismaélites et Agaréniens, parce qu'ils descendaient, du moins en partie, d'Ismaël, fils d'Abraham par Agar.
Selon divers anciens auteurs, ce furent eux-mêmes qui prirent le nom de Sarrasins, pour faire croire qu'ils descendaient d'Abraham par Sara son épouse, et non point par Agar la servante.
Ils se rendirent redoutables en divers temps, même aux Romains, qu'ils battirent sous Marc-Aurèle ou sous Commode. Ils s'étaient aussi beaucoup étendus dans les déserts de la Mésopotamie et de la Syrie. Ils étaient divisés en plusieurs nations ou tribus, dont chacune payait à son prince, et ils offraient leurs services en tant que troupes mercenaires soit aux Romains, soit aux Perses, selon qu'on leur faisait la meilleure offre.
Quant à leur religion, la longueur du temps et le commerce avec les nations voisines leur firent oublier les éventuelles traditions qu'Ismaël, dont ils descendaient plus ou moins en partie, avait reçues de son père Abraham. En un mot, ils étaient païens.
Toutefois, bien avant Valens (empereur de 364 à 378), il y en eut plusieurs qui, suite aux relations qu'ils avaient avec les prêtres et les solitaires d'alentour, étant touchés par la sainteté de leur vie, devinrent chrétien. C'est ainsi que saint Hilarion, en convertit en grand nombre dans la ville d'Eluse, d'où ils refusèrent de le laisser partir avant qu'il leur ait tracé la place d'une église. On a aussi le récit de la conversion d'un certain sarrasin du nom d'Obedien, qu'un certain Moïse de Raïthou (différent de celui dont il sera question ensuite) amena à la foi chrétienne, avec beaucoup d'autres sarrasins de Pharan. De même, Zocome, chef d'une de leurs tribus, n'ayant pas d'enfants, alla trouver un saint solitaire et se plaignit à lui. L'ermite tâcha de le réconforter, fit des prières pour lui, et l'assura qu'il aurait un fils s'il voulait croire en Jésus-Christ. Zocome se fit instruire dans la religion, Dieu lui donna l'enfant qu'il désirait, il reçut enfin le saint baptême, et à son exemple tous ses sujets se firent chrétiens.
Venons-en à l'époque de ce Moïse qui fut le premier évêque des sarrasins.
En ce temps là, une certaine tribu des Sarrasins ravageait les frontières de l'Empire, sous la conduite de sa "reine" Mavia. Le romains, sachant que les sarrasins étaient menés par une femme, veuve du prince de la tribu, comptaient sur une victoire rapide, mais après quelques cuisantes défaites, ils considérèrent qu'il serait plus judicieux d'envoyer une ambassade à Mavia pour lui proposer la paix. Ayant été éclairée de la lumière de la foi, elle demanda qu'un certain ermite nommé Moïse, qui demeurait sur la frontière de l'Egypte, et de la Palestine fût ordonné évêque pour son peuple.
Cet homme était Sarrasin de naissance et demeurait dans un désert voisin, entre l'Egypte et la Palestine, où ses vertus et ses prodiges l'avaient rendu fort célèbre.
Les Romains s'estimèrent trop heureux d'obtenir la paix à cette condition.
L'Empereur Valens ordonna qu'on le menât à la ville d'Alexandrie, qui était la plus proche pour y recevoir les saints ordres.
C'était la période où les disciples d'Arius menaçaient la foi de l'Eglise. L'empereur Valens était arien, et Lucius, le despotique évêque d'Alexandrie, avait fait déporter de nombreux orthodoxes, évêques, prêtres et moines.
Dès que Moïse le vit paraître pour faire la cérémonie de l'imposition des mains, il lui dit en présence des généraux et de tout le peuple assemblé en grand nombre :
"Lucius, arrête-toi ! Et n'imagine pas que tu puisse m'ordonner évêque. Je reconnais que cette dignité est bien au-delà de mes forces et que j'en suis bien indigne. Cependant si c'est la volonté de Dieu que j'y sois élevé malgré mon indignité, je prends ici le Dieu du ciel et de la terre à témoin que je n'accepterai jamais que tu mettes sur moi tes mains rougies et souillées du sang des Saints."
Lucius, qui ne s'attendait pas à une pareille apostrophe, y fut d'autant plus sensible que le reproche était public. Il lui répondit avec un cœur plein d'émotion :
"C'est me faire une injure bien éclatante que de témoigner une si grande horreur pour moi en présence de tout le monde, sans savoir quelle est ma foi. Si tu as entendu des choses fausses sur moi, je suis prêt à faire une déclaration de foi sur laquelle il sera plus juste que tu te bases plutôt que sur des ragots."
Moïse répliqua : "Lucius, sans même que tu aies besoin de me l'expliquer, je sais quelle est ta foi ! Elle est manifestée par les évêques, les prêtres et les diacres que tu as envoyés en exil et condamnés aux mines. A cela, on voit qu'elle est fort éloignée de la foi de Jésus Christ et de la doctrine orthodoxe !"
Et il jura que jamais il n'accepterait d'être ordonné par Lucius.
Quoique ce fut pour l'évêque Lucius un terrible affront, il fut contraint de consentir par la nécessité des affaires de l'État, de peur de rallumer la guerre des Sarrasins, qu'on conduisît Moïse auprès des évêques en exil pour être sacré par eux, ainsi qu'il l'avait demandé.
Après que Moïse eut été sacré par les évêques confesseurs de Jésus-Christ, il prit soin des Sarrasins que le Seigneur lui avait confiés. Il trouva parmi eux peu de chrétiens ; mais il en convertit un très-grand nombre par ses instructions et par ses miracles. Il conserva toujours la pureté de la foi et maintint sa nation en paix avec les Romains.
Quant à la reine Mavia, elle respecta son engagement de paix envers Rome, et envoya même du secours à Valens contre les Goths, dont il se servit très-avantageusement. Elle cimenta de plus son union avec les Romains, en donnant sa fille en mariage à Victor leur général, dont Théodoret et Nicéphore louent beaucoup la pureté de la foi.
Tels furent les fruits de l'élection de Moïse, je veux dire la conversion d'une grande multitude de Sarrasins et leur paix avec l'empire. On ne sait pas combien de temps il vécut, ni où fut son siège épiscopal.
L'Église catholique fait mémoire de saint Moïse, dans son Martyrologe, au 7 février.
Il ne semble pas être dans le Synaxaire.
Albocicade
Sources :
Sozomène HE Liv VI, 38
Socrate HE IV 36
Théodoret HE IV 23