Lettre adressée le 17 novembre 2014 par Ashiq Masih, l’époux d’Asia Bibi, au Président de la République islamique du Pakistan, sollicitant sa grâce.
Hier [16 novembre], je suis rentré de la prison de Multan [sud de la province du Pendjab] où mon épouse, Asiaa Bibi, a été transférée voici huit mois. Depuis qu’Aasia a été condamnée à mort en novembre 2010 pour avoir bu un verre d’eau tirée du puits de notre village, ma famille vit dans une peur constante et sous des menaces de mort. Je vis dans la clandestinité avec mes cinq enfants aussi près que possible d’Aasia. Elle a beaucoup besoin de nous pour l’aider à continuer à vivre, pour lui apporter des médicaments et une nourriture saine quand elle est malade.
Après avoir passé quatre longues années en prison dans de terribles conditions, nous espérions que la Haute cour de Lahore libérerait mon épouse. Elle n’a d’aucune manière commis de blasphème. La Cour ayant confirmé la sentence de mort le 16 octobre, nous ne comprenons pas pourquoi notre pays, notre bien-aimé Pakistan, nous est si hostile. Notre famille y a toujours vécu pacifiquement et nous n’avons jamais été la cause d’une quelconque perturbation. Mais désormais et depuis quelques années la situation au Pakistan a changé à cause de quelques uns, et nous avons peur. Aujourd’hui beaucoup de nos amis musulmans ne comprennent pas pourquoi le système judiciaire pakistanais fait tant souffrir notre famille.
Nous faisons de notre mieux pour présenter notre ultime pourvoi à la Cour suprême avant le 4 décembre. Mais nous sommes convaincus que le seul moyen d’épargner la pendaison à Aasia sera la grâce que l’honorable Président Mamnoon Hussain lui accordera. Personne ne devrait être tué pour avoir bu un verre d’eau.
Nous sommes chrétiens mais nous respectons l’islam. Nos voisins sont musulmans et nous avons toujours vécu en bonne intelligence avec eux dans notre petit village.
Mes cinq enfants et moi ne survivons que grâce à la protection de quelques amis fidèles qui risquent chaque jour leur vie en nous aidant. Nous sommes la famille d’Aasia Bibi et beaucoup de gens veulent que nous mourrions. Grâce à notre amie Anne-Isabelle Tollet, qui est devenue notre sœur et nous aide depuis déjà quatre ans, nous parlons souvent de ce qui se passe à Paris et dans le monde pour aider à sauver Aasia. Savoir que tant de personnes soutiennent Aasia de si loin est très important pour nous. Cela nous aide à tenir. À chaque fois que je rends visite à Aasia dans sa prison je lui donne toutes ces informations. Parfois cela lui donne le courage d’aller de l’avant.
Juste avant de partir pour mon voyage de 10 heures afin de rendre visite à Aasia, j’ai appris la merveilleuse nouvelle que Paris est prête à offrir l’hospitalité à Aasia et à notre famille à Paris si [mon épouse] était libérée. C’est un très grand honneur et nous en sommes très reconnaissants. Je souhaite vous exprimer Madame le Maire [Anne Hidalgo] mes sincères remerciements et vous dire notre immense gratitude pour votre intérêt. J’espère qu’un jour nous pourrons vous rendre visite en vie et non pas morts.
Quand j’ai visité Asia Bibi hier elle m’a demandé de vous transmettre ce message : « La cellule de ma prison n’a pas de fenêtre et je ne fais pas de différence entre le jour et la nuit, mais si je tiens aujourd’hui c’est grâce à tous ceux qui tentent de m’aider. Quand mon mari m’a montré des photos de gens que je ne connais pas et qui buvaient un verre d’eau pour moi, mon cœur a débordé. Ashiq m’a dit que la ville de Paris m’offrait l’hospitalité ainsi qu’à ma famille. Je vous adresse mes plus profonds remerciements Madame le Maire, ainsi qu’à toutes ces aimables personnes à Paris et dans tout le monde. Vous êtes mon seul espoir de demeurer en vie dans ce cachot. Alors je vous en prie : ne m’abandonnez pas. Je n’ai pas commis de blasphème ».
Source : The Guardian (20 novembre) – © L’Obs pour la traduction.
NB : La chrétienne Asia Bibi n'a pas été grâciée par le président du Pakistan. Après 9 années sous une condamnation à mort, elle a finalement été acquitée en Novembre 2018.