Les saintes Nunilo et Alodie, vierges, martyres à Huesca en Arragon. Le 22 octobre 851.
Extrait du "Mémorial des saints" de Saint Euloge
Traduction française dans
"LES MARTYRS"
Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu'au XXe siècle ; traduites et publiées par le R. P. Dom H. LECLERCQ, Moine bénédictin de Saint Michel de Farnborough
"Tome V, le Moyen-Age", 1906
BOLL. Acta sanctor., 22 octob. t. IX, p. 642-647 ; Patr. lat., t. CXV, col. 774.
Nous avons appris d'un homme saint et vénérable, Vénérius, évêque d'Alcala, que dans la ville d'Osca, dans le château de Barbitan, vivaient deux soeurs, Nunilo et Alodie, nées d'un père païen et dune mère chrétienne. Après la mort de leur père, leur mère s'étant remariée à un païen, les jeunes filles eurent la douleur de se voir dans l'impossibilité d'embrasser la foi chrétienne, à cause de la défense expresse de leur beau-père. Elles quittèrent alors leur mère et allèrent demeurer chez leur grand'mère.
Aussitôt, malgré leur jeune âge, elles s'adonnèrent avec la plus rigoureuse fidélité au service du Christ; elles répudièrent la religion de leur père, purifièrent leurs âmes et les maintinrent inviolablement dans la sainteté que possède seule la religion chrétienne. Comme elles étaient distinguées autant par leur noblesse que par leurs dignités, la ville entière ne tarda pas à être informée de leur résolution, que trahissait visiblement, du reste, le genre de vie tout nouveau qu'elles menaient. Elles n'avaient encore atteint que la fleur de leur âge, et déjà la province entière était remplie de la renommée de leur sainte vie. Tout le monde s'étonnait de voir deux roses si charmantes issues d'un buisson d'épines. L'antique et jaloux ennemi, déplorant la perte de ces deux membres qui lui appartenaient autrefois, crut pouvoir détourner de leurs saintes résolutions, par les menaces des juges, ces deux épouses qu'il voyait prédestinées à entrer dans la chambre nuptiale du Christ; mais il ne réussit qu'à hâter pour les saintes vierges, par une mort dolente, les récompenses qui leur étaient réservées.
Satan poussa donc ses satellites à porter une accusation contre ces deux jeunes filles qui furent conduites au tribunal du préfet de la ville. Celui-ci les fit comparaître aussitôt en sa présence, et commença par leur promettre de vaines récompenses, des richesses abondantes, des mariages avantageux, si elles consentaient à répudier la religion chrétienne pour retourner au culte de leurs ères ; puis il ajouta que si elles méprisaient avec entêtement son conseil, elles seraient soumises à toutes sortes de tortures et enfin périraient par le glaive.
Les bienheureuses vierges, soutenues par le Saint-Esprit, demeurèrent fermes et intrépides dans la confession de leur foi et répondirent : « Comment, juge, peux-tu nous ordonner de délaisser la religion du vrai Dieu, quand cette religion, illuminant nos esprits, nous a fait voir qu'aucune richesse ne vaut le Christ, qu'aucun bonheur n'est comparable à celui que procure la foi chrétienne, qui fait vivre saintement les justes et donne aux saints le moyen de triompher des puissances de ce monde ? ce Christ sans lequel il n'y a point de vie véritable, en dehors duquel règne une mort éternelle ! Demeurer en ce Christ, vivre en ce Christ, c'est la véritable consolation; s'éloigner de lui, c'est la perdition. Non, jamais nous ne nous séparerons ici-bas de sa compagnie ; car nous lui avons confié notre chasteté, et nous espérons être admises un jour dans sa couche nuptiale. L'oeil fixé sur ce bien-aimé, nous méprisons tous les biens périssables par lesquels tu penses nous allécher ; car nous savons que tout ce qu'éclaire ce soleil est vain et éphémère. Pour ce qui est des châtiments dont tu nous menaces, ils ne nous causent aucun trouble, car nous savons qu'ils ne durent pas. Rien plus, cette mort que tu dresses devant nous comme un épouvantail suprême, nous la souhaitons d'autant plus amoureusement que nous croyons fermement devoir, grâce à elle, monter immédiatement au ciel, nous envoler vers le Christ, nous délecter enfin dans ses chastes embrassements. » — Voyant leur attachement à la foi et leur courage à la professer, le juge les confia à des femmes habiles dans l'exercice du culte païen, et leur ordonna de les instruire séparément, de chercher les moyens de leur imprimer de la crainte, recommandant par-dessus tout de ne leur point permettre de s'entretenir soit entre elles, soit avec d'autres chrétiens. Ces femmes emmenèrent les vierges du Christ et se mirent à leur exposer chaque jour le dogme vénéneux de leur culte sacrilège ; mais c'est en vain qu'elles tentèrent par tous les moyens imaginables de faire boire à leur coupe infecte celles que le Christ avait rassasiées de sa manne céleste.
Les femmes païennes ayant rapporté au juge qu'elles ne pouvaient triompher de l'entêtement des deux jeunes filles, celui-ci attendit encore plusieurs jours, puis, les ayant fait amener sur le forum, il les livra en spectacle à la dérision de la plèbe ; enfin, comme elles persistaient à confesser le Christ et à détester l'ennemi de sa foi, il les fit décapiter le 11 des calendes de novembre (21 oct.) de l'ère susmentionnée. Les corps des deux martyres furent laissés sur le lieu de l'exécution, et des soldats firent bonne garde pour empêcher que les chrétiens ne vinssent les enlever pour les ensevelir. On rapporte que ces reliques virginales, précipitées dans des trous par les païens, opèrent de nombreux miracles et montrent tant aux fidèles qu'aux païens quelle insigne consolation leur a procurée au sein de la gloire leur vie vertueuse sur la terre, par les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vit avec le Père et le Saint-Esprit, Dieu unique, dans les siècles des siècles. Amen