Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Dieu unique
Voici l'exposé de la foi du saint père Théodore
évêque de Harran, surnommé Abu Qurrah.
Que sa prière soit avec nous.
Amen.
Je crois au Père, au Fils et au Saint Esprit, trois hypostases, une nature.
Non une seule hypostase comme a dit Sabellius[1], ni trois natures comme a dit Arius[2] qui disait: "Le Fils et l'Esprit Saint sont créés, distincts en nature". Et je ne dis pas "Le Fils est consubstantiel au Père", déclarant l'Esprit saint étranger à la substance de ces deux personnes comme l'a dit Macédonius[3] Mais je dis que tous les trois sont une seule substance. Je reconnais parmi eux le Père comme principe, le Fils et l'Esprit comme ayant reçu leur origine[4] : je n'affirme pas trois principes, comme ceux qui se sont égarés complètement de l'orthodoxie.
Je reconnais le Père comme engendrant, le Fils comme engendré, et l'Esprit-Saint comme procédant. Les trois sont égaux en substance et en force, et il n'y a entre eux aucune différence en cela comme le prétendait Apollinaire[5]. Mais je dis : Chacun possède une propriété personnelle qui ne disparaît pas ni ne se transmet, à savoir: engendrer, pour le père; être engendré, pour le Fils; et procéder pour l'Esprit[6]. C'est pourquoi le Père est Père et jamais ne sera Fils ou Esprit; le Fils est Fils et jamais ne sera Père ou Esprit; et l'Esprit est Esprit et jamais ne sera Père ou Fils. Les trois sont éternels. Aucun n'est plus ancien qu'un autre; car le Fils et l'Esprit, bien qu'ils trouvent leur origine du Père, le Père n'est aucunement plus ancien qu'eux, pas même de la durée d'un clin d'oeil.
Et je reconnais chacun d'eux Dieu parfait, à lui seul. Et tous les trois sont un seul Dieu, et non pas trois dieux, comme l'a dit le malheureux Philopon[7], car leur substance est unique et le Fils et l'Esprit se rapportent au Père sans composition à l'intérieur de son hypostase ni mélange. Je crois aussi que ce Fils Éternel, né du Père avant tous les siècles, qui est Dieu de Dieu, est descendu du ciel à la fin des temps, pour nous et pour notre salut et s'est incarné du Saint Esprit et de la Vierge Marie et s'est fait homme[8], ayant pétri pour sa personne un corps animé par une âme raisonnable et spirituelle[9]. Et il devint un homme parfait comme l'un de nous, hormis le péché. Et il demeura Dieu parfait comme il l'est éternellement, car son "humanisation" n'a pas introduit en lui de changement.
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Ce Fils éternel, après son "humanisation", est une personne unique[10] ayant deux natures : la nature divine qui lui appartient toujours comme au Père et à l'Esprit, et la nature humaine qui est devenue sienne par son incarnation, comme elle l'est pour chacun de nous, hommes. Il est égal au Père et à l'Esprit dans la nature divine tout en étant égal à nous, humains, dans la nature humaine. Il est une personne de la Trinité, et la Trinité n'a pas reçu d'accroissement. Et cette personne, l'une de la Trinité, est celui qui est engendré du Père avant les siècles et le même qui est engendré de la Vierge Marie à la fin des temps en devenant homme. C'est pourquoi Marie est vraiment mère de Dieu[11].
Et c'est le même qui a marché parmi les hommes, a mangé, a bu, a eu faim, s'est endormi, s'est fatigué, a été crucifié, est mort, a été enseveli et est ressuscité le troisième jour. Tout ceci lui est advenu dans la nature humaine, non dans la nature divine. Je ne dis donc pas comme Nestorius[12] que Celui qui est engendré de Marie est une personne autre que la personne éternelle engendrée du Père avant les siècles, affirmant que ces réalités humaines que nous avons mentionnées ont affecté la personne humaine et non la personne divine. Mais je dis que les [propriétés] divines, comme la résurrection des morts par son ordre puissant et les autres choses pareilles, aussi bien que les [propriétés] humaines appartiennent toutes à l'hypostase éternelle humanisée[13].
Je ne dis pas non plus, comme Eutychès, Dioscore et Sévère[14], que le Christ n'a qu'une seule nature, soit purement divine (et j'aurais renié l'incarnation et j'aurais fait de l'économie[15] un fantôme)[16] ; soit composée de la divinité [et] de l'humanité, (et je ne l'aurais fait ni Dieu ni homme, car une nature composée de la divinité et de l'humanité n'est ni la nature du Père et de l'Esprit, ni la nature des hommes; d'où le Christ ne serait ni Dieu ni homme).
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Mais je dis : Ce Fils éternel fait homme possède deux séries de propriétés naturelles, deux volontés naturelles et deux activités naturelles. Je ne parle point comme les Maronites[17], privant la nature humaine d'une volonté naturelle et d'une activité naturelle. Cependant, les deux volontés naturelles et les deux activités naturelles appartiennent toutes au Fils éternel, le Verbe Dieu, l'une des hypostases de la Trinité. Je n'attribue pas la volonté divine et l'activité divine à cette hypostase éternelle, et la volonté humaine et l'activité humaine à une hypostase humaine. Mais j'enseigne que la volonté divine aussi bien que l'activité, la volonté humaine aussi bien que l'activité appartiennent toutes à l'hypostase éternelle, le Verbe Dieu, qui est devenu homme en réalité et est demeuré Dieu parfait comme il a toujours été selon que nous l'avons dit. Et je ne nie pas les deux propriétés naturelles comme les nie le scholastique Sévère l'âne[18], pour ne pas être acculé comme lui à introduire le changement, les souffrances, la mort et la localisation dans la nature divine et à corrompre les deux natures toutes deux et à les rendre étrangères à leur définition.
Mais je dis que la divinité est demeurée, dans l'incarnation du Verbe, non sujette à la limitation, à la souffrance et à la, mort, et que ces choses et ce qui leur ressemble sont le propre de la nature humaine. J'enseigne cependant que les deux propriétés, les propriétés divines et les propriétés humaines, appartiennent au Verbe Dieu, qui est une hypostase de la Trinité. Ce n'est pas parce que je dis : la limitation et les propriétés similaires appartiennent à la nature humaine, non à la nature divine, que je dis de même : la limitation et les propriétés similaires appartiennent à une hypostase humaine, non à l'hypostase éternelle. Il n'en est rien. Mais la limitation et ses suites, la limitation et ses conséquences appartiennent toutes à l'hypostase éternelle du Verbe Dieu fait homme qui est le Christ. C'est comme on dit: La vue appartient à non à l'oreille; l'ouïe appartient à l'oreille et non à l'oeil, mais la vue et l'ouïe appartiennent toutes deux à l'hypostase unique qui a l'oeil et l'oreille[19], par exemple à saint Pierre ou à saint Paul.
C'est là ma profession de foi.
Selon elle je vis et selon elle je mourrai
et je serai présenté au Christ mon Dieu
quand il viendra juger les vivants et les morts.
Et par elle j'espère être délivré de la peine éternelle
et j'attends le bonheur permanent d'en haut
qui ne peut certes être obtenu
que par cette foi.
Louange, gloire et puissance
au Père, au Fils et au Saint Esprit
jusqu'à la fin des siècles.
Amen.
Notes :
[1] Sabellius : prêtre chrétien d'origine libyenne, installé à Rome au IIIe siècle selon lequel, le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont différents "modes" ou aspects de l'Être divin, plutôt que trois "hypostases" ou personnes distinctes. Cette doctrine, le modalisme, a été combattue par les Pères.
[2] Arius : prêtre alexandrin (256-336) qui considérait que seul les Père, inengendré, est Dieu, le Fils étant selon lui une créature suréminent ne recevant le nom de "dieu" que par convenance. Cette hérésie a été condamnée au premier Concile de Nicée, en 325.
[3] Macédonius : évêque de Constantinople, de 342 à 346, puis de 351 à 360, contestait que l'Esprit saint soit Dieu. On donna à ses partisans le nom de "pneumatomaques" (adversaires de l'Esprit). Cette doctrine a été condamnée au premier Concile de Constantinople, en 381.
[4] Dick traduit "Je reconnais parmi eux le Père comme principe, le Fils et l'Esprit comme principiés"
[5] Apollinaire de Laodicée (vers 315, vers 390), fut évêque de Laodicée de Syrie, élu en 361. Ardent défenseur de la théologie de Nicée contre la doctrine d'Arius, il alla cependant trop loin en considérant que le "logos" constituait l'âme du Christ, doctrine qui fut condamnée plusieurs fois, dont au premier Concile de Constantinople, en 381.
[6] Un autre manuscrit porte "La non-génération pour le Père, la génération pour le Fils, et la procession pour l'Esprit-Saint", ce qui est aussi correct.
[7] Jean Philopon, grammairien, philosophe et théologien chrétien de langue grecque, né sans doute à Alexandrie vers 490/495 et mort après 568. Il professait une variante du monophysisme, le trithéisme, qui affirmait que chacune des personnes de la Trinité étant Dieu en soi, il y aurait par conséquent "trois dieux".
[8] Dick, en ce lieu emploie le mots "humanisé" et plus loin son correspondant "humanisation" pour rendre les expressions uniques du grec et de l'arabe qui signifient "se faire homme", "l'acte de se faire homme". Il ajoute que les mots "s'incarner" et "incarnation" sont inadéquats et sentent l'apollinarisme (tout en employant tout de même "incarnation" plus loin) considérant qu'il faut bien avoir en français les mots analogues à "diviniser" et "divinisation" en ce qui concerne l'homme. J'ai choisi de restituer "se faire homme".
[9] Dick emploie ici le terme "noétique", du terme grec "noûs", l'esprit.
[10] Dick : "une unique hypostase". Ainsi encore plus loin.
[11] Selon la définition du Concile d'Ephèse, 431.
[12] Nestorius : évêque de Constantinople, de 248 à 431. Il s'opposait au terme "Mère de Dieu" pour désigner Marie, le considérant comme prêtant à confusion et lui préférant l'expression "Mère du Christ". En effet, il voyait dans le Christ l'union de la nature divine et de la nature humaine comme une sorte de juxtaposition. Il fut déposé au Concile d'Ephèse.
[13] J'ai conservé ici cette expression " l'hypostase éternelle humanisée ", pour bien marquer le caractère technique de la discussion.
[14] Eutychès, archimandrite d'un monastère de Constantinople, et Dioscore, patriarche d'Alexandrie furent à l'origine d'une réaction excessive contre le nestorianisme – le monophysisme – qui considère que dans le Christ seule la nature divine subsiste. Le monophysisme fut condamné au Concile de Chalcédoine, en 451. Sévère, patriarche d'Antioche de 512 à 518 fut le plus ardent propagateur du monophysisme.
[15] C'est à dire, "de l'incarnation"
[16] Un manuscrit ajoute "ou purement humaine et j'aurais renié la divinisation". Cependant cette troisième alternative logiquement possible ne correspondant en rien à la théologie monophysite ne doit pas appartenir au texte primitif.
[17] Sur le monothélisme des "maronites", voir en Annexe.
[18] Qui est ce "Sévère, l'âne intello" ? s'agit-il de Sévére d'Antioche, précédemment mentionné, ou de quelque autre théologien jacobite du même nom ? Et pourquoi le désigner comme âne ? Faut-il y voir une réminiscence d'un verset du coran (62.5) "Ceux qui ont été chargés de la Thora mais qui ne l'ont pas appliquée sont pareils à l'âne qui porte des livres."
[19] Cette assimilation de la nature à l'organe par lequel la personne unique agit et exerce diverses activités selon les divers organes se retrouve chez Abu Qurrah avec la même comparaison de l'oeil et de l'oreille dans son traité "De la mort du Christ", (Bacha, traité n° 3, traduction allemande : 8° traité dans l'édition de Graf, 1910 ; traduction anglaise : Lamoreaux p 109).