• TAQ melkite

    Est-il légitime de qualifier Abu Qurrah d'orthodoxe ?

    Un de mes correspondants, usuellement fort avisé (mais probablement alourdi par de récents excès de table), m'a dernièrement fait une remarque étrange concernant le titre de mon blog sur Abu Qurrah : "Pourquoi, puisque Théodore Abu Qurrah est melkite – donc catholique – est-ce que je le désigne comme orthodoxe ?"

    Je lui répondis dans la foulée, et le taquinant un peu, lui reprochais de confondre "melkite" et "melkite". De fait, il existe bien une "église melkite", et les parisiens peuvent se rendre à St Julien le Pauvre, en plein quartier latin, ils pourront prier dans une église catholique de rite oriental (c'est là que j'ai vu ma première icône écrite en arabe) et, en sortant, voir le plus vieil arbre de la capitale. Pour autant, l'Eglise grecque catholique melkite est une structure récente, le rattachement à Rome datant du XVIII° siècle.A cette date, Abu Qurrah avait fini son pèlerinage terrestre depuis presque mille ans. 

    Pourtant, est-ce que je ne l'ai pas – et à plusieurs reprises – qualifié de "melkite" ? Si fait ! Qu'étaient donc ces "melkites" là ? D'abord, disons-le tout net, le terme "melkite" est originalement un sobriquet pour le moins dépréciatif donné aux chrétiens (syriaques, puis arabes) qui acceptaient le concile de Chalcédoine par ceux qui le rejetaient (tant nestoriens que jacobites). En clair, il leur était reproché de se laisser dicter leur théologie par l'Empereur de Byzance. De fait, le terme "melkite" vient du syriaque "malkoyo" (ܡܠܟܝܐ‎) [son équivalent arabe étant "malakī" (ملكي)] signifiant "royal", et par extension, "impérial". Donc, pour leurs adversaire théologiques, les "chalcédoniens" étaient les caniches de Constantinople.

    Abu Qurrah était donc chalcédonien. Mais Rome aussi, aussi, pourquoi le désignais-je comme orthodoxe et non pas comme catholique, d'autant que dans son traité sur les conciles, Abu Qurrah reconnaît (comme la plupart des auteurs chalcédoniens de l'époque) le rôle de l'évêque de Rome. En fait, à l'époque, on peut dire d'Abu Qurrah qu'il est catholique, ou qu'il est orthodoxe, indifféremment. Mais cela n'aura pas exactement la signification qu'aujourd'hui. En effet, depuis la "séparation de 1054", "catholique" signifie non seulement "en communion avec Rome" mais aussi, et précisément "dans la juridiction de l'Evêque de Rome". Or Abu Qurrah n'était absolument pas dans la juridiction de Rome, mais d'Antioche. En ce sens là, on ne peut le qualifier de "catholique" au sens moderne du mot. Et orthodoxe ? De fait, son attachement aux conciles oecuméniques atteste qu'il n'était ni jacobite, ni nestorien, ni – parmi ceux qui reçurent le concile de Chalcédoine – monothélites. Bref, il était doctrinalement orthodoxe.

    Mais en outre il était dans la juridiction d'un patriarcat orthodoxe en communions avec les autres, même si l'un des patriarches (en l'occurrence celui de Rome) jouissait d'une "primauté d'honneur", il était (pour employer une formule moderne) "le premier parmi ses égaux" (Primus inter pares). Or ce fonctionnement, qui a disparu dans l'Eglise catholique au profit d'un système "pyramidal", avec juridiction du Pape sur tous ceux qui sont en communion avec lui, subsiste avec plus ou moins de bonheur au sein des Eglises orthodoxe (et c'est le patriarche de Constantinople qui a hérité du titre de "primus inter pares", sans la moindre autorité juridictionnelle sur les autres patriarches). Bref, son ecclésiologie est celle de l'Eglise orthodoxe.

    Et au fond, il me semble que – si je veux éviter des termes trop abscons ou techniques – le terme "orthodoxe" est sans doute celui qui convient le moins mal. 

    Mais si par contre on s'amuse à définir "orthodoxe" comme "en rupture et en opposition contre Rome", alors non, cette définition de "orthodoxe" ne convient pas à Théodore le très sage et très béni évêque de Harran : à son époque, les patriarcats de Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem (ainsi que quelques Eglises autonomes) étaient en communion réciproque (pas toujours de manière irénique, il est vrai), confessant la foi exprimée par les 7 conciles oecuméniques.

     

    Réflexion initialement publiée sur le blog "Les cigales éloquentes"


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