• La "Passion de Michel, moine de St Sabas", texte ayant un original arabe perdu n'est connu qu'en transmission géorgienne. Ce récit, relativement tardif, vaut plus pour le regard porté sur l'événement que pour les détails qui abondent. Le nom même de Théodore Abu Qurrah semble s'y être introduit par confusion avec un autre Théodore, Théodore d'Edesse (Voir Lamoreaux "The Biography of Theodore Abu Qurrah Revisited"). Une traduction latine de cette "Passion"en a été donnée par Paul Peteers dans les "Analecta Bollandiana" (tome 48, 1930) et plus récemment Monica Blanchard en a fourni une traduction anglaise (ARAM periodical n° 6, 1994), et cela semble bien être tout.

    C'est dire que cette traduction française comble une lacune. Elle a été réalisée sur la base de la traduction latine de Peteers par un moine certainement catholique, probablement breton, qui a tenu à garder le plus strict anonymat de sorte que je n'en sais pas plus. Qu'il soit remercié. Nous donnons ci-après sa traduction avec les notes qu'il y a jointes.

    Al-Bossikad

     

     

    Le 20 mars

    Passion de saint Michel
    qui fut à la grande Laure de notre père Saint Sabas.

     

    1. Le père Basile, prêtre du monastère1 Saint Sabas, homme admirable et de qui nous avons été les témoins visuels de prodiges, nous narra ce qui suit : au jour de l'Annonciation, nous sortîmes pour la procession des litanies à moins de deux stades2 dans les environs de la laure, vers le lieu qui a été institué pour les supplications envers la mère de Dieu. Il est dit qu'en ce lieu, Notre-Dame se montra à notre père Sabas en vision avec une troupe d'anges et une foule de saints. Au même endroit, on fit vœu de dédier la laure à la Sainte Mère de Dieu et d'édifier l'église majeure. Nous vînmes donc en procession à ce lieu d'une façon habituelle (comme de coutume) avec des croix, des images, parmi les cantiques et les louanges envers la sainte Mère de Dieu ; nous accomplîmes toutes les cérémonies ainsi que la récitation des psaumes ; nous proclamâmes l’Évangile ; nous retournâmes à la laure. Et comme nous passions près de la cellule du père Théodore Abu Qurrah3, homme très digne de louanges, nous fîmes digression pour saluer ce saint homme et recevoir sa bénédiction. En effet sa cellule était flanquée à la laure, au lieu de la Roche Fendue sur le chemin du Jourdain et de la Mer Morte. Lorsqu'il nous vit arriver, il nous reçut promptement, nous salua avec bienveillance et dit en nous embrassant avec joie : " Dieu vous a conduit jusqu'ici et ceci fait mon bonheur ". Il nous ordonna d'entrer, il nous introduisit dans sa cellule, et la prière étant achevée, nous nous assîmes. Étant assis depuis assez longtemps, et ayant devisé de choses et d'autres, ce qui nous fût des plus utiles, nous nous levâmes pour prendre congé ; Abu Qurrah dit alors : " Ce n'est pas encore le moment, saints pères, mes seigneurs et serviteurs du Très-Haut. Ce jour est en effet un jour de louange et de liesse ; voici qu'est arrivée l'heure du dîner et de l'amitié. L'aliment qu'est le pain nous est nécessaire pour refaire nos forces, ainsi que la tendre hostie et la suave boisson4". C'est ainsi qu'il nous proposa de célébrer le saint sacrifice ; ce que nous fîmes ; nous reçûmes le corps et le sang du Seigneur. Ensuite, il se dépêcha de mettre la table. Nous lui dîmes : " Père, donne-nous d'abord une nourriture spirituelle, un discours utile à l'âme ; alors seulement, tu nous donneras une nourriture corporelle ". Il répondit, et comme s'il se jouait de nous, il dit : " Taisez-vous, les pères, ceci n'est pas en mon pouvoir. Donnez-moi la nourriture corporelle, et ensuite vous sera donnée la nourriture spirituelle ". Il nous dit aussi : " Appelez mon disciple ; il ne faut en effet qu'il ne goûte d'aucune viande. Et nous, nous nous plaignons de l'austérité du jeûne !" Alors, nous invitâmes aussi le disciple, nous nous assîmes tous en même temps, nous prîmes plaisir à nous livrer à la liesse et à la joie spirituelles.

    2. C'est alors qu'Abu Qurrah nous narra ce qui suit. Au temps d'Abd al Melik, fils de Maruani, commandeur des croyants, la paix était parfaite, et grande la tranquillité5 ; il n'y avait ni hostilité, ni guerre ; mais à tout le genre humain, au fidèle, à l'infidèle, à tous les païens, aux Juifs et aux Saracènes6, s'imposait l'envie de voir Jérusalem. C'est alors que le commandeur des croyants, Abd al Melik, monta de Babylone à Jérusalem avec son épouse et ses enfants, une armée imposante qui l'accompagnait, des litières à chevaux, des chars ornés, des chevaux, des poulains, des éléphants et des chameaux, dans un appareil varié avec un désir d'ostentation aussi vain que futile. Abd al Melik, le commandeur, ne porta cependant de condamnation à personne et ne molesta personne, mais recherchait depuis longtemps un chrétien expert en lois7.

    3. Quand il vint donc à Jérusalem, la ville sainte, il y avait à Saint Sabas un moine originaire de Tibériade, qui avait un disciple obéissant et droit, bon, parfait et ayant une belle âme. Celui-ci avait l'habitude de confectionner des petits coffrets, des paniers, des corbeilles et différents articles élaborés avec art : il vendait ces ustensiles et en rapportait le prix à son maître. Il dit : " Père, je désire aller en ville pour vendre et acheter divers objets, en donner et en recevoir d'autres. Mais l'Ancien, averti en esprit par une connaissance prophétique, n'eût pas le courage de lui dire de ne pas y aller ; il le bénit avec ferveur et le laissa partir en disant : "Va en paix, mon fils ". Une fois entré en ville, il gagna l'Anastasis et demeura longtemps en prière. Il revint alors à l'Hospice pour récupérer ses articles ; il descendit au marché et commença son commerce. Un eunuque, serviteur de Seida, l'épouse du commandeur, l'aborda avec bienveillance et lui dit : " Passe de notre côté8, jeune : j'achèterai tout ce que tu désires vendre, j'acquerrai de toi autant que tu voudras ". Et aussitôt, il le suivit ne sachant pas où il le conduisait. L'eunuque le conduisit alors jusqu'à la porte de l'épouse du Commandeur et étant entré, il dit à Seida : " Il y a ici un jeune moine ; il est réputé muni d'un grand talent et il vend des ouvrages artistement faits à la main (manufacturés avec art). Je l'ai amené à ta porte ". Elle dit : " Fait-le entrer ".

     4. Lorsque cet agneau eût franchi la porte de l'édifice, le serpent (le diable) qui ne cesse pas de combattre les moines, entra aussi dans l'âme de la femme. Il (le diable) suscita une forte émotion chez l'épouse du commandeur des croyants et la séduisit par un amour déraisonné pour ce moine : il était en effet de grande taille, était dans la force de l'âge (d'un âge florissant) et avait un bel aspect ; son visage par contre était marqué par le jeûne, le travail et les veilles. Seida dit en s'adressant au moine : "Jeune infortuné ! si tu étais captif, je te rachèterais ; si tu étais malade, je te soignerais ; si tu étais pauvre, je te donnerais la richesse ". Le moine répondit : " J'étais captif du monde, maintenant je suis libéré par le Seigneur ; j'étais esclave du péché, maintenant je suis le serviteur du Très-Haut. Je ne suis pas malade de corps, et ne suis pauvre d'aucune richesse ; mais c'est mon être spirituel qui est malade, je languis après les œuvres de pénitence et je suis blessé par la charité du Christ ". Seida répondit : " O Jeune, comme tu es à plaindre ; si tu étais un ami pour moi, je serais bienfaisante pour toi et je serais pour toi le salut ; toi, en effet, tu serais préféré à beaucoup d'autres ". Le moine répondit : " Femme, dans quel but désires-tu perdre ma vie, me séparer de mes compagnons et faire périr mon âme ? " Seida répondit : " Si tu ne te montrais pas prudent envers moi, je mettrais ton corps en pièces par les fouets, la dureté des tourments et des supplices les plus recherchés ". Le moine répondit : " T'obéir est pour mon Dieu une rébellion, et suivre ta volonté est pour moi-même un détriment. Le supplice que pourrait subir mon corps, serait pour moi un repos, et les tourments, le plaisir de mon âme ". Seida répondit : " Ne suis-je pas digne de louange, belle et désirable ". Le moine répondit : " Non digne de louanges, mais blâmable ; non belle, mais nocive ; non désirable, mais adultère et cynique9.

    5. Alors, cet aspic, troublé dans son esprit, s’échauffa dans une grande fureur avec des larmes. Elle ordonna de le ligoter avec des cordes d'arc et de le blesser par des verges. Elle demanda ensuite une tablette en ébène et écrivit le motif de l'accusation contre ce saint. En voici l'énoncé : " sans que je l'ai mérité, ce moine vint chez moi pour m'agresser et me couvrir d'injures ; je te demande de me livrer sa tête en mon pouvoir afin que j'accomplisse la sentence contre lui à discrétion10". Il fut remis alors entre les mains de l'eunuque qui le conduisit jusqu'au palais du Commandeur des croyants en lui remettant la lettre de son épouse. Lui, de son côté, comprit qu'il s'agissait d'une fausse accusation, mensongère et vaine, mais en raison des liens dont le moine était chargé en présence du Commandeur des croyants, personne ne le sût sinon le Commandeur et le moine.

    6. Alors le Commandeur, d'un visage irrité, avec des paroles de menaces et au comble de l'indignation, proféra ces paroles : " O moine, qu'avais-tu en tête ? N'as-tu rien à répondre ? Ou par quelle parole oseras-tu nous répliquer ? Narre-nous ce que tu as dans le cœur. Le moine répondit : " Les rois et les gouverneurs se doivent d'observer trois choses ". Le Commandeur répondit : " Expose la première, la deuxième et la troisième ".

    Le moine11 : " La première est la crainte de Dieu, la deuxième est la miséricorde, la troisième la longanimité ". Cette réponse plût au Commandeur, et ayant pitié de son jeune âge, il ordonna qu'on le délivrât de ses liens. Et il s'adressa au moine : " Cette chose convient parfaitement à l'homme, qu'il soit roi ou empereur, aussi bien qu'au voleur et à l'adultère, qui par conséquent a mérité une peine, du moment qu'il pratique la justice. Et bien, pose une énigme ".

    Le moine : " Que doit faire l'homme qui se trouve à proximité d'un dragon dont le seul aspect fait mourir ; et lorsqu'il s'en éloigne, il tombe sur une terrible bête sauvage, un lion rugissant et effrayant. Qu'est-il alors préférable : de vivre près d'un lion ou d'un dragon venimeux, funeste et plein de malignité ? "

    Le Commandeur : " Ton énigme est pleine de perspicacité. Ne crains pas ce lion effrayant car il est repu, il ne peut pas être trouvé injuste12, il révère le Dieu Très-Haut, si du moins tu te confies en lui ".

    Le moine : " J'espère en Dieu le Père, le Fils et le Saint Esprit ".

    Le Commandeur : " D'où es-tu ? narre-moi ceci en premier, puis plus tard, tu m'instruiras ".

    Le moine : " Je fus d'abord un Galiléen, de la ville de Tibériade ; pour l'heure, je suis Palestinien, de la ville de Jérusalem et de la laure de Saint Sabas ".

    Le Commandeur : " Si mon opinion ne me trompe pas (si je ne m'abuse), tu es un puits de science, d'une parfaite sagesse et prolixe en paroles ".

    Le moine : " Il faut proclamer la vérité devant les rois et non pas la falsifier ".

    7. Cependant le Commandeur des croyants connaissait bien le monde et faisait preuve de prudence devant Dieu ; il avait lu les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament : la Genèse, l'Exode, les Rois ; par contre, de la Loi Nouvelle, il lut les lettres de saint Paul et des Apôtres. C'est alors que le Commandeur fit venir un Juif expert de la Loi dans le but de vaincre (de confondre) le moine et de l'infléchir vers sa Loi. Le Commandeur dit alors au moine : " Où donc est-il écrit dans la Genèse ou dans l’Évangile qu'il vous est permis de manger de la viande et de vous marier ? "

    Le moine : " Il est écrit : les enfants de ce monde se marient ".

    Le Commandeur : " N'es-tu pas, toi aussi, un enfant de ce monde ? Répons à cette objection ou sinon tu seras soumis à mon jugement (ma condamnation) ". Le Juif regarda alors le Commandeur, estimant que le moine était vaincu. Le moine répondit : " Ni le livre de la Genèse, ni ceux des Apôtres, n'interdisent aux hommes qui suivent la voie de ce monde d'user de la viande et du mariage ; par contre, pour les moines qui ont choisi se suivre la voie de l'éternité, il ne leur est pas permis de s'engager dans le mariage ni de jouir des délices de ce monde. Le Règne de Dieu, en effet, n'est pas affaire de nourriture et de boisson, mais il est au-delà de tout ce que l'on peut penser (incogitabile : on ne peut s'en faire une représentation intellectuelle)".

    Le Commandeur : " Oh, comme tu es à plaindre, toi qui es orphelin et exclu de l'une et l'autre vie, où as-tu placé ton espérance".

    Le moine : " Les dons du Christ, les yeux ne les ont jamais vus, ni les oreilles entendus, inaccessibles à l'esprit, il ne peut en venir à bout ".

    Le Commandeur : " L'Apôtre Paul vous a trompé ".

    Le moine : " Paul ré-établit les Nations dans la vraie vie ; mais Mohammed, le Saracène (Sarrasin) les trompa ".

    Le Juif : " Paul ne fut-il pas d'abord Juif ? "

    Le moine : " Assurément, il était Juif ".

    Le Juif : " Laisse-moi t'enseigner comme tu as été enseigné par lui ".

    Le moine : " Si tu étais semblable à lui, bienheureux serais-tu, et je serais ton disciple ".

    Le Commandeur : " Nous sommes deux et à nous deux nous te vaincrons, toi qui es seul ".

    Le moine : " Vous êtes trois, et tous les trois pareillement, vous serez vaincus par la force du Christ ".

    Le Commandeur : " Quel est ce troisième ? Dis-le moi donc ".

    Le moine : " Mon ennemi est votre ami ; et vous m'interrogez pour savoir qui il est ! "

    8. Le Commandeur : " Jeune, obéis-moi ; ressaisis-toi et tu seras comme un fils pour moi. De même je serai un père pour toi, et je te ferai le chef de toute l'armée. Confesse donc que Mohammed est l'envoyé ".

    Le saint (le moine) : " Allons donc, Commandeur des croyants, ne témoignes-tu pas avec moi que le Christ est le Verbe de Dieu ? "

    Le Commandeur : " Oh là ! je témoigne de ceci avec toi ? "

    Le moine dit au Juif : " Toi, le Juif, ne témoigneras-tu pas avec moi de l'avènement du Christ et que c'est par le Verbe de Dieu que les cieux ont été affermis ".

    Le Juif : " Eh bien, je témoigne ".

    Alors le saint (moine), rempli de l'Esprit Saint, dit : " Vous trois, vous avez témoigné devant moi de la vérité ; par suite, je ne témoignerai pas de ce qui n'est pas vrai. Oh Juif, le Christ est né et ne naîtra pas de nouveau. Oh Commandeur des croyants, Mohammed n'est ni Apôtre, ni prophète, mais un falsificateur ".

    Alors les Saracènes furent remplis de pudeur, de colère et d'indignation ; les scribes et les médecins chrétiens par contre furent envahis de joie du fait que le moine, par la force du Christ eût vaincu le Commandeur des croyants et le Juif. Le Commandeur dit donc au Juif : " J'espérais que tu me serais utile et cela est allé a mon détriment ". A la suite de cela, il ordonna de souffleter violemment le Juif et de le jeter dehors. Et il dit au moine : " Seul, je te vaincrai, et de tes idées, je te ferai revenir ".

    Le saint : " Un seul a été mis en fuite, vous l'emportez comme deux (sens douteux) ".

    Le Commandeur : " Mohammed n'a-t-il pas converti les Perses et les Arabes et réduit à rien leurs idoles ? "

    Le Saint : " A quelle fin les a-t-il convertis ? Avec quel acharnement agit-il et comment a-t-il rémunéré (récompensé) ceux qui lui obéissaient ? "

    Le Commandeur : " Il comble de biens ceux qui lui obéissent ; mais ceux qui sont opiniâtres, il les fait périr par le glaive ".

    Le Saint : " Qu'est-ce qui était promis dans ce monde périssable et dans l'éternité ?"

    Le Commandeur : " Ici-bas, des mets succulents, des vêtements splendides, des convives et des chambres nuptiales ; là au paradis, de la nourriture et des noces ".

    Le moine : " Paul n'avait ni glaives, ni trésors, il travaillait de ses mains d'où il tirait sa subsistance et renonçait à tout, il enseignait le jeûne et la sainteté et ne sombrait pas dans la fornication. En ce qui concerne la Vie éternelle, il ne promettait ni nourritures, ni noces, mais le règne de Dieu. Considère que les disciples de l'un et l'autre, de Paul et de Mohammed, sont nombreux ".

    9. Le Commandeur : " Paul est-il réellement Apôtre ? Les Apôtres ne furent-ils pas douze ? "

    Le Saint : " Tu fais preuve d'une grande sagesse, toi qui connais les douze Apôtres ; et en même temps d'un aveuglement extraordinaire, toi qui ne crois pas en leurs œuvres ! En effet, ils furent douze à gagner et à se partager les douze extrémités de la terre, eux qui convertirent les nations, les confirmèrent et les baptisèrent en vue de la Vie éternelle ".

    Le Commandeur : " Comment dois-je comprendre les douze extrémités de la terre ?"

    Le moine : " Les quatre coins de la terre correspondent aux quatre Évangiles, et les douze parties de la terre correspondent aux douze provinces que les Apôtres ont évangélisé, à savoir l'Indus et l'Inde, la Nubie et l'Afrique, le pays des Goths (veut-il désigner la Germanie) et la Grèce, la Bulgarie et la Thrace, la Colchide et la Chazarie, l'Arabie et la Farghanie13 : voici les confins maritimes. Vous par contre, les Sarrasins, n'avez obtenu qu'une seule île (il veut parler de la péninsule arabique) et de vos terres, plusieurs nations croient en mon Dieu. Et de tes serviteurs eux-mêmes, les plus éminents, les uns scribes, les autres médecins, ils trouvent leur espérance en mon Libérateur ". Jusqu'à présent pensif, le Commandeur fut embarrassé et ne put rien répondre au moine.

    10. Alors le Commandeur répondit au moine : " Je te donne de choisir entre deux choses ".

    Le moine : " Il t'est donné d'accomplir l'une d'elle ".

    Le Commandeur : " Soit je te convertis, soit je te fais mourir ".

    Le moine : " Soit tu me renvoies à mon maître, soit tu m'envoies au (mon) Christ, soit tu te fais chrétien toi-même avec moi ".

    Alors le Commandeur des croyants ordonna d'apporter une marmite brûlante et de l'y plonger après lui avoir enlevé ses sandales. Étant debout, il pria pour supporter le tourment jusqu'au bout en disant : "Mon corps s'offre à la brûlure du moment que mon âme ne périsse pas ". Le feu ayant épuisé son effet ne nuisit pas au saint. Ensuite le Commandeur des croyants ordonna que soit apporté une petite boite en fer, bien fermée et gardée, qu'il ordonna d'ouvrir et d'où il sortit une petite ampoule avec l'étiquette sur laquelle était écrit -boisson empoisonnée14 causant la mort immédiatement, et appelé samsala-. Le Commandeur des croyants dit alors : " Ou bien tu m'obéis et tu recevras le bienfait, ou bien tu bois ce poison et tu vas à la mort".

    Le saint : " Il est préférable de boire ce venin mortifère et de goûter la mort que de se soumettre à ta loi et de perdre mon âme ". Le Commandeur des croyants ordonna donc d'apporter un vase, d'y verser l'hydromel, d'y mélanger le poison et de le présenter au moine pour qu'il le boive. Et il dit : " A cause de ton obstination, bois cette boisson amèrement douce et mortellement mielleuse (bois ce qui est amère avec ce qui est doux, et ce qui est mortel avec ce qui est mielleux). Le Martyr du Christ le reçut de sa main, récita le symbole de la foi et fondit en larmes. Pleuraient aussi les scribes, les médecins et les chrétiens de la noblesse sauf ceux qui se continrent par crainte. Apercevant ses ministres en train de pleurer, le Commandeur des croyants, pris lui-même de commisération, commença à pleurer. Mais quoiqu'il voulût le relâcher, il était plein de vénération et ne put le châtier parce que le peuple lui imposait de la crainte. Alors le moine, élevant la voix, dit : " Je crois au Père, au Fils et au Saint Esprit ". Il se signa de la croix du Seigneur ; et nullement terrifié, il but jusqu'au bout le poison. Mais par la puissante protection de Jésus-Christ notre Dieu, il ne subit aucun dommage. C'est alors que les scribes se précipitèrent au devant du Commandeur des croyants et dirent : " Ordonne qu'un glaive soit apporté et nous tue pareillement avec cet homme innocent ". Alors le Commandeur des croyants ordonna d'amener un homme captif, un homicide, passible de mort ; et voulant expérimenter le poison, il ordonna à l'accusé de la boire. Lorsque celui-ci l'eût bu, il s'effondra, son âme sortit de lui, son corps se décomposa, ses cheveux et sa barbe tombèrent. Le moine par contre, restait debout, priait, louait le Seigneur et se Réjouissait en esprit. Alors tous les Sarrasins se mirent à crier : " Tu avantages et honores les Chrétiens ; tu perds les Sarrasins. Soit tu supprimes ce moine, soit nous Sarrasins, nous périssons ".

    11. Il ordonna donc de le mettre à mort, de le faire sortir de la ville et de le transpercer d'un glaive. Alors le saint martyr du Christ dit au Commandeur des croyants : " J'exige de toi une seule chose : que je sois traduit au tribunal devant l'assemblée du peuple et des moines. Par la suite, je t'adjure de par le Seigneur de ne pas renverser la justice ". Alors ils le conduisirent à la porte de la ville, vers la colline de Saint Grégoire. Ce qu'ayant entendu, sortirent la multitude des habitants de la ville, les pèlerins, les moines, les vieilles personnes ainsi que les jeunes, les enfants, les femmes et tous les fidèles. Alors saint Michel, l'athlète et le martyr du Christ, étendit son pallium, adora le Seigneur par trois fois, pria en faveur de la paix pour le peuple et demanda à tous : " Habillez-moi de ma bure ; enveloppez-moi de mon pallium et remettez-moi entre les mains de mon maître pour qu'il me confie à la terre ". Puis il se signa d'un signe de croix et inclina la tête sous le glaive pour livrer sa vie. Le Bourreau trancha alors sa tête sacrée, la prit de sa main et la baisa ; lui-même pleura ainsi que tout le peuple. A la suite de ceci, une grande controverse s'éleva parmi les habitants de la ville et les moines. Les habitants de la ville disaient : " Ne nous enlevez pas de notre ville ce martyr exceptionnel ". Les moines répondaient : " Vous ne pouvez pas nous arracher celui qui est pour nous un fils et le compagnon de notre solitude ". Ceci tourna en dispute et tumulte jusqu'à ce qu'arrivât le Commandeur des croyants qui ordonna de le livrer aux moins. Et posé sur un animal de trait, ils le transportèrent jusqu'à l'hôpital (Xenodochium).

    12. Immédiatement, vers l'heure des Vêpres15, des anciens firent connaître tout ce qui était arrivé : l'Esprit Saint en effet était avec eux. La cellule de l'un d'eux était placée à proximité de la tour Saint Sabas. L'ancien se dirigea promptement vers l'église et ordonna de faire sonner le signal de la prière ; ce qu'entendant, les pères se rassemblèrent à l'église. L'ancien narra l'événement tout en pleurant et les exhorta tous par ces mots : " Ainsi est décédé votre frère et mon fils : je vous prie donc instamment que vous meniez à bonne fin cette affaire promptement et avec courage, et que vous enleviez le corps ". C'est ainsi que les plus jeunes moines, ses confrères, se précipitèrent en ville et enlevèrent le corps. Au tomber du soleil, ils descendirent à la faveur du crépuscule dans la vallée de Siloé. C'est alors qu'on a pu remarquer une chose admirable : une nuée de feu comme une colonne de lumière ou comme la lune resplendissant dans tout son éclat dans les ténèbres et l'obscurité, accompagna le saint martyr. Tous les habitants de la ville observaient stupéfaits. Les Sarrasins aussi furent terrifiés : ils fixaient du regard cette grande lumière descendant le long de la vallée de Siloé jusqu'à atteindre la laure de Saint Sabas. Le convoi étant arrivé à la laure, les pères sortirent à sa rencontre avec des cierges et des encensoirs et l'introduisirent dans l'église au milieu des cantiques avec une grande vénération.

    13. Il y avait alors à la laure, un frère infirme du nom de Théodore qui gisait sur son lit depuis trois ans. Lorsqu'il entendit que le disciple du père Moïse natif de Tibériade et maintenant martyr, avait été enlevé de la ville, il supplia qu'on le transportât à l'église pour voir le saint : il était en effet son amis. Mais personne n'exauça sa demande. Élevant alors une voix sanglotante, il dit : " O Michel, mon frère, n'oublie pas ton ami. Si tu as grâce auprès du Christ, rends-moi digne de me mettre en ta présence ". Et aussitôt, il se dressa et devint ferme. Il descendit à l'église, se prosterna à ses pieds (du saint) et dit en pleurant : " Vraiment, ta puissance éclate par la manifestation de ta grâce irrésistible, et tu m'as superbement conservé ton amitié. De plus, tu as usé de miséricorde envers moi et tu as voulu me guérir ". Une fois la psalmodie et tous les rites funèbres complètement achevés, ils le conduisirent à la sépulture des martyrs, des pères et des confesseurs (qui se sont consumés ??)16. Son maître, la larme à l’œil, le cœur souffrant et l'esprit en joie, adressait ainsi ce discours à son disciple, martyr du Christ : " Si cette permission t'est accordée auprès du Christ, fais que je migre vers toi au septième jour ". Sept jours après, nous déposâmes le corps du maître à côté de son disciple ; et tous, d'une seule voix, rendîmes gloire à Dieu, auteur de ces prodiges, et à notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit la gloire pour les siècles sans fin. Amen.

    14. Et moi, Basile, très modestement, j'ai demandé ces récits pour l'utilité de ceux qui écrivent, qui lisent et qui écoutent, pour garder la mémoire, la louange et la gloire de Saint Sabas, notre père, qui d'une étendue aride fit une célèbre cité, très forte contre l'attaque des ennemis visibles ou invisibles qui lui font la guerre, mais gardée par Dieu par son aide céleste, non redevable d'aucune faveur, ni d'aucun patronage humain, mais administrée et ordonnée (agencée) par Dieu, entièrement adonnée au combat ascétique, elle est éreintée par un travail sans trêve, mais elle prend part à al miséricorde éternelle ; et dans cette laure, il fonda une église divinement édifiée, fondée sur la vraie foi et confirmée pour l'éternité. Et de même que le Seigneur chérit les maisons de Jérusalem et que tous les fidèles qui y habitent sont déclarés bienheureux, de même bienheureuse est la laure de Saint Sabas ; elle est une vallée de larmes, et pourtant bienheureux quiconque y habite et est illuminé par cet homme célèbre (Sabas). Comme Jérusalem est la reine de toutes les villes, ainsi la laure de Saint Sabas est le principe et modèle de tous les lieux de solitude ; autrement dit, si Jérusalem constitue la norme des autres villes, la laure de Saint Sabas vis à vis des autres monastères, en est l'exemplaire.

    15. Ce Sabas (dont nous parlons), illustre et extrêmement célèbre, un étranger venant des confins de la terre, fut choisi et appelé par le Père, aimé par le Fils et conduit par le Saint Esprit. Ce serviteur de la Sainte Trinité fut en outre disciple du grand Euthyme, ami de Saint Théodose et père de très nombreux martyrs. Comme guide spirituel, le bienheureux Sabas a acquis maints disciples parmi lesquels il faut compter Étienne (Étienne le Sabaïte, neveu de saint Jean Damascène), Jean, Thomas et Théodore Abu Qurrah. Le père Étienne marcha sur la Mer Morte et opéra de nombreux miracles : c'est lui qui vainquit le diable dans le désert. Jean, l'évêque et l'hésychaste, prit soin d'un arbre et en recueillit des fruits savoureux. De même, il irrigua la laure de la sève de son enseignement (son institution) et prit soin de l'âme des moines, dont un disciple de Jéricho. Abu Qurrah, un néophyte de Saint Sabas, pasteur et hiérarque d'Assyrie et thaumaturge de Babylonie, et bien d'autres athlètes, disciples de la laure de Saint Sabas, martyr du Christ, saints pères, jeunes et anciens qui, brûlés par l'incendie ou mis à mort par le glaive, ont rejoints les martyrs au martyrium de la laure. Notre saint père, vénérable ancien, prêtre et fruit (rejeton) du paradis, Sabas fit pousser de tels rameaux, orna de fleurs variées, abonda de fruits spirituels et apporta à notre Seigneur Jésus Christ, à qui sont dus la gloire, l'honneur, l'adoration, avec le Père et l'Esprit Saint, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.

     

    Notes

    1 Les mots en italique ne sont pas dans le texte latin mais ont été rajoutés pour les besoins de la traduction.

    2 Environ 400 m.

    3 Abu Qurrah, d'abord moine au monastère Saint Sabas, devint évêque de Haran en Syrie. L'Abu Qurrah dont il est question ici, n'est qu'un prête-nom.

    4 Il s'agit certainement du Corps et du Sang du Christ pour refaire les forces de l'âme.

    5 En fait, Abd el Melik a mené la vie difficile aux chrétiens.

    6 Peuple de l'Arabie Heureuse : la dénomination « heureuse » vient d'une erreur de vocalisation sur le mot Saoud qui désigne aussi la famille du même nom.

    7 À savoir, des théologiens chrétiens qui puissent l'enseigner. Autrement dit, il ne condamnait personne en raison de sa foi puisqu'il recherchait un savant chrétien. Ceci explique certaines réparties par la suite.

    8 Ou « vient avec nous ».

    9 Cynique traduit caninus, qualificatif de canis le chien ; en grec kuwn, kunoV d'où cynique.

    10 c'est-à-dire selon mon jugement.

    11 À partir de maintenant, au lieu de répéter : le moine répondit ou le Commandeur des croyants répondit, je mets seulement le moine ou le Commandeur.

    12 Sens douteux : un lion repu ne va pas aller chercher une proie. Le Commandeur a compris que le lion, c'est lui. C'est pourquoi il se montre conciliant.

    13 Je n'arrive à identifier la Chazarie et la Farghanie.

    14 venin buvable en latin.

    15 vers le soir.

    16Sens douteux !

     


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  • On ne connaît que fort mal l'Histoire de l'Orient chrétien lorsqu'on le voit à travers les ouvrages généralistes sur l'Histoire de l'Eglise rédigés en Occident. Pourtant des historiens et des chroniqueurs, qu'ils soient "melkites", "jacobites" ou "nestoriens" ont écrit en syriaque ou en arabe soit sur "l'Histoire Universelle", soit sur les événements récents.

     Leurs appartenances ecclésiastiques diverses influent sur les choix des régions décrites, mais aussi sur l'opinion émises sur les personnages : tel sera qualifié de saint par l'un qui ne sera vu que comme un hérétique par tel autre. C'est la règle du genre, il n'y a pas lieu de s'en émouvoir.

    On rappellera opportunément que les débuts de l'islam sont à situer au VII° siècle, entre 610 et 632. L'ouvrage du P. Nau "Les arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie du VIIe au VIIIe siècle" constituera une bonne introduction à la période qui entoure les débuts de l'islam.

     Il va de soi que toute suggestion (via "contact", colonne de droite) pour améliorer cette page (ou les autres) sera reçue avec gratitude.

    Avant de débuter, il convient de présenter l'ermite Moïse, qui fut le premier  évêque pour les arabes au IV° siècle.

    Al-Bossikad

    Bar Hadbesabba 'Arbaïa

    VI° siècle

    Prêtre nestorien de Nisibe

    Langue : Syriaque

    "Histoire des saints pères qui ont été persécutés pour la vérité" éditée et traduite par F. Nau (P.O. 1932 et 1913)

    Traduction française : Première partie et Deuxième partie.

    (L'introduction se trouve au début de la "Deuxième partie", qui a été éditée et traduite en premier)

     

    Chronique d'Édesse

    VI° siècle (?)

    Langue : Syriaque

    Chronique des événements de 132 av. JC à 540 apr. JC

    Traduction anglaise dans The Journal of Sacred Literature (1864) numérisée par Roger Pearse

     

    Jean d'Asie / Jean d'Ephèse / Jean d'Amida

    VI° siècle (507-585)

    Evêque monophysite d'Ephèse

    Langue : syriaque

    De son "Histoire de l'Eglise" en trois parties, couvrant de 40 av JC à 585 ap JC, la première partie est perdue, la seconde partie (491-571) est insérée (comme troisième partie) dans la Chronique de Denys de Tell-Mahré, la troisième partie (571-585) est conservée indépendamment.

    Traduction anglaise de la Troisième partie de l'Histoire de l'Eglise par Jean d'Ephèse par R. Payne Smith, 1860.

     

    Josué le stylite

    VI° siècle

    Prêtre au monastère de Zuqnin, chalcédonien.

    Langue : syriaque

    Chronique intégrée par la suite dans la "Chronique de Denys de Tell-Mahré"

    La chronique court de 298 à 507

    Traduction française de la Chronique de Josué Le Stylite (avec le texte syriaque), par l'abbé Martin, 1876

    Traduction anglaise de W. Wright  (1882) sur le site de Roger Pearse

     

    Pseudo Denys de Tell-Mahré

    VIII° siècle

    Moine jacobite au monastère de Zuknîn

    Langue : syriaque

    La "Chronique de Zurkîn" (L'attribution erronée par Assemani de la "Chronique" à Denys de Tell-Mahré,  patriarche jacobite d'Antioche de 817 à 845, reste encore souvent collée à son titre) se compose de  4 parties.

    La première partie, qui va de la Création du monde au règne de l'empereur Constantin, est essentiellement un résumé de la "Chronique" d'Eusèbe de Césarée, complétée par la "Caverne des trésors", la "Chronique d'Édesse", ou le récit des "Sept Dormants d'Éphèse".
    La seconde, qui va jusqu'au règne de Zénon, résume d'abord l'Histoire ecclésiastique de Socrate, et recourt ensuite aux Plérophories de l'évêque monophysite Jean Rufus.
    La troisième partie (488-571), n'est autre, apparemment, que la seconde d'une autre Histoire ecclésiastique, celle de Jean d'Éphèse, peut-être un peu résumée et avec des lacunes, et avec au début la Chronique de Josué le Stylite.
    La quatrième partie - qui va de 586 à 775 - est propre à notre moine anonyme.

    Traduction française de la  quatrième partie de la Chronique de Denys de Tell-Mahré par Chabot, 1895.

     

    Chronique de Séert

    IX° siècle

    Auteur incertain, nestorien

    Langue originale : syriaque

    Chronique couvrant (avec des lacunes) la période 253-660

    Traduction française en un seul volume indexé, avec le texte arabe (publications 1908-1919).

     

    Saïd ibn-Bitriq / Eutychius d'Alexandrie

    X° siècle (877-940)

    Patriarche melkite d'Alexandrie (933-940), médecin.

    Langue : arabe

    "Chronique universelle" ou "Annales" (De la Création du monde à 937)

    (en arabe : Rangée de pierres précieuses (Naẓm al-Jawhar)

    Traduction anglaise partielle chez Roger Pearse 

    Contextio Gemmarum (arabe / latin) : Edition de Pococke, 1658

    Traduction latine de Pococke reprise dans Migne PG 111

     

    Agapios de Hiérapolis / Mahbūb ibn Qūṣṭānṭīn

    X° siècle

    Evêque melkite de Manbij (en grec Hiérapolis, en syriaque Mabboug), mort en 942.

    Mahbūb est l'équivalent arabe du grec Άγάπιος.

    Langue : arabe

    Histoire Universelle (De la Création du monde à 777).

    Traduction française de Vasiliev en un seul volume indexé (avec le texte arabe) (publié 1910-1915)

     (Partie 1 a numérisée sur le site de Remacle)

    Traduction anglaise de Roger Pearse, basée sur la traduction de Vasiliev.

    Preface to the online edition  ;  Translator's Introduction  ;  Part 1 ; Translator's Introduction to part 2  :  Part 2

     

    Sévère d'Achmounein / Sawīres ibn al-Muqaffa

    X° siècle (mort après 987)

    Evêque copte (monophysite)

    Langue : arabe

    Traduction française de la Réfutations d'Eutychius (Saïd ibn-Bitriq), avec le texte arabe par Chébli (PO III, 1909)

    Traduction française de L'histoire des conciles (second livre) avec le texte arabe par L. Leroy et S. Grébaut (PO VI, 1911)

    Traduction anglaise intégrale de l'Histoire des patriarches coptes d'Alexandrie A partir de cette page

     

    Yahyah ibn-Saïd al-Antaky / Yahya d'Antioche

    XI° siècle

    Melkite, né Égypte, vers 980, peut-être médecin

    Langue arabe

    "Continuation de la Chronique de Saïd ibn-Bitriq", (De 938 à 1034)

    Traduction française :  Parties 1 et 2 en un seul volume indexé (938-1013) (avec le texte arabe) (1924-1932)

     

    Élie de Nisibe / Elia Bar Šināyā

    XI° siècle (975-1046)

    Evêque nestorien de Nisibe (1008-1046)

    Langue : syriaque et arabe

    Chronographie (Histoire Universelle) de la création du monde à 1018

    Traduction française de la Chronographie d'Élie Bar Šinaya, métropolitain de Nisibe , par Louis Joseph Delaporte, 1910

     

    Matthieu d'Edesse

    XII° siècle (mort en 1144)

    Moine, monophysite

    Langue : arménien

    Chronique couvrant la période 962-1136, poursuivie jusqu'en 1162 par le prêtre Grégoire

    Traduction française de la Chronique de Matthieu d'Édesse, continuée par Grégoire le prêtre  par Edouard Dulaurier, 1858

     

    Michel le syrien

    XII° siècle

    Patriarche de l'Eglise syriaque orthodoxe (Jacobite) de 1166 à 1199

    Langue : syriaque

    Chronique Universelle (De la création à 1193)

    Chronique de Michel le Syrien, par J.-B. Chabot, (publiée en 1899-1901-1905-1910) :

    Traduction française : Tome 1 , Tome 2 , Tome 3 

    Texte syriaque : Tome 4 .

    Traduction française de la version arménienne de la Chronique par V. Langlois, 1868  

    Présentation de la Chronique de Michel de Syrien par J. B. Chabot in Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 43e année, N. 4, 1899. pp. 476–484 sur le site Persée 

    Jean-Baptiste Chabot, Les évêques jacobites du VIIIe au XIIIe siècle d'après la Chronique de Michel le Syrien :

    ROC 1899, p. 444-452 , ROC 1899 p. 495-511 , ROC 1900, p. 605-636  et ROC 1901, p. 189-220 .

     

    Abu’l-Faradj / Bar Hebraeus

    XIII° siècle (1226-1286)

    Evêque de l'Eglise syriaque orthodoxe (Jacobite)

    Langue : syriaque / arabe

    Chronique universelle  (De la création à 1296. Les dernières années, postérieures à sa mort, ne sont pas de sa main !)

    Traduction anglaise de la Chronographie de Bar Hebraeus par Bundge (1932), sur le site de Robert Bedrosian.

     

     

    Ressources bibliographiques syriaques : une mine ! syri.ac : An annotated bibliography of Syriac resources online

     


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  • Theodore Abu Qurrah

    De l'usage de la raison pour discerner la vraie religion

     Extrait du traité arabe "Sur l'existence du Créateur et de la vraie religion"[1]

     Thème : Un homme "innocent", descendu de sa montagne où il n'avait jamais côtoyé personne dut un jour se rendre dans la vallée. Là, ayant rencontré tour à tour des païens, des mazdéens, des samaritains, des juifs, des chrétiens, des manichéens, des marcionites, Bardesane et finalement des musulmans – qui tous lui dirent qu'eux seuls possédaient la vraie religion. Ainsi perplexe, il se mit en recherche d'une voie de discernement.

    [Recherche d'une voie de discernement]

     Après avoir rencontré tous ces gens et réfléchi sur leurs discours respectifs, je vis que tous s'accordaient sur trois points, où ils étaient pourtant en désaccord;

    Chaque groupe, en effet, sauf un ou deux, affirmait comme les autres reconnaître un dieu, et du licite et de l'interdit, et une récompense et un châtiment. Mais ils divergeaient sur les attributs de leurs dieux, sur ce qui leur était licite ou interdit; sur la récompense et le châtiment à venir.

    Je me remis à méditer, et je me dis : "Il convient que Dieu; dans sa bonté et sa générosité, voyant ses créatures dévier du culte véritable leur envoie uns messager avec un Livre qui le leur fasse connaître, et les détourne de leurs péchés pour les ramener à Lui. Or, en fait, une quantité de messagers et de Livres se sont présentés, en désaccord les uns avec les autres. Leur cas doit être l'un des deux que voici : soit aucun ne vient vraiment de Dieu, soit un seul d'entre eux en vient. A ce qu'on sait de la générosité et de la sollicitude de Dieu pour ses créatures, il semble- qu'il y ait bien un messager véritable. Mais par quel moyen reconnaître ce messager unique ?

    [ Allégorie du messager envoyé par le roi à son fils malade]

    Il me vint alors à l'esprit que cette histoire ressemblait à celle du fils d'un roi, dont le père vivait caché à l'abri des regards : personne ne l'avait jamais vu en dehors de ses amis et de ses dignitaires particuliers. Une affaire se présenta dans un certain pays, et il y envoya son fils, encore tout jeune. Il le fit accompagner, pour le protéger contre ce qui est malsain, par un de ses médecins, qu'il institua aussi conseiller du prince. Or, ni son fils ni le médecin ne l'avaient jamais vu.

    Le jeune homme partit en voyage et finit par atteindre ce pays lointain, mais il perdit son médecin[2]; se négligea et tomba dans les maladies.

    Son père le sut. L'affection qu'il avait pour lui l'empêchait de l'abandonner ou de l'induire en erreur.

    Il envoya à son fils une lettre en trois points.

    Son premier point était de faire sa propre description.,

    Le deuxième décrivait la maladie du jeune homme, exposait quelles pratiques et nourritures malsaines en avaient été la cause, et lui défendait d'en user."

    Le troisième point lui décrivait un remède. Il lui apprenait comment la guérison en viendrait, et comment il devait se comporter pour jouir d'une santé permanente que ne troublerait jamais ni infirmité ni malaise. Il lui ordonnait de boire ce remède pour retrouver la santé.

    Le roi appela un de ses messagers[3], lui confia la lettre et lui ordonna de rejoindre son fils et de la lui remettre. Le messager saisit la lettre et partit pour l'apporter au jeune homme.

    Or, le roi avait de nombreux ennemis ou envieux, qui ne pouvaient lui nuire en rien à cause de sa puissance. Quand ils surent que son fils était tombé malade, que le roi en avait du souci et lui avait envoyé à ce sujet un messager avec une lettre, ils trouvèrent l'occasion de blesser le roi – s'ils le pouvaient – en la personne de son fils. Chacun d'eux se hâta de préparer un messager et d'inventer une lettre fleurie, prétendument du roi. Celui-ci y faisait. mensongèrement sa propre description, défendait au jeune homme ce qui lui aurait fait du bien et lui ordonnait ce qui lui ferait du mal. De plus, chaque ennemi lui envoya un "remède" qui, lorsqu'il le boirait, le tuerait.

    Leurs messagers prirent les lettres, se mirent en route et arrivèrent avant que le véritable messager du roi n'ait remis sa lettre.

    Ils se présentèrent donc tous au complet devant le fils du roi et lui remirent leurs lettres. Il les lut : voici qu'elles étaient toutes en désaccord sur la description du roi, sur ce que sont père lui ordonnait et lui défendait, et aussi sur les remèdes à prendre. Alors, il les convoqua.

    Ils se rassemblèrent devant lui. L'un d'eux s'avança vivement et dit : "J'ai été envoyé par le roi auprès de toi avec la lettre que je t'ai remise." Mais un autre dit au prince : "II ment ! Ce n'est pas le messager du roi, mais c'est moi, son messager, avec la lettre que je t'ai remise !" Un troisième éleva la voix : "Tous les deux sont des menteurs ! C'est moi le messager du roi." Chacun se mit alors ai accuser son voisin, et tous les autres, de mensonge, tout en affirmant sa propre qualité. Le véritable messager était parmi eux, déniant et dénié, tout comme les autres, sans rien qui le distingue. Le fils du roi tomba dans la perplexité, ne sachant qui croire.

    Le médecin[4] lui dit alors : "Renvoie-les pour l'instant, et je vais tirer au clair pour toi cette affaire : car je suis médecin, et c'est mon métier de connaître ces choses.

    Voilà donc que leurs lettres se contredisent : c'est qu'une seule, au mieux, vient du roi. Mais tous s'y accordent sur trois points. Premièrement, le roi t'y fait savoir comment il est. Deuxièmement, il te fait savoir les faiblesses qui t'ont rendu malade, et il te défend d'y céder, et il t'indique la conduite qui te guérira: Troisièmement, il décrit le remède qui te donnera santé et félicité dans une vie éternelle sans infirmité ni maladie.

    Comme je te l'ai dit, je suis médecin, et je connais les faiblesses qui ruinent la santé, et les conduites qui la réparent. Je connais, de plus, les traits de ton père par ta ressemblance à lui, parce que tu es son fils, même si tu ne l'as pas vu[5].

    Au travail ! Commençons par examiner les remèdes proposés par tous ces messagers, les ordres et les défenses que te fait le roi dans ses lettres, et ses propres descriptions de lui- même. Le messager qui apporte le remède bienfaisant pour l'éternité et dont la lettre décrit, d'une part, pour te les défendre, les faiblesses dont je sais qu'elles conduisent à la maladie ainsi que pour te l'ordonner, ce qui donne la santé ; et d'autre part les traits de ton père qui correspondent à la ressemblance que tu en offres à la comparaison, c'est lui le vrai messager de ton père, et nous le recevrons. Tout messager qui contrevient à nos critères, nous le rejetterons."

    Ils rassemblèrent donc les remèdes, et le médecin les examina. Chacun était différent, et toutes les lettres défendaient au prince ce qui lui aurait fait du bien et lui ordonnaient, ce qui devait le rendre malade; sauf au contraire, la lettre qu'accompagnait le remède bienfaisant. De même, quant à l'auto-description du roi que contenaient les lettres.

    Le médecin en compara les traits à ceux du jeune homme. Aucune descriptions ne lui- ressemblait, sauf celle de la lettre qui décrivait justement ses maladies, et s'accompagnait du remède bienfaisant.

    Le fils du roi prit alors cette lettre et ce remède, les mit en œuvre et s'en tint à eux. Il fit appeler celui qui les avait apportés et le reconnut comme le véritable messager du roi.

    Quant aux autres, il les convainquit de mensonge, puis les expulsa brutalement et les bannit de sa présence.

    [Explication. de l'allégorie, et méthode à suivre]

    Le père caché, c'est Dieu (qu'il soi béni et exalté !).

    Son fils, c'est Adam et sa descendance.

    Le médecin; c'est la raison qui lui a été donnée : par elle, il connaît Dieu ; par elle, il connaît le bien et le met en action ; par elle, il connaît le mal et s'en abstient.

    La perte du médecin[6] par le fils et sa chute dans la maladie, c'est la perte de la raison par Adam lui-même et sa chute dans le péché, sa sortie du paradis pour venir sur la terre, sa nouvelle inclination à la vie du bas monde comme les animaux.

    L'envoi par le père d'un messager à son fils, c'est l'envoi par Dieu d'un messager de vérité à ses créatures, avec son Livre où il leur fait connaître les véritables attributs sous lesquels il faut l'adorer, l'interdiction qu'il leur fait de tout mal et de toute faute, avec l'ordre qu'il leur donne de faire le bien en ce monde, et le bonheur des bons dans l'autre vie (son paradis éternel), et avec sa menace pour les méchants, d'un enfer où le feu ne s'éteindra pas. Telle est la seule religion véritable.

    Les ennemis du roi qui voulurent lui porter atteinte en la personne de son fils, qui préparèrent des messagers et des lettres, et les envoyèrent, au prince pour le faire périr, ce sont les démons. Le messager de Dieu est venu en ce monde avec son Livre authentique et tous se sont réunis contre l'homme, chacun démentant ses adversaires et appelant les gens à le suivre. Le messager de la vérité est parmi eux, comme les autres jusqu'à l'Heure[7], inconnu."

    Ceux dont j'ai raconté plus haut qu'ils m'ont abordé un à un quand je descendis de la montagne appellent les hommes à leur suite. Ce sont les païens, les mazdéens, les samaritains, les juifs, les chrétiens, les manichéens, les marcionites, les bardesanites et encore d'autres religions. Il y a beaucoup de désaccords entre les religions, et encore nous sommes-nous borné aux huit ou neuf que nous avons caractérisées.

    Il nous faut maintenant procéder comme le sage médecin, laisser les Livres de côté, et interroger la raison : "Comment, par leur ressemblance à la nature de l'homme, reconnais-tu les attributs de Dieu, attributs qui échappent aux sens comme aux intelligences ? Et comment, de même, reconnais-tu le bien et le mal, et la récompense qui met cette nature dans une éternelle félicité ou sa rétribution pour un malheur sans fin ?"

    Une fois bien informés de ces points, nous comparerons les Livres connus de nous. Le Livre où nous trouverons tout cela, nous saurons qu'il est de Dieu : nous le reconnaîtrons et le recevrons ; et le reste, nous le rejetterons.



    [1] Edition du texte arabe : Louis CHEIKO ; "Traité inédit de Théodore Abou-Qurra (Abucara), évêque melchite de Harran (ca. 740-820), Beyrouth 1912. Ignace DICK ; "Théodore Abuqurra, Traité de l'existence du Créateur et de la vraie religion", patrimoine arabe chrétien n° 3, 1982. Traduction allemande : Georg GRAF ; "Des Theodor Abu Kurra Traktat uber den Schopfer und die wahre Religion", Munster, 1913. Traduction anglaise : John LAMOREAUX ; "Theodore Abu Qurrah translated", 2005 (pages 1-9, pour le présent extrait). Traduction française du passage dans l'article "Abu Qurra et la pluralité des religions" de Guy Monnot, paru dans la Revue de l'histoire des religions, Année 1991, Volume 208, Numéro 1, pp. 49-71

    [2] On verra, plus loin, qu'il a "retrouvé" son médecin.

    [3] Le mot arabe est "rasul", terme que les musulman emploient pour désigner la mission de Muhammad.

    [4] Ce médecin était censé être avoir disparu  précédemment.

    [5] Rappelons que ni le fils, ni le médecin n'ont jamais vu le roi.

    [6] au début de l'allégorie du "Roi caché"

    [7] C-a-d le jour du jugement.

     


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